Appel à témoin déterminant
Plus de 200 policiers mobilisés à plein temps auront été nécessaires pour mettre la main sur le "tireur fou", Abdelhakim Dekhar. Cet homme, déjà condamné dans l'affaire Rey-Maupin à 4 ans de prison pour association de malfaiteurs en 1998, est désormais l'auteur présumé de plusieurs tentatives d'assassinat dans les locaux de BFMTV, de Libération ou encore devant la Société générale du quartier d'affaires de la Défense. L'homme s'est en ainsi pris à César, jeune photographe de 23 ans, sur lequel il a tiré dans le dos à l'aide d'une arme de calibre 12, sans mobile apparent. Aujourd'hui sorti du coma, César est conscient et pourrait bientôt sortir de réanimation. À cela s'ajoutent l'enlèvement et la séquestration d'un automobiliste, qui a été contraint de véhiculer Dekhar jusqu'aux Champs-Élysées peu après les faits.
Aussitôt après l'intrusion de Dekhar dans les locaux de BFM vendredi, l'ensemble de la Brigade criminelle du 36, Quai des Orfèvres a été mobilisée, appuyée par la police technique et scientifique (PTS) venue faire ses prélèvements. 125 réquisitions téléphoniques ont alors été menées sur les lieux que le "tireur fou" a visités, afin de vérifier si des bornes téléphoniques avaient été actionnées par le même numéro de téléphone. Il a ainsi fallu éplucher presque 1,2 millier de connexions téléphoniques. Malheureusement, ce point de l'enquête ne donnera rien : Dekhar n'avait pas de portable.
Les policiers ont aussi visionné plus de 160 heures d'images, issues de caméras du dispositif de vidéo-protection de la ville de Paris, implantées sur 25 sites. Une trentaine de bandes de vidéosurveillance privée (magasins...) ont également été réquisitionnées. Cela a permis d'isoler Dekhar et de diffuser les photos du suspect. Lundi à 17 h 10, l'appel à témoins était mis en place et envoyé aux médias. Pour la première fois de son histoire, la préfecture de police de Paris utilisera les réseaux sociaux, et notamment Twitter, afin de récolter des informations.
L'ADN a été fondamental
Les policiers ont reçu plus de 1 000 appels, qui ont conduit à l'élaboration de 400 fiches de renseignements. Des dizaines de policiers de tous services (policiers de proximité de l'agglomération parisienne, Grande couronne, SDPJ 92...) ont procédé à des contrôles d'individus qui semblaient correspondre au profil recherché. Entre cinq et neuf policiers issus d'autres brigades centrales du "36" se sont relayés pour répondre au numéro vert. Mardi soir, un premier suspect est appréhendé, et son alibi vérifié. "En tout, une douzaine de personnes seront interpellées, sans aller jusqu'au stade de la garde à vue", précise-t-on à la police judiciaire. Mais les pistes seront abandonnées. Les policiers vont aller auditionner des témoins ou des suspects à Paris, dans l'Oise, les Yvelines et même jusque dans le Jura. "Nous étions obligés de prendre des risques, et de mettre de gros moyens", ajoute une source proche du dossier. Sans la pression médiatique, nous ne l'aurions peut-être pas eu".
La police technique et scientifique a travaillé jour et nuit pour extraire des fragments d'ADN que Dekhar avait laissés sur des projectiles, des douilles ou des cartouches, mais également sur la portière du véhicule et la ceinture de sécurité. C'est le procureur Molins lui-même qui a ordonné le prélèvement de l'ADN sur Dekhar, aussitôt après son interpellation. "L'ADN a été fondamental pour s'assurer qu'il s'agissait bien d'une seule et unique personne", explique-t-on.
Finalement, un homme se présente à la police. Il dit avoir connu Dekhar il y a 13 ans en Angleterre, et l'avoir hébergé plusieurs fois chez lui. Lundi, le "tireur fou" lui avait rendu une visite, lui confiant qu'il allait se suicider. Ce n'est que mercredi que l'hébergeur se présentera à la police et lui révèlera où Dekhar se trouve : dans le véhicule d'un parking souterrain, à Bois-Colombes. La Crim' se rend sur les lieux, soutenue par la Brigade de recherche et d'intervention (Antigang), et prend des précautions avant l'interpellation : la voiture aurait pu être piégée. Dekhar est semi-conscient, drogué au Xanax (anxiolytique) et à l'Imovan (un somnifère). Il est actuellement entendu par la police et devra expliquer ses actes.
Marc Leplongeon