L'Institut pour les oeuvres de religion (IOR) est l'une des banques les plus secrètes au monde. Son unique siège, un sinistre donjon du XVe siècle, est situé dans la tour Nicolas V de la cité du Vatican. Son distributeur de billets parle la langue de Virgile : "Retrahe scidulam deposita" ("Merci de retirer votre carte de crédit"). Il ne délivre pas de carnets de chèques. Les dépôts ne laissent pas de traces et offrent des intérêts supérieurs à 5 % sans impôts. L'IOR peut faire voyager anonymement des capitaux aux quatre coins de la planète. En principe, seuls les membres du clergé ou les employés du Saint-Siège peuvent y ouvrir un compte. En principe, seulement...
"L'IOR voit le jour en 1942, alors que Pie XII redoutait la victoire des Alliés, explique Giancarlo Galli, historien de l'institut financier. Le pape a voulu doter l'Église d'un outil financier moderne avec un réseau international qui puisse survivre à l'arrivée des communistes en Italie. L'IOR est donc né dans une psychose paranoïaque, et avec l'obsession du secret." Un message reçu cinq sur cinq par Paul Casimir Marcinkus.
Un mètre quatre-vingt-dix, havane aux lèvres et whisky à portée de main, habile golfeur accompagné de jeunes secrétaires sexy, cet évêque américain est nommé patron de l'IOR en 1971 par Paul VI. Marcinkus rencontre alors le banquier sicilien, Michele Sindona. Ce dernier initie les cardinaux à l'ivresse des spéculations dans les paradis fiscaux. Jusqu'à ce que l'on découvre qu'il utilise la banque du Vatican pour recycler l'argent des revenus du trafic d'héroïne de Cosa Nostra. En 1984, Sindona est arrêté et condamné pour faillite frauduleuse et pour un assassinat. En 1986, il est empoisonné dans sa cellule par un café au cyanure...
"Perestroïka" de l'IOR
Mgr Marcinkus se trouve alors un autre mentor dans la personne de Roberto Calvi. Et le scénario se répète. Calvi n'est pas mafieux, mais appartient à la loge d'extrême droite P2. Dans son sillage, Marcinkus entre au conseil d'administration d'une banque de... Nassau. En 1982, la banque Ambrosiano de Roberto Calvi fait faillite. L'IOR débourse 240 millions de dollars en faveur des victimes de la faillite et Calvi est retrouvé pendu en 1982 à Londres.
La magistrature italienne lance un mandat d'arrêt contre Marcinkus, mais le Vatican refuse de l'extrader. Car Jean-Paul II est désormais sur le trône de Pierre et a besoin d'argent pour financer discrètement Solidarnosc en Pologne. Qui mieux que Marcinkus peut jongler avec les paradis fiscaux ?
Mgr Marcinkus est finalement exfiltré vers les États-Unis en 1989 et Angelo Caloia est nommé à la tête de l'IOR. Reconnu pour son honnêteté, il prône une "perestroïka" de l'IOR. Las ! En 1993, les magistrats découvrent que le pot-de-vin de 108 millions d'euros versé par Raul Gardini aux politiciens italiens pour prendre le contrôle de la société Enimont est passé par un compte de l'IOR. Un compte censé "venir en aide aux enfants déshérités"... En 2005, un groupe d'entrepreneurs venus de nulle part s'empare de deux banques italiennes. Les fonds illicites ont transité par deux comptes ouverts par l'IOR dans la banque suisse BSI. En 2006, le foot italien est déshonoré par un scandale des matchs truqués. Le coffre-fort de Luciano Moggi, le corrupteur des arbitres, se trouve dans la tour Nicolas V. Comme celui de la bande d'entrepreneurs arrêtés pour avoir détourné des fonds publics destinés aux catastrophes naturelles.
"À l'IOR, les soutanes ont toujours le dernier mot sur les costumes gris"
En 2009, Ettore Gotti Tedeschi remplace Caloia. Banquier de stature internationale, proche de l'Opus Dei, intime de Benoît XVI, il est, comme son prédécesseur, considéré incorruptible. Mais la banque de Dieu dévore un à un ses présidents. Le parquet de Catane révèle en 2010 que le mafieux sicilien Vincenzo Bonaccorsi a recyclé 300 000 euros à travers un compte de l'IOR ouvert par son neveu, Don Orazio. Gotti Tedeschi est à son tour mis en examen à la suite de deux virements d'un montant de 23 millions d'euros où n'apparaissent ni l'origine ni le bénéficiaire des opérations. Et le 24 mai, Gotti Tedeschi est limogé par son conseil d'administration. "J'ai demandé la liste des comptes des laïques. On a refusé de me la communiquer et la guerre a commencé", déclare Gotti Tedeschi aux magistrats. "À l'IOR, les soutanes ont toujours le dernier mot sur les costumes gris, affirme Giancarlo Galli. Les hommes d'Église servent le Christ, non César. Pour eux, le droit canon passe avant le droit de la communauté internationale."
Le 15 février dernier, alors qu'il a déjà annoncé sa démission, Benoît XVI nomme à la tête de l'IOR le banquier allemand Ernst von Freyberg. Ce dernier geste du pontificat, imposé à un Joseph Ratzinger déclinant, est une tentative de la Curie de placer un de ses hommes avant l'arrivée d'un nouveau pape.
Mais avec pape François, la musique change. En affirmant que "Pierre n'avait pas de compte en banque", le souverain pontife met en question l'existence même de l'IOR. Au cours des 100 premiers jours de son pontificat, il ne trouve pas le temps de recevoir von Freyberg. Désaveux de l'homme qui, à tort ou à raison, symbolise la vieille garde. Et ce n'est qu'un début. Le 14 juin dernier, le "Gentilhomme de Sa Sainteté" Francesco La Motta est arrêté pour un détournement de 10 millions d'euros. Le pape profite de l'occasion pour supprimer l'ordre millénaire des Gentilshommes de Sa Sainteté qui conférait à des laïques malhonnêtes le privilège d'ouvrir des comptes à l'IOR.
Deux jours plus tard, il désigne monseigneur Ricca, un de ses plus proches collaborateurs, "prélat de l'IOR". Enfin, le 26 juin, par un chirographe - un décret signé de sa main -, il nomme une commission de 5 cardinaux chargés d'enquêter sur les agissements de l'IOR. Et pour la première fois dans l'histoire judiciaire mouvementée de la banque du Vatican, la magistrature italienne a reçu la pleine collaboration de la banque vaticane dans l'enquête concernant Nunzio Scarano, le prélat arrêté le 28 juin pour blanchiment d'argent, à travers ses comptes à l'IOR. Pape François est déterminé à n'épargner personne dans sa guerre contre l'argent sale, ce "crottin du diable" dénoncé en son temps par l'évangéliste saint Marc. À bon entendeur...
Dominique Dunglas