Alors que les occupants de la place Taksim sont violemment délogés par la police, Erdogan tente d'attiser les divisions du mouvement de contestation.
Après dix jours d'occupation pacifique, la place Taksim, centre névralgique de la partie européenne d'Istanbul, a été réinvestie mardi au petit matin par la police antiémeute turque. Plusieurs centaines d'hommes casqués et armés de lance-grenades lacrymogènes sont entrés sur la vaste esplanade, escortés par une dizaine de blindés surmontés de lances à eau, repoussant les manifestants à coups de gaz lacrymogène. Des pelleteuses sont entrées en action pour démonter plusieurs barricades autour de la place.
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Dans un message diffusé par des haut-parleurs, la police a appelé les occupants de la place Taksim à la retenue. "Ne lancez pas de pierres, nous ne tirerons pas de cartouches de gaz lacrymogène." Dans le même temps, sur son compte Twitter, le gouverneur d'Istanbul, Hüseyin Avni Mutlu, a affirmé : "Notre objectif est de retirer les écriteaux et les images installés sur le monument d'Atatürk et sur le centre culturel Atatürk (AKM). Nous n'avons aucun autre but." "Le parc Gezi et Taksim ne seront pas concernés." Les forces de l'ordre avaient pour priorité de "nettoyer" la place des affiches et des slogans révolutionnaires qui recouvraient la façade du centre culturel et des immeubles autour de la place. La police n'a laissé qu'un drapeau turc et un portrait du fondateur de la République. Le monument à la gloire d'Atatürk qui trône au milieu de l'esplanade était, lui, occupé par des campements et des drapeaux de militants de la gauche radicale.
Selon des témoins qui tweetent de la place, le parc Gezi est bel et bien envahi par les gaz dont se servent abondamment les forces de l'ordre.
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En plus des gaz, la police utilise également des balles en caoutchouc. Des manifestants ont été blessés.
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Stratégie
Les groupes d'extrême gauche, "marginaux" selon le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, mais très actifs depuis le début du mouvement de protestation contre le gouvernement islamo-conservateur, avaient gagné dans cette lutte stambouliote une visibilité inédite. Les portraits de héros révolutionnaires des années 70 s'étalaient sur les immeubles de la place Taksim. "Quatorze organisations illégales se trouvent sur la place Taksim", avait estimé le porte-parole du parti au pouvoir (AKP, Parti pour la justice et le développement), Hüseyin Celik.La stratégie du gouvernement semble être de profiter des divisions au sein du mouvement de protestation pour l'affaiblir : les opposants à Erdogan regroupent aussi bien l'extrême gauche marxiste que certains groupes d'extrême droite ultranationalistes, nostalgiques d'Atatürk et des coups d'État militaires. Des divisions qui ont causé des tensions lundi, dans le parc Gezi, entre militants kurdes et kémalistes.
Dans un discours devant les députés de l'AKP, à Ankara, le Premier ministre turc a défendu sa position ferme face aux manifestations, un discours de campagne, s'appuyant sur son bilan économique. Recep Tayyip Erdogan a dénoncé le "complot" de la presse internationale et du "lobby du taux d'intérêt", accusé de vouloir affaiblir l'économie turque.
Les manifestations à travers la Turquie ont coûté la vie à quatre personnes, trois manifestants et un policier, avait déclaré plus tôt Recep Tayyip Erdogan. "Trois jeunes et un policier ont perdu la vie dans les événements", avait-il précisé.
Guillaume Perrier