Les méthodes d'espionnage des individus par les États-Unis ont choqué. Mais des lois similaires se multiplient dans tous les pays occidentaux.
La trouille. C'est le levier universel, celui qui permet aux démocraties d'imposer des mesures impopulaires ou secrètes. La peur du terroriste est, depuis le 11 septembre 2001, l'excuse ultime pour les grandes démocraties occidentales, qui ont adopté des législations extrêmement intrusives au nom de la sécurité. Les plus célèbres sont le Patriot Act et le Homeland Security Act aux États-Unis, parce que ces textes sont couplés avec l'arsenal informatique le plus puissant du monde, celui de l'agence nationale de sécurité (NSA), récemment mise en cause par des révélations du Guardian et duWashington Post. Grâce à l'informatique, la surveillance est mise en application à une échelle jamais atteinte dans l'histoire.
Des textes restreignant les libertés fondamentales ont aussi été adoptés dans presque toutes les grandes démocraties occidentales : Canada, Grande-Bretagne, Belgique, Autriche, Australie, Finlande, Danemark, Italie, Grèce, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, Suède et, bien sûr, France. Les nouvelles législations autorisent en général les autorités à surveiller les communications des individus (citoyens ou non), dans des conditions floues, voire sans contrôle du juge. Des dérives qui ont poussé le contrôleur européen des données personnelles à demander des comptes lundi, tout comme Reporters sans frontières (RSF).
Consensus droite-gauche
Les autorités françaises disposent d'un arsenal de surveillance qui n'a pas à rougir devant les autres, avec comme fer de lance le plan Vigipirate renforcé. Cet état d'exception à la Constitution, qui devait à l'origine durer quelques mois, a été régulièrement renforcé depuis la création de sa version moderne en 1996. Il n'a cessé de donner plus de pouvoirs à l'exécutif et donc aux forces de l'ordre, au détriment du pilier judiciaire et des libertés fondamentales : contrôles d'identité, surveillance des communications, restrictions à la libre circulation, etc. Le plan Vigipirate est appuyé par plusieurs lois successives, dont la loi "Sarkozy" sur la sécurité quotidienne (LSQ), la loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN) ou encore les lois d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (Loppsi 1 et 2). Un de leurs buts est d'adapter les moyens de surveillance aux technologies numériques, dont Internet.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'adaptation à l'ère "Internet" a été l'occasion d'un grand retour en arrière côté libertés. Même la Suède, célèbre pour être un havre de liberté, a récemment adopté des lois liberticides au nom de la lutte contre le terrorisme. Les justifications avancées par Stockholm illustrent bien celles des autres grandes démocraties. Interrogé par Le Point.fr en mai dernier, le ministre des Affaires étrangères suédois Carl Bildt reconnaissait "de mauvaises orientations" après le 11 septembre, mais affirmait avoir trouvé depuis "un système plus acceptable" : une surveillance des citoyens "discrète", qui permettrait selon lui de surveiller les individus sans restreindre leurs libertés.
Une belle pirouette, que l'on retrouve en France. Alors que le secret des correspondances était sacré depuis que Richelieu avait abusé des ouvertures de courrier, l'on considère que les télécommunications peuvent être espionnées dans des proportions beaucoup plus larges qu'au XXe siècle, avec la complicité forcée des opérateurs et des fournisseurs de service web, comme Orange, SFR, Google ou Facebook. Imaginons un instant que La Poste soit obligée de surveiller le contenu de tous les courriers et colis qu'elle transporte ! En dehors de l'aspect technique difficilement réalisable, sur le fond, ne serions-nous pas choqués ? Évidemment que oui. Mais si c'est sur Internet, ça passe... Seul pays où les lois antiterroristes sont plus mesurées : l'Allemagne. Traumatisé par des décennies de dictature (nazie, puis communiste pour l'ex-RDA), le Parlement a en horreur tout ce qui touche au fichage des citoyens et a même forcé Facebook a créer une version adoucie de ses conditions d'utilisation pour les résidents de l'État fédéral : une exclusivité mondiale !
Le terrorisme fait plier les législateurs
Le pire dans cette perpétuelle course au risque zéro est que les gouvernements de droite comme de gauche font preuve d'un consensus certain pour valider des textes en contradiction partielle avec les définitions philosophiques de la démocratie, dont l'indépendance et la séparation des pouvoirs, la transparence ou encore le libre exercice des libertés fondamentales. François Hollande a par exemple signé des décrets d'application de la loi Loppsi 2, qu'il avait vertement critiquée durant sa campagne. Il est inutile, pour un citoyen soucieux de ses libertés sur Internet, de chercher un parti qui les lui rendra : il n'y en a pas, ou pas encore. En Suède et en Allemagne, le Parti pirate a propulsé ces thématiques dans les débats politiques, sans réel succès, à l'exception d'un siège au Parlement européen dont l'occupant est largement critiqué par ses troupes. En France, ce même parti sort d'années de déchirements internes, et attend impatiemment les prochaines municipales pour essayer de se faire un nom.
Le terrorisme a pour but premier non pas l'assassinat, mais la mise en place d'un "climat d'insécurité" et "l'intimidation d'une population", selon les définitions communément acceptées par l'ONU et l'Union européenne. Comme le rappellent de nombreuses ONG, dont Reporters sans frontières lundi, nous sommes en train de renoncer à certaines libertés fondamentales à cause du terrorisme. Alors... qui a gagné ?
Guerric Poncet