En vertu de la section 215 du Patriot Act, qui, adoptée par l’administation Bush au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 permet de surveiller des résidants aux Etats-Unis à leur insu, une ordonnance classée top secret d’un tribunal fédéral relatif au renseignement étranger (Foreign Intelligence Surveillance Court), autorise la National Security Agency, l’agence chargé des écoutes téléphoniques, ainsi que le FBI à avoir accès aux données téléphoniques de millions d’abonnés de l’opérateur Verizon.
Selon cette ordonnance adoptée le 25 avril dernier, soit 10 jours après les attentats de Boston, et révélée par le quotidien britannique The Guardian, Verizon doit fournir à la NSA les informations concernant “tous les appels téléphoniques de son systèmes, passés aux Etats-Unis et entre les Etats-Unis et d’autres pays.”
Un haut responsable américain a expliqué que cette pratique était “un outil crucial” pour lutter contre le terrorisme et précisé que le document publié par The Guardian “ne permettait pas au gouvernement d’écouter les conversations téléphoniques de quelqu’un” et ne concernait pas “le contenu des communications ou le nom des abonnés.” Et d’ajouter : “Il s’agit de “métadonnées, tels qu’un numéro de téléphone ou la durée d’un appel.” L’ordonnance en question est cependant limitée dans le temps étant donné qu’elle expire le 19 juillet prochain.
Seulement, The Guardian souligne que l’administration Obama est en mesure de “collecter en vrac les données téléphoniques de millions de citoyens américains sans distinction (…), qu’ils soient ou non soupçonnés d’un quelconque méfait”, comme l’a été d’ailleurs celle du président Bush.
En effet, en 2006, le quotidien USA Today avait révélé que la NSA avait secrétement collecté “les données téléphoniques de dizaines de millions d’Américains, en utilisant des éléments fournis par AT&T, Verizon et BellSouth”, afin de détecter des activités terroristes. Mais, jusqu’à précision, il n’y avait aucune indication selon laquelle l’administration Obama avait eu recours à la même procédure.
Mais ce n’est pas tout. Une révélation en amenant une autre, le Washington Post a quant à lui indiqué que la NSA et le FBI avaient également accès aux serveurs de 9 sociétés Internet américaines, dont Microsoft, Facebook, Google ou encore Yahoo!.
Le quotidien américain a appuyé ses informations grâce à des documents fournis par un ancien employé du renseignement. Selon ces derniers, il est question d’un programme secret appelé “PRISM”, mis en pace depuis 2007. Il permet ainsi à la NSA de se connecter aux serveurs des géants de l’Internet via un portail afin de consulter les informations concernant, a priori, des utilisateurs situés à l’extérieur des Etats-Unis.
La NSA aurait la possibilté de surveiller les courriers électroniques, les transferts de fichiers ainsi que les conversation par chats (qu’ils soient audio ou vidéo) et les réseaux sociaux. Les communications via le logiciel de téléphonie gratuit Skype, qui sont pourtant “chiffrées”, selon son concepteur, seraient aussi surveillées en direct.
D’ailleurs, sur le site Internet dédié à ce logiciel, il est indiqué que “Skype utilise AES (Advanced Encryption Standard*), également connu sous le nom de Rijndael, qui est employé par l’administration américaine pour protéger des informations confidentielles.” En juillet dernier, l’on apprenait que l’éditeur aurait modifié son réseau afin d’avoir accès plus facilement aux informations personnelles de ses utilisateurs pour les communiquer aux autorités en cas d’une demande de la justice.
Quoi qu’il en soit, les données ainsi collectées ne doivent pas manquer d’intérêt étant donné que le programme PRISM a été cité 77.000 fois dans les rapports du renseignement, selon un document PowerPoint cité par le quotidien.
Ces révélations n’ont pas manqué de faire réagir. “Cela va au-delà d’Orwell (ndlr, l’auteur du roman d’anticipation 1984, décrivant une société sous surveillande permanente)”, a dénoncé Jameel Jaffer, l’ONG American Civil Liberty Union (ACLU), laquelle a lancé une procédure en justice pour contraindre le gouvernement américain à s’expliquer au sujet de l’utilisation du Patriot Act.
“C’est une nouvelle preuve de l’étendue avec laquelle les droits démocratiques de base sont remisés au second plan, en secret, au profit des agences de renseignement qui n’ont de comptes à rendre à personne”, a-t-il ajouté, dans un communiqué.
Du côté de la Maison Blanche, l’on est sur la défensive. “Le président Obama est déterminé à utiliser tous les outils nécessaires dans la lutte antiterroriste”, a déclaré Josh Earnest, un de ses porte-parole. Il “se félicite par ailleurs du débat public qu’a relancé cette polémique sur le compromis à trouver entre libertés civiles et lutte pour la sécurité”, a-t-il ajouté.
Le directeur du renseignement américain (DNI), James Clapper, a quant à lui fait valoir que “la divulgation non autorisée d’une ordonnance de justice secrète pose une menace potentielle à notre capacité à identifier et à répondre aux risques auxquels est confronté notre pays.”
Obama : "Personne n'écoute vos appels téléphoniques"
Le président Barack Obama a défendu vendredi la légalité et l'importance des collectes secrètes de données par le renseignement américain, assurant à ses compatriotes que seules les communications des étrangers sur Internet étaient espionnées. Le président réagissait pour la première fois aux révélations successives sur deux programmes secrets de l'Agence nationale de sécurité (NSA) : l'un concerne la récolte depuis 2006 des données d'appels téléphoniques aux États-Unis par l'opérateur Verizon, et vraisemblablement d'autres ; l'autre, nommé PRISM, vise à intercepter les communications d'internautes étrangers se situant hors des États-Unis sur neuf grands réseaux sociaux comme Facebook.
"Personne n'écoute vos appels téléphoniques", a-t-il assuré lors d'une conférence de presse en Californie. "La communauté du renseignement examine les numéros de téléphone et la durée des appels. Ils ne regardent pas le nom des gens. Et ils n'examinent pas le contenu", a-t-il expliqué. Sur le système PRISM d'espionnage d'Internet et des courriels, Barack Obama a martelé : "Cela ne s'applique pas aux citoyens américains. Cela ne s'applique pas aux personnes qui vivent aux États-Unis." Le président a souligné que des "compromis" entre la protection de la vie privée et les exigences de la lutte antiterroriste étaient nécessaires.
"Nous avons trouvé le bon équilibre" (Obama)
"En théorie, on peut se plaindre de Big Brother et de la façon dont ce programme pourrait potentiellement dégénérer, mais quand on regarde vraiment les détails, je pense que nous avons trouvé le bon équilibre", a-t-il assuré. Ses déclarations visaient à rassurer le public américain, qui soupçonnait l'existence de tels programmes sans avoir jamais pu en examiner ni les détails ni l'ampleur. "L'administration a désormais perdu toute crédibilité sur ce sujet", condamnait avant l'intervention présidentielle le New York Times dans un éditorial. "Barack Obama prouve le truisme selon lequel l'exécutif utilisera tous les pouvoirs qui lui sont donnés, et en abusera."
Entre 2007 et 2011, les sites de Microsoft, Google, Yahoo!, Facebook, YouTube, Skype, AOL, Apple et PalTalk ont commencé à être intégrés dans un programme secret de l'Agence nationale de sécurité (NSA) pour que ses analystes puissent consulter directement et en temps réel les courriels envoyés sur Hotmail ou Gmail, ainsi que toute conversation, photos, vidéos, et chats internet sur ces sites. Le site Twitter ne fait pas partie du programme.
Les sociétés internet démentent
L'existence de PRISM a été révélée simultanément jeudi par les quotidiens Washington Post et The Guardian, mais le patron du renseignement américain, James Clapper, a relevé de "nombreuses inexactitudes" dans leurs articles. De fait, des questions demeuraient sur le degré d'implication, voire de connaissance, des neuf sociétés internet. Elles ont catégoriquement démenti donner un "accès direct" à la NSA, utilisant le même terme. "Nous n'avons jamais entendu parler de PRISM", a affirmé le porte-parole d'Apple, à l'instar des autres firmes.
De nombreux parlementaires des deux partis soutiennent l'exécutif, affirmant qu'un attentat terroriste a été déjoué grâce aux saisies des données téléphoniques. Comme l'a souligné Barack Obama vendredi, les élus du Congrès ont renouvelé à de larges majorités la vaste loi antiterroriste "Patriot Act", votée après le 11 Septembre. Mais certains reconnaissaient que le débat sur l'équilibre entre protection de la vie privée et raison d'État méritait d'être relancé.
"Je pense qu'il y a des façons de maintenir la sécurité du pays, d'accéder aux données de ceux que nous soupçonnons, sans que les données soient accumulées de cette manière", a expliqué le républicain Bob Corker. "Je pense que quand des Américains qui respectent la loi téléphonent, qui ils appellent, quand ils appellent et d'où ils appellent sont des informations privées", a dit Ron Wyden, un démocrate. "Les deux derniers jours ont montré qu'il fallait plus de transparence", résume Mark Rumold, de l'Electronic Frontier Foundation. "Si la NSA a une porte d'entrée dans Google, c'est presque le pire cauchemar des gens."