Le tir raté du missile M51, le 5 mai dernier, n'est pas élucidé. Mais des pistes s'ouvrent à la commission d'enquête.
Le dimanche 19 mai, les journalistes interrogeant avec Jean-Pierre Elkabbach le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian sur Europe 1 ne lui ont posé aucune question sur l'incident du M51. Raison de plus pour se demander quelle est la nature de l'accident qui a provoqué l'échec du tir de validation d'un missile M51 de série, le 5 mai dernier, au large du petit port breton de Penmac'h, dans le sud du Finistère. À ce stade, la commission d'enquête, réunie sous la présidence de l'ingénieur général de l'armement (IGA) Denis Plane, n'a pas encore abouti à des conclusions précises. Les techniciens de haut vol - militaires, industriels, ingénieurs de l'armement - réunis autour de l'IGA Plane auraient cependant à ce stade abouti à une première conviction, qui doit encore être confirmée : le bateau transportant et lançant le missile, le sous-marin nucléaire lanceur d'engins Le Vigilant, ne serait pas en cause dans l'accident.
Sous-marin hors de cause
Si tel avait été le cas, l'échec de ce tir aurait été considéré comme une "énorme catastrophe" par les experts militaires et industriels : la composante sous-marine de la dissuasion nucléaire, clé de voûte de la défense française, se serait alors trouvée durablement compromise. Selon nos informations et à ce stade - soyons prudents ! -, les causes du problème du M51 sont recherchées dans une ou plusieurs anomalies de fonctionnement de certains de ses équipements, gyrolasers et calculateurs de bord, notamment. Mais les enquêteurs sont encore dans le flou et seraient incapables à ce stade de déterminer, dans l'hypothèse d'un problème informatique, s'il concerne l'équipement (hardware) ou un élément logiciel (software).
Tir en conditions réelles
L'échec du tir du 5 mai est d'autant plus dommageable qu'il était en réalité une première depuis que la force de dissuasion existe. Jamais depuis l'entrée en service du premier SNLE (sous-marin nucléaire lanceur d'engins) français Le Redoutable, en décembre 1971, un tir n'avait été préparé dans les conditions réelles d'un lancement stratégique inopiné depuis un sous-marin en patrouille opérationnelle. Cela veut dire que le missile stocké sur le site-bunker de Guenvénez, à quatre kilomètres de l'île Longue, avait été transporté vers Le Vigilant dans des conditions et un timing "opérationnels", avant d'être embarqué à bord du sous-marin qui a ensuite quitté la rade de Brest, dans les mêmes conditions que pour une mission classique. Pour que ce tir soit "réel", il fallait que l'ordre du feu nucléaire le soit aussi.
François Hollande à la manoeuvre
Pour cette raison, le président de la République François Hollande se trouvait personnellement "dans la boucle". Dans des conditions et dans une situation que nous n'avons pas déterminées, le chef des armées a donc utilisé en personne le code d'accès au feu nucléaire. Il a transmis ses instructions par des moyens classifiés exigeant une chaîne de communication protégée permettant à la "chaîne stratégique" de s'assurer qu'il se trouvait bien aux commandes, avant d'appuyer sur le "bouton rouge". L'agenda du président ne mentionne aucune activité officielle pour la journée du 5 mai. On peut gager que vers 9 heures, entouré de son chef d'état-major particulier, l'amiral Benoît Puga, et de l'adjoint de celui-ci, le capitaine de vaisseau Bernard-Antoine Morio de L'Isle - un sous-marinier chargé, entre autres, des affaires nucléaires militaires -, le chef de l'État était à son affaire quand il a appuyé pour de vrai sur le bouton rouge. Qui lui a annoncé l'échec ? Comment François Hollande a-t-il réagi ? Sans doute pas très bien...
Autodestruction
Les tirs nucléaires de missiles sous-marins sont très particuliers : le ciblage de l'engin est programmé sans que l'équipage sache vers quelles cibles ses têtes nucléaires seront tirées. Après que l'ordre de mise à feu a été reçu par le commandant du submersible, qui exécute en personne la directive présidentielle, l'engin quitte le navire en étant expulsé par une puissante "chasse" d'air comprimé. Le premier étage ne s'allume que lorsque le missile est complètement sorti de l'eau, comme le montre une vidéo du fabricant Astrium, une filiale d'EADS, visionnée le 18 mai vers 23 heures. Dès lors que le coup est parti, plus personne ne peut l'arrêter et aucune instruction extérieure ne peut plus être reçue par l'engin, qui n'émet pas non plus la moindre donnée. Pour cette raison, le communiqué officiel publié après l'échec évoque à juste titre une "autodestruction" qui s'est produite sans intervention humaine.
Pas de boîte noire
Le missile ne contient aucune "boîte noire". Pour les artisans de la filière militaro-nucléaire française - Direction générale pour l'armement DGA, marine nationale, industriels -, crème de la crème de l'appareil militaro-nucléaire français, l'échec n'est pas une option ! A tel point que les sites du ministère de la Défense n'ont pas été mis à jour après l'accident du 5 mai. Sur le portail de la DGA, on peut encore lire ce dimanche matin, à propos de la plus puissante des armes françaises, que "tous les essais en vol du M51 ont été des succès complets"...
Jean Guisnel