Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

jeudi 4 avril 2013

L'étrange échange entre les fiscs français et suisse


Paris a posé à Berne la "mauvaise question", qui ne lui a jamais permis de savoir si Jérôme Cahuzac possédait ou non des comptes en Suisse.

Il y a une dizaine d'années, lorsqu'il était procureur général à Genève, Bernard Bertossa expliquait comment la France s'arrangeait parfois pour ne pas avoir de réponse satisfaisante de la part de la Suisse. Il suffisait, par exemple, d'adresser une commission rogatoire portant sur de l'"abus de biens sociaux". Le délit n'existant pas dans la Confédération, celle-ci ne pouvait pas entrer en matière.

Dans l'affaire Cahuzac, la stratégie était un peu différente. La Direction générale des finances publiques (DGFIP) a écrit le 24 janvier à son homologue suisse à Berne pour lui demander si Jérôme Cahuzac détenait un compte à l'UBS. Certes, l'entraide fiscale existe, mais elle ne porte pas sur l'évasion fiscale, qui n'est pas considérée comme un délit. Contrairement à la fraude fiscale. Mais dans ce cas, il aurait fallu que la DGFIP apporte la preuve que le ministre du Budget était soupçonné d'avoir adressé au fisc de faux documents.

Réponse immédiate du fisc suisse

Curieusement, le Département fédéral des Finances à Berne, qui ne pouvait pas ne pas savoir que cette entraide fiscale n'est qu'un faux nez, joue néanmoins le jeu, répondant que Jérôme Cahuzac n'est pas titulaire d'un compte à l'UBS depuis 2006. Aussitôt Bercy déclare triomphalement à la presse début février : "Il n'y a aucune place au doute dans la réponse transmise par la Suisse", ajoutant : "Imaginer une seconde que les autorités suisses aient pu faire une réponse de complaisance est tout simplement absurde."

Le 12 mars 2013, en revanche, il en va tout autrement. François Molins, procureur de Paris, adresse en Suisse une vraie commission rogatoire internationale pour "blanchiment de fraude fiscale". Le premier procureur Yves Bertossa, fils de Bernard Bertossa, et le procureur Jean-Bernard Schmid, réputés parmi les magistrats les plus pugnaces de Genève, étudient sommairement la demande et décident de l'exécuter rapidement. Sans difficulté, ils découvrent vite que Jérôme Cahuzac a effectivement ouvert un compte à l'UBS au début des années 1990, fermé fin 2000 pour être transféré à la banque Reyl et Cie, toujours à Genève, puis de là dans une filiale à Singapour.

Et le compte UBS à Singapour ? 

"En revanche, je n'ai toujours pas vu ni la demande envoyée par le fisc français ni la réponse du fisc suisse", s'étonne Jean-Bernard Schmid. Ce dernier, en charge du volet suisse de l'affaire Bettencourt et de celle des sous-marins vendus par la France au Pakistan dans les années 1990, n'a pas l'habitude de laisser beaucoup d'alternatives aux banques. De plus, il ne se contente pas d'interroger un seul établissement bancaire, sachant que d'un clic, un compte peut passer d'une banque à l'autre.

 Mauvaises relations franco-suisses 

"Au moment de la transmission des informations en France, le titulaire d'un compte peut toujours faire un recours pour bloquer la procédure. On perd ainsi plusieurs mois. Mais d'un autre côté, celui qui bloque la procédure se dénonce lui-même", ajoute en souriant Jean-Bernard Schmid. D'où les aveux de l'ancien ministre, avant même que la commission rogatoire ne revienne des bords du lac Léman.

Il reste à savoir pourquoi le Conseil fédéral (gouvernement) s'est plié à cette mascarade, alors que les relations entre les deux pays sont actuellement franchement mauvaises. En effet, la France veut faire payer dès 2014 des droits de succession aux héritiers de riches Français établis en Suisse, ce qui rendrait la Confédération nettement moins attractive (les droits de succession étant pratiquement nuls dans la Confédération). Berne aurait-elle négocié quelques concessions avec Paris ?

Ian Hamel