Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

jeudi 29 novembre 2012

Affaire Kampusch: enquête sur la piste sadomaso


A l’été 2006, 2,5 millions d’Autrichiens regardent la jeune fille confier son insoutenable destin à un journaliste de l’ORF, la télévision publique. Famélique et tout juste majeure, la Viennoise raconte comment elle a réussi, après 3096 jours de captivité, à échapper à son kidnappeur.

Police sur la sellette

Natascha, à 18 ans, a triomphé du mal. Elle va reprendre ses études et mène sa vie de femme. Assez vite pourtant, les choses se gâtent, son image bascule. Devenue célèbre, à l’abri du besoin grâce à la somme folle générée par la retransmission mondiale de son interview et à la «maison du malheur» dont elle a accepté d’hériter, elle se lance dans l’animation télé et se pose en vedette de l’humanitaire. Dans la rue, les premières insultes fusent. En 2010, le divorce entre le peuple et son enfant martyr est consommé. En septembre de cette année-là, la jeune fille publie le récit de sa séquestration, «3096 jours». Le livre est un succès mondial. Mais, en dénonçant au fil des pages les fautes commises par les pouvoirs publics après sa disparition, Natascha alimente sans le vouloir une machine à spéculations dépourvue de bouton «stop».

A la suite de la parution, des élus de tous bords mettent en doute l’enquête officielle qui avait conclu, en janvier 2010, que Priklopil a agi seul. Au sein de l’opposition, l’extrême droite et les Verts accusent les Ministères de la justice, de l’intérieur et de la défense de s’entendre pour protéger des institutions défaillantes. En mars dernier, une commission parlementaire rapporte que le gouvernement a longtemps dissimulé les erreurs de la police. Les fonctionnaires chargés de retrouver Natascha étaient, au mieux, des bras cassés: ils classaient sans suite des signalements cruciaux, archivaient les témoignages qui n’allaient pas dans le sens de l’enquête. Scandale.

Les Autrichiens sont effondrés. Se pourrait-il que les policiers n’aient pas voulu ramener la fillette? Les plus sceptiques soupçonnent l’existence d’un second ravisseur qui ferait toujours pression sur Natascha. Une psychose collective s’instille. Pour y répondre, une commission d’évaluation internationale devra, d’ici à la fin de l’année, éplucher 270 000 pages de documents confidentiels. Il s’agit de jeter un regard neuf sur le dossier, avec l’aide d’agents du FBI, accourus en octobre à Vienne. Le recours à ces experts étrangers ajoute encore aux spéculations. Le fait est que bien des zones d’ombre demeurent. D’abord, il y a cette petite fille prénommée Ishtar. Unique témoin oculaire du rapt, elle a confirmé à six reprises avoir vu deux hommes enlever Natascha, avant de se rétracter devant le témoignage contradictoire de la principale intéressée. Aujourd’hui, elle s’estime victime de pressions policières.

Ensuite, il y a le meilleur ami du ravisseur, Ernst H., dernière personne à avoir vu Priklopil vivant, et qui n’a jamais été entendu que comme témoin. Ce qui stupéfie beaucoup d’acteurs du dossier, tant les preuves de son implication semblent accablantes. Peu après le rapt, il a effectué un virement bancaire de 500 000 schillings (44 000 francs) sur le compte de Priklopil, fournissant deux justifications farfelues. Une fois libre, Natascha Kampusch lui a téléphoné à une centaine de reprises. Or Ernst H. entretient manifestement une relation avec un haut gradé de l’armée soupçonné d’être impliqué dans «des activités sexuelles illégales» au cœur du milieu sadomaso de Vienne.

Mort suspecte

Enfin, il y a le sort tragique d’un chef de la police, nommé Franz Kröll. Enquêtant sur l’affaire, il avait fini par être convaincu que Natascha Kampusch, toute victime qu’elle était, protégeait depuis le début des complices de son ravisseur, et ce pour une raison toujours inconnue. Il a été sommé de mettre un terme à ses investigations. Obsédé par l’affaire, Franz Kröll avait découvert que «Priklopil fréquentait également un club sadomaso très limite dans la banlieue de Vienne», selon l’ancien président de la Haute Cour autrichienne de justice, Johann Rzeszut. Six mois plus tard, l’homme était retrouvé mort à son domicile, une balle dans le crâne. Son frère, Karl, ne croit pas au suicide. Récemment, il a déposé trois plaintes pour meurtre, dont une contre X.

Contactée par «Libération», Natascha Kampusch a fait savoir qu’elle ne donnerait pas d’interview dans l’immédiat. Il sera possible de l’interroger au moment de la sortie d’un film sur sa vie, en 2013.