Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

dimanche 13 mai 2012

Netanyahou trompe le monde, déclare son ex-directeur du contre-espionnage Yuval Diskin

Les divisions de l’appareil d’État sioniste s’étalent au grand jour. D’un côté, les politiques, pétris de théologie messianique, impatients d’en découdre avec l’Iran ; de l’autre, les militaires, les pieds sur terre, qui refusent d’exposer la vie de leurs soldats au nom de fumeuses élucubrations sectaires. Alfredo Jalife décrit la violence de cette « guerre civile » des élites israéliennes.


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Ceux qui, ayant les yeux fermés, ont avalé les bobards éphémères destinés à nous égarer, sombrent généralement dans le ridicule dès qu’on fait un retour en arrière, pour examiner leurs imputations sous un angle historique et moral ; c’est ce qui est arrivé à tous les perroquets — c’est-à-dire à l’écrasante majorité des multimédias occidentaux — qui ont répété sottement la fausse citation attribuée au président iranien Ahmadinejad, selon laquelle il aurait eu envie de rayer Israël de la carte ; une effrayante citation qui relevait d’une faute de traduction, tout simplement [1].

Le vice-Premier ministre israélien Dan Meridor l’a reconnu dans un entretien sur Al Jazeera, le 14 février 2012 : les dirigeants iraniens n’ont jamais proclamé la moindre intention de rayer Israël de la carte. Cela ne mériterait-il pas au moins que les désinformateurs présentent leurs excuses ?

Comme je l’avais anticipé à contre-courant, l’avancée spectaculaire des récentes négociations entre l’Iran et les USA (pour l’essentiel) dans une chorégraphie signée par le P5 + 1, lors de la réunion d’Istanbul, a produit trois effets décisifs :

- 1. la distension avec la Russie (lorsque le tsar géo-énergétique global Vlady Poutine a repris pour la troisième fois les rênes du Kremlin)

- 2. la baisse du prix du pétrole (ce qui peut être bénéfique pour la réélection d’Obama face au Bush III que serait Mitt Romney)

- 3. La déstabilisation de la structure du pouvoir en Israël entre super-faucons (la triade Netanyahou-Lieberman-Ehoud Barak) qui menacent l’Iran d’une guerre nucléaire unilatérale, et colombes du puissant conglomérat du renseignement intérieur (le Shin Beth) et extérieur (le Mossad) qui s’opposent publiquement et de façon virulente à l’aventure militaire dans le Golfe Persique (laquelle peut tout à fait, à mon avis, déboucher sur une Troisième Guerre mondiale).

Dans un entretien avec Amos Harel, le chef d’état-major de l’armée israélienne Benny Gantz a mis un terme à l’empire de plusieurs mythes, que la machine de propagande de la triade des super-faucons Netanyahou-Lieberman-Barak a contribué à profaner [2].

Le général Gantz ne croit pas que l’Iran décidera un jour de mettre au point une bombe nucléaire. « Je pense que les dirigeants iraniens constituent un groupe de gens très rationnel (sic) », a-t-il dit. On nous avait pourtant assuré que les chiites iraniens étaient des cinglés ! Le soi-disant historien consacré et nonagénaire Bernard Lewis nous avait garanti, il y a déjà six ans, que l’Iran allait LA lâcher sur Israël, la bombe atomique, celle-là même qu’il ne possède pas encore à ce jour. Lequel est donc le plus cinglé des deux, au final ?

Benny Gantz a estimé que les sanctions étaient suffisantes, tandis que le guide suprême Ali Khamenei, dont dépend la décision de construire la bombe atomique, n’était pas disposé à franchir le pas.

Le journaliste Amos Harel affirme que le général Gantz a fait preuve de sagesse, en laissant ouvertes les portes de la négociation avec l’Iran, et il fait remarquer que la langue de ce militaire se passe généralement des comparaisons avec l’Holocauste qu’affectionnent les politiciens israéliens, car « il est loin de la rhétorique théâtrale (sic) du Premier ministre Netanyahou », et de son langage hystérique.

Deux jours après les déclarations de Benny Gantz, l’ex chef du renseignement intérieur (le Shin Beth), Yuval Diskin, a fustigé tant Netanyahou qu’Ehud Barak [3] en les qualifiant « d’inaptes au gouvernement, dans la mesure où ils sont prisonniers d’un rôle de chefs messianiques (sic) ». Netanyahou, c’est un petit messie de Césarée, et Ehud Barak en est un à l’échelle des tours Akirov (là où il possédait un appartement de luxe qu’il a revendu 7 millions de dollars, avec un bénéfice de 4 millions).

Dans la foulée, l’ex-super-espion israélien a reproché à Netanyahou de « tromper (sic) l’opinion publique » au sujet de la bombe nucléaire iranienne que ce pays ne possède pas : si Israël attaque, voilà qui va pousser les Iraniens à en produire une plus rapidement [4].

Yuval Diskin affirme qu’« Israël est devenu beaucoup plus raciste au cours des quinze dernières années » et que Netanyahou n’est pas intéressé à négocier la paix avec les Palestiniens [5]. Dans son éditorial, intitulé « Écouter Diskin », Haaretz juge que les commentaires du général démasquent le gouvernement lorsque ses révélations s’ajoutent à celles de Meir Dagan (l’ex patron du Mossad, qui a qualifié de stupidité suprême une attaque contre l’Iran) et du général Gaby Ashkenazi (ex-chef d’état major), lesquels ont mis à jour la superficialité des agissements des politiciens israéliens qui, dit-il, « vendent des images [d’Epinal] aux électeurs ».

Quant à Anshel Pfeffer, il souligne que les critiques de l’ex-patron du Shin Beth « révèlent que l’establishment qui gère la sécurité au sommet en Israël est en désaccord avec Netanyahou et avec Barak, dans leur façon de gérer le dossier iranien ».

Le centre de réflexion stratégique européen De Defensa (02 05 12) se demande si le Premier ministre Netanyahou ne serait pas la véritable menace existentielle pesant sur Israël, alors que la direction politique et la sûreté nationale s’enflamment dans une véritable guerre civile. Les attaques contre Netanyahou ont été virulentes, de la part de Tzipi Livni —jadis (?) fonctionnaire du Mossad, ex-ministre des Affaires étrangères, et ex-présidente du parti Kadima d’opposition— laquelle a lancé l’assaut contre la politique messianique du Premier ministre Netanyahou à l’encontre de l’Iran, ce qui, de fait, crée la menace existentielle pour Israël, car cela conduit à des tensions croissantes et à la possibilité d’un conflit aux effets catastrophiques pour Israël.

Russia Today (01.05.12) s’étend sur les critiques violentes tant de Mme Livni que de l’ex-Premier ministre Ehud Olmert contre Netanyahou et sa politique belliqueuse contre l’Iran. Tzipi Livni assène que « le gouvernement Netanyahou plonge l’existence de l’État juif dans un danger mortel, à force d’ignorer le mécontentement international croissant (sic) ». C’est bien en cela qu’il est messianique...

La fenêtre d’opportunité ouverte à Istanbul entre l’Iran et les USA (essentiellement) dans leurs négociations, utiles et constructives, peut fort bien déboucher sur un arrangement historique lors de la prochaine réunion à Bagdad, fin mai. Elle a déjà produit la fracture entre les super-faucons du gouvernement, la triade Netanyahou-Lieberman-Barak, et les colombes, qui sont aujourd’hui à chercher au cœur de l’appareil de la sûreté nationale d’Israël.

De Defensa qualifie cette situation de « guerre civile » [6]. C’est intéressant dans la mesure où un accord entre l’Iran et les États-Unis, nullement improbable, rapproche les appareils de sécurité israéliens avec leurs homologues US, tout en éloignant chaque fois plus Obama de Netanyahou, l’icône des néo-conservateurs straussiens, compromis dans l’éternel agenda belliciste du Parti Républicain et de son Bush III (MittRomney).

C’est pour son compte et à ses risques et périls que Netanyahou, pris au piège de son sionisme messianique, abuse de ses alliés jusque là indéfectibles de l’axe Wall Street-Congrès-Hollywood-Las Vegas-les multimedia.

Sa théologie irrédentiste tend à sous-estimer tant la puissance exécutive de la présidence des USA que l’intelligence d’Obama, qui a été très prudent face aux vexations et intromissions (ou missions ... messianiques) flagrantes du Premier ministre israélien.

Pire encore : « le messie de Césarée » (selon les termes de Yuval Diskin) est en passe de se confronter dangereusement au Pentagone, qui peut à tout moment l’interrompre brutalement.

Dans tout cela, ce qui m’étonne le plus, c’est que le petit messie des tours Akirov, le général Ehoud Barak, ait succombé aux mirages théologiques de Netanyahou, « le messie de Césarée ». Les militaires de l’État d’Israël sont généralement la partie la plus sérieuse et réfléchie de la superstructure. Un de ces jours, quand le moment sera venu, je raconterai l’entretien fort civilisé que j’ai eu récemment avec l’une de ses sommités, un authentique poids lourds.

[4] Ynetnews ; 27 avril 2012
[5] Listen to Diskin, éditorial d’Haaretz, 30 avril 2012.
[6] « Notes sur la guerre civile israélienne », De Defensa, 28 avril 2012.