Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

vendredi 19 août 2011

11/9 : Les importantes allusions de Richard Clarke (à prendre avec des pincettes)

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Il était assez prévisible qu’à l’occasion du 10e anniversaire du 11-Septembre nous aurions droit à quelques petites annonces explosives, appelons cela des « bombes » ou des « bombettes », dans le sens de révélations bien sûr (espérons-le en tout cas). Une de ces bombettes nous vient de Richard Clarke, l’ex-chef de l’antiterrorisme américain, qui fut mis au rancard quelques semaines après le 11-Septembre par l’Administration Bush et qui aujourd’hui s’enlève quelques épines du pied.

Mais comme nous allons le voir, tout est loin d’être clair dans ses indiscrétions.

Procédons par ordre. Clarke donne (en 2009) une interview à deux journalistes d’investigation américains qui tournent un documentaire en vue du 10e anniversaire. Il s’agit de Ray Nowolinski et de John Duffy, les auteurs d’un précédent film-enquête sur le plus grand attentat de tous les temps “9/11 Press for Truth”. L’interview a été diffusée le 11 août sur une télévision du Colorado, filiale de la Public Broadcasting Company. Cela a fait beaucoup réagir, et l’un de ceux à s’être exprimé est Philip Shenon, auteur du fameux “The Commission: The Uncensored History of the 9/11 Investigation".

Le propos de Richard Clarke version 2011 est le suivant : la CIA connaissait l’existence d’au moins deux présumés terroristes ; elle savait où ils se trouvaient, sur le territoire des États-Unis ; elle savait où ils habitaient ; elle les faisait suivre et les surveillait bien avant le 11-Septembre. Mais elle n’en a rien dit aux autres agences de renseignements américaines. Pire, elle a bien caché ces informations et a empêché les autres de les découvrir.

Il est clair que ces accusations sont d’une extrême gravité et vont bien au-delà de la question de “l’incompétence” de quelques (ou d’une multitude de) fonctionnaires de l’Administration américaine.

Malheureusement, ces accusations ne sont étayées d’aucunes preuves, même s’il existe une foule d’indices et de détails précis d’une grande importance. Comme celui-ci : Clarke indique que ces informations étaient connues non seulement de George Tenet, directeur de la CIA à l’époque, mais aussi de 50 autres agents de haut rang, précise-t-il aux deux journalistes en insistant sur le chiffre : “cinquante, cinq, zéro”. Parmi eux devaient se trouver Cofer Black, chef de l’unité antiterroriste de la CIA, et Richard Blee, chef de l’unité qui s’occupait spécifiquement d’Oussama Ben Laden, unité appelée “Alec Station”. Autant de personnages-clefs qui d’ailleurs étaient tous présents lors d’une réunion cruciale rassemblant les chefs des différents services secrets au complet, au début du mois de juillet 2001 à la Maison Blanche, et à laquelle assistaient également George Bush et Richard Clarke lui-même (encore pour quelques semaines à son poste de chef de l’ensemble du contre-terrorisme américain). C’était d’ailleurs Tenet et Blee qui avaient organisé cette réunion. Mais “ils ne dirent rien de ce qu’ils savaient”. S’ils l’avaient fait, “nous les aurions attrapés immédiatement, ces crapules.”

Clarke avança alors une hypothèse, qu’il attribue explicitement à “certains enquêteurs du FBI”, selon laquelle la CIA avait mis en place une “joint venture avec le Renseignement saoudien ”, pensant sans doute que “les services secrets saoudiens aurait plus de chances que les Américains de recruter ces types-là.” Richard Clarke, qui connait bien ce milieu, ajoute ce commentaire : “Cela aurait effacé toute trace de la présence de la CIA dans cette opération.” L’identité de “ces types-là” est connue. Philip Shenon en parle un peu dans son livre, après avoir interviewé la plupart des fonctionnaires de la Commission officielle d’enquête sur le 11/9, qui a ensuite produit le “Rapport [d’enquête] sur le 11-Septembre". Il s’agissait de Nawaf al-Hazmi et Khalid al-Mihdhar, ceux-là mêmes qui allaient piloter l’avion du vol 77 pour le faire s’écraser contre le Pentagone.

Nous reviendrons rapidement sur cette histoire. Mais avant, continuons d’étudier les révélations de Richard Clarke. Celui-ci pointe du doigt la CIA et l’accuse d’avoir empêché que l’on détecte les terroristes. D’après Clarke, auraient ainsi été neutralisés à la fois le FBI (qui avait une équipe antiterroriste spécifique appelée “Squad I-49”), et le Pentagone, lui aussi doté d’une équipe spécialisée appelée “Able Danger”. Il semble que tous à l’époque soupçonnaient déjà la CIA de cacher ses cartes (et entre espions, il n’y a rien d’étonnant à cette méfiance réciproque). Et pourtant, tous ont été bloqués à cause de la CIA ? On dirait presque que Richard Clarke a un objectif précis : dédouaner le FBI et le Pentagone de toute responsabilité.

Mais il y a une chose qui ne colle pas dans ces révélations. Richard Clarke donne manifestement l’impression de lancer des signaux et de pousser quelqu’un à voir les cartes de chacun des protagonistes. Avant de dire quels sont les trous dans le raisonnement de Clarke, intéressons-nous à ce qu’il a dit jusqu’à maintenant. Notons tout d’abord que Clarke n’a rien dit de tout cela lors de son témoignage devant la Commission d’enquête. S’en est-il rappelé après ? Et c’est seulement maintenant qu’il lance ces accusations gravissimes contre les dirigeants de la CIA d’alors, en commençant par dire qu’il n’a pas de preuves ? Cela ne ressemble-t-il pas à un geste relativement hasardeux ? Ou encore à un signal envoyé à quelqu’un ?

En second lieu, Clarke avait publié un livre juste après la sortie du “Rapport de la Commission sur le 11/9”, intitulé “Against All Enemies ("Contre tous les ennemis"). Ce titre ne signifie peut-être pas grand-chose pour un étranger, mais il évoque beaucoup de choses à tous les fonctionnaires américains qui ont juré fidélité au drapeau et à la patrie. Car c’est une citation de ce serment : “Against all enemies, foreign and domestic”. Attention à la parole “domestic” ! Il y avait donc des ennemis à l’intérieur contre lesquels se défendre ? Et ils y sont encore ? Notons qu’il s’agit “d’ennemis”, et pas d’abrutis incompétents. Richard Clarke dans son livre, ne contredisait absolument pas la théorie officielle (et pour cela, fut laissé de côté par le Mouvement pour la vérité sur le 11/9) mais il fournissait ce que l’on pourrait appeler des fils d’Arianne que les lecteurs attentifs pouvaient suivre pour “sortir” de cette version [officielle]. Quelque chose de très semblable aux astuces utilisées par les écrivains russes pour traverser sans embuches la censure d’État. Il faut aussi pouvoir y vivre, dans les États-Unis d’aujourd’hui ! Et Clarke tient à y vivre, même dangereusement.

Venons-en donc à l’histoire de Nawaf et Khalid, pour voir très rapidement que Richard Clarke ne nous a pas tout dit. En janvier 2000, se tint en Malaysie, à Kuala Lumpur, une réunion de terroristes pour planifier des attentats contre les États-Unis. Premier fait notable : ce groupe a déjà été infiltré au préalable (on ne sait pas par qui). En fait, la National Security Agency ou NSA (un autre service secret des USA, un des plus puissants) sait à l’avance que ce meeting va avoir lieu et prévient la CIA. La réunion, hyper secrète, se déroule littéralement sous les yeux des agents américains qui enregistrent tout et vont jusqu’à photographier tous les participants. Sont aussi présents Nawaf al-Hazmi et Khalid al-Mihdhar. Il apparait que parmi les agents qui surveillent ce meeting, se trouvent aussi Jennifer Matthews et une autre femme “aux cheveux roux” qui travaille encore à la CIA et dont le nom ne peut pas être divulgué (sur demande de la CIA au site Thruth-out, pour ne pas porter atteinte aux intérêts américains).

Toujours est-il que cette Jennifer devait être quelqu’un de très particulier. D’après ce que Joby Warrick, reporter au Washington Post, écrit dans son livre “Triple Agent”, Matthews était présente en Thaïlande, dans la prison secrète (une parmi tant d’autres, qu’on ne découvre que maintenant) où Al Zubaydah fut “waterboardé” en 2002, après avoir été capturé, probablement au Pakistan. Dommage qu’elle ne puisse plus ni confirmer ni infirmer : elle est morte en 2009 dans un attentat suicide à Khost, en Afghanistan, en même temps que sept autres agents de la CIA. À l’époque, Jennifer Mathews dirigeait la base des opérations avancées Chapman. Revenons à Kwala Lumpur. Trois des participants à cette réunion (al-Hazmi, al-Mihdhar et Walid bin-Attash, celui qui serait l’organisateur de l’attentat contre l’USS Cole qui tua 17 Marines américains) prennent l’avion et se rendent en Thailande. Et là, oh surprise, la CIA perd leur trace. D’après les rapports, ceux qui les suivaient (dont Jennifer Matthews) envoyèrent un message désolé pour le signaler à l’équipe de la CIA, l’Alec Station.

À partir de ce moment-là – si cette histoire est vraie – la CIA serait sortie de la scène, ayant de fait perdu leur trace. Mais nous savons (et qui le dit ? Autre surprise, le FBI) que deux des trois hommes – le 3e, Walid bin-Atash suivit un autre parcours -, à savoir Nawaf et Khalid, arrivent à Los Angeles le 15 janvier 2000. Ils sont accueillis à l’aéroport par Omar al-Bayoumi, un fonctionnaire saoudien, et aussi agent du FBI. Et là, l’histoire colle à celle racontée par Philip Shenon dans son enquête. Les deux hommes sont logés à San Diego par un autre “homme de confiance” du FBI, un certain Abdulsattar. Ils restent au moins 11 mois chez lui ; ils reçoivent de l’argent d’al-Baiyoumi, et al-Hazmi a même son nom et son numéro dans son carnet d’adresses. Ils paient avec des cartes de crédit établies à leurs noms. Et il semble aussi qu’ils soient entrés aux USA avec un visa multiple. Toutes ces informations – comme l’écrit et le documente Shenon – figuraient dans les archives du FBI à San Diego. Et donc, affirmer que le FBI a été bloqué par la CIA n’est absolument pas fondé. On peut même dire avec certitude qu’al-Bayoumi ou Abdulsattar, ou bien les deux, a fourni des informations correctes au FBI, gagnant ainsi honnêtement son salaire. Sinon cela supposerait que ces deux-là étaient suivis par toute une escouade d’agents de différentes agences. Mais il est sûr et certain que ces informations étaient en possession du FBI. Les informations étaient si riches et détaillées qu’elles permirent de savoir que Khalid al-Midhar repartit vers le Yémen en juin 2000 et revint en Californie le 4 juillet 2001, avec un nouveau passeport, et toujours en passant “inaperçu”.

Mais comment peut-il être passé inaperçu – puisque son arrivée a été notée et figure dans les rapports ?

Donc, le FBI – quelqu’un au FBI – faisait partie du groupe qui protégeait les terroristes. Et il est extrêmement probable que quelqu’un de la CIA en faisait partie aussi, et très certainement quelqu’un du groupe Able Danger également. Mais nous, tout comme Richard Clarke, ne pouvons qu’émettre des hypothèses. Donc, encore une fois, Clarke ne dit pas toute la vérité et semble vouloir défendre quelqu’un. Nous ne savons pas qui ni pourquoi. Mais si nous suivons les conseils de Ian Henshall (auteur de “911: The News Evidence”) nous pouvons tenter de remonter un des fils d’Arianne laissés par Richard Clarke quand il suggère que la CIA avait une Joint Venture avec les Services secrets saoudiens. “Si vous substituez les Saoudiens par le Mossad – écrit Henshall – vous trouvez alors une explication aux Israéliens dansants, arrêtés [à New York – Ndlr] alors qu’ils filmaient et célébraient joyeusement l’effondrement des Tours, et qui furent ensuite libérés par l’Administration Bush.” S’il en est ainsi, alors Richard Clarke est disposé à vivre dangereusement. Et il veut [continuer à] vivre. C’est pour cela que 10 ans après, il dit ce qu’il dit, et tait ce qu’il ne peut dire.

Giulietto Chiesa
Megachip