Planifiée dans le secret, l'opération Neptune Spear a permis d'éliminer Oussama ben Laden, leader historique d'al-Qaïda. Un certain nombre de détails techniques ont émergé sur l'opération menée par les forces spéciales américaines, dont le recours à un prototype d'hélicoptère de transport et à des systèmes de guerre électronique.
• L'équipe d'assaut et son équipement
L'opération menée par les forces spéciales américaines à Abbottabad (Pakistan) contre Oussama ben Laden était de type "Direct Action", une opération d'assaut (choc) visant dans le cas présent à neutraliser une cible d'intérêt stratégique (HVT - High Value Target). Les autorités américaines n'ont pas donné le nom de l'unité chargée de l'opération, dont la dénomination exacte demeurerait classifiée, avant de faire référence à de multiples reprises aux Navy SEALs. Selon toute vraisemblance, il s'agirait donc de l'unité communément désignée Seal Team Six ou DevGru (Naval Special Warfare Development Group), spécialisée dans la lutte antiterroriste. Au cours de son allocution sur la base de Ft. Campbell, le président Obama a tenu à saluer les Bérets verts du 5th Special Forces Group et les aviateurs du 160th SOAR (Special Operations Aviation Regiment), unités qui auraient pu apporter leur appui à l'opération Neptune Spear.
Il est également à noter que l'opération fut conduite sous l'autorité du JSOC (Joint Special Operation Command) en coopération directe avec la CIA. La CIA dispose de son propre groupement d'opérations spéciales, connu historiquement sous le nom de SOG (Special Operation Group), qui recrute ses équipiers aux seins des forces spéciales américaines et en particulier des Navy SEALS. L'Agence entretient des liens étroits avec les forces spéciales du JSOC, auxquelles elle peut recourir en appui à ses propres opérations.
Les équipiers des forces spéciales qui ont pris part à l'opération à Abbottabad étaient au nombre de 23 à 25 selon les différents médias. Leur équipement a été très peu détaillé par les officiels américains, il a toutefois été indiqué qu'ils portaient des caméras miniatures sur leurs casques, diffusant leurs images en temps réel vers le commandement. Leur armement n'a pas non plus fait l'objet de communication et si de nombreux commentateurs se sont tournés vers les usual suspects (MP5, Mk23...) qui fleurissent sur les visuels dédiés aux Navy Seals, il ne faut pas oublier que ces armes, réputées très fiables, sont de conception ancienne. Le JSOC s'est intéressé ces dernières années à de nombreuses innovations en matière d'armes légères, en particulier aux armes modernisées (HK416) et aux nouveaux designs modulaires (SCAR, ACR). Le JSOC disposant de budgets très flexibles, les SEALs avaient probablement à leur disposition un arsenal des plus variés.
Les médias se sont également faits l'écho de l'usage de chiens d'assaut par les SEALs au cours du raid, décrivant de véritables soldats canins équipés de caméras et de canines acérées en titane. Quel que soit l'équipement porté ces chiens bien entraînés, ils ont été employés avant tout pour leurs qualités naturelles: furtivité, agressivité et un odorat hors du commun. Les chiens employés par les forces spéciales peuvent leur permettre de maîtriser rapidement un adversaire, mais également de détecter des pièges explosifs ou encore de suivre à la trace un potentiel fuyard, y compris à travers des passages étroits.
• Les aéronefs
Les informations disponibles sur le raid indiquent qu'aux moins quatre hélicoptères ont pris part au raid: deux hélicoptères Blackhawk, dont au moins un était doté de modifications inédites, appuyés par deux ou trois hélicoptères Chinook. L'insertion du commando américain s'est effectuée à bord des hélicoptères Blackhawk et un de ces hélicoptères a été contraint à un atterrissage d'urgence (hard landing), subissant des dégâts ne lui permettant pas de redécoller. Les composants sensibles de cet appareil ont fait l'objet d'une destruction à l'explosif par les forces spéciales et c'est un hélicoptère Chinook qui a procédé à l'extraction d'une partie du commando, en remplacement de l'appareil perdu.
Selon toute vraisemblance, l'hélicoptère américain détruit à Abbottabad était un MH-60 Black Hawk modifié, doté d'améliorations structurelles et mécaniques (notamment sur le rotor de queue) visant à diminuer la signature de l'appareil (radar, acoustique et infrarouge) et/ou à renforcer sa protection. De telles modifications ne sont pas exceptionnelles et les hélicoptères militaires font régulièrement l'objet d'améliorations, grâce à l'introduction de pièces tirant partie de nouveaux matériaux, notamment en ce qui concerne la voilure des appareils et leurs revêtements. Les mass-médias ont établi un lien hâtif entre l'appareil observé au Pakistan et le défunt programme d'hélicoptère de combat RAH-66 Comanche. Si des technologies issues de ce programme auraient pu servir à l'amélioration du MH-60 en terme de furtivité, il est certain que l'appareil employé pour transporter les forces spéciales n'était pas un RAH-66, appareil de combat biplace au design bien éloigné d'un hélicoptère de transport. La cause du dysfonctionnement de l'appareil n'est pas certaine, les informations officielles faisant état d'une perte rapide d'altitude entraînée par une turbulence liée à la température élevée au moment de l'assaut.
Un Black Hawk modifié n'est toutefois par le prototype d'hélicoptère de transport le plus avancé à disposition du JSOC. En effet, les forces spéciales américaines travaillent au développement d'hélicoptères plus rapides, permettant de limiter les risques dans les phases d'insertion et d'extraction. Les forces américaines, si elles ont pris soin de récupérer les systèmes embarqués les plus sensibles et de détruire l'intérieur de leur appareil perdu, n'ont pas lancé de mission de récupération. Ceci pourrait indiquer que la capture des composants externes de l'hélicoptère ne représentait pas une menace. Les militaires américains sont particulièrement sensibles à la capture de leurs technologies par une puissance ennemie, à l'instar du bombardier furtif F-117 abattu en ex-Yougoslavie, dont certains débris auraient été vendus à la Chine. Les débris de l'hélicoptère américain perdu à Abbottabad ont été récupérés par les forces de sécurité pakistanaises, qui envisageraient de les restituer aux États-Unis.
Les hélicoptères ayant participé à l'opération étaient très probablement pilotés par les hommes du 160th SOAR, qui disposent d'appareils de transport Black Hawk et Chinook modifiés, conçus spécialement pour permettre l'infiltration de forces spéciales. Les MH-60 Black Hawk du 160th SOAR (versions K, L et L-DAP), sont dotés d'équipements électroniques de pointe, de contre-mesures pyrotechniques et électroniques, d'équipements de reconnaissance optronique et infrarouge, d'armements spécifiques (canons 30mm, roquettes 80mm, mitrailleuses de sabords M-134...) et de perches de ravitaillement en vol. Des modifications similaires sont également présentes sur les MH-47 Chinook (versions E, D et G) du 160th SOAR, dont au moins deux exemplaires auraient appuyé le raid des SEALs.
Une telle opération a certainement mobilisé plus de quatre aéronefs afin d'être menée en toute sécurité. Différents appuis étaient en effet nécessaires et d'autres appareils ont pu être déployés pour la reconnaissance (drones ?), le C2 (AWACS ?), le brouillage des défenses sol-air et des moyens de détection (EA-18G Growler ?), le ravitaillement en vol et l'appui feu.
Les remerciements adressés à la NGA dans le cadre de l'opération Neptune Spear indiquent l'importance de l'imagerie satellite dans la reconnaissance, la planification et l'exécution de cette mission. Le champ d'action de la NGA n'est toutefois pas limité à l'IMINT, puisqu'elle est également spécialisée dans la cartographie, les mesures topographiques de précision ou encore l'imagerie radar. Il faut également noter que cette agence a développé ces dix dernières années une expertise majeure dans la fusion des données de reconnaissance, leur dissémination en temps-réel vers les unités de combat et la coordination des opérations de reconnaissance. Les services de renseignement américain, en collaboration avec la NGA ont notamment travaillé à la modernisation de l'avion de reconnaissance à très haute altitude U-2, qui peut désormais emporter des moyens de renseignement optronique et d'interception des signaux de dernière génération. Un tel appareil, très peu détectable, aurait pu fournir un appui précieux à une telle opération.
• Systèmes embarqués
Les systèmes emportés par les appareils qui ont pris part à l'assaut sont des composants sensibles dont les caractéristiques sont largement classifiées. Il est toutefois possible de recenser un certain nombre d'équipements de navigation, de reconnaissance et de protection qui ont retenu l'attention du JSOC ces dernières années, susceptibles d'avoir été mis en œuvre au cours de l'opération Neptune Spear. Les appareils du 160th SOAR sont équipés de radars de suivi de terrain spécifiques, qui leur permettent de voler à basse altitude et à grande vitesse, afin d'éviter une détection ennemie tout en modifiant leur altitude et leur trajectoire en fonction des obstacles en approche. Un nouveau modèle de radar de suivi de terrain très performant est en court de développement pour le JSOC, qui pourrait d'ors et déjà disposer de premiers prototypes.
En plus de capteurs de reconnaissance optroniques et infrarouges, les forces spéciales ont également à leur disposition des technologies de détection qui leur permettent de repérer des ennemis camouflés, voire enterrés. On peut notamment citer les capteurs d'imagerie multispectrale, les radars d'imagerie à synthèse d'ouverture et de détection de cibles mobiles (MTI), des systèmes dédiés à la détection de cibles dissimulées sous la végétation ou de cibles enterrées (GPR).
La protection des appareils qui transportent les forces spéciales étant une priorité, le 160th SOAR met en œuvre des contre-mesures classiques (leurres pyrotechniques), ainsi que des leurres électroniques infrarouges à laser dirigé (DIRCM). Ces appareils peuvent également disposer de contre-mesures de guerre électronique visant à neutraliser les systèmes de guidage de certains missiles, notamment par radar.
Certaines informations laissent penser que de puissants systèmes de guerre électronique ont été utilisés par les forces américaines au-dessus d'Abottabad, afin de brouiller des systèmes de détection aérienne et d'éventuels armements sol-air. Des habitants vivant à proximité du site attaqué auraient en effet rapporté de fortes perturbations du réseau électrique, ainsi que des réseaux de télécommunications de l'arrivée des forces américaines, jusqu'à leur départ (~40 minutes). Ces éléments pourraient indiquer l'emploi de brouilleurs électroniques à large spectre, voire d'autres armes électromagnétiques. De tels moyens de guerre électronique auraient également pu permettre de saturer les fréquences de communications, d'empêcher le déclenchement à distance d'IEDs ou au contraire d'initier leur détonation préventive.
MGN