Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

jeudi 23 juin 2011

La mise en place de la « Secret Desert Force » par le fondateur de Blackwater

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Erik Prince, le patron de la société de mercenaires Blackwater, a un nouveau projet





ABU DHABI, Émirats Arabes Unis – En novembre dernier, un avion transportant plusieurs dizaines de ressortissants colombiens atterrissait tard dans la nuit dans la capitale étincelante du littoral. Un agent du Renseignement des Émirats leur ayant fait passer la douane, ils montèrent dans un bus banalisé, qui les emmena à une trentaine de kilomètres de là, dans un complexe militaire balayé par les vents du désert.

Une fois sur le territoire des Émirats Arabes Unis, ces Colombiens se firent passer pour des ouvriers du bâtiment. Il s’agissait en réalité de soldats appartenant à une armée secrète de mercenaires dirigée par les Américains et qu’Erik Prince, le milliardaire fondateur de Blackwater Worldwide, était en train de mettre en place grâce aux quelque 529 millions de dollars payés par les Émirats richissimes en pétrole.






Confronté à l’accumulation de problèmes juridiques visant sa société aux États-Unis, M. Prince est venu s’installer ici l’an dernier. D’après ce que rapportent d’anciens employés impliqués dans le projet, mais aussi des officiels américains et des documents internes obtenus par le New York Times, M. Prince a été embauché par le prince héritier d’Abou Dhabi pour constituer un bataillon de 800 soldats issus de troupes étrangères et le mettre à disposition des Émirats Arabes Unis.

Comme l’indiquent les documents, ce bataillon a pour mission de mener des opérations spéciales à l’intérieur et à l’extérieur du pays, de défendre les oléoducs et les gratte-ciel contre des attaques terroristes et de mater les révoltes internes. Ces troupes pourraient être déployées si les Émirats venaient à être confrontés à des troubles dans leurs camps de travaux forcés surpeuplés, ou à des manifestations pro-démocratie comme celles qui bouleversent actuellement le monde arabe.

Les dirigeants des Émirats Arabes Unis, jugeant leur propre armée inadéquate, comptent aussi sur ces troupes pour diminuer [le risque local] d’agression par l’Iran, [qui reste] leur plus grand ennemi selon ces anciens employés. Le camp d’entraînement situé sur une vaste base émiratie nommée Zayed Military City est masqué par des murs en béton surmontés de fils barbelés. Certaines photographies montrent des rangées de bâtiments temporaires identiques de couleur jaune faisant office de casernes et de cantines, ainsi qu’un parc de véhicules abritant des Humvees et des camions-citernes pour hydrocarbures. Selon les anciens employés et les fonctionnaires américains, des Colombiens, des Sud-Africains et d’autres troupes étrangères sont formés par des soldats américains à la retraite, des vétérans des unités d’opérations spéciales allemandes et britanniques, et par la Légion étrangère française.

En confiant les parties critiques de leur Défense à des mercenaires – des soldats de choix pour les rois médiévaux, les doges de la Renaissance italienne ou encore les dictateurs africains – les Emiratis ont initié une nouvelle ère dans l’essor de la sous-traitance en temps de guerre qui a débuté après les attentats 11 septembre 2001. Comptant sur une force essentiellement créée par les Américains, ils ont introduit un élément explosif dans une région déjà sous tension où [de surcroit] les États-Unis suscitent beaucoup de méfiance.

Les Émirats Arabes Unis – une autocratie ayant le lustre d’un État progressiste et moderne – sont étroitement liés aux États-Unis. Selon certains responsables américains, ce projet de bataillon a été soutenu par Washington.

« Les pays du Golfe, et les E.A.U en particulier, ont peu d’expérience en matière militaire. Il est logique qu’ils cherchent de l’aide à l’extérieur de leurs frontières », a déclaré un responsable de l’administration Obama, qui était au courant de l’opération. « Ils montrent ainsi qu’ils ne se laisseront pas faire. »

Mais on ne sait pas si le projet a reçu l’approbation officielle des États-Unis. Des experts juridiques et des représentants du gouvernement ont affirmé que parmi ceux qui ont un lien avec ce bataillon, certains pourraient avoir enfreint les lois fédérales interdisant aux citoyens américains de former des troupes étrangères s’ils n’ont pas obtenu d’autorisation du Département d’État.

Mark C. Toner, porte-parole du ministère, n’aurait pas confirmé si la société de M. Prince détenait ou pas une telle autorisation; mais il a affirmé que le Département enquêtait pour savoir si ces entrainements entraient en violation avec les lois américaines. M. Toner a souligné que Blackwater (qui a changé de nom pour Xe Services) a écopé d’une amende de 42 millions de dollars l’an dernier pour avoir entrainé des troupes étrangères en Jordanie et dans d’autres pays.

L’ambassadeur des E.A.U à Washington, Youssef al-Otaiba, tout comme le porte-parole de M. Prince ont refusé de commenter ce point.

Pour M. Prince, le bataillon étranger est une tentative audacieuse de "renaissance". Il espère bâtir un empire dans le désert, loin des avocats du tribunal, des enquêteurs du Congrès ou des fonctionnaires du ministère de la Justice qui, il en est convaincu, se sont ligués pour faire passer Blackwater pour une entreprise dangereuse. Il avait vendu la société l’an dernier, mais une cour d’appel fédérale a rouvert le dossier en avril de cette année contre quatre soldats de Blackwater accusés d’avoir tué 17 civils irakiens à Bagdad en 2007.

La nouvelle société de M. Prince, Reflex Responses, a décroché un contrat de plusieurs millions de dollars pour assurer la protection de futures centrales nucléaires, et pour s’occuper des questions de cybersécurité, ce qui lui donne l’occasion de réaliser ses ambitions. Selon d’anciens employés, il espère gagner des milliards de dollars en rassemblant de nouveaux bataillons venant d’Amérique latine pour le compte des Emiratis, et en ouvrant un complexe géant dans lequel sa société pourra entraîner des troupes pour d’autres gouvernements.

Sachant bien que ses entreprises provoquent une certaine controverse, M. Prince a [soigneusement] caché son implication dans le bataillon de mercenaires. Son nom ne figure ni au bas des contrats, ni sur la plupart des documents de la société, et certaines personnes travaillant pour lui ont tenté de cacher son identité sous le nom de code « Kingfish ». Malgré tout, trois anciens employés s’exprimant sous réserve d’anonymat en raison des clauses de confidentialité, et deux autres personnes impliquées dans les contrats de sécurité ont qualifié le rôle de M. Prince de "central".

Les anciens employés ont expliqué que notamment pour le recrutement des Colombiens, les personnes aux ordres de M. Prince avaient suivi ses directives : pas d’embauche de musulmans.

M. Prince a affirmé qu’on ne pouvait pas compter sur les soldats musulmans pour tuer d’autres musulmans.


Un contrat lucratif

Au printemps dernier, alors que des serveurs portaient le café turc dans le hall du Park Arjaan près de l’Hôtel Rotana, une petite équipe de Blackwater et de vétérans américains mettaient au point l’organisation du bataillon étranger. Armés d’une valise noire remplie de plusieurs centaines de milliers de dollars en dirhams, la monnaie locale, ils commencèrent à régler les premières factures.

L’entreprise, plus souvent nommée R2, a été créée en mars dernier, avec 51% de participation locale, un arrangement typique aux Émirats. Selon les anciens employés, R2 a reçu des E.A.U. un capital de départ d’environ 21 millions de dollars.

M. Prince a traité l’affaire avec le cheikh Mohamed bin Zayed al-Nahyan, prince héritier d’Abou Dhabi, dirigeant de facto des Émirats Arabes Unis. Les deux hommes se connaissaient depuis plusieurs années, et c’est le prince qui a eu l’idée de construire une force de commandos étrangers pour son pays.

Expérimenté et pro-occidental, le prince a fait ses études à l’académie militaire de Sandhurst en Grande-Bretagne et a établi des liens étroits avec les responsables militaires américains. C’est également l’un des plus ardents faucons de la région contre l’Iran et il ne pense pas que son géant de voisin sur le détroit d’Ormuz [l’Iran – NdT] abandonnera son programme nucléaire.

« Il comprend bien la logique de guerre qui domine dans la région, et cette réflexion explique ses efforts quasi obsessionnels pour développer ses forces armées », c’est ce qui était écrit dans un câble de l’ambassade américaine à Abou Dhabi en novembre 2009, et qu’a obtenu WikiLeaks.

Pour M. Prince, 41 ans et ancien membre des Navy Seals, ce bataillon a été l’occasion de concrétiser cette vision. Avec Blackwater, qui avait obtenu plusieurs milliards de dollars en contrats de sécurité pour le gouvernement des États-Unis, il avait espéré constituer cette armée à louer capable d’être déployée dans des zones de crise en Afrique, en Asie et au Moyen-Orient. Il avait même proposé que la Central Intelligence Agency utilise son entreprise pour des missions d’opérations spéciales à travers le monde, mais en vain. Abu Dhabi, dont il faisait l’éloge du climat "pro-business" dans d’une interview au journal émirati l’an dernier, lui a offert cette nouvelle opportunité.

Les exploits de M. Prince tiennent à la fois de la réalité et de la rumeur, et font l’objet d’intenses discussions dans le monde de la sécurité privée. Durant l’année écoulée, il a travaillé sur différents projets avec le gouvernement des Émirats, dont une opération employant des mercenaires sud-africains pour entrainer les Somaliens à défendre des pirates. On raconte aussi qu’il avait élaboré l’an dernier un plan pour couvrir le volcan islandais qui crachait ses cendres sur l’Europe du Nord.

L’équipe qui se trouvait dans le hall de l’hôtel était dirigée par Ricky Chambers, un ancien agent du FBI, connu sous le nom de CT, qui avait travaillé de longues années durant pour M. Prince. Plus récemment, il avait réalisé un programme d’entrainement des troupes afghanes pour une filiale de Blackwater nommée Paravant.

CT ferait partie des cadres supérieurs du projet, soit une demi-douzaine d’Américains percevant une rémunération annuelle de près de 300 000 dollars. D’après un reçu, M. Chambers et M. Prince appâtèrent tranquillement des entrepreneurs américains opérant en Afghanistan, en Irak et d’autres zones dangereuses avec des enveloppes atteignaient les 200 000 dollars par an,. Selon les anciens employés, beaucoup de ceux qui se sont engagés en tant que formateurs – soit plus de 40 commandos de vétérans américains, européens, et sud africains – ne sont pas au courant de l’implication de M. Prince.



Photo satellite du camp aux Émirats Arabes Unis







M. Chambers n’a pas souhaiter faire de commentaire.

M. Prince et lui s’étaient également mis en quête de soldats. Ils avaient mis sur pied les Thor Global Enterprises, une société domiciliée aux Caraibes sur l’île de Tortola, spécialisée dans le « placement des militaires étrangers à des postes de sécurité privée à l’étranger, » d’après un contrat qui a été signé en mai dernier. Les recrues seraient payées environ 150 dollars par jour.

En quelques mois, de vastes étendues de désert ont été aplanies et les casernes construites. Les Emirats procureraient des armes et du matériel à la force des mercenaires, fournissant absolument tout, du fusil M-16 aux mortiers, des couteaux Leatherman aux Land Rovers. Ils étaient d’accord pour acheter des parachutes, des motos, des sacs à dos – et 24 000 paires de chaussettes.

Selon d’anciens employés, Monsieur Prince, préférant rester discret, ne visitait que rarement le camp et le groupe de villas luxueuses qui se trouve près de l’aéroport d’Abu Dhabi, où les cadres dirigeants de R2 et les militaires émiratis peaufinaient les horaires d’entrainement et organisaient les livraisons d’armes pour le bataillon. On le voyait parfois dans les bureaux de la Tour DAS – un gratte-ciel situé à quelques pas de la plage de la Corniche d’Abu Dhabi où l’on bronze sous le vrombissement des bateaux cigarettes et des scooters des mers. Le personnel y gère un certain nombre d’entreprises qui, selon les ex-employés, effectuent des tâches secrètes pour le gouvernement émirati.

Si la loi émiratie interdit la divulgation des documents officiels des entreprises qui souvent comportent la liste de leurs dirigeants, elle exige toutefois que le nom de la société soit affiché dans les bureaux et sur les devantures. L’an dernier, le panneau situé à l’extérieur des bureaux a changé au moins deux fois. Il s’agit désormais d’Assurance Management Consulting.

Bien que les documents – contrats, tableaux budgétaires, projets – obtenus par le Times ne mentionnent pas le nom de M. Prince, c’est bien lui qui, selon les anciens employés, a négocié avec les É.A.U. Les documents d’entreprise décrivent les missions probables du bataillon : la collecte de renseignements, le combat urbain, la sécurisation des équipements nucléaires et radioactifs, les missions humanitaires et les opérations spéciales "pour détruire l’ennemi et les équipements."

L’un des documents parle d’"opérations de contrôle des foules", lorsque la foule "n’a pas d’armes à feu, mais qu’elle présente un risque par l’emploi d’armes improvisées (bâtons et pierres)."

Les personnes impliquées dans le projet et les officiels américains ont indiqué que les Emiratis étaient intéressés par le déploiement du bataillon pour répondre aux attaques terroristes et mater les soulèvements dans les vastes camps de travail où se trouvent des Pakistanais, des Philippins et d’autres étrangers qui constituent l’essentiel de la main-d’œuvre du pays. La force militaire étrangère était déjà planifiée plusieurs mois avant les révoltes du Printemps Arabe, qui selon l’avis de nombreux experts, ont peu de risque de se propager aux Émirats Arabes Unis. L’Iran est bien plus préoccupant.


Un oeil sur l’Iran

Selon les anciens employés, même si les troupes de mercenaires n’ont pas pour objectif de mener une attaque furtive contre l’Iran, les responsables émiratis ont envisagé de les utiliser pour d’éventuels assauts aériens et maritimes afin de récupérer un chapelet d’îles du golfe Persique, pour la plupart inhabitées, et qui font l’objet d’un différend entre eux et l’Iran. Ce dernier a envoyé des troupes sur au moins l’une d’elles, Abou Moussa, et les officiels émiratis veulent depuis longtemps reprendre ces îles et exploiter leurs éventuels gisements de pétrole.

Les forces militaires des Emirats restent de taille modeste et incluent l’armée de l’air, des unités navales, ainsi qu’un contingent spécialisé dans les petites opérations qui a servi en Afghanistan; mais dans l’ensemble, leurs forces sont considérées comme étant inexpérimentées.

Ces dernières années, le gouvernement émirati a versé des milliards de dollars aux entreprises de défense américaines pour renforcer la sécurité du pays. Une société gérée par Richard A. Clarke, un ancien conseiller du contre-terrorisme durant les administrations Bush et Clinton, a obtenu plusieurs contrats lucratifs pour conseiller les E.A.U. sur la façon de protéger ses infrastructures.

Des consultants en sécurité pensent que les tentatives de M. Prince pour renforcer la défense des Emirats contre une menace iranienne pourraient fournir certains avantages au gouvernement américain qui partage la préoccupation des E.A.U. quant à l’insidieuse influence iranienne dans la région.

"Autant Erik Prince est un paria aux États-Unis, autant il est peut-être exactement celui qu’il faut dans le cas des Émirats Arabes Unis," a expliqué un consultant américain en sécurité connaissant les tâches attribuées à R2.

Le contrat comporte un paragraphe sur la politique juridique et éthique précisant que R2 devra mettre en place des critères de responsabilité et de discipline. Il précise que « l’objectif est de s’assurer que les membres de l’équipe participant à ce projet font preuve d’un niveau de professionnalisme et de morale suffisant pour faire face à la curiosité des médias. »

Mais les anciens employés indiquent aussi que les dirigeants que R2 ne se sont jamais vraiment intéressés directement à certaines questions fondamentales concernant cette opération. Les lois internationales régissant les armées privées et les mercenaires sont relativement troubles. [Dans ce contexte,] les Américains qui supervisent la formation d’une armée étrangère sur un sol étranger enfreignent-ils la loi des États-Unis ?

Susan Kovarovics, une avocate spécialisée en commerce international qui conseille les entreprises sur le contrôle des exportations, a déclaré que Reflex Responses n’avait pas besoin de l’autorisation du département d’État américain pour ses activités puisque c’était une société émiratie.

Mais elle explique aussi que tout citoyen américain travaillant sur le projet prend un risque du point de vue juridique s’il n’a pas obtenu l’approbation du gouvernement pour participer à la formation de troupes étrangères.

Les questions opérationnelles basiques n’ont pas non plus été abordées, toujours selon les anciens employés. Quelles sont les règles d’engagement du bataillon ? Que faire si des civils sont tués lors d’une opération ? Le déploiement au Moyen-Orient d’un commando provenant d’Amérique latine peut-il vraiment rester secret ?


Les soldats importés

Les premières vagues de mercenaires ont commencé à arriver l’été dernier. Parmi eux se trouvait un vétéran qui a travaillé pendant 13 ans dans la Police nationale colombienne. Calixto Rincón, 42 ans, a rejoint l’opération avec l’espoir de subvenir aux besoins de sa famille et de découvrir une nouvelle partie du monde.

« Pour les Emirats, nous formions pratiquement une armée », a déclaré dans une interview M. Rincón, de retour aujourd’hui à Bogota, en Colombie. « Ils voulaient des gens possédant une grande expérience des pays en conflit, comme la Colombie. »

Le visa de M. Rincón portait une estampille spéciale du Renseignement militaire des E.A.U. qui supervise l’ensemble du projet, ce qui lui a permis de passer les douanes et les services de l’immigration sans être interrogé.

Il s’habitua rapidement à l’emploi du temps quotidien du camp qui correspondait à celui de la formation militaire américaine. "Nous nous levions à 5 heures pour les exercices physiques," a déclaré M. Rincón. Le travail manuel dans le complexe en expansion faisait partie de sa mission. Selon d’autres anciens employés, les soldats – qui avaient endossé l’uniforme militaire émirati – étaient divisés en compagnies pour travailler aux manœuvres d’infanterie de base, pour acquérir des compétences en navigation et s’entrainer au techniques du sniper.

R2 dépense près de 9 millions de dollars par mois pour entretenir le bataillon, ce qui comprend le salaire des mercenaires, les munitions et les salaires des dizaines de personnes employées à l’intendance pour cuisiner les repas, laver les vêtements et nettoyer le camp, explique un ancien employé. Selon M. Rincón, lui et ses compagnons n’ont jamais manqué de rien; leurs dirigeants américains se sont même arrangés pour faire venir un chef cuisinier pour la préparation des soupes traditionnelles.

Mais la confidentialité du projet a parfois créé une atmosphère carcérale. « Nous n’avions même pas la permission de regarder derrière la porte, » a déclaré M. Rincón. « Nous étions autorisés à sortir seulement pour notre jogging matinal, et tout ce qu’on ce que l’on voyait, c’était du sable partout. »

Les Émirats voulaient des troupes prêtes à être déployées quelques semaines après le débarquement des avions, mais il est vite apparu que les compétences militaires des Colombiens étaient bien loin des attentes. « Certains gosses ne savaient pas viser », a déclaré un ancien employé. D’autres recrues ont avoué n’avoir jamais tenu une arme.



Repenser les rôles

En conséquence, les vétérans américains et les commandos étrangers entrainant le bataillon durent repenser leur rôle. Ils avaient prévu de n’intervenir qu’en tant que "conseillers" lors des missions – ce qui signifiait qu’ils ne tireraient pas – mais au fil du temps, ils réalisèrent qu’ils devraient combattre côte à côte avec leurs troupes, ont indiqué d’anciens fonctionnaires.

Pire encore, le flot du recrutement commençait à se tarir. Selon les anciens employés, Thor connut des difficultés à recruter et à garder suffisamment d’hommes sur le terrain. M. Rincón développa une hernie et fut forcé de retourner en Colombie, tandis que d’autres étaient licenciés du programme pour usage de drogue ou mauvaise conduite.

Le leadership de l’entreprise R2 connut le même sort. M. Chambers, qui avait aidé au développement du projet, partit après quelques mois. D’autres cadres supérieurs, certains étant d’anciens employés de Blackwater, furent embauchés avant d’être eux-mêmes licenciés les semaines suivantes.

Pour maintenir le bataillon, R2 recruta un peloton de mercenaires sud-africains comprenant d’anciens combattants d’Executive Outcomes, une société sud-africaine connue pour avoir réprimé les rébellions contre les hommes forts d’Afrique dans les années 1990. Selon les responsables américains et d’anciens employés, le peloton devait agir comme une force d’intervention rapide, et commença à s’entraîner pour un cas pratique : une attaque terroriste contre le gratte-ciel Burj Khalifa à Dubaï, le plus haut bâtiment du monde. Il devait reprendre le contrôle de la situation avant de passer le relais aux troupes émiraties.

Mais en novembre dernier, le bataillon prit officiellement du retard [sur le programme]. L’objectif initial indiquait qu’une force de 800 hommes devait être prête pour le 31 mars ; or, disent les anciens employés, la taille du bataillon a récemment été ramenée à environ 580 hommes.

Les officiels militaires émiratis avaient promis que si ce premier bataillon était une réussite, ils financeraient une brigade entière de plusieurs milliers d’hommes. Les nouveaux contrats seraient chiffrés en milliards de dollars, et soutiendraient le grand projet à venir de M. Prince : un complexe d’entrainement dans le désert pour les troupes étrangères calqué sur la structure de Blackwater à Moyock, en Caroline du Nord. Mais avant de poursuivre le projet, les officiels militaires des Émirats arabes unis ont insisté sur le fait que le bataillon soit capable intervenir pour une « mission dans le monde réel. »

Ce n’est pas encore le cas. Pour le moment, les troupes venant d’Amérique latine ne quittent la base que pour faire du shopping ou pour des divertissements occasionnels.

Au printemps dernier, après des mois en poste dans le désert, ils sont montés de nuit à bord d’un bus banalisé et ont été conduits dans des hôtels au centre de Dubaï, a indiqué un ancien employé de R2. Certains cadres leur avaient arrangé une soirée avec des prostituées.




Les reportages à Abu Dhabi et Washington ont été réalisés par Mark Mazzetti, celui de New York par Emily B. Hager. Jenny Caroline et Simon Romero González ont contribué à ce reportage à Bogota, en Colombie. Kitty Bennett a contribué aux recherches depuis Washington







Corrections annexées

Cet article a été révisé pour répercuter les corrections suivantes :

Correction du 19 mai 2011

Dimanche, un article évoquant la création d’un bataillon de mercenaires dans les Émirats Arabes Unis a imparfaitement présenté les tâches antérieures d’Executive Outcomes, une ex-société sud-africaine de mercenaires dont les vétérans ont été recrutés dans le nouveau bataillon. Executive Outcomes avait été engagée par plusieurs gouvernements africains dans les années 90 pour mater les rébellions et protéger les réserves de pétrole et de diamants; elle n’a pas fomenté de coups d’État. (Bien des années plus tard, alors que la société était déjà fermée, d’anciens cadres d’Executive Outcomes ont participé à une tentative de coup d’État contre le gouvernement de la Guinée Équatorial en 2004.)

Correction du 7 Juin 2011

Un article daté du 15 mai sur la constitution d’un bataillon de troupes de mercenaires étrangers dans les Émirats Arabes Unis a évoqué de manière imprécise le rôle tenu par Erik Prince, le fondateur de la société de sécurité Blackwater Worldwide. S’il s’est occupé de la supervision et a recruté des troupes, M. Prince ne dirige ni ne détient la société Reflex Responses, qui, selon le président de cette société, est Michael Roumi, et travaille sous contrat avec le gouvernement des Émirats Arabes Unis pour former et fournir des troupes. Un article du 16 mai a reproduit l’erreur.


Mark Mazzetti et Emily B. Hager
New York Times