Outre l’enquête sur l’assassinat de Rafic Hariri, des équipements livrés au Liban ont servi à démasquer des espions pro-israéliens.
La France a livré du matériel d’écoutes téléphoniques aux Forces de sécurité intérieure libanaises (FSI) pour les aider à découvrir la vérité sur l’assassinat, en février 2005, de l’ancien premier ministre Rafic Hariri, mais cet équipement sensible a servi ensuite à démanteler un vaste réseau d’espions pro-israéliens au Liban, ce qui a provoqué la colère de l’État hébreu.
L’affaire, confirmée par une source diplomatique et une autre au ministère de l’Intérieur, pourrait s’avérer embarrassante, lorsque le tribunal spécial pour le Liban publiera son acte d’accusation.
« L’opération s’est nouée au printemps 2006, lorsque les FSI, proches du camp Hariri, se sont plaintes de ne pas disposer d’un matériel de qualité identique à celui dont bénéficiait alors la commission d’enquête internationale », affirme une source française proche de la famille Hariri. À cette époque, les hommes du général Ashraf Rifi, patron des FSI, cherchaient à bâtir leur propre service de renseignements, pour ne pas se laisser déborder par les services existants, proches des factions rivales, notamment du Hezbollah pro-iranien.
Du matériel d’interception et de localisation d’écoutes sera livré aux FSI, par des sociétés privées françaises, après accord de l’État. Aux côtés d’autres équipements fournis eux par la CIA (en particulier, un précieux logiciel d’exploitation de données), ces outils vont notamment permettre aux enquêteurs de mettre au jour un réseau d’individus impliqués dans la préparation de l’attentat contre Hariri. Mais l’efficacité des limiers libanais finira par inquiéter leurs ennemis. En janvier 2008, le capitaine Wissam Eid, responsable des écoutes au sein des FSI, est tué, lorsque son convoi explose sur une bombe à Beyrouth.
Ces grandes oreilles devaient théoriquement traquer les communications des « ennemis syriens, iraniens et de leurs alliés locaux », mais, comme souvent en matière de fourniture de systèmes d’écoutes, ceux-ci auront d’autres applications.
Au printemps dernier, ils permettront à la Sécurité intérieure de démanteler le plus important réseau d’espions pro- israéliens au Liban. En quelques semaines, soixante-dix Libanais seront inculpés d’espionnage au profit d’Israël ; et une quarantaine de suspects placés en détention. La vague surprend par son ampleur. Juste avant des élections législatives, cruciales pour l’avenir du Liban, la pêche tombe à pic pour le camp pro-occidental, conduit par Saad Hariri, le fils de l’ancien premier ministre, qui remportera le scrutin de juin. Le général Rifi le confiera ensuite à un diplomate français : « On avait les noms des collabos dans nos dossiers depuis quelque temps, mais on attendait le bon moment pour les sortir. »
Aide russe au Hezbollah
Inutile de dire que ces livraisons de matériel sensible ont vivement mécontenté Israël. Publiquement, rien n’a transpiré. Mais en coulisses, l’État hébreu a exprimé son courroux aux autorités françaises. Après son revers de l’été 2006 face au Hezbollah, Tsahal commit l’erreur de recruter hâtivement au Liban-Sud, pour rattraper un lourd déficit en renseignements humains dans cette région. « Mais quand on met le paquet trop vite, il y a toujours des fuites, note un expert militaire français. Le Hezbollah s’en est rendu compte, et il a renforcé les contre-mesures. » Dans cette chasse très populaire aux espions pro-israéliens, la milice chiite ne sera pas en reste pour se faire épauler. En début d’année, les services de renseignements russes (FSB) dépêchèrent auprès du Hezbollah une équipe d’experts avec du matériel, selon plusieurs sources concordantes.
En coulisses, les Israéliens accuseront même les FSI d’avoir livré des systèmes d’écoutes au Hezbollah. Faux, répondl’expert militaire, fin connaisseur du Liban. « Mais c’est vrai que la Sécurité intérieure a livré des collabos pro-israéliens au Hezbollah », ajoute-t-il. « C’est notamment le cas du colonel, qui commandait l’école des commandos de l’armée, un ancien de la milice chrétienne des Forces libanaises pendant la guerre civile. Le Hezbollah n’en a pas fait des tonnes. Il préfère garder le dossier qu’il ressortira le moment venu. » Contre ses ennemis intérieurs. Classique en matière d’espionnage.
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Georges Malbrunot