Pogos Akopov, ancien diplomate et ambassadeur de l’URSS, président du Conseil de l’Association des diplomates russes, a révélé des faits peu connus ayant trait à la position de l’URSS à la veille de la guerre arabo-israélienne de juin 1967. Ils réfutent les points de vue de nombreux Occidentaux quant à la volonté de Moscou de pousser l’Egypte à la guerre.
Dans une interview accordée en exclusivité à RIA Novosti, ce diplomate de 81 ans a déclaré qu’il était la seule personne encore en vie à avoir participé aux négociations qui s’étaient déroulées à Moscou, à la fin du mois de mai 1967 (on ignore si les enregistrements de ces négociations secrètes ont été ou non conservés).
Les délégations étaient conduites, pour la partie russe, par Alexeï Kossyguine, président du Conseil des ministres de l’URSS, membre du Bureau politique du CC du PCUS, et, pour la partie égyptienne, par Shams Badran, ministre de la guerre. Pogos Akopov siégeait en qualité d’expert.
Aux alentours du 20 mai 1967, raconte Pogos Akopov, Shams Badran était arrivé à Moscou en qualité d’envoyé personnel du président Nasser, porteur d’un message du leader égyptien aux dirigeants soviétiques. Le Bureau politique du PCUS avait confié à Alexeï Kossyguine la mission de mener les pourparlers avec la délégation égyptienne.
Au début de la première rencontre qui s’était déroulée au Kremlin, le général égyptien avait résumé la teneur du message, indiquant qu’Israël était en train de concentrer des troupes le long de la frontière syrienne et se préparait à frapper la Syrie. Dans cette situation, les amis syriens s’étaient adressés à Nasser pour lui demander de l’aide.
Le président Nasser, comme il fut dit, ne pouvait laisser son frère arabe face à Israël et demandait l’accord des dirigeants soviétiques pour porter une frappe préventive, un coup de semonce, contre Israël.
La réponse d’Alexeï Kossyguine fut nette : si l’Egypte frappait la première, ce serait elle l’agresseur et Moscou ne pouvait soutenir un agresseur. Cela était contraire aux principes de la politique extérieure soviétique.
Il fut déclaré que le problème ne pouvait avoir de solution militaire : les Etats-Unis ne permettraient pas aux Arabes d’infliger une défaite à Israël. "Vous voulez entraîner l’Union Soviétique dans une guerre avec l’Amérique, devait ajouter Alexeï Kossyguine. Nous ne l’accepterons pas." Il demanda à Shams Badran de transmettre à Nasser l’opposition de l’URSS à une guerre.
Les négociations se poursuivirent le lendemain. Badran transmit de nouveau la requête de Nasser qui demandait à Moscou d’étudier attentivement, encore une fois, ses arguments. Alexeï Kossyguine exposa une fois encore la position soviétique de refus des opérations militaires. Il ajouta que la partie soviétique avait analysé la situation et était arrivée à la conclusion qu’une opération militaire ne déboucherait sur des résultats souhaitables, ni pour Nasser, ni pour les autres pays arabes. Selon lui, il fallait rechercher d’autres voies de règlement.
Aux dires de Pogos Akopov, les négociations durèrent trois jours. Au matin du quatrième jour, le général Badran fit part de ce qu’avait dit Nasser, à savoir que le leader égyptien n’engagerait pas d’opérations militaires si les amis soviétiques estimaient qu’il ne fallait pas le faire.
Le 28 mai, le général Badran repartit pour le Caire et, le 5 juin 1967, Israël engageait les hostilités contre ses voisins arabes. Les pistes d’atterrissage des aéroports du Caire, d’Alexandrie et d’Assouan furent bombardées, privant de couverture aérienne l’armée égyptienne du Sinaï. L’Egypte enregistra des pertes considérables, en matériel et en hommes.
L’ancien diplomate, qui a réfléchi aux circonstances et aux causes de ces événements, a livré sa propre version des faits. Il suppose que le renseignement israélien avait réussi à savoir que l’URSS ne s’engagerait pas aux côtés de l’Egypte si cette dernière déclenchait une guerre. Israël passa à la réalisation du plan d’attaque qu’il forgeait depuis longtemps puisqu’il était fermement convaincu de son impunité.
De nombreux analystes, en Occident, ont toujours caché ce fait, malheureusement. Ils affirment, au contraire, que Moscou aurait poussé Nasser à la guerre. En fait, l’URSS lui avait de fait lié les mains en déclarant qu’elle ne soutenait pas l’intention de l’Egypte de lancer des opérations militaires.
Dès le premier jour de l’attaque israélienne contre les Arabes, Moscou rendit publique une déclaration gouvernementale qualifiant l’attaque d’agression et appelant Israël à cesser les opérations militaires. Elle réitéra à trois reprises ses déclarations jusqu’au 10 juin, les transmettant à l’ambassadeur d’Israël à Moscou par l’intermédiaire du ministère soviétique des Affaires étrangères.
Israël poursuivait la guerre sans prêter attention à ces déclarations. Il ignorait également les appels du Conseil de sécurité de l’ONU à cesser la guerre.
Au sein de la direction soviétique, du ministère des Affaires étrangères, les consultations allaient bon train pour savoir comment réagir, quelle aide apporter à Nasser qui se trouvait dans une situation difficile. En fin de compte, le gouvernement décida de rompre les relations.
Katz, l’ambassadeur israélien, fut convoqué au ministère des Affaires étrangères. Alexeï Chtchiborine, qui dirigeait alors le secteur des pays du Proche-Orient au ministère, lui déclara que les dirigeants de l’URSS, voyant qu’Israël ne réagissait pas à leurs déclarations, avaient décidé de rompre les relations diplomatiques et de rappeler leur ambassadeur à Tel-Aviv. L’ambassadeur israélien devait quitter Moscou.
Fallait-il ou non rompre les relations diplomatiques ? C’est une question qui continue de susciter des débats dans les milieux scientifiques, affirme l’ancien diplomate. Pour les uns, ce n’était pas judicieux car Moscou a rejeté Israël, perdu la possibilité de l’influencer et d’influer sur la situation générale au Proche-Orient.
Les autres affirment que Moscou n’avait pas d’autre issue : Israël ne prenait pas en compte ses démarches, il lui fallait accorder un soutien à l’Egypte, montrer qu’il n’abandonnait pas ses amis dans le malheur. C’est que Moscou avait retenu Nasser d’engager des opérations militaires. Selon le diplomate, si Moscou n’avait pas rompu les relations, l’Egypte et les autres pays arabes ne lui auraient pas pardonné.
Au mois de juin 1967, une délégation militaire soviétique de haut rang se rendit au Caire pour résoudre les problèmes du rétablissement du potentiel militaire perdu par l’Egypte. Moscou entreprit de lui livrer de grandes quantités de matériel de guerre afin d’assurer la parité militaire avec Israël. Après 1967, un puissant élan fut donné à la coopération soviéto-égyptienne dans divers domaines. Les deux pays signèrent un Traité d’amitié et de coopération. Moscou contribua à asseoir le développement économique de l’Egypte sur des bases modernes.
Revenant sur ces événements d’il y a quarante ans et leurs conséquences, l’ancien diplomate a émis des doutes sur le bien-fondé de garder les terres occupées par Israël (Golan, Cisjordanie, Gaza) à la suite de la guerre des Six jours.
Selon Pogos Akopov, "ce fait ne cessera de provoquer la résistance de la population arabe, servira d’argument et de prétexte aux agissements de forces diverses, extrémistes notamment. Le meilleur moyen de l’éviter, c’est de parvenir à un règlement juste et total. Dont les bases sont contenues dans les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU."
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Youri Zinine