Nous avons suivi le stage de sélection de l’escadron parachutiste de la gendarmerie
Huit jeunes gendarmes (dont deux femmes) ont passé la rampe des 144 heures d’épreuve
Crépuscule blême dans les faubourgs d’une ville de banlieue parisienne. Un chien hurle à la mort. Le froid est féroce. Un bus arrive, et une vingtaine de jeunes, en tenue kaki en descendent, sans trop se presser. La deuxième vague de détection pour l’escadron parachutiste d’intervention de la gendarmerie nationale (EPIGN).
La plupart des candidats, surtout les hommes, ont préparé ce moment depuis plusieurs mois, lorsqu’ils ont pris connaissance d’un message de l’EPIGN aux unités. Une bonne partie est issue de la gendarmerie mobile, mais plusieurs, comme « Bob », un jeune lieutenant provient d’une section de recherche (SR), où ils sont chargés des enquêtes les plus ardues de la gendarmerie.
« Irina » opère ainsi dans le groupe d’observation et de surveillance (GOS) de la SR de Paris. « Clara » (32 ans), elle, est montée de sa petite brigade du sud de la France pour intégrer la crème du groupement de sécurité et d’intervention de la gendarmerie nationale (GSIGN). Comme les sept autres jeunes femmes de la sélection, elle sait déjà qu’elle ne concourt que pour intégrer le groupe d’observation et de recherche (GOR), chargé d’assister la gendarmerie sur les dossiers antiterroristes et relevant du grand banditisme. Seulement deux femmes, depuis 2001, ont réussi à survivre aux épreuves de sélection du GOR, qui intègrent, dès la détection, des épreuves complémentaires.
Les cadres chargés de trouver les perles rares dans ces huîtres gendarmiques n’ont aucune pression sur leurs épaules. « On ne prendra que les profils qui nous conviennent, et si ça se trouve, aucun des jeunes de cette session ne conviendra... » lâche sans morgue « Giles », un officier de l’EPIGN. « Giles » en a vu d’autres, et sait, comme ses collègues, que recruter en dessous des critères objectifs peut conduire à faire échouer une opération réelle.
Les candidats en sont conscients, et la plupart essayent déjà avec plus ou moins de conviction de donner le meilleur d’eux-mêmes, dans le grand bassin de la piscine. Mais déjà, les premières embûches. « Irina » n’arrive pas à nager mains et poings liés, et malgré la bienveillance de « Iain », reste en rade à mi-parcours.
Les épreuve nautiques se suivent et « Clara » commence elle aussi à paniquer. Impossible de plonger sous une bâche. Le plongeon de 10 mètres, suivi d’un porter de mannequin, et d’un passage dans une buse l’ont littéralement vidée. Après trois essais infructueux, elle sort, sans triompher, de l’autre côté de la bâche. Les sélectionneurs commencent déjà, silencieusement, à attribuer les points. Les bons comme les mauvais.
Le lendemain, les candidats enchaînent un parcours commando, puis un deuxième. Là encore, plusieurs candidats se retrouvent en difficulté. La bobologie prend le pas sur le moral de fer que l’EPIGN attend des candidats. Ce lundi, en fin d’après-midi, six candidats, parmi lesquels « Irina », un peu fataliste sur le coup, abandonnent ou sont remerciés.
Le stage se poursuit, sur un train d’enfer. Sans boussole, et après avoir appris par cœur un plan sommaire, les sélectionnables sont lâchés dans une forêt des Hauts-de-Seine puis doivent investiguer un ancien fort en ruines. Scénario antiterroriste : les candidats sont loin d’être convaincants. Les femmes se distinguent : une arrive par le mauvais côté, deux autres entrent dans le fort par un trou de serrure.
Rebelote le lendemain ; Cette fois, c’est la guerre civile...dans le fin fond de l’Essonne, mué en Bantoustan moyen-oriental. Les jeunes doivent retrouver un chef de guerre, pour préparer des discussions diplomatiques. Les filles s’en sortent plutôt bien, notamment « triple X » alias « 30 » (son numéro d’ordre de passage) qui souffre de la chevile, sans s’en plaindre.
Avec un certain sens du panache, elle s’en tient à son rôle de touriste égarée, après un passage dans le bain de boue, en pleine obscurité. Elle survit au mur de flammes, à l’interrogatoire, à la reptation sur 150 mètres dans un boyau étroit. « Allez rampe ! » hurle une sentinelle, faussement bourrée au haschich. « J’sais pas ramper, glapit « 30 ». « Mais si, tu sais, tu es militaire, tu es une espionne ! » fulmine un autre. « Non, j’étais avec mon copain, je me suis perdue ! » souffle la jeune « touriste ». « Je vais te conduire à mon chef, tu vas voir ! » rugit la sentinelle, braquant sa Kalach. « C’est ça, conduisez-moi à votre chef » applaudit « 30 ». « Non, rampe d’abord ! »...
Certains cadres sont ébahis par son sens de la répartie. Mais « 30 » ne survivra pas à l’épreuve-reine, 24 heures plus tard. Une course d’orientation de 40 km, parsemée d’indices qu’il faut scrupuleusement relever. « 30 » a perdu le gniac. Le froid et l’humidité ont vraisemblablement eu raison de son moral.
L’EPIGN la retrouvera une première fois sous un abribus. Puis, six heures plus tard, errant dans la campagne, à 20 km de son point de recueil. Au revoir « 30 », à la prochaine fois. « Clara » et une autre blonde, « Natasha » ont survécu, jusqu’à ce jeudi après-midi. Jusqu’au test de combativité. Plusieurs rounds sur un ring de boxe, où à l’issue du stage, les candidats doivent seulement démontrer qu’après un traitement de choc, il reste toujours de réflexes de survie, et une réserve d’adrénaline. « Clara » et « Natasha » confirment, et l’EPIGN les embarque discrètement pour les lâcher sur un ultime test.
En civil, les jeunes femmes vont devoir « filocher » un cadre de l’EPIGN, sans le lâcher.
Pari tenu. « Clara », « Natacha », « Bob » et cinq autres gendarmes ont survécu, convaincu, après avoir encore discuté, formellement, avec un jury de cinq membres, tous vétérans. Dans le pur style grand oral de Sciences Po, le jury leur a annoncé qu’ils reviendraient, l’an prochain, pour le « pré-stage ». « Iain » et « Giles » ont seulement annoncé la couleur, avant que les huit ne goûtent à une vraie nuit. « Vous allez tous travailler d’ici mars pour combler vos lacunes. Rien n’est jamais acquis ici : à vous de nous montrer que nous ne nous sommes pas trompés sur vous en vous sélectionnant ». Habillés pour l’hiver...
Des gaillards rompus aux Opex les plus chaudes
Pendant très longtemps, la gendarmerie a évité de trop médiatiser cette unité méconnue composée de solides gaillards. Pour l’essentiel, ces gendarmes revendiquent leur « rusticité » : savoir durer physiquement mais surtout moralement en territoire hostile, en gardant des capacités opérationnelles intactes.
Cette vision de leur métier s’est forgée graduellement. Créé en 1971, l’EPIGN n’est alors qu’un escadron parachutiste prévôtal au service de la 11e division parachutiste de l’armée de Terre.
Deux ans plus tard, il devient la composante sudiste du futur GIGN, qu’il rejoindra, en 1984, sur le plateau de Versailles-Satory. Sur-entraînés, sur-motivés, les gendarmes de l’EPIGN ont la même fibre opérationnelle que leurs camarades du commandement des opérations spéciales (COS) qu’ils côtoient parfois à l’entraînement, très souvent en opérations extérieures.
Le chapitre opérationnel, justement, est plutôt nourri à l’EPIGN : Ouvéa (1988), Rwanda (1994), Zaïre (1992, 1996), Gabon (1997), Côte d’Ivoire (2003, 2004) ou Haïti (2005) pour ne citer que les plus marquantes. 50 pays, beaucoup plus de coups durs, quelques blessés, mais jamais de morts. La direction générale de la gendarmerie nationale n’a curieusement pas souhaité communiquer sur ce volet. Très curieusement, car l’EPIGN a, avec des commandos-parachutistes et des commandos marine, sauvé des Rwandais de la machette et du feu, lors d’une progression tactique. Ces hommes courageux, malgré des ordres précis de privilégier leur mission, sont restés des hommes. Ils n’ont à l’époque demandé aucune médaille, et n’en ont donc obtenu aucune.
En 25 ans, l’EPIGN aura aussi permis directement ou indirectement d’évacuer plusieurs milliers centaines de Français directement menacés. Plusieurs diplomates ou assimilés lui doivent aussi très certainement la vie, notamment les deux principaux en postes au Zaïre, en 1996. En métropole, l’EPIGN a très largement contribué au dénouement de l’Airbus de Marignane, en amont et en appui du GIGN.
Plus médiatiquement, c’est l’EPIGN qui retrouva et tua le terroriste Khaled Kelkal, en 1995. Un sujet qui suscita alors la polémique comme celle qui toucha le RAID à la mort de Human Bomb. Reste que les gendarmes, comme les policiers agirent dans un cadre légal, et il fut respecté à chaque fois.
« Ils doivent apporter une triple performance »
Colonel P.Y.C Commandant le groupement de sécurité et d’intervention de la gendarmerie nationale (GSIGN) depuis 2004
Comment avez-vous vu évoluer l’EPIGN ?
Initialement, c’était un escadron de gendarmerie mobile plus militarisé que les autres. Aujourd’hui, il s’inscrit totalement dans les cinq spécialités du GSIGN : la gestion de situations conflictuelles, la protection de personnes ou de structures sensibles, la sécurisation de sites ou d’évènements, l’observation-recherche et la formation.
Quels sont ses apports à la lutte antiterroriste ?
Avec le GSIGN, la gendarmerie dispose d’un outil global de lutte antiterroriste dans lequel l’EPIGN prend sa part. Nos 367 gendarmes (dont quatre femmes, NDLR) assurent aussi bien la dissuasion que l’intervention, en passant par la détection d’éventuelles vulnérabilités. Cette démarche globale, qui s’appuie sur de réelles capacités opérationnelles, obtient très régulièrement des résultats.
Quand le GIGN et la section de recherches d’Ajaccio interpellent en quelques secondes un dangereux terroriste, l’EPIGN a pu travailler trois semaines, en amont, pour recueillir du renseignement qui permet de détecter, puis de localiser cette cible, dans un milieu très périlleux. La qualité du dossier d’objectif facilite ensuite l’interpellation.
Le GSIGN connaît actuellement une profonde mutation interne, se rapproche du Commandement des opérations spéciales (COS).
Avec quel effets sur l’EPIGN ?
Il peut encore apporter au GIGN en matière d’appuis spécialisés. Déjà à Marignane, l’EPIGN avait largement appuyé le GIGN, à tous les stades.
Je rappelle souvent aux gendarmes qu’ils doivent apporter une performance à trois niveaux : individuel, au profit de leur propre unité, et enfin du GSIGN. S’agissant du COS, je dirai seulement que les gendarmes sont des militaires, et que nous apporterons tout ce que nous pourrons au ministère de la Défense, en fonctions des effets recherchés sur une situation donnée. .
J.-M.Tanguy