Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

lundi 5 mai 2003

Bases secrètes du IIIème Reich

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Durant la seconde guerre mondiale, pour tenter de développer de nouvelles « armes miracles » (Wunderwaffen), les Allemands procédèrent à des essais d’armes secrètes sur divers sites, non seulement en Allemagne mais également dans les territoires occupés. Ils construisirent également un certain nombre de bases secrètes en béton armé, souvent souterraines, destinées à abriter les nouvelles armes de représailles, qu’il s’agisse du V1, du V2 ou du V3. La plupart sont situées dans le Nord de la France, le long du littoral de la Manche, dans les départements du Pas-de-Calais ou du Cotentin, mais il en existe également en Allemagne, notamment pour la production et la fabrication.

Ces sites, dont le périmètre était interdit à la population locale sous peine de mort, n’avaient de secret que le nom, car les gigantesques travaux entrepris ne passèrent pas inaperçus et furent vite repérés par la Résistance et les avions de reconnaissance anglo-américains. Alertés mais ne sachant souvent pas de quoi il s’agissait réellement, les Alliés entreprirent de les bombarder systématiquement et massivement dès l’été 1943. Des milliers de bombes, représentant plusieurs centaines de milliers de tonnes d’explosifs, furent larguées sur ces différents objectifs, dans l’espoir de les détruire. Les Alliés n’y parvinrent pas mais réussirent néanmoins à paralyser et à ralentir suffisamment les chantiers pour qu’aucune de ces bases n’atteigne le stade opérationnel. Certaines furent à peine esquissées ou amorcées, d’autres abandonnées en cours de construction et à divers stades des travaux, d’autres encore évacuées alors qu’elles étaient pratiquement achevées et sur le point de devenir opérationnelles.

Parmi ces installations figurent d’énormes bunkers de tir pour V1 ou V2 (Wasserwerke), des bases de lancement V1, des sites de stockage ou de fabrication pour les armes miracles, des bunkers de radioguidage V2 et bien d’autres installations en relation avec les nombreux mystères que recèle le IIIe Reich

Leur point commun est leur taille « kolossale », leur caractère souterrain (ou semi-souterrain) et l’incroyable volume de fer et de béton qui a été coulé pour abriter ces gigantesques « bosses de béton ». Certains sites s’étendent sous des collines entières, comportent plusieurs niveaux étagés à différentes profondeurs, et comptent des kilomètres de galeries qui en font de véritables labyrinthes. Quant à leurs dimensions, elles sont carrément pharaoniques et dépassent l’entendement. Il est vrai que le Führer et les Nazis en général avaient le goût du gigantisme…

Ces énormes cercueils de béton vide existent toujours, même s’ils sont souvent méconnus du grand public. C’est à la découverte de ces sites incroyables, sans doute les plus secrets et les plus mystérieux du IIIe Reich, que nous vous convions dans cette rubrique qui est destinée à s’étoffer avec le temps.


Base de radioguidage V2 de Prédefin

Initialement, les savants de Peenemünde, sous la direction de Werner von Braun, avaient prévu de guider par radio les fusées V2 jusqu’à leur objectif, grâce à un système de faisceaux formés par des ondes (« Leitstrahl »). Cette solution garantissait une très grande précision et l’assurance de frapper à tous les coups ou presque la cible visée, sans dispersion. Mais elle présentait aussi le risque que les Britanniques découvrent une parade et un moyen de brouiller le système de guidage, pour leurrer et détourner les V2.

Dans la perspective du futur déclenchement de l’offensive des armes miracles V1 et V2 (Wunderwaffen), prévue initialement à la fin de 1943, l’Organisation Todt (O.T.) reçut donc l’ordre de bâtir, dans le plus grand secret, un bunker radar et une base de radioguidage dans le département du Pas-de-Calais. Cette base était prévue initialement pour assurer le suivi et le radioguidage des fusées V2 lancées depuis les bunkers de tir « KNW » d’Eperlecques (nom de code Mannschaftsbunker) et « SNW » de Helfaut-Wizernes (nom de code Bauvorhaben 21, correspondant à l’actuel site muséographique de La Coupole), distants respectivement de 38 et 24 km du site pressenti.

Le lieu choisi par les Allemands pour implanter cette base de radioguidage est situé à 16km au N-O de la ville de Saint-Pol, à la sortie ouest du village de Prédefin (Pas-de-Calais), près de la route reliant cette localité à Heuchin. La base comportait 2 groupes d’installations distinctes mais disposées sur le même axe, ce qui laissait bien deviner leur interdépendance : la station radar et le centre de radioguidage.

Le chantier commença au début de l’année 1943 et la construction de ce gigantesque complexe nécessita 50 000 sacs de ciment (2 500 tonnes) acheminés à pied d’œuvre par un petit chemin de fer auxiliaire relié à la voie ferroviaire Saint-Pol – Hesdin. Plus de 1200 ouvriers et techniciens travaillèrent à la réalisation des différentes installations, dont de nombreux travailleurs belges et polonais affectés aux travaux de maçonnerie, ainsi que quelques français du S.T.O. (Service du Travail obligatoire, instauré par Vichy à la requête de l’occupant). Les ouvriers étaient abrités dans les baraquements d’un camp installé dans le village de Prédefin et dirigé par le commandant Kramer, alors que les cadres de l’Organisation Todt logeaient dans un baraquement édifié à 200 m de la base en construction.

Entre-temps, les techniciens du centre de recherche de Peenemünde réussirent à mettre au point une plate-forme inertielle embarquée à bord de la fusée V2, constituée par un ensemble de gyroscopes accéléromètres intégrateurs. Cela permit, dans les premiers mois de 1944, de renoncer complètement au radioguidage envisagé initialement, il est vrai au prix d’une plus grande dispersion des impacts et d’une moindre précision. Le site de Prédefin, dont la construction était achevée, fut donc cédé par la Heer (armée de terre) à la Luftwaffe qui le transforma en une base de radiorepérage incluse dans le système défensif de l’espace aérien du Nord-Pas-de-Calais (défense aérienne de la Festung Europa).


Le bunker radar Mammut Friedrich

Situé à 500 m de la base de radioguidage/radiorepérage, le bunker était surmonté par un gigantesque radar Mammut FuMo 51 Friedrich. Ce bunker en béton armé, construit pratiquement au ras du sol, mesurait 23 mètres de longueur par 12,50 m de largeur et 5,40 m de hauteur. Il comportait une dalle de couverture de 2,00 m d’épaisseur supportant 4 bases de béton de deux mètres par cinq, dans lesquelles étaient scellés les énormes pylônes métalliques de 30 m de haut supportant le gigantesque cadre rectangulaire du radar Mammut Friedrich, d’une envergure de 29 mètres. Entre les pylônes s’élevaient deux socles de béton de 1,20 x 1,20 m, mesurant chacun 3 m de hauteur, comportant intérieurement un faisceau de 12 tubes dépassant légèrement de la maçonnerie, pour les descentes d’antennes.

Au milieu de sa façade sud-ouest, le bunker comportait une entrée principale avec, à gauche, deux escaliers secondaires conduisant vers l’intérieur. A droite s’ouvrait l’escalier menant au poste d’observation situé au-dessus de l’angle sud. L’accès au bunker était flanqué par un créneau de tir qui s’ouvrait sur une petite casemate intérieure, à l’angle ouest du bâtiment. A l’intérieur, on trouvait un poste de commandement équipé de tableaux électroniques, deux salles de contrôle radar, une salle d’opération équipée de 2 tables « SEEBURG » et une salle des machines abritant un groupe électrogène de 500 kVA, une chaufferie et un système de ventilation aboutissant à un orifice ménagé dans la dalle de couverture.

A deux mètres cinquante du bunker se trouvaient 2 bâtiments annexes de 30 x 6 m, qui furent complètement détruits par les nombreux bombardements alliés. Ils comportaient des salles de transmission, des chambrées et un poste de garde. A 50 m se trouvait une cuve d’eau bétonnée et semi-enterrée, contenant l’eau de refroidissement du groupe électrogène, ainsi qu’un transformateur de 500 kVA relié au bunker et aux bâtiments annexes par des tranchées bétonnées à ciel ouvert.

La base de radiorepérage

A 400 mètres du bunker de la station radar, à gauche de la route Prédfin – Heuchin et en bordure de la voie ferrée reliant Saint-Paul à Hesdin, fut édifié un immense camp couvrant 25 000 m2, au lieu dit « Bois Lewingle ». Son entrée était défendue par une barrière et un poste de police en béton, à côté duquel s’élevait un bâtiment de 3 étages abritant les locaux de la garde, une armurerie, et les cantonnements du détachement assurant la sécurité du périmètre. Ce camp, initialement destiné à abriter les installations de suivi et de radio-guidage des V2, fut transformé en centre de radiorepérage aérien par la Luftwaffe. Il comprenait 2 radars WÜRZBURG et un radar FREYA en encuvements, des antennes de radio-transmissions, un centre d’écoute et de transmissions, deux émetteurs et une chaufferie. Les infrastructures étaient complétées par des abris, un poste de guet, une dizaine de bâtiments servant de casernements, un hôpital et une chambre à gaz pour la formation des sous-officiers. Le plus grand bâtiment mesurait 100 m de longueur et 20 m de largeur et comportait un large couloir central autour duquel s’organisaient d’innombrables pièces, dont une cuisine, une salle de cinéma et une salle des fêtes. Devaient y loger le personnel de la station du bunker radar, celui du bunker de lancement V1 de Siracourt (Wasserwerk n°1 « Desvres ») et les détachements des bases légères V1 de la région.

Les toits en béton des bâtiments, enterrés au ras du sol pour qu’ils n’affleurent pas ou peu du terrain, étaient doté d’une légère pente bitumée et recouverts d’une couche de 30 centimètres de terre ensemencée d’herbe, pour mieux les confondre avec les prairies environnantes et éviter leur repérage aérien. La base abrita, dès la fin 1943, une partie de l’Etat Major chargé du déploiement des V1, divers spécialistes et techniciens, 80 soldats téléphonistes et 600 femmes militaires allemandes (« souris grises ») employées aux transmissions. Le site fut évacué par l’armée allemande en septembre 1944, devant la poussée rapide des armées alliées remontant de la Seine, en même temps que les autres installations V1 et V2 du Nord de la France.
Une reproduction factice de cet ensemble fut construite à 2 km à vol d’oiseau, sur le territoire de Fontaine-les-Boulans, pour leurrer les Alliés. Comme il y avait dans le camp des espions, cette reproduction fut bombardée par les Anglais avec des bombes en bois, ce qui dénote un humour tout britannique.

La base de radioguidage/radiorepérage et le bunker radar subirent au total une quinzaine de bombardements aériens visant à les détruire. Les premiers bombardements furent déclenchés les 6 et 9 janvier 1944 et le dernier raid eut lieu le 6 juillet de la même année, à 10h30.
Tout ce complexe est en partie intact et encore visible de nos jours, à l’exception de la base factice. Les installations sont toutefois difficiles à repérer dans la paysage, vu la croissance de la végétation qui a envahi la zone. Vous trouverez, ci-dessous, quelques clichés montrant leur état en 1944, à la libération, et celui actuel.

Actuellement (état 2008), les vestiges de la base, pourtant importants, sont très difficiles à localiser car ils sont enfouis et dissimulés sous la végétation qui a repris ses droits. Seules dépassent les deux colonnes qui abritaient les câbles HF.


La base V2 d'Eperlecques

En 1942, Hitler ordonne de construire l’un des plus grand bunker du monde, comparable par sa taille aux bases de sous-marins de l’Atlantique. Cette gigantesque « bosse de béton », demeurée en l’état depuis la fin de la seconde guerre mondiale, se trouve dans le Nord de la France. Ses ruines renferment l’un des secrets les plus extraordinaires du IIIe Reich, celui du mystérieux projet « KNW » : les Allemands avaient en effet prévu d’en faire leur plus grande base secrète et d’y installer un site de lancement protégé pour la future fusée V2. La cible désignée était Londres et le bunker devait être indestructible pour permettre de procéder aux préparatifs des armes miracles en toute sécurité. Le chantier était si gigantesque qu’il ne tarda pas à attirer l’attention des services secrets britanniques. Alarmé par cette mystérieuse construction dont on ignorait la nature et la fonction, Winston Churchill ordonna de tout entreprendre pour la détruire. Entre 1943 et 1945, les Alliés multiplièrent donc les raids de bombardement et larguèrent des milliers de tonnes de bombes sur le site, transformant le paysage en un vaste désert lunaire…Les traces qui subsistent encore actuellement de ces bombardements témoignent de la violence et de l’acharnement de ces frappes aériennes. Pourtant la base fut partiellement achevée par les Allemands, du moins en ce qui concerne le gros œuvre, moyennant une modification du projet initial ! Ses ruines, toujours debout, témoignent du gigantisme de la construction: 75 m de longueur, 40 m de largeur et 33 m de hauteur, soit l’équivalent d’un immeuble de 10 étages ! La dalle de couverture mesure à elle seule 5 m d’épaisseur ! Pendant longtemps, on a cru tout savoir d’Eperlecques. Mais le site renfermait un secret encore plus incroyable. Il ne fut percé qu’il y a quelques décennies, lorsqu’on découvrit les plans originaux que l’on croyait perdus à jamais. L’analyse de ces plans montre que le bunker réalisé ne représente en réalité que le tiers du volume de béton prévu initialement par les Allemands, avant que le projet ne soit modifié. C’est l’histoire fascinante de ce projet « KNW » que nous vous proposons de découvrir dans cette rubrique, au gré des pages qui viendront petit à petit s’ajouter avec le temps…Donc patience…


Le centre d’essais ultra-secret de Peenemünde

La première phase de développement du programme de la fusée A4 se déroula au polygone d’essai militaire de West-Kummersdorf, situé à une trentaine de kilomètres au sud-est de Berlin. C’est là que furent développées entre 1932 et 1937 les premières fusées expérimentales à carburants liquides A1, A2 et A3 (pour Agreggat 1, 2, 3). Très vite, il devint toutefois évident que ce polygone d’artillerie était mal équipé et trop exigu. Situé au milieu d’une région très urbanisée, il ne répondait pas aux conditions de sécurité et de maintien du secret inhérents au développement et aux essais d’une grande fusée balistique à vocation militaire. Walter Dornberger écrit : « déjà quand nous nous bornions à lancer des fusées à poudre, nous n’étions pas rassurés. Il y avait toujours le danger, précisément au début des travaux de mise au point, que l’un de nos engins crachant le feu manifeste quelque fantaisie imprévisible de choisir la direction à prendre. Avec les fusées à combustibles liquides, ce danger était encore plus considérable. Nous avions besoin d’un nouveau terrain d’essai… ». Restait à trouver le financement. Cette question fut résolue par le fait que programme sur les fusées à carburants liquides suscitait l’intérêt de la Luftwaffe qui souhaitait disposer rapidement de moteurs-fusées pour équiper une nouvelle génération d’intercepteurs, notamment le célèbre Messerschmitt 163 « Komet ». Or l’équipe de Walter Dornberger et Werner von Braun était la seule capable de mettre au point ces propulseurs. L’armée de terre, en charge du projet A4, saisit donc l’occasion pour demander à la Luftwaffe de contribuer pour moitié à la construction du nouveau centre de recherches expérimentales ultra-secret. Dès le 6 janvier 1936, un accord fut signé à Berlin entre les deux armes, stipulant que l’armée de l’air débloquerait la moitié des 750'000 Reichsmarks nécessaires à l’achat des terrains. Restait à trouver un site suffisamment isolé pour répondre aux exigences du projet. Ce fut Wernher von Braun qui le découvrit, presque par hasard. En décembre 1935, il prospecta le littoral sud de la Baltique pour dénicher un endroit approprié, avant de rejoindre sa famille à Anklam pour fêter la Noël. Son premier choix s’était porté sur l’île de Rügen, jugée idéale, mais il s’avéra que le site avait déjà été réquisitionné par le Front allemand du Travail pour y installer un centre de repos réservé à l’institution Kraft durch Freude (la force par la joie). C’est presque incidemment que von Braun apprit l’existence du site de Peenemünde sur l’île d’Usedom. Lors d’un repas familial, sa mère lui indiqua en effet cette lande déserte où son grand-père avait coutume de chasser. Isolé à l’extrémité d’une étroite langue de terre se détachant de l’île d’Usedom, près de l’embouchure de l’Oder, l’endroit était désert, entouré par de grandes forêts de pins et à l’écart des zones habitées. Sa situation insulaire, à l’extrémité d’une péninsule s’avançant dans la Baltique et séparée du continent par un bras de mer, facilitait la sécurisation du périmètre tout en permettant d’effectuer des lancements à grande distance au-dessus de la mer Baltique. Le long du littoral de la Poméranie, le futur centre possédait en effet un polygone de tir qui s’étirait sur 400 km de profondeur, ce qui permettrait l’installation de stations de repérages chargées de suivre la course des fusées expérimentales jusqu’à leur point de chute dans les flots. Enfin l’existence de Greifswalder Oie, une petite île isolée à quelques kilomètres au large, permettait de procéder à des essais de tir en toute discrétion et avec un maximum de sécurité. C’est de cette île que fut d’ailleurs tirée la première série de fusées expérimentales A3, avant la construction des pas de tir à Peenemünde même. La construction du site secret de Peenemünde débuta en mars 1936 et progressa très vite. En quelques mois, ce lieu désert fut envahi par une myriade d’engins de terrassements et d’ouvrier chargés de bouleverser la lande et de défricher partiellement la vaste pinède. Une partie de la forêt de pins du littoral fut défrichée et un gigantesque complexe s’étendant sur plus de 4 km de longueur sortit littéralement de terre. Le colonel Dornberger fit tracer des routes et une ligne de chemin de fer, et dispersa les constructions sur une vaste étendue, en prenant soin de répartir les bâtiments dans les forêts pour mieux les dissimuler. Les installations, qui s’étiraient sur 5 km le long du rivage nord de l’île d’Usedom, étaient gérées en commun par la Luftwaffe et l’armée de terre (Heer) qui se partageaient le site. Le centre d’essai de la Luftwaffe, plus petit, occupait l’extrémité ouest de la péninsule et était désigné sous le nom de « Peenemünde-West ». C’est là que furent notamment mis au point la bombe volante Fieseler Fi-103, plus connue sous le nom de V1, et l’intercepteur à moteur-fusée Messerschmitt 163 « Komet ». Les installations de la Heer, beaucoup plus étendues, s’échelonnaient tout au long du littoral nord-est de l’île ainsi que vers l’intérieur. Elles constituaient officiellement le Heeresversuchstelle Peenemünde (HVP) mais étaient plus communément désignées sous le terme de « Peenemünde-Ost ». C’est là que s’effectua la majeure partie du développement de la grande fusée A4, plus connue sous le nom de V2. Les installations techniques comprenaient des bureaux d’études, des halles de montage, des ateliers de construction mécanique, des laboratoires, des bancs d’essai statiques et une dizaine de polygones de tir répartis sur le littoral, ainsi qu’à l’intérieur de la lande. Les scientifiques et les techniciens étaient logés sur place avec leur famille, dans la petite cité dortoir de Karlshagen, située à l’est du complexe et qui avait été créée à cet effet par Albert Speer. Inauguré officiellement en mai 1937, après le transfert de von Braun et de son équipe depuis Kummersdorf, le HVP Peenemünde ne comptait à ses débuts que 123 ingénieurs et ouvriers non qualifiés. Mais il prit rapidement de l’ampleur, au fur et à mesure du transfert des activités de recherche et des progrès du programme de la fusée balistique A4. Au maximum de son activité, en 1943, il occupait jusqu’à 12'000 techniciens, dont 600 ingénieurs et scientifiques de haut niveau, sans compter plusieurs milliers de travailleurs non qualifiés, en partie allemands, mais aussi des prisonniers parqués dans un camp de baraquement. A l’époque, les installations high-tech de Peenemünde constituaient le plus grand centre de recherches et d’essais de la planète. C’était également le seul au monde à disposer d’une grande soufflerie supersonique (transformée plus tard en hall de montage des fusées A4). Les essais du grand propulseur destiné à la future fusée A4 y débutèrent au printemps 1939 sur le banc d’essai n°1 et un premier moteur-fusée de 25 tonnes de poussée y fut testé dès 1940. Hitler visita le site en 1939 et y assista au lancement d’une fusée expérimentale A3. Malheureusement, la priorité accordée initialement au programme de la A4 fut supprimé après les rapides succès militaires remportés à l’ouest en 1940, ce qui ralentit considérablement le développement de la fusée, jugée désormais non prioritaire. Dornberger dut alors se battre contre les réticences de l’administration militaire et l’incrédulité des dignitaires nazis qui ne croyaient pas à l’importance et à la viabilité du projet. Un temps précieux fut ainsi perdu, qui ne fut jamais rattrapé. A force d’insister, ce n’est que le 7 juillet 1943, sur l’instigation d’Albert Speer qui était pleinement convaincu de l’importance du projet, que Walter Dornberger et Wernher von Braun réussirent enfin à rencontrer personnellement Hitler pour lui présenter les potentialités militaires de la A4. Cela se passa au Führerhauptquartier « Wolfschanze » de Rastenburg, dans les forêts de Prusse orientale. A l’issue de la projection du film pris lors du premier tir lancement réussi d’une A4 (3 octobre 1942) et de la présentation de la maquette d’un bunker de tir pour fusées, Hitler fut si enthousiasmé qu’il ordonna sur le champ de rétablir le plus haut degré de priorité pour le programme de l’A4. Mais les Allemands avaient perdu près de 3 ans et Dornberger dut bientôt faire face à d’autres difficultés, à savoir la volonté tenace de Himmler, qui avait pris conscience de l’importance des travaux, de prendre le contrôle du projet A4… Le secret qui entourait le site de Peenemünde fut si bien gardé que les Alliés ne soupçonnèrent pas sa véritable nature durant les quatre premières années de la guerre. Ils ne découvrirent l’importance du site qu’en 1943, après avoir repérés sur des photos aériennes de Peenemünde une étrange anomalie (en fait un V1 sur sa rampe de lancement) puis, à côté de ce qui semblait être une tour de lancement, un mystérieux objet allongé ressemblant à une fusée. Il s’agissait effectivement d’un V2 sur sa remorque, prêt à être déchargé sur l’un des pas de tir ! Ce n’est qu’alors que les Anglais commencèrent à faire le lien entre ce complexe et les mystérieux chantiers de grande ampleur qu’ils venaient de repérer le long des côtes du Nord de la France et qui correspondaient en fait aux futurs bunkers de tir des V1 et V2. Mis au courant, le gouvernement britannique se montra très alarmé et ordonna de procéder sans tarder à la destruction massive du site de Peenemünde, pour stopper ce qu’il pensait désormais être le centre de développement des armes secrètes allemandes... C’est ainsi que Peenemünde subit un premier bombardement massif dans la nuit du 17 au 18 août 1943, suivi par d’autres de moindre ampleur en 1944 et 1945. Cette opération de grande ampleur, codée « Hydre », visait la destruction intégrale des installations ou du moins l’arrêt des mystérieuses activités qui se déroulaient à Peenemünde. Mais elle n’eut pas l’effet escompté. Du fait d’une légère erreur des avions chargés de marquer la zone de bombardement, la plupart des bombes furent larguées trop loin et tombèrent à l’écart ou à la périphérie du centre, détruisant en revanche la cité des savants à Karshagen et faisant de nombreuses victimes parmi les prisonniers du camp où étaient parqués la main d’œuvre concentrationnaire utilisée à Peenemünde. En revanche, la plupart des installations vitales du centre, ainsi que les infrastructures techniques et expérimentales, furent épargnées ou ne subirent que des dégâts mineurs qui furent réparés en moins d’un mois. Pour leurrer les Anglais et faire accroire que le site était définitivement abandonné, les Allemands prirent soin de donner l’illusion que l’activité n’avait pas repris et veillèrent à ne pas réparer les dégats visibles du ciel. Les Anglais tombèrent dans le piège et l’équipe de von Braun put ainsi poursuivre son activité en toute quiétude durant plusieurs mois, avant que les Anglais ne réalisent leur erreur et ne réitèrent d’autres raids… Ce raid du 17 août n’eut pas de conséquence sur le programme de développement des fusées A4 qui ne subit aucun retard. En revanche, il fournit à Himmler l’occasion qu’il attendait pour étendre progressivement son contrôle sur le programme A4 et évincer Dornberger et l’armée de terre au profit de la SS. Au cours d’un entretien avec Hitler, il réussit à convaincre le Führer de délocaliser les essais des fusées en Pologne orientale, sur le polygone SS de Blizna, hors de portée de l’aviation alliée, et de transférer les chaînes de montage et d’assemblage des A4 à Mittelwerke, un immense complexe souterrain dissimulé au cœur du massif du Harz et contrôlé par la SS. Seules les activités de recherches pures et le développement technique de la A4 furent discrètement maintenus à Peenemünde, sans éveiller l’attention des Britanniques. L’activité du site connut donc un premier déclin à partir de 1943, mais l’équipe de von Braun y poursuivit ses travaux en vue d’améliorer l’A4 jusque dans les derniers mois de la guerre et alors même que le V2 était déjà en production à Mittelwerke et utilisé en opération sur le front. Parallèlement, les techniciens travaillaient sur d’autres projets, tels la A4b (un projet de V2 doté d’une voilure), la A6 (une fusée pilotée destinée à l’espionnage à haute altitude) et la A9/A10, une fusée transcontinentale à deux étages, prévue pour frapper les grands centres urbains de la côte est des Etats-Unis, dans le cadre du projet « Projektil Amerika ». L’équipe de recherche de von Braun ne quitta le centre qu’au printemps 1945, quelques jours à peine avant l’irruption de l’armée rouge soviétiques sur le site. Avant d’abandonner le site, les Allemands prirent soin de détruire toutes les installations sensibles et vitales, et de brûler des tonnes d’archives.

Parallèlement, Dornberger et von Braun organisèrent la fuite des cerveaux scientifiques vers la Bavière et l’Autriche, où il était question d’organiser un ultime réduit alpin. La plupart des documents techniques relatifs à la fusée A4 furent discrètement évacués par camions vers le massif du Harz, où ils furent dissimulés de nuit au fond d’une ancienne mine désaffectée dont l’entrée fut ensuite détruite à l’explosif... Parvenus près du Voralberg autrichien, la petite équipe de von Braun et Dornberger se cacha quelque temps dans les montagnes bavaroises et projeta de passer discrètement en Suisse. Lorsqu’elle réalisa que le chemin était coupé, elle décida finalement de se rendre à l’US. Army. La suite est une autre histoire… von Braun fit une brillante carrière à Cap Kennedy où il dirigea successivement les programmes spatiaux Mercury, Gemini et Apollo, permettant ainsi à l’homme de faire ses premiers pas sur la lune en juillet 1969.


Les bancs d’essai de Peenemünde

En 1945, le site de Peenemünde possédait 10 bancs d’essais à ciel ouvert, numérotés I à X. Ils furent construits progressivement, au fur et à mesure de l’accroissement des besoins des scientifiques et des techniciens du centre de recherches. La première série (n° I à V) fut installée le long de la côte car elle ne présentait pas de grands risques pour les installations du centre. Le banc d’essais n°I fut le premier à être construit pour permettre le développement de la fusée A4. Il fut suivi par le n°II, réservé aux essais de la chambre de combustion de la A4 avec les carburants spéciaux (acide nitrique et Visol). Le petit banc d’essais n°III était équipé pour procéder aux tests de combustion horizontale des chambres de combustion développant jusqu’à 1000 kg de poussée. L’expérimentation des réacteurs montés sur des avions se déroulait sur le banc n°IV. Le site n°V était équipé d’une chambre frigorifique pour stocker l’oxygène liquide à – 186° C et permettait d’effectuer des essais à très basse température. On y procédait aux essais des grandes pompes d’alimentation du bloc moteur et du système de vaporisation du peroxyde d’hydrogène entraînant les pompes d’injection. Les polygones de tir n°VI à X, destinés aux essais de lancement des fusées expérimentales, constitue une seconde série qui fut construite dans un deuxième étape. Par sécurité, ces pas de tir furent installés à l’écart des installations et reculés à l’intérieur de l’île, pour éviter tout accident en cas d’explosion ou de retombée des fusées remplies d’alcool et d’oxygène liquide, ce qui arriva plus d’une fois à Peenemünde. Le polygone n°VI fut créé pour développer et tester la fusée expérimentale A5, puis il fut provisoirement utilisé pour procéder aux premiers tirs d’essai des grands missiles sol-air Wasserfall, en attendant l’achèvement du banc n°IX. Jusqu’en août 1943, les tirs d’essais de la fusée A4 (futur V2) furent tous réalisés au-dessus de la Baltique, à partir du pas de tir n° VII. Le bombardement massif du site de Peenemünde (17 août 1944) amena le Quartier Général à ordonner leur délocalisation sur le polygone d’essais de Blizna (Pologne), où ils se poursuivirent dès novembre 1943. Le banc d’essai n°VIII servait à tester la poussée des chambres de combustion des fusées A4 livrées par l’atelier de montage de Peenemünde ou les sous-traitants. Les bancs IX et X furent les derniers construits. Le n°IX, installé au sud du complexe de recherches, fut utilisé pour les tirs expérimentaux du missile sol-air Wasserfall, directement dérivé de la A4. Quant au n° X, il fut aménagé tardivement pour étudier la résistance des sols au moment du lancement d’une fusée A4, afin d’établir une procédure de tir standardisée pour les unités mobiles chargées de déployer les V2 sur le front.

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