Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

dimanche 4 mai 2003

Les avions à réaction du IIIème Reich

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Le principe du moteur à réaction était connu de la plupart des grandes puissances bien avant le début de la seconde guerre mondiale. Mais seuls les ingénieurs et les techniciens allemands y croyaient véritablement et travaillaient d'arrache pied à son développement et à son utilisation pratique sur des appareils viables. Le résultat fut que l'Allemagne prit, en quelques années, une avance considérable dans ce domaine et que le régime nazi fut le premier à aligner des appareils à réaction sur le théâtre d'opération...

Le plus connu est évidemment le Messerschmitt Me-262 qui aurait pu changer le cours de la guerre et de l'histoire si Hitler n'avait pas retardé de deux ans son développement sous prétexte d'en faire un bombardier tactique. Mais il ne fut de loin pas le seul ! Les projets foisonnaient parmi les firmes allemandes et il faut bien avouer que les concepts élaborés par les ingénieurs en aéronautiques allemands étaient plus révolutionnaires les uns que les autres, notamment en matière d'aérodynamisme. Parmi ces projets figuraient des chasseurs et des bombardiers en forme d'ailes volantes, sans empennage ni dérive (dont les formes rappellent étrangement celles du B-2 actuel !), des bombardiers tactiques et des bombardiers en piqués à réaction, des chasseurs à voilure delta ou présentant des ailes en flèche à forte incidence, des intercepteurs aux formes étonnement futuristes et même un engin à réaction à décollage vertical et un chasseur utilisant le principe de la poussée vectorielle. Il existait également des projets de développement de bombardiers stratégiques à long rayon d'action, capables de frapper la côte est des Etats-Unis et, qui sait, d'emporter une éventuelle bombe atomique

Certaines des formules adoptées étaient si en avance sur leur temps qu'elle provoquèrent la stupeur des spécialistes alliés lorsqu'ils en eurent connaissance postérieurement. Après l'occupation de l'Allemagne, en 1945, les missions scientifiques dépêchées sur place par les Alliés purent constater que ces avions ne constituaient qu'une première génération d'appareils révolutionnaires et que des projets encore plus ambitieux étaient en cours de développement ou d'étude lorsque Hitler se suicida, le 29 avril 1945. Par les recherches menées dans les bureaux d'études, ils s'aperçurent, avec une frayeur rétrospective, que les Allemands possédaient une avance extraordinaire dans le domaine de la recherche aéronautique fondamentale et que certaines créations en étaient déjà au niveau du prototype ou des essais en avril 1945.
Visiblement, au moment de sa chute, le Reich était à deux doigts de se doter d'une véritable flotte d'avions à réaction, sans parler de l'armada de fusées et de missiles qui, leur développement achevé, étaient sur le point d'atteindre le niveau opérationnel. Si tous ces engins avaient pu être produits en grand nombre et engagés massivement sur une grande échelle, les armées alliées se seraient retrouvés dans une situation fort embarrassante... Ces créations aux performances étonnantes et aux concepts révolutionnaires auraient en effet permis à l'Allemagne non seulement de reconquérir la maîtrise du ciel, mais également d'interdire le survol de l'espace aérien allemand et de frapper les Alliés jusque sur leurs propres territoires, y compris au-delà de l'Atlantique et de l'Oural ! On n'ose alors imaginer quel sort aurait été réservé à l'Europe et au monde…

Hitler fondait d'ailleurs de grands espoirs sur ces divers projets qui, dans son esprit, ne constituaient sans doute qu'une partie des armes miracles destinées à renverser le sort des armes au profit du Reich. Dans ces conditions et à la lumière de ce nouvel éclairage, la stratégie attentiste de temporisation et de résistance pas à pas élaborée par Hitler après les défaites de Stalingrad et de Koursk prend une nouvelle perspective et l'on comprend mieux sa conviction inébranlable, tant de fois répétée à son entourage, de "gagner la seconde guerre de Sept ans". Par chance, il ne bénéficia pas de ces sept années et le IIIe Reich s'effondra avant qu'il n'eut les moyens de faire basculer le sort des armes...


Les Junkers Ju 287

Début 1943, la Luftwaffe envisagea enfin de se doter d’un bombardier lourd à long rayon d’action, capable d’effectuer des raids rapides à des distances considérables. Ce type d’appareil, qui lui faisait gravement défaut depuis le début de la guerre, avait été négligé au profit d’avions d’attaque ou d’assaut.

Pour remédier à cet état de fait, une équipe de recherche de la firme Junkers, dirigée par l’ingénieur chef Hans Wocke, fut contactée pour concevoir un bombardier à réaction capable de semer les meilleurs chasseurs alliés de l'époque. Ceux-ci réalisèrent le Ju 287, un étrange quadriréacteur doté d’une aile en flèche inversée.

Le 16 août 1944, le Ju 287 fut le premier appareil à réaction à voilure négative à voler au monde. Le fait qu’il fallut attendre près d’un demi-siècle pour voir voler des appareils russes et américains à voilure négative prouve l’avance fantastique que les Allemands avaient dans ce domaine. Ce premier vol fut suivi par d’autres à Leipzig-Brandis et le programme aurait dû aboutir à la production en série d’un bombardier à aile négative doté de 6 réacteurs. Mais la guerre mit un terme au projet allemand...

Toutefois, l’histoire du Ju 287 ne s’arrête pas là. Lorsqu’ils découvrirent les plans et les prototypes dans l’usine Junkers, les Soviétiques décidèrent en effet de poursuivre le projet avec l’aide forcée de techniciens allemands capturés. C’est ainsi que le Ju 287 donna naissance à toute une gamme de bombardiers soviétiques à aile négative dans les années 1950.

C’est cette histoire fantastique et peu connue que nous vous proposons de découvrir au travers des deux rubriques, l’une consacrée au Ju 287, l’autre à ses dérivés soviétiques...


Le quadriréacteur Junkers JU 287 V1

En 1943, pour doter le Reich d’un bombardier à réaction performant, les ingénieurs de Junkers commencèrent par étudier une voilure à flèche positive. La voilure à flèche positive offre un excellent rendement pour les performances extrêmes mais pose malheureusement de gros problème à basses vitesses. En effet, lorsqu'un avion doté d’une flèche positive vole à faible vitesse, l’extrémité des ailes à tendance à décrocher en premier, causant une perte de contrôle latéral au moment où on en a le plus besoin. Ce défaut rend l’approche et l’atterrissage très difficile en dessous d’un certaine vitesse critique, car l’appareil, très instable, répond mal aux commandes et risque à tout moment de décrocher. Ceci explique l'actuelle floraison, sur les voilures de ce type, de toute une gamme d'astuces aérodynamiques. Sans ces artifices, l'efficacité des ailerons se détériore lorsque l’avion évolue à faible vitesse car les filets d'air ont tendance à s'écouler transversalement le long de l'aile, la combinaison de l'écoulement latéral et du décrochage marginal ayant pour effet de dénier à cette section de l'aile toute valeur comme surface portante et de gouverne. Pour résoudre ce problème, l'équipe de Junkers groupée autour de l’ingénieur Hans Wocke proposa de doter le Ju 287 d’une aile à flèche négative, en inversant simplement l’orientation des ailes vers l’arrière. Cette étrange configuration (aussi appelée à flèche inversée) rend l’avion moins instable à basse vitesse et donc plus facile à diriger. Le bout d'aile est alors la dernière section à décrocher et le contrôle latéral de l’avion demeure ainsi efficace jusqu'au bout, même à très basse vitesse.

Premiers essais

La solution de l’aile en flèche négative paraissait la solution, mais les ingénieurs buttèrent rapidement sur un nouveau problème : le mauvais côté de la voilure à flèche négative est en effet son comportement très « élastique ». Quand un appareil vole dans les airs, ses ailes sont sujettes à des torsions exercées par les variations des forces aérodynamiques causées par les changements brusques du vent relatif ou les manoeuvres de l'appareil. Si l'aile est à flèche négative, le bord d'attaque à tendance à se soulever davantage que le bord de fuite, et le vent relatif accentue encore cette tendance en faisant pression sous l'intrados, ce qui augmente la torsion. Quand ce phénomène d’aéroélasticité se produit, l'aile subit un effort de torsion croissant, jusqu'à être littéralement arrachée du fuselage… Les ingénieurs de Junkers cherchèrent un moyen de neutraliser cet effet de torsion. Les essais en soufflerie montrèrent que la solution la plus efficace était de suspendre sous les ailes des masses suffisamment lourdes pour contrebalancer l’élasticité de l’aile, empêchant ainsi la torsion. Sur le Ju 287, ces masses sont tout simplement constituées par les nacelles des turboréacteurs, suspendues en des points judicieusement choisis de la voilure. Plusieurs modèles furent testés en soufflerie pour déterminer la forme à donner à la voilure et la meilleure position à adopter pour les nacelles des moteurs. Parmi les différentes configurations testées, les meilleurs résultats furent obtenus avec l’Entwicklungsflugzeug 122 (ou EF-122), une maquette à voilure haute en flèche inversée, équipée de deux nacelles moteurs suspendues sous les ailes (une autre version de l’EF-122 avait été préalablement testé avec deux nacelles fixées sur les ailes, mais les résultats furent insatisfaisants).

Naissance du Ju 287

Une fois les résultats en soufflerie connus, le Reichsluftfahrtministerium (RLM) donna l'ordre de construire une version expérimentale du futur bombardier sur la base de l’étude du EF-122, pour tester les caractéristiques de la voilure à flèche négative et valider ainsi le concept. Cet appareil reçut la désignation Ju 287. Les travaux de construction commencèrent à Dessau au début de 1943, sous la direction du Pr Hertel. Le projet prévoyait la construction de 6 prototypes (baptisés V pour « Versuch ») :

Ju 287 V1 premier prototype
Ju 287 V2 second prototype, identique au V1
Ju 287 V3 Fuselage de Ju-288, avec deux nacelles de trois moteurs BMW 003 A1 sous les ailes
Ju 287 V4 identique au V3
Ju 287 V5 identique au V3, avec une tourelle de mitrailleuse à l’arrière du fuselage
Ju 287 V6 identique au V5

Le premier prototype construit, désigné Ju 287 V1, devait servir de banc d'essai volant pour mesurer le comportement de la voilure qu'autorisaient les limites de sa plage de performances. Pour gagner du temps, il fut décidé d'utiliser des parties d'appareils déjà existant pour réaliser ce premier exemplaire. Le Ju 287 V1 était donc composé d'un assemblage hétéroclite : le fuselage provenait d’un bombardier Heinkel He 177A-3, l’empennage d'un Junkers Ju 188G-2 et le train d'atterrissage principal d'un Ju 352N ; quant à la paire de roue de nez, elle avait été récupérée sur un B-24 Liberator capturé. Seule l'aile était entièrement nouvelle et signée Junkers. Elle avait une flèche négative de -19,9° au niveau du longeron et de -23,5° au niveau du bord de fuite, avec une envergure de 20,10 m pour une surface alaire de 58,30 m2. Les volets pouvaient s'abaisser jusqu'à 40 degrés.

L'appareil était motorisé par quatre turboréacteurs Jumo 109-004B « ORKAN » de 900 kg chacun (deux montés du chaque coté du fuselage avant et deux autres fixés sous les ailes dans des nacelles). En fait, au départ le Ju 287 V2 ne comportait que deux turboréacteurs Jumo 004B-1 suspendus dans des nacelles sous les ailes, mais le bombardier expérimental s’avéra trop lourd et nécessitait davantage de puissance pour décoller. Aussi, une seconde paire de réacteurs fut donc montée sur les flancs du fuselage avant. La puissance installée étant toujours trop faible pour arracher le quadrimoteur du sol, deux moteurs-fusées d'appoint Walter HWK 501 de 500 kgp furent ajoutés en pod sous chacun des turboréacteurs de la voilure. Ces moteurs-fusées n’étaient utilisés qu’au décollage et étaient largués dès que l’appareil avait quitté le sol.

Premiers essais en vol

Quand le prototype Ju-287 V1 fut achevé, il fut transporté sur la base de Leipzig-Brandis, car les pistes de Dessau étaient trop courtes pour le décollage d’un quadriréacteur aussi lourd.
Le premier vol du Ju 287 V1 eut lieu le 16 août 1944, soit un peu plus d’un an après celui de l'Arado Ar-234 (premier bombardier à réaction à voler au monde). Le pilote était Siegfried Holzbaur. Ce premier essai en vol s’effectua sans problème et le Ju 287 V1 ne montra aucune défaillance, validant ainsi le concept de la flèche négative. Non seulement l’appareil se comportait très bien en vol normal mais il était aussi très stable aux basses vitesses, particulièrement à l’atterrissage. Il n'y avait pas à compenser les volets et l’avion demeurait maniable tout en restant stable sur sa trajectoire. Au cours des essais suivants, le Ju 287 V1 atteignit la vitesse de 650 km/h en piqué. Il confirma également que le problème du phénomène de torsion sur l'aile à flèche négative était moins présent avec la réduction des forces ascensionnelles en virages serrés et en sorties de vrille. Après 17 vols à Brandis, le prototype fut convoyé à Rechlin pour y poursuivre les essais.

Cependant, malgré une vitesse calculée de Mach 0,85, le Ju-287 V1 plafonnait à Mach 0,70. Avec les données recueillies à Rechlin, il fut calculé qu’avec des réacteurs un peu plus puissants, le Ju-287, dans sa forme définitive, atteindrait sans problème Mach 0,92. Des parachutes furent également installés sur le quadriréacteur pour réduire la vitesse à l'atterrissage car l’appareil avait tendance à « essuyer » toute la piste... Les essais prouvèrent que l'idée de placer les moteurs sous les ailes pour neutraliser l’élasticité de la voilure inversée offrait un bon équilibre de poids.

Un avenir prometteur mais interrompu par l'Histoire

Tandis que se déroulaient les premiers essais à basse vitesse du V1, un second prototype (Ju 287 V2) fut mis en chantier. On le destinait aux essais à haute vitesse de la voilure négative qui constituaient la seconde étape du développement. C’est alors que le RLM décida brutalement l’arrêt du programme du Ju-287, conformément à un ordre du Führer ordonnant de stopper immédiatement la production et le développement de tous les bombardiers existants ou en projet. Cet ordre était motivé par la volonté de concentrer tous les efforts de l’industrie sur la production des chasseurs, pour tenter in extremis de retourner la situation. La voilure du Ju 287 V2 était similaire à celle du V1 mais le fuselage était en revanche complètement différent et offrait une certaine ressemblance avec celui du Ju 388. Le prototype V2 était équipé d'un train rétractable. Initialement, l'appareil devait être motorisé par quatre turboréacteurs Heinkel-Hirth 011A de 1300 kg de poussée chacun, montés par deux sous chaque aile. Comme ces moteurs n'étaient pas encore disponibles, Junkers décida de les remplacer par six BMW 003A-1 de 800 kg de poussée chacun.

Deux configurations d'emport de ces 6 moteurs furent testées: l'une consistait à grouper les moteurs par trois et à les intégrer dans deux nacelles triangulaires suspendues sous chaque aile ; l’autre ne comprenait que deux moteurs groupés sous chaque aile, les deux derniers étant placés de chaque côté du fuselage avant, comme sur le Ju 287 V1. La première configuration fut testée sur le V2 alors que la seconde fut essayée sur le V3 et le Ju 287A-0 de présérie.
Le troisième et le quatrième prototypes prévus (Ju 287 V3 et V4) étaient supposés servir de modèle définitif pour la configuration du bombardier de série. Quant aux V5 et V6, ils étaient similaires au V3 mais devaient recevoir une tourelles arrière avec deux mitrailleuses MG 131 télécommandées par un viseur périscopiquedepuis le cockpit.

Les Alliés occidentaux ne découvrirent l’existence du Ju 287 qu’en janvier 1945, lorsque le Ju 287 V1 fut photographié par un Mosquito de reconnaissance de la RAF sur la base de Rechlin. Cette découverte provoqua immédiatement le bombardement de Rechlin et la destruction du premier prototype. Celui-ci fut par la suite réparé par les Soviétiques qui obligèrent l’équipe de Junkers à achever la construction du deuxième et du troisième appareil expérimental, de façon à poursuivre le programme de développement du bombardier à flèche inversée, d’abord à l’usine allemande de Dessau, puis en Union soviétique. Mais ceci est une autre histoire.

Caractéristiques et performances

Identification Ju 287 V1 Ju 287 V3
Equipage 4 4
Longueur 18,06 m 19,70 m
Envergure 20,11 m 19,40 m
Hauteur 4,70 m 6.00 m
Surface alaire ? 59,10 m²
Poids à vide 11 990 kg 12 510 kg
Poids au décollage 18 000 kg env. 20 000 kg env.
Turboréacteurs 4 x Jumo 109-004B ORKAN 6 x BMW 003 A1
Poussée 4 x 900 kgp 6 x 800 kgp
Vitesse à 7000 m 560 km/h 865 km/h
Plafond 10 800 m 11 000 m
Rayon d'action ? 1583 km (V3)
Armement - 2 x MG131 de 13mm en tourelle arrière


La version de production Ju 287 A1 ou EF 131

En avril 1945, les Russes mirent la main sur de nombreuses usines allemandes ou les ingénieurs avaient développé les premiers avions à réaction. Le plus grand de ces groupes industriels était Junkers situé dans la région de Dessau et à Brandis près de Leipzig, dans la zone d’occupation soviétique. Lorsqu’ils s’emparèrent de l’usine-mère de Dessau, les Soviétiques, se montrèrent très intéressés par le concept allemand du bombardier à aile négative Ju 287 car ils étaient très en retard en matière d’avion en réaction. L’idée de pouvoir se doter rapidement d’un tel bombardier révolutionnaire fit rapidement son chemin, si bien que l’Armée rouge décida de remettre rapidement en état l’usine de Dessau pour poursuivre sur place le développement du programme Ju 287.

Pour ce faire, les Soviétiques mirent à contribution les ingénieurs et techniciens allemands capturés à l’usine mère, dont l’équipe de Hans Wocke chargée initialement du projet. Le Ju-287 V1 endommagé en janvier par la RAF fut rapatrié de Rechlin et réparé, tandis que le personnel de Junkers reçut l’ordre de poursuivre la construction des prototypes amorcée par les Allemands. Le Ju 287 V2 fut achevé en juin et le V3 pendant l'été 1945. Ce dernier fut utilisé pour les essais en vol et le V4 pour les essais statiques.

Le Ju 287 V3 était en fait le modèle expérimental de présérie du bombardier prévue par les Allemands. Pour corriger la sous-motorisation manifeste des prototypes V1 et V2 (il avait fallu leur ajouter des moteurs-fusées d’appoint sous les ailes pour les arracher du sol), les techniciens allemands décidèrent d’ajouter deux réacteurs supplémentaires aux 4 déjà existants. Si bien que le V3 emportait non plus un mais deux réacteurs sous chaque aile, en plus des 2 réacteurs fixés le long des flancs avant. Le cockpit, plus proéminent, avait également été modifié et une tourelle de queue, armée de deux mitrailleuses MG 131 télécommandées par un viseur périscopique depuis le cockpit, avait été ajoutée à l’arrière, pour assurer la protection du futur bombardier.

Un an plus tard, en août 1946, les techniciens allemands travaillant sous contrôle soviétique avaient achevé à Dessau la fabrication de l'EF-131 (Entwicklungsflugzeug 131), la version de développement finale du Ju 287. Ce bombardier, construit avec de nombreux éléments du Ju-287 V2, ressemblait beaucoup au modèle expérimental Ju 287 V3 dont il était directement dérivé. Comme lui, il possédait 6 réacteurs, mais leur disposition avait été une nouvelle fois modifiée par les techniciens de Junkers. En raison de la poussée limitée (900 kgp) des moteurs Jumo 004B, les deux nacelles encadrant les flancs avant du Ju-287 avaient été supprimées et les 6 moteurs furent finalement regroupés sous les ailes négatives, en deux grappes de trois nacelles.

Dès la fin 1947, le moteur Jumo 004B avait été copié par les Russes et était produit en petit nombre en URSS, à Kazan, sous la désignation RD-10. Comme la version russe était légèrement supérieure aux Jumo 004B allemands, les EF-131 furent équipés de RD-10 en lieu et place des Jumo prévus initialement pour le futur Ju 287 A1.

L’aile dérivait directement de celle du Ju-287, mais avec un dièdre positif considérable et un bord d’attaque principal à +19° 50'. L’EF 131 était équipé d’un train d'atterrissage tricycle et de réservoirs principaux dans la partie supérieure du fuselage. L’appareil avait une tourelle de queue télécommandée depuis le cockpit et armée de deux MG-131, comme cela avait été prévu initialement dans le projet. Il possédait un parachute de freinage dans un compartiment sous la dérive.

En août 1946, L’EF-131 (Ju 287 A1) était prêt pour son premier vol mais il fut démonté à l’usine Junkers de Dessau et expédié à Moscou avec l’équipe allemande pour former l’OKB-1. L'assemblage final eu lieu sur le terrain d'aviation d'essai de Stakhanovo (aujourd'hui Zhukovskii) ou il fut brièvement testé en vol le 23 mai 1947 par le Flugkapitan allemand Paul Julqe, prisonnier des Soviétiques.

Pour la petite histoire, l’appareil n’était jamais rempli de suffisamment de carburant pour atteindre l’Ouest. Les autorités russes exigèrent que deux prototypes EF-131 à moteurs RD-10 participent au salon aéronautique de Tushino mais ce fut impossible à réaliser. Par la suite, le premier prototype de l’EF-131 vola à nouveau, mais le 21 juin 1948 l’ordre fut donné de stopper le travail sur l’EF-131 au profit de l’EF-140, un dérivé soviétique bien plus prometteur. Un deuxième prototype était déjà en construction à Dessau : il sera cannibalisé par les Soviétiques pour la construction de l'EF-140…

Le Ju 287 A1, vecteur de la bombe atomique allemande ?

Bien que le programme initial du Ju 287 ait été stoppé en 1944, le RLM relança le projet en mars 1945 pour un motif qui demeure à ce jour inconnu et en modifiant certains paramètres. Une demande de production de 100 exemplaires fut même émise. Ces 100 avions, baptisés Ju 287 A1, devaient être exécutée par Allgemeine Transportanlagen GmbH à Leipzig. Ils devaient recevoir 6 turboréacteurs Jumo 012 groupés par trois sous chaque aile et il était prévu de les doter d’une tourelle de queue armée de 2 mitrailleuses MG 131 de 13 mm, télécommandée depuis l’avant. L’appareil emmenait 3 hommes d’équipage groupés dans l’habitacle.
Aujourd’hui encore, les spécialistes continuent à s’interroger sur les raisons de ce brusque revirement de dernière minute, alors que la guerre était à l’évidence perdue. Certains interprètent cette relance tardive du programme Ju 287 comme la preuve que les Nazis n’étaient pas si en retard qu’on l’a prétendu dans le domaine nucléaire et qu’ils étaient sur le point de lancer la production d’une petite bombe à neutron à usage tactique en mars 1945.
Selon les travaux récents de l’historien allemand Rainer Karlsch (« La bombe de Hitler », éditions Calman-lévy), qui se base à la fois sur des témoignages allemands et sur des documents officiels américains et soviétiques déclassifiés depuis la chute du Mur de Berlin, deux prototype d’une mini bombe à neutron auraient effectivement été secrètement testés par les Nazis dans les derniers mois de la guerre : l’une sur un polygone isolé du rivage de la Baltique, l’autre sur de malheureux prisonniers russes qui auraient servi de cobaye sur le site de l’explosion. Ce second essai aurait eu pour cadre le polygone militaire d’Ohrdruf (Saxe), au cœur des forêts de Thüringe, et les Allemands auraient pris un grand soin à dissimuler toute trace de cette sinistre expérience, allant même jusqu’à incinérer les corps des prisonniers sur des bûchers et à enterrer les restes dans des fosses communes. Le projet aurait été piloté et entièrement contrôlé par la S.S., plus précisément par les services spéciaux du général S.S Hans Kammler, responsable en chef du développement et du déploiement des armes V. Il aurait été à deux doigts d’aboutir, seul le temps ayant manqué aux Allemands en avril 1945 pour lancer la production et utiliser ces bombes.

Si ces faits venaient à être confirmés à l’avenir, ils pourraient expliquer l’étrange comportement de Hitler qui prétendit jusqu’au dernier jour que des armes miracles, dont la mise au point était imminente, allaient retourner in extremis la situation en faveur de l’Allemagne, mais aussi l’étonnante remise en route du projet du Ju 287 et l’ordre d’en produire 100 exemplaires, destinés peut-être à servir de vecteurs aux bombes à neutrons allemandes...

Identification Ju 287 V3 Ju EF-132

Equipage 3 5
Propulsion 6 x Jumo 109-004 B «ORKAN» groupés par 3 6 x Jumo 109-012 groupés par 3 intégrés aux ailes
Longueur 24,00 30,80
Envergure 24,00 32,40
Hauteur 8,00 m 8,40 m
Poids à vide 17.820 kg 32.300 kg
Poids en charge 23.190 kg 65.000 kg
Armement 2 x Mg 13 mm MG-131 (en tourelle arrière)
2000 kg bombes 6 x 20 mm Mg 151
5000 kg bombes
Vitesse max 860 km/h 930 km/h
Plafond 13.400 m 10.300 m
Rayon d'action 1.680 km 3.500 km


Le bombardier géant EF 132

Tandis que l’on achevait la mise au point de la version finale du Junkers Ju 287 - baptisée EF 131 - les techniciens allemands travaillant sous contrôle soviétique à l’usine Junkers de Dessau avaient commencé la construction de l'EF-132, une version géante du bombardier EF 131, mesurant à peu près le double du prototype Ju 287 V1 initial.

Le Junkers EF-132 était l'un des derniers développements d'avion entrepris par Junkers pendant la seconde guerre mondiale et une évolution du concept Ju-287 commencé en 1942. Son élaboration avait commencé bien avant l’écroulement du Reich et entrait dans la série de projets que les Nazis voulaient mettre en œuvre dès 1946. Ses ailes avaient une flèche classique à 35 degrés et un dièdre légèrement négatif. L’énorme bombardier était propulsé par 6 turboréacteurs Jumo 012 de 2500 kgp de poussée chacun. Plusieurs maquettes en bois furent construites avec des sections d'aile, afin de trouver la meilleure manière de monter les turboréacteurs. Finalement ceux-ci furent regroupés à la racine des ailes et noyés dans le carénage de la voilure. Les tests en soufflerie montraient les avantages de ce type d’implantation sur la traînée par rapport aux réacteurs en nacelles utilisés jusqu’alors. Cependant, l’aile était plus épaisse et cette solution deviendra obsolète quand les avions deviendront supersoniques.

Grâce à l’implantation haute des ailes sur le fuselage, une soute à bombe de 12 mètres de long put être aménagée dans le fuselage central. Elle permettait d’emporter 4000 à 5000 kg de bombes.

L’empennage arrière était classique et légèrement en flèche. Le train d'atterrissage était en tandem avec deux trains sous le fuselage et une balancine sous chaque aile, à la manière qui deviendra classique dans les années 50 (Mya-4 en Russie, B-47, B-48, B51, B-52 aux USA). L’habitacle, largement vitré, était identique à celui du Ju 288. Il était pressurisé et accueillait un équipage de cinq personnes (pilote, copilote, navigateur, radio, bombardier).

L'armement défensif comprenait deux tourelles avec deux canons jumelés de 20 mm - une à l'arrière de l'habitacle, l'autre sous le fuselage – et une tourelle de queue également armée de deux canons de 20 mm. Les trois tourelles étaient directement télécommandées depuis l'habitacle du cockpit.

Un modèle de soufflerie fut testé au début 1945, et une maquette en bois grandeur nature fut également construite à Dessau pour examiner l’installation de divers composants et pour examiner également différentes entrées d'air dans le bord d’attaque principal des ailes.
Le développement de l’appareil avait beaucoup progressé quand les Soviétiques s’emparèrent de l’usine-mère Junkers de Dessau.

Après s’être approprié les études allemandes de l’EF-132, les Soviétiques décidèrent de transférer son développement en Russie avec toute l’équipe Junkers capturée en Allemagne. Les travaux de construction avaient commencé sur l'EF-132 à Podbersje lorsque le programme fut brutalement stoppé par les Soviétiques.


Mitsubishi J8M1 « SHUSUI »

Durant la seconde guerre mondiale, les militaires japonais apprirent par leur attaché militaire en Allemagne l'existence de l’intercepteur Messerschmitt Me-163B Komet. Fin 1943, le Japon put acquérir contre 20 millions de Reichmarks la licence de fabrication du Komet, celle du moteur-fusée Walter HWK 109-509, ainsi qu'un exemplaire complet de l'avion allemand, démonté et transporté dans le plus grand secret par deux U-Boot jusqu’au Japon. Les Japonais cherchaient en effet désespérément une parade pour contrer les raids dévastateurs des B-29 Superfortress et comptaient sur cet avion-fusée révolutionnaire pour renverser le sort des armes et constituer leur arme miracle.

En fait, si la base du « Shusui » était bien le Komet allemand, elle dut être adaptée aux besoins spécifiques des Japonais. En juillet 1944, la Marine Impériale nippone confia l'étude d'un prototype à l’entreprise Mitsubishi Jukogyo K.K. Pour répondre aux demandes spécifiques de l'Armée, le constructeur nippon dut également étudier une seconde version. Celle de la Marine fut désignée sous le code « Ki-200 », et celle de l'Armée sous celui de « J8M1 ». Les deux machines portaient en revanche le même nom : « Shusui » (Coup de sabre). La version japonaise du moteur-fusée Walter HWK 109-509 fut baptisée Toku Ro.2 (KR10) et ses performances étaient très similaires à celles de son homologue allemand. Par contre, le développement de l'avion lui-même subit un sérieux revers lorsque l’un des deux sous-marins chargés de livrer le Me-163B allemand et toutes les liasses de plans vers le Japon fût coulé en route, avec plusieurs scientifiques et spécialistes à bord... L'équipe de Mijiro Takahashi, l'ingénieur Japonais chargé de coordonner l'étude et le développement du nouvel intercepteur, fut donc contrainte de travailler sans aucun plan, en se basant uniquement sur un manuel destiné aux mécaniciens ! Pourtant, dès septembre 1944, une maquette du « Shusui » » pût être achevée. Les pilotes de J8M1 subirent un entraînement spécial dont la première étape consistait à voler sur une version non motorisée du futur bolide. Ce planeur fut désigné sous le code MXY8 « Akigusa » (herbe d'automne) et sa fabrication fut confiée au Dai-Ichi Kaigun Koku Gijitsusho (Arsenal de la Marine). Il vola pour la première fois le 8 décembre 1944, tracté par un Kyushu K10W1 du 312e Kokutai, et ces essais furent tout à fait concluants.

Deux prototypes supplémentaires MXY8 furent construits à Yokosuka et une version plus lourde du MXY8 fut développée, équipée de réservoirs de ballasts d'eau pour simuler les caractéristiques d'un « Shusui » en configuration opérationnelle. Baptisée Ku-13, sa construction fut confiée pour la Marine à Maeda Koku Kenkyujo (l'Institut d'Aviation Maeda) et pour l'Armée à Yokoi Koko K.K. (Compagnie d'Aviation Yokoi ). Une soixantaine de ces planeurs d’écolage étaient construits lorsque survint la reddition du Japon, en août 1945.

Le tout premier J8M1 construit fut achevé avec un ballast pour remplacer le moteur fusée et son carburant. Les premiers essais en vol de ce J8M1 non motorisé débutèrent le 8 janvier 1945. L'avion, tracté et largué par un Nakajima B6N, effectua un court vol plané suivi d’un atterrissage autonome. Ces premiers vols non motorisés confirmèrent la justesse du dessin de la cellule et validèrent le concept. Le premier moteur-fusée Toku Ro.2 fut livré à Mitsubishi au début juin 1945 et fut monté dans le courant du mois sur un J8M1 pour procéder à un premier test d’évaluation motorisé. L’avion fusée décolla le 7 juillet mais l’essai tourna au drame : le moteur fusée cala net pendant la ressource, peu après le décollage, provoquant le crash de l'avion et la mort du pilote, le lieutenant Cdr Toyohiko Inuzuka. La cause supposée de la panne semble avoir été un problème d'alimentation en peroxyde hydrogène. Aucun autre vol d'essai n'a jamais eu lieu. Le système de carburant des 6e et 7e prototypes était en cours de modification lorsque la guerre s'acheva, ce qui signifia l'abandon du programme « » Shusui » ».

A la reddition japonaise, un total de 7 « » Shusui » » avait été construit par Mitsubishi, plus trois planeurs MXY8 et environ une soixantaine de planeurs lourds Akigusa et Ku-18 « Shusui ». Deux versions navales du « Shusui » avaient été projetées : le J8M1, armé de 2 canons de 30 mm et le J8M2 dont un canon était remplacé par des réservoirs supplémentaires. Une version agrandie du « Ki-200 », avec une capacité d'emport de carburant accrue, le « Ki-202 », devait constituer le projet d'intercepteur prioritaire pour l'Armée.

Un J8M1 a été capturé par les forces américaines après la guerre et transféré aux Etats-Unis pour évaluation, mais il n'a jamais vraiment volé. Il a été acquis par Ed Maloney chez un ferrailleur et est maintenant en exposition statique au musée de Chino, en Californie.


Messerschmitt « WESPE »

Le « Wespe » (guêpe) est un projet de chasseur monoréacteur à voilure en flèche élaboré fin 1944 / début 1945 par Messerschmitt. Il n’existe qu’un seul plan, avec deux études différentes pour le fuselage, l’emplacement de la motorisation et la forme de l’empennage.

Etude 1

Sur la première étude, le cockpit est placé au milieu du fuselage tandis que le réacteur est intégré dans la partie arrière de la cellule, si bien qu’il est alimenté par un long conduit d’air traversant tout le corps de l’appareil. L’avion est doté d’une dérive verticale classique avec deux plans stabilisateurs disposés à mi-hauteur

Etude 2

La seconde étude correspond à la version présentée ci-dessous. Le réacteur est cette fois disposé au milieu de la cellule, au point d’équilibre de l’appareil, si bien que le cockpit est décalé vers le nez. Le moteur est directement alimenté par une prise d’air ventrale située sous le fuselage. Cette version présente un fuselage étroit et très effilé, prolongé par une longue poutre disposée au-dessus de la tuyère et portant un empennage en V de type papillon, à l’image du Heinkel 162D. Les deux versions sont dotées d’un train tricycle totalement rétractable. L’armement et la motorisation ne sont pas spécifiés, mais à ce stade tardif de la guerre, il est probable que l’appareil eut été équipé de 2 canons MK 108 de 30 mm et d’un turboréacteur Heinkel He S-011 s’il avait été construit. La fin de la guerre ne laissa pas aux Allemands cette opportunité.

Fiche technique

Type chasseur à réaction
Poids en charge 3000 kg au décollage
Charge utile 800 kg
Hauteur 2,30 m
Longueur 10 m
Envergure 8,65 m
Surface alaire 15 m2



Arado 234B Blitz - Introduction

L’Arado 234 « Blitz » (éclair) fut le premier avion à réaction opérationnel de l’histoire, avant le Messerschmitt 262.

Le 20 juillet 1944, un biréacteur Arado Ar 234 effectuait en effet sa première mission de reconnaissance dans le ciel de Normandie. Il réussit à collecter en une demi-heure davantage de renseignements que toutes les unités d'observation de la Luftwaffe n'en avaient réunis durant les deux mois précédents. Le projet du « Blitz » commença dans les bureaux de la société Arado au printemps 1941, à une époque où l'on savait que les réacteurs Jumo 109-004 seraient bientôt au point.

Conçu au départ comme un biréacteur de reconnaissance à grande vitesse, il excella dans cette mission en 1944 en échappant aux services de renseignements alliés, n’hésitant pas à survoler l’Angleterre pour ramener de précisions clichés photographiques, sans être jamais repéré ni même détecté. Devant les évidentes qualités de ce biréacteur monoplace, les Allemands s'ingénièrent à en extrapoler de nombreuses versions. Sous la pression du Führer, on chercha en particulier à en faire un bombardier rapide (Schnellbomber), chargé d’effectuer des missions de harcèlement et des frappes éclairs (Blitzbomber). Dans les derniers mois du conflit, une version plus puissante fut équipée de quatre turboréacteurs BMW 003 en lieu et place des deux Jumo. Ainsi, l'Arado 234 ne se contenta pas d'être le premier bombardier à réaction opérationnel: il fut également le premier quadriréacteur de l’histoire. C’est également cet appareil qui effectua la première mission de bombardement nocturne de l’ère des jets, durant l’offensive allemande des Ardennes.


Ar 234 Conception et développement

En 1941, le Reichsluftfahrtministerium (RLM) demanda la conception d'un avion de reconnaissance à réaction ayant une autonomie de 2150 kilomètres. La société Arado fut la seule à répondre à la demande avec son projet E.370, conçu par l’équipe de Walter Blume et de Hans Rebeski. Il s’agissait d’une machine de petite dimension, à aile haute, avec un seul homme couché dans une cabine pressurisée située à l’avant du fuselage. Il était prévu de propulser l’appareil au moyen de deux turboréacteurs Junkers Jumo 109-004 placés sous la voilure, développant chacun 900 kgp. La vitesse maximale espérée était de 780 km/h et le rayon d'action de 2000 km, avec un plafond pratique de 11000 mètres. L’engin ne comportait aucun train d’atterrissage et devait donc décoller grâce à un chariot largable. Il atterrissait sur des patins.

Bien que non satisfaits du rayon d'action de l’Ar 234, les responsables de la Luftwaffe apprécièrent quand même le concept et demandèrent à Arado de fournir deux prototypes. Baptisées Arado Ar 234A, les cellules furent prêtes bien avant la fin de l'année 1941 mais, comme pour le Me 262, les réacteurs firent défaut, leur mise au point se révélant plus longue que prévu. Ce ne fut qu'en février 1943, que Junkers livra les premiers Jumo 109-004. Ces premiers exemplaires étaient si peu fiables que seule fut autorisée l'utilisation au sol, pour des tests de fonctionnement statiques. Il fallut attendre le printemps 1943 pour que des moteurs aptes au vol soient fournis. Le premier Ar 234A-0 effectua son premier vol le 30 juillet 1943 : tout se passa fort bien, si ce n'est que le parachute du chariot ne s'ouvrit pas durant les deux premiers essais, provoquant la casse de ce matériel. Entre-temps, le concept avait évolué et finalement le pilote fut installé en position assise, la position couchée n’étant adoptée que durant la phase de bombardement.

Développement : Les prototypes Ar 234 V

Dès septembre, trois autres prototypes avaient rejoint le premier Arado 234 A V1. Pour arriver à un rayon d'action supérieur à 1000 km, vu la très grande consommation des premiers réacteurs, les ingénieurs durent alléger la cellule et utiliser une bonne partie du volume du fuselage pour y caser des réservoirs supplémentaires. Pour gagner du poids, il fallut se résoudre, dans un premier temps, à se passer de train d'atterrissage, selon une pratique courante chez les avionneurs allemands de l'époque. Les premiers prototypes, baptisés Ar 234A, décollaient donc à l’aide d'un chariot tricycle qui était largué au moment où l’avion quittait la piste. Ce chariot était freiné par un parachute qui se déployait au moment du largage, de façon à éviter qu’il ne parte dans le décor et ne s’endommage en rebondissant sur le tarmac. L’atterrissage se faisait sur un patin ventral et l’équilibre était assuré par deux petits patins placés en bout d’ailes. Cette configuration étrange, peu pratique à l’usage, fut remplacée par un véritable train d’atterrissage tricycle sur les versions de production (Ar 234B et C), car elle nécessitait beaucoup trop de manutention pour récupérer l’appareil après l’atterrissage et le charger sur le chariot. En outre, elle était incompatible avec l’emport d’une charge extérieure (bombes ou réservoirs largables). Conformément aux habitudes allemandes, tous les prototypes furent désignés globalement par la lettre V (pour Versuch), suivie par un numéro d’ordre, au fur et à mesure de l’achèvement des différentes cellules. La construction des deux premiers prototypes (Ar 234A V1 et V2) était terminée avant la fin 1941, mais il fallut patienter plus d’une année pour procéder à leur essai, du fait de l’important retards pris dans la mise au point des moteurs . Deux turboréacteurs Junker Jumo 004 furent enfin livrés à Arado en février 1943. Mais ils étaient encore si peu fiables qu’on ne put procéder qu’à des essais d’allumage et de roulage au sol. Arado dut s’armer de patience car Messerschmitt avait la priorité pour la livraison des moteurs, vu que le chasseur Me 262 utilisait le même type de réacteurs. Ce n’est qu’au printemps 1943 que furent livrés des moteurs en état de vol, si bien que l’Ar 234A V1 prit l’air pour la première fois le 20 juillet 1943. Tout se déroula parfaitement bien, à l’exception des parachutes de freinage du chariot qui refusèrent de se déployer au cours des deux premiers décollages, ce qui provoqua la destruction des chariots. Le 2 octobre 1943, le développement de l’appareil fut endeuillé par la mort d’un pilote, tué dans le crash du V2 suite à une défaillance des réacteurs. Fin novembre, Adolf Hitler et plusieurs dignitaires nazis firent connaissance avec l’Ar 234A V1, à l’occasion d’un meeting aérien en Prusse orientale. Ils se montrèrent impressionnés et Hitler insista pour qu’on dérive un bombardier rapide (Schnellbomber), bien que l’appareil ait été conçu initialement comme un appareil de reconnaissance.

Entre-temps, deux autres prototypes avaient été construits (V3 et V4). Le cinquième (V5) et le septième (V7) furent les premiers à être équipés de réacteurs de présérie Jumo 004B-0. Ces moteurs avaient une poussée équivalente à celle des réacteurs expérimentaux (840 kgp) équipant les premiers prototypes, mais pesaient 90 kg de moins. Les Ar 234A V6 et V8 furent spécifiquement utilisés pour étudier la motorisation destinée aux futurs développements des versions de l’Arado. Il furent équipés non pas de 2 Jumo 004, mais de 4 turboréacteurs BMW 003 développant globalement 800 kgp, qui présentaient des potentialités intéressantes. Ce type de réacteur était certes moins performant que le Jumo 004 mais présentait l’avantage d’être plus léger, ce qui permettait d’augmenter le rapport poids-puissance de l’appareil à condition d’en installer quatre sous la voilure. Deux configurations différentes furent testées. La première, expérimentée sur le V6, consistait à placer les 4 BMW-003 dans des nacelles séparées ; la seconde, essayée sur le V8, consistait à grouper les réacteurs par paires sous chaque aile. Cette dernière solution s’avéra meilleure car elle engendrait moins de tourbillons au niveau de la traînée des réacteurs. Elle donna naissance à la version la plus puissante de l’appareil, le futur quadriréacteur Arado Ar 234C. Pour faciliter l’envol, tous les prototypes furent équipés, à partir du V3, d’un dispositif d’assistance au décollage, sous la forme de 2 fusées d’appoint fixées sous les ailes, à côté des réacteurs. Ces fusées, baptisées « Rauchergerät », renfermaient un moteur fusée Walter HWK 109-500 fonctionnant grâce à un mélange de peroxyde d’hydrogène (T-Stoff) et de permanganate de potasse (Z-Stoff) dont la mise en contact provoquait une violente réaction chimique engendrant une fort dégagement de chaleur et de vapeur. Chacun des deux cylindres arrimés sous les ailes pesait 280 kg et produisait une poussée additionnelle de 500 kgp durant 30 secondes, temps de combustion du mélange. Ces fusées était ensuite larguée et freinée jusqu’au sol par un parachute, de façon à permettre leur réutilisation. Un système de senseurs de pression incorporé contrôlait le bon fonctionnement des fusées. En cas de disfonctionnement de l’une des deux roquettes, ce dispositif provoquait automatiquement et instantanément le largage du second cylindre pour ne pas déséquilibrer l’appareil. L’Ar 234A V9 fut le premier à être équipé de pylônes d’emport externes, pour recevoir une cargaison de bombes sous la voilure. Il permit de mettre au point la version de bombardement de l’appareil, désignée Ar 234B-2. Le V9 effectua son premier vol le 10 mars 1944. L'usage des patins étant rendu impossible par l’emport des charges externes, les ingénieurs durent se résoudre à équiper tous les Arado de série d'un train d'atterrissage tricycle classique, indépendamment de leur affectation (reconnaissance ou bombardement). Cela eut pour effet de réduire la vitesse de pointe d’environ 30 km/h, celle-ci passant de 770 km/h pour les prototypes équipés de patins, plus légers, à 742 km/h pour les appareils munis d’un train d’atterrissage. Au début 1944, les plans de production étaient prêts et la fabrication en série fut lancée à grande échelle. Malheureusement, elle fut rapidement entravée par les raids de bombardement anglo-américains. Durant la dernière semaine de février, connue sous le nom de « Big Week », les Alliés multiplièrent les frappes massives contre les fabriques aéronautiques allemandes, causant de graves dommages qui réduisirent fortement les capacités et le rythme de production. Les usines Arado ne furent pas directement affectées par cette opération coup-de-poing, étant situées trop à l’est et hors de portée des lourds bombardiers occidentaux, mais elles subirent de plein fouet les contrecoups, notamment au niveau des pièces et des composants fabriqués à travers toute l’Allemagne par des sous-traitants. Les ressources prévues initialement pour développer de nouveaux types d’appareil furent désormais utilisées pour poursuivre la construction des appareils existants. En juin 1944, seuls vingt Ar 234B-0 de présérie étaient sortis des chaînes de montage.

En mars, le V5 et le V7 furent les premiers Arado à être équipés de caméras pour tester le concept d’une version de reconnaissance tactique. Les nombreuses sorties effectuées en août par ces deux appareils au-dessus des plages de débarquement furent un franc succès, les Arado n’ayant même pas été détectés par les Alliés. Cela déboucha sur la conception de l’Ar 234B-1, la version de reconnaissance photographique du « Blitz ». Au total un vingtaine de prototypes furent construits. Parmi ceux-ci, deux (Ar 234 V6 et V8) furent testés avec quatre turboréacteurs BMW 003 en lieu et place des deux Jumo 004. L’emploi du BMW 003 semblait en effet plus prometteur, car bien que moins puissant que son concurrent Jumo de Junker, il était plus léger et offrait le grand avantage de ne pas être utilisé par le Messerschmitt Me 262. L'emploi de quatre de ces moteurs, devait donner naissance à la version la plus rapide de l'avion, le quadriréacteur Arado Ar 234C, dont le premier prototype (Ar 234 V19) vola en octobre 1944. D'autres projets furent aussi lancés, prévoyant l'utilisation d'ailes en croissant qui influenceront les Britanniques pour la conception de leur bombardier Victor d’après-guerre.

La version de série Arado 234 B

La production de la version de présérie Ar 234B-0 démarra en mars 1944 dans l’usine Arado de Alt-Lönnewitz (Silésie), près de l’ex frontière germano-tchèque. Elle fut suivie par le modèle définitif de série (Ar 234B) qui avait été initialement prévu comme un biréacteur de reconnaissance monoplace. Mais les excellentes qualités de l’appareil amenèrent les Allemands à développer également une version de bombardement, sous la pression de Hitler qui souhaitait à tout prix disposer d’un bombardier rapide (Schnellbomber). Les deux variantes étaient très proches et présentaient des caractéristiques et des performances similaires. Pour les distinguer, la version de reconnaissance fut baptisée Ar 234B-1 tandis que celle de bombardement fut appelée B-2. La version de production était dotée d’un train d’atterrissage tricycle, avec des pneus à basse pression permettant l’atterrissage sur pistes gazonnées. La roulette de nez se repliait vers l’arrière tandis que le train principal rentrait dans le fuselage. La très grande longueur de piste nécessaire au décollage et à l’atterrissage du « Blitz » provoqua de nombreux accidents étant donné l’inexpérience des aviateurs en matière d’avions à réaction. Mais l'entraînement des pilotes sur un Me 262 et l'usage systématique de fusées d’appoint au décollage finirent par régler partiellement ce problème, du moins dans certaines unités. Etant donné sa vitesse d’atterrissage élevée, l’Arado 234 fut le premier appareil de l’histoire à être doté d’un parachute de queue afin de réduire sa longueur de freinage. Le nez arrondi était entièrement ajouré et couvert de plexiglas, donnant ainsi au pilote un excellent dégagement visuel vers l’avant et les côtés. En revanche, la visibilité vers l’arrière était à peu près nulle, ce qui amena le constructeur à installer un périscope pour permettre au pilote de surveiller son angle mort et de diriger par télécommande ses deux canons arrières. Ce périscope, inexistant sur les prototypes, servait également d’appareil de visée pour le bombardement en piqué.
La consommation des turboréacteurs Jumo 004B variait considérablement en fonction de l’altitude et de la résistance de l’air. A 10 000 mètres, le « Blitz » consommait seulement le tiers de ce qu’il brûlait au niveau de la mer. Cela veut dire que le rayon d’action n’était que de 190 km pour une mission de bombardement à basse altitude, alors qu’il était de 720 km pour une mission de reconnaissance à haute altitude, en utilisant des bidons largables supplémentaires. La cabine de pilotage était protégée par une paroi blindée qui assurait un minimum de protection au pilote, en cas de tir venant de l’arrière. Le « Blitz » était un avion très facile à piloter et très manœuvrant, aux dires des pilotes. Mais ces qualités étaient largement compensées par la piètre fiabilité de ses moteurs Jumo 109-004B qui devaient être entièrement révisés, voire remplacés, après seulement 10 heures de vol. Ce manque de fiabilité était un souci constant pour les équipages. L’extinction des réacteurs suite à une manœuvre trop brutale était très courante ; pour les rallumer sans risquer l’incendie, le pilote devait alors descendre en dessous de 4000 mètres d'altitude et réduire sa vitesse en dessous de 500km/h avant de rétablir l'alimentation. Le problème empira quand, suite à la pénurie du carburant adéquat, on se mit à utiliser des qualités d’essence non prévues. En cas d’incendie, le pilote n’avait pas d’autre choix que de couper très vite l’arrivée du carburant pour ne pas transformer l’appareil en torche volante. Autre gros problème : les freins avaient tendance à lâcher après seulement trois atterrissages et devaient donc être remplacés fréquemment. Bien que certains prototypes aient été équipés d’un siège éjectable, la version de série ne bénéficia pas de cette sécurité. En cas d’évacuation, le pilote devait se glisser hors de l’appareil par un étroit orifice en plexiglas ménagé dans le plafond de l’habitacle. Cette manœuvre, possible sur un bombardier classique, était pratiquement irréalisable sur un appareil à réaction en perdition. Le pilote avait toutes les chances de rester prisonnier de la carlingue. Même s’il réussissait à s’extraire et à sauter, le malheureux risquait d’être heurté de plein fouet par la dérive arrière, vu la vitesse de l’Arado! Ce défaut laissait peu d’espoir de survie au pilote.


La version de reconnaissance Ar 234B-1

La version de reconnaissance (Ar 234B-1) disposait d’un équipement électronique extrêmement sophistiqué et de deux caméras. Elle différait très peu de la version de bombardement et possédait la même capacité d’emport, soit 1 500 kg au maximum. Cette charge utile était généralement utilisée pour suspendre 2 réservoirs largables extérieurs de 300 kg sous les nacelles des réacteurs, de façon à augmenter l’autonomie de l’appareil sans trop affecter ses performances. L’emport de réservoirs extérieurs diminuait toutefois la vitesse de pointe qui était ainsi réduite de 742 à 660 km/h à 6 100 mètres. L’armement défensif comprenait 2 canons tirant vers l’arrière, en visée indirecte, comme sur la version de bombardement. Etant donné l’angle mort, ces canons étaient télécommandés par le pilote grâce à un viseur périscopique situé au-dessus de l’habitacle. Dans les faits, cet armement fut peu utilisé et certains pilotes, le jugeant carrément inopérant, n’hésitèrent pas à le démonter.

Premières missions de reconnaissance

La première utilisation opérationnelle de l’Arado 234 comme appareil de reconnaissance eut lieu le 2 août 1944, quand le prototype V5 survola impunément les plages du débarquement pour photographier la tête de pont établie par les Alliés en Normandie. En une demi-heure, il réussit à collecter davantage de renseignements que toutes les unités d'observation de la Luftwaffe n'en avaient réuni durant les deux mois précédents. Les clichés qu’il ramena montraient plus d’un million et demi d’hommes et une quantité fabuleuse de matériels de tous types ! Malgré leur système de décollage et d’atterrissage peu commode (chariot de décollage et patins), la décision de livrer le V5 et le V7 à une unité de reconnaissance opérationnelle pour procéder à une première évaluation fut prise quelques jour avant le débarquement et ne fut pas la conséquence de celui-ci. C’est le hasard qui fit se télescoper les deux événements. En revanche, le déclenchement de l’opération « Overlord » fournit aux Allemands une excellente occasion de tester les potentialités de l’appareil. Les prototypes V5 et V7 furent donc équipés de deux caméras Rb 50/30 installées à l’arrière du fuselage et orientées en sens opposé. Munies d’objectifs de 500 mm de focale, ces caméras, placées en tandem, étaient inclinées de 12 degrés vers l’extérieur et permettaient de photographier une bande de 20 kilomètres de large, à raison de 1 cliché toutes les 11 secondes. Le 1er juin 1944, le V5 effectua deux vols d’usine avec Janssen et Götz, en vue de préparer sa livraison à ce détachement. En juin, Gotz s’entraîna également sur le V4. Le 15 juin, il entreprit avec le V5 un vol de reconnaissance d’une heure et onze minutes, montant jusqu’à 6 000 mètres d’altitude au-dessus de Brandenburg.

Le V7 effectua son premier vol opérationnel le 22 juin 1944 aux mains de Kröger. Le 26 juin suivant, l’Oberleutnant Erich Sommer réalisa une mission d’entraînement en grimpant jusqu’à 11 000 m d’altitude. Lors d’un autre vol, une mission d’une durée de deux heures vingt fut réalisée à 10 000 m d’altitude à une vitesse de plus de 700 km/h, ce qui donnait un rayon d’action de 1 650 km. Après le débarquement allié en Normandie (6 juin), Götz reçut l’ordre de déplacer ses deux Ar-234 à Juvincourt, près de Reims pour réaliser les premières missions de reconnaissance au-dessus de la tête de pont alliée. Le 25 juillet, les deux prototypes modifiés décollèrent d’Allemagne à destination de la France, mais seul le V5 arriva à destination, le V7 ayant été contraint de rebrousser chemin suite à des problèmes de moteur. Il fallut encore patienter une semaine, le temps d’acheminer par la route le chariot de décollage et les fusées d’appoint. Le 2 août 1944, Erich Sommer et son V5 étaient enfin prêts pour la toute première mission de reconnaissance d’un avion à réaction ! Après un décollage impeccable, le pilote mit le cap vers l’ouest en direction du secteur de son objectif : les plages du débarquement. Sommer mit 20 minutes pour grimper jusqu’à 10 000 mètres, son altitude opérationnelle. Il piqua ensuite légèrement jusqu’à 9 200 mètres pour accélérer jusqu’à environ 742 km/h. Il était alors au-dessus de la côte du Calvados et déclencha les caméras le long du littoral durant environ 10 minutes. Il fit ensuite demi-tour pour décrire un second parcours parallèle au premier, mais à 10 km à l’intérieur des terres. Il effectua ensuite un troisième passage parallèle aux autres, mais encore décalé de 10 km vers l’intérieur. Puis, les réserves de pellicule étant épuisées, il remit le cap à l’est pour ramener à la base sa précieuse cargaison. La mission fut un succès total ! Lors de cette mémorable sortie, Sommer photographia presque tous les secteurs tenus par les Alliés en Normandie, ce que les unités de reconnaissance allemande classiques n’avaient pu réaliser durant les deux mois précédents. Non seulement l’avion ramenait d’excellents clichés du dispositif allié, mais en plus il n’avait pas été repéré! Les photos indiquaient que les Alliés avaient déjà débarqué 1,5 millions d’hommes et une quantité incroyable d’armes et de matériels en tous genres. Ce même jour, l'avion fut rejoint par le V7, revenu d’Allemagne. A eux deux ils effectuèrent 13 autres missions de ce type au cours des 3 semaines suivantes, sans être jamais repérés ni même détectés. L’altitude et la vitesse à laquelle ils opéraient étaient leur meilleur gage de sécurité. Les informations fournies par ces raids de reconnaissance permirent de fournir régulièrement aux unités allemandes sur le terrain les images des positions ennemies. Cependant, la bataille de Normandie était déjà perdue pour les Allemands et les images rapportées par les Arado 234 ne servirent qu’à leur montrer en détails l’ampleur de la défaite. Malgré la multiplication des sorties, les Arado de Götz et de Sommer passèrent inaperçus durant toute la bataille de France et ne furent jamais inquiétés ni même repérés par la chasse alliée en raison de leur vitesse et de leur altitude de croisière. Au début septembre, le V5 et le V7 furent contraints de se replier vers la Hollande, vu l’avance rapide des troupes alliées vers le nord de la France, mais cela ne les mit pas à l’abri. Dans la journée du 3 septembre, le terrain d’aviation de Volkel, d’où ils opéraient, fut bombardé par 100 Lancaster de la RAF, heureusement sans gravité pour les 2 prototypes.

C’est alors que la Flak allemande réussit ce que les bombardiers et les chasseurs alliés n’avaient pu réaliser durant toute la campagne de France. Alors que Götz s’apprêtait à se poser en Allemagne, la Flak ouvrit le feu sur lui et un projectile frappa l’Ar-234 sous l’habitacle, coupant les systèmes électrique et hydraulique. Götz prit aussitôt la fuite et réussit un atterrissage d’urgence à environ 305 km/h sur le terrain d’Oranienbourg, avec peu de dommage. Comble de malchance, il était à peine sorti de l’habitacle lorsque son avion fut percuté de plein fouet et détruit par un autre appareil en phase d’atterrissage. Le second prototype restant fut rapatrié en Allemagne devant l’avance des alliés, puis rapidement retiré du service à l’arrivée des premiers Ar-234B-1 de série qui commençaient à sortir des chaînes de production. Par petits détachements, ces appareils équipèrent progressivement les premières unités de reconnaissance, baptisées Kommando « Götz », « Hecht », « Sperling » et « Sommer », du nom des premiers pilotes à avoir effectué ce type de mission. Ces formations commencèrent à opérer dès octobre à partir de la Hollande, survolant même l'Angleterre pour déterminer si un nouveau débarquement était en préparation sur les côtes des Pays-Bas. Malgré l’intense activité aérienne déployée par les Alliés en Europe, ce n’est que le 21 novembre 1944, qu'une formation d'escorte constituée de P-51B « Mustang » aperçut pour la première fois un Arado 234 de reconnaissance, alors que celui-ci survolait leur formation au-dessus de la Hollande. Se voyant découvert, le pilote de l’Arado mit les gaz à fond et profita de sa vitesse et de l’avantage de l’altitude pour disparaître rapidement. Malgré la faible vulnérabilité en vol de l’Arado, la suprématie aérienne écrasante des Alliés rendait les sorties de plus en plus risquées. Au début janvier 1945, alors qu'elle atterrissait sur l'aérodrome où elle venait d'être transférée, une formation de dix-huit Ar 234 fut coiffés par des Spitfire qui en détruisent 3 et en endommagèrent 2 autres, tuant 2 pilotes allemands. Néanmoins, dès que le temps commença à s’améliorer, les Ar 234, réapparurent dans le ciel des Pays-Bas, notamment le 21 février dans le cadre de la défense d'Aix-La-Chapelle et du Westwall. L'un d’eux, contraint par un P-47 à atterrir en catastrophe près de Segelsdorf le 24 février, suite à une panne de moteurs, tomba intact aux mains des Alliés le lendemain. Il est aujourd’hui exposé au Smithonian Air and Space Museum (USA) et constitue l’unique exemplaire encore existant au monde. Deux autres unités de reconnaissance, les 1.(F)/33 et 1.(F)/100, étaient encore opérationnelles à la fin de la guerre.


La version de bombardement Ar 234B-2 « Blitzbomber »

En juillet 1943, devant les performances prometteuses du prototype Ar 234A-0 et sur l’insistance de Hitler qui souhaitait disposer d’un bombardier rapide à usage tactique (Blitzbomber), le Reichsluftfahrtministerium demanda à Arado de dériver un Schnellbomber à partir du biréacteur. Ce modèle fut désigné Ar 234B-2 pour le distinguer de la version de reconnaissance (Ar 234B-1). Produit en grand nombre, il bénéficiait d’un système avancé pour le bombardement en palier ou en piqué léger.

Etant donné l’impossibilité d’utiliser le fuselage comme soute à bombes (vu la présence des réservoirs occupant tout l’espace disponible), il fallut se résoudre à emporter les bombes sous des pylônes externes. En configuration lisse, l’appareil affichait une vitesse de pointe de 742 km/h à 6 100 m d’altitude. Mais en pleine charge, celle-ci était réduite à 660 km/h par l’excédant de poids des bombes qui modifiaient également l’aérodynamisme. Cette diminution de la vitesse rendait l’appareil vulnérable, si bien qu’on dût songer à doter l'avion d'un système de défense contre les chasseurs. Une paire de canons mitrailleurs Mauser MG-151de 20 millimètres fut donc installée à l'arrière. Etant donné que le pilote était seul à bord et qu’il ne disposait d’aucun dégagement vers l’arrière, il devait pointer ces canons à l’aide d’une télécommande, en utilisant un rétroviseur périscopique. Le système fut cependant jugé inutilisable par la plupart des pilotes qui le firent démonter. En pleine charge, l’appareil décollait sur moins d’un kilomètre.

En tant que bombardier tactique, le « Blitz » disposait de 3 méthodes d'attaque :

1. le bombardement en rase-motte à basse altitude, au cours duquel les bombes étaient larguées au jugé, avec une précision et des résultats très discutables vu la vitesse à laquelle évoluaient les appareils.

2. le bombardement en piqué léger, amorcé à 5000 mètres, où le pilote utilisait le périscope pour viser et larguer sa bombe en dessous de 1500 mètres. Cette tactique exigeait une certaine force physique car elle impliquait de couper le système automatique et d’effectuer manuellement la ressource en tirant fortement sur le manche.

3. le bombardement en palier à haute altitude, en vol horizontal. Cette dernière tactique était de loin la plus intéressante et la plus difficile pour le pilote, car, étant seul à bord, il devait cumuler les fonctions de pilote, de navigateur et de bombardier. Il était néanmoins grandement aidé par un autopilote « Patin », très sophistiqué, qui permettait de maintenir l’avion sur un cap prédéterminé. La passe de bombardement était amorcée à 30 kilomètres de l'objectif : le pilote enclenchait alors le pilote automatique, puis repoussait la colonne des commandes de vol vers la droite pour accéder au viseur de bombardement Lotfe 7K et s’installer à plat-ventre dans le nez vitré. Ce viseur était asservi à l’autopilote sur 3 axes, ce qui permettait d'ajuster la trajectoire sur l'objectif en maintenant le réticule de visée sur la cible. Les bombes étaient larguées automatiquement grâce à un calculateur mécanique.

La charge offensive maximale d’un Arado 234B-2 n’excédait pas 1500 kg, soit à peu près celle d’un chasseur P-47 Thunderbolt de l’USAAF. La configuration classique consistait en 3 bombes de 500 kg : une sous le ventre et les deux autres accrochées sous les nacelles des réacteurs. Le pilote avait également la possibilité d’emporter une seule bombe de gros tonnage (1000 ou 1400 kg) sous le fuselage ou d’accrocher deux bidons d’essence sous les ailes pour augmenter son autonomie. La faiblesse de cette charge utile était le principal défaut de l’appareil. Elle réduisait son rayon d’action et cantonnait le « Blitz » dans des missions de harcèlement tactiques, le tonnage n’étant pas suffisant pour permettre de véritables missions de bombardement à grande échelle. C’est pourquoi l’Ar 234 fut surtout utilisé pour lancer des frappes éclairs en arrière des lignes ennemies, conformément aux souhaits de Hitler. L’atout principal de ce « Blitzbomber » était sa vitesse qu’il utilisait pour frapper vite et par surprise, en pénétrant comme la foudre dans l’espace aérien allié. Cette rapidité lui permettait de se jouer de la DCA et des chasseurs, mais ne facilitait guère la visée, ceci d’autant plus que le pilote était seul à bord , ce qui entraînait une surcharge de travail, au détriment de la précision. L’efficacité de l’appareil était encore amoindrie par la pénurie de carburant qui limitait les sorties et clouait souvent les biréacteurs au sol.

Premiers raids de bombardements dans les Ardennes

La version de bombardement ne devint réellement opérationnelle qu’à partir des derniers mois de 1944. Les appareils furent affectés au Kampfgeschwader 76 (KG-76) et reçurent le baptême du feu durant l'offensive des Ardennes. L’attaque surprise allemande dans les Ardennes, en décembre 1944, prit de court les Américains et fut le dernier coup de boutoir sérieux des forces du IIIe Reich. Pour appuyer l’infanterie et les blindés, les Allemands jetèrent dans la bataille tous les avions en état de prendre l’air. Chasseurs et chasseurs-bombardiers opéraient en appui rapproché chaque fois que les conditions météo le permettaient. Ils se heurtaient aux chasseurs alliés en de vertigineux combats tournoyants ou en passes à très grande vitesse à basse altitude. Quelques Ar 234B-2 furent évidemment engagés à cette occasion.

Le 17 décembre 1944, Ditter Lukesch, commandant du Staffel 9, reçut l’ordre de déplacer 16 Arado vers Münster-Handorf en vue de participer à l’offensive. Après quelques jours d’inaction dus au mauvais temps persistant, les Ar-234B-2 entrèrent pour la première fois en action le 25 décembre 1944. Le matin de Noël, Lukesch décolla de Münster-Handorf avec 8 autres « Blitzbomber ». Les bombardiers à réaction n’emportaient qu’une seule bombe de 500 kg sous le fuselage, avec des bidons sous les ailes pour augmenter leur autonomie. Se suivant en file indienne à grande vitesse, ils prirent la direction de l’ouest tout en grimpant jusqu’à leur altitude de croisière de 4000 mètres. Après plusieurs minutes de vol, la formation descendit jusqu’à 2000 mètres puis lâcha ses bombes sur l’objectif, un site industriel de Liège. Les appareils de Lukesch ne cessèrent de multiplièrent les sorties contre les Américains durant les derniers jours de décembre. Le 1er janvier eut lieu le premier bombardement de nuit de l’ère des jets : il fut effectué par 4 « Blitzbomber » de Lukesch, puis le temps se dégrada et empêcha les Arado de décoller.

Ces sorties furent plus des missions de harcèlement que de véritables bombardements, vu le petit nombre d’appareil engagé et la faiblesse de la charge emportée. À cette époque, la Luftwaffe ne pouvait encore aligner que dix-sept Ar 234B : 12 configurés en bombardiers (Ar 234B-2) et 5 pour la reconnaissance (Ar 234B-1). Ce nombre est étonnement bas en regard des 148 Ar 234 livrés à la Luftwaffe à la fin 1944. Il s’explique probablement par la multiplication des raids de bombardements alliés contre les aérodromes et les infrastructures militaires allemandes, qui provoquèrent la destruction d’une certain nombre d’appareil et retardèrent l’entrée en service des autres.

Détruisez le pont de Remagen !

Parmi les opérations de bombardement les plus célèbres effectuées par des Arado 234 figurent les raids de jour effectués en 1945 par l’unité de Robert Kowalewski contre le pont Ludendorff, à Remagen, dans l’espoir d’interdire le franchissement du Rhin aux Américains. Ce pont avait été très endommagé par les charges de démolition du génie allemand, mais demeurait malgré tout utilisable. Etant tombé aux mains de l’US Army qui occupait la rive gauche du fleuve, il constituait une brèche dans la ligne de défense établie par la Wehrmacht à l’Ouest. Pour les Allemands, il était impératif de le détruire au plus vite. Sur ordre express du Reichsmarschall Goering, tous les Arado 234B-2 disponibles ne cessèrent d’attaquer le pont pendant 10 jours, à compter du 7 mars 1945. Ces frappes furent effectuées à très basse altitude pour échapper au feu nourri de la DCA américaine postée sur la rive ouest. Malgré la multiplication des sorties et le courage des pilotes, le largage devait s’effectuer au jugé vu la vitesse d’évolution des appareils. Le résultat fut si imprécis qu’aucun coup au but ne fut enregistré. Le pont résista jusqu’au 17 mars, date à laquelle il s’effondra de lui-même dans le fleuve, sous l’effet de souffle d’une bombe de 1000 kilos. Mais il était trop tard : à cette date, les Américains avaient établi une solide tête de pont sur la rive droite du Rhin et leurs pontonniers avaient réussi à construire un pont de bateaux pour permettre au flot des troupes US de continuer à se déverser vers le cœur du Reich. Lors de ces raids, plusieurs Ar 234B-2 furent abattus par la DCA et les chasseurs alliés, pour un bénéfice opérationnel négligeable en raison du faible nombre d’appareils engagés (environ 38 Ar 234 opérationnels en avril 1945). Manquant de plus en plus d'essence et de pilotes qualifiés, les Ar 234 continuèrent malgré tout la lutte jusqu'à l'écroulement du Troisième Reich. La dernière mission conduite par un Ar 234 eut lieu le 30 Avril 1945. Le même jour, vers 15h00, Hitler se suicidait dans son bunker de la Chancellerie, à Berlin !


Production et bilan

Les spécialistes ne sont pas d’accord sur le nombre total d’Arado 234 fabriqués : Les chiffres cités varient entre 284 unités pour l’estimation la plus haute, et 224 exemplaires pour l’estimation la plus basse. La différence de cinquante unités semble s’expliquer par la comptabilisation ou non des 30 prototypes Ar 234A (dont la moitié inachevés) et des vingt Ar-234B-0 de présérie (dont la plupart, dépourvus de sièges éjectables et de pressurisation – furent livrés à Rechlin pour effectuer des vols de développement). En tout ce sont donc près de 300 Arado 234 qui furent produit, dont 224 appareils de série comprenant 210 biréacteurs Ar 234B-1 (reconnaissance) ou B-2 (bombardement), et 14 quadriréacteurs Ar 234C. Seul un petit nombre entra réellement en service, vu les pénuries qui paralysaient le Reich agonisant. Les autres furent cloués au sol par manque de carburant ou endommagés avant même d’avoir pris l’air, quand ils ne furent pas tout simplement abandonnés en cours de finition sur les chaînes de montage, faute d’approvisionnement. Un grand nombre fut également « cannibalisé » pour prélever des pièces détachées afin de réparer les rares appareils encore opérationnels.
Le dernier Ar 234 sortit des chaînes de montage au début mars 1945. A la fin du mois, les usines Arado et les plans furent systématiquement détruits pour éviter qu’ils ne tombent aux mains des Soviétiques.

Le dernier inventaire de la Luftwaffe, daté du 10 avril 1945, mentionne encore trente-huit Ar 234 opérationnels : 12 bombardiers, 24 avions de reconnaissance et 2 chasseurs de nuit B-2-N « Nachtigall ». Après la défaite allemande, 12 exemplaires furent récupérés part les Anglais, 3 par l'USAAF et 1 par l'US Navy. De leur côté, les Soviétiques paraissent ne s'être emparé que d'un unique exemplaire, ce type d’avion ayant principalement servi sur le front ouest. Un des 3 exemplaires capturés par l'USAAF put être testé de façon intensive sur la base de Wright Paterson, aux Etats-Unis; il s’agit sans doute de l’engin tombé intact aux mains des Américains à Segelsdorf le 25 février 1945, suite à une panne de carburant. Il constitue, à notre connaissance, le dernier exemplaire survivant de l'avion et est conservé au Smithsonian Institution's Air & Space Museum.

Au final, l’Ar-234B-2 n’a pas obtenu de grands résultats comme bombardier en dépit de sa grande vitesse qui lui permettait d’échapper facilement à ses ennemis. La charge de bombe emportée, trop faible, et le petit nombre d’appareil engagé (au même moment, les alliés organisaient des raids de 1000 appareils !) ne pouvaient rien changer au résultat final.
L’Ar-234 ne fit pas mieux comme chasseur de nuit en l’absence d’une version lourdement armée et vraiment spécialisée. En définitive, seule la version de reconnaissance (Ar 234B-1) put obtenir de bons résultats opérationnels.


Le chasseur de nuit Arado 234B-2N « NACHTIGALL »

En août 1943, Wilhelm van Nes, ingénieur en chef du bureau d’étude Arado, suggéra le développement d’un chasseur de nuit biplace sur la base de la cellule du biréacteur Arado 234B-2, pour contrer les raids de bombardement nocturnes opérés par la RAF sur le Reich. L’idée fit son chemin parmi la Luftwaffe et les ingénieurs se mirent au travail dès le mois de septembre. La première mouture développée fut le biréacteur Arado Ar 234B-2N « Nachtigall », puis les étonnants quadriréacteurs Arado 234 C3-N et C7 « Nachtjäger ». Le premier modèle développé, baptisé Ar 234B-2N Nachtigall, n’était en fait qu’une variante modifiée de l’Ar-234B-2 « Blitzbomber » et ne fut produit qu’à deux exemplaires. Il s’agissait d’une version provisoire et transitoire, en attendant la conception d’un modèle définitif pour la chasse de nuit. L’armement de ce chasseur de nuit improvisé était constitué par deux canons jumelés MG-151/20 de 20 mm tirant vers l’avant, installés sous le fuselage et logés dans une bombe Magirus modifiée servant de carénage. Le « Nachtigall » était bourré de systèmes électroniques très sophistiqués et comportait deux radar de poursuite « Naxos » et FuG 218 «Neptun», ainsi que divers appareils permettant le vol sans visibilité. Etant donné l’exiguïté du cockpit et le manque de place dans le fuselage, presque totalement occupé par les réservoirs de carburant, la console radar et l’opérateur furent logés dans la queue de la carlingue, en arrière des ailes et du second réservoir. L’opérateur, à l’étroit dans son logement exigu, tournait le dos au sens de marche et avait peu de chance de s’en sortir en cas d’incendie ou de fuite des réservoirs placés derrière lui. Il se faufilait dans son poste par une écoutille vitrée qui s’ouvrait sur le dos de la queue, ce qui rendait illusoire l’évacuation en cas d’urgence. A supposé même qu’il réussisse à s’extraire de l’avion en perdition, l’opérateur avait toutes les chances d’être happé par l’énorme dérive verticale au moment où il sautait… Pour économiser les réserves de carburant, vu l’autonomie relativement limitée de l’Arado 234, le Nachtigall était doté d’un dispositif d’assistance au décollage, sous la forme de 2 fusées d’appoint suspendues en bout d’ailes, de part et d’autre des réacteurs Jumo 109-004B. Ces nacelles ovoïdes, baptisées « Rauchergerät », étaient légèrement inclinées de façon que le flux puisse prendre appui sur le béton de la piste. Elles renfermaient un moteur fusée Walter HWK Ri 202 fonctionnant grâce à un mélange de peroxyde d’hydrogène (T-Stoff) et de permanganate de potasse (Z-Stoff). La mise en présence brutale de ces deux réactifs très corrosifs, déclenchée électriquement par le pilote, provoquait une violente réaction chimique engendrant un dégagement de chaleur et de vapeur, qui propulsait l’appareil et l’arrachait littéralement du sol. Chaque cylindre ovoïde pesait 280 kg et produisait une poussée additionnelle de 500 kgp durant 30 secondes au décollage, temps de combustion du mélange. Ces fusées étaient ensuite larguées et freinées jusqu’au sol par un parachute placé à l’avant de la nacelle, de façon à permettre leur récupération et leur réutilisation. Un système de senseurs de pression incorporé contrôlait le bon fonctionnement des moteurs-fusées. En cas de dysfonctionnement de l’un des deux, ce dispositif provoquait automatiquement le largage du second cylindre pour ne pas déséquilibrer l’appareil. En général, pour augmenter au maximum leur autonomie de vol, les Nachtigall emportaient également deux réservoirs additionnels de 300 kg, arrimés sous les nacelle des réacteurs, qui étaient largués en vol après leur utilisation, pour alléger l’appareil et réduire sa traînée. Etant donné leur vitesse d’atterrissage très élevée (environ 220 km/h), les Nachtigall étaient équipés d’un parachute de queue dont le déploiement permettait de raccourcir la distance de roulage, évitant ainsi de balayer toute la piste. Ce dispositif équipait d’ailleurs tous les Arado 234. Le premier prototype du Nachtigall fut achevé le 2 décembre 1944 et vola pour la première fois le 10 décembre, avant de subir une série de tests sur un terrain d’essai. Il comportait une livrée tachetée vert et brun, avec le dessous peint en bleu pâle. Un second prototype fut terminé au début de l’année 1945. Il reçut une livrée bleu pâle mouchetée de gris-violet, avec le dessous de la carlingue et des ailes peint en noir pour le confondre avec l’obscurité de la nuit. En janvier et février, les deux chasseurs de nuit furent incorporés dans une unité spéciale, le Kommando Bisping basé à Oranienburg, du nom de son chef, le Hauptmann Joseph Bisping, pour procéder à leur évaluation en conditions nocturnes réelles au-dessus de Berlin. En mars, cette unité fut rebaptisée « Kommando Bonow », du nom de son nouveau commandant, le Leutnant Kurt Bonow. Le bombardement de l’aérodrome d’Oranienburg, le 10 avril 1945, mit un terme à ces essais. Il semble, d’ailleurs, que les deux chasseurs de nuit n’aient jamais remporté aucune victoire dans le ciel de Berlin. On ignore s’ils furent détruits ou ce qu’ils devinrent en avril 1945, lors de l’effondrement du Reich

Fiche technique de l’Arado 234B-2N Nachtigall

Désignation : Ar 234B-2-N Nachtigall
Catégorie : chasseur de nuit
Type : biréacteur
Equipage : 2 hommes (pilote et opérateur radar)
Envergure : 14,44 m
Surface alaire : 26,40 m2
Longueur : 12,64 m
Hauteur : 4,33 m
Poids à vide : 5 200 kg
Poids en charge : 9 850 kg max. au décollage
Charge utile extérieure : 600 kg max. (2 x 300 kg)
Points d’emport : 2 pylônes externes sous la voilure
Réservoirs suppl. : 2 réservoirs largables de 300 kg sous la voilure
Armement offensif : 2 canons jumelés de 20 mm Mg151/20 tirant vers l’avant sous le fuselage
Radar de poursuite : Fug 218 Neptun
Plafond pratique : 10 000 m environ
Autonomie : 1600 km max.
Vitesse de pointe : 742 km/h à 6 100 m d’altitude en configuration lisse
660 km/h à 6 100 m d’altitude avec charge utile.
Propulsion principale : 2 turboréacteurs Jumo 109-004B-1 développant 900 kgp chacun
Assistance au décollage : 2 moteurs-fusées largables HWK Ri 202 suspendus en bout d’ailes fournissant
chacun 500 kgp de poussée additionnelle durant 30 secondes au décollage.


Me 262 Introduction

Le Me 262 constitue une étape décisive dans l’histoire de l’aviation. Il fut non seulement le premier avion à réaction à être effectivement engagé en opération et à combattre, mais aussi l’appareil le plus rapide de la seconde guerre mondial, si l’on excepte le Me 163 qui était un avion à moteur-fusée. La plus haute vitesse atteinte en palier par un Me 262 fut probablement 930 km/h, obtenus avec le prototype V12 propulsé par deux Jumo 109-004B-4 « gonflés » à 1000 kgp. La version de chasse standard (Me 262 A-1a) affichait une vitesse de pointe de 853 km/h à 3'000 m d’altitude et atteignait 920 km/h à 10’ 000 m.

L’histoire malheureuse du Me 262 est celle d’un appareil d’exception, très en avance sur son temps et aux performances extraordinaires, qui aurait pu bouleverser le sort de la guerre, mais dont le développement ne cessa d’être entravé et qui arriva finalement trop tard pour tirer parti de ses extraordinaires qualités

Cet appareil était le fruit d’un vaste programme de recherches, commencé en Allemagne bien avant la guerre, concernant la mise au point de turbines à gaz. Messerschmitt avait dessiné les plans de l’appareil dès 1939 et la cellule des prototypes était prête dès 1941. Le Me 262, conçu à l’origine comme un chasseur intercepteur, aurait donc pu voler dès 1942 et entrer en opération dès 1943 si la mise au point de ses turboréacteurs n’avait pas pris autant de temps et si Hitler n’avait pas interféré ultérieurement dans son développement, ce qui retarda sa mise au point et repoussa son entrée au service jusqu’à l’été 1944.

Bien que le développement de ses turboréacteurs n’ait pas été mené jusqu’aux extrêmes limites de ses potentialités, le Me 262 administra la preuve de ses qualités au combat. C’était un excellent appareil, d’une maniabilité rare et d’une puissance de feu redoutable. On peut même affirmer qu’il a ouvert la voie au développement des jets de combat modernes.

Lorsque il entra enfin en service opérationnel, en juin 1944, la Luftwaffe était laminée par quatre ans et demi de guerre et la majorité des vétérans de la première heure avaient disparu, tués au combat… La plupart de ceux qui volèrent sur ce nouvel avion durent se familiariser avec ses performances inusitées et ses caractéristiques de vol étonnantes, très différentes des appareils classiques à pistons. La vitesse et la finesse de pilotage du Me 262 surprirent plus d’un pilote et causèrent parfois leur perte. Mais l’appareil fut généralement apprécié pour sa vélocité, sa maniabilité et son agilité, à l’exception des manœuvres délicates du décollage et de l’atterrissage qui coûtèrent de nombreuses vies.

Durant sa courte carrière opérationnelle, de juillet 1944 à avril 1945, le Me 262 ne put malheureusement démontrer que partiellement son efficacité et sa redoutable faculté d’interception. Il fut fabriqué trop tardivement, disponible en trop petit nombre et engagé de manière trop dispersée. Une bonne part de ses pilotes avaient reçus une formation bâclée et manquaient cruellement de pratique. La plupart des accidents qui entachèrent la réputation de l’appareil étaient dus à l’inexpérience et au très jeune âge des pilotes, parfois issus directement des rangs de la Hitlerjugend. Ils auraient pu être évités aux mains de pilotes chevronnés et mieux qualifiés.

Un nombre non négligeable d’engins furent, de plus, détournés de leur vocation première de chasseur, suite à de nombreuses tergiversations du Führer quant à son affectation opérationnelle. Pour les mêmes raisons, mais aussi à cause d’une tactique qui diminua leurs capacités, ces exemplaires transformés en bombardiers sur ordre de Hitler n’eurent pas non plus le temps de véritablement démontrer leur efficacité. Par ailleurs, le Me 262 subit de plein fouet la pénurie de terrains, de pièces détachées, de mécaniciens et de matériaux sensibles entrant dans sa fabrication…Parmi le petit nombre de ceux qui furent finalement affectés à des unités combattantes, la plupart furent de fait cloués au sol par la pénurie de carburant ou le manque de pièces de rechanges.

Cet appareil d’exception, aux caractéristiques absolument révolutionnaires, aurait sans doute bouleversé l’issue de la guerre aérienne s’il avait pu être mis au point plus tôt, produit en plus grand nombre et engagé massivement. Il souffrit des atermoiements de Hitler qui freinèrent considérablement son développement et repoussèrent sa mise en service. Lorsqu’il put enfin entrer en service, il était trop tard pour qu’il puisse jouer un rôle conséquent, même pour un appareil d’exception...


Me 262 : Concept et origines

A la veille de la guerre, alors qu’en Grande-Bretagne les travaux concernant les turbines à gaz en étaient encore à leurs premiers balbutiements, les Allemands avaient accompli d’énormes progrès dans ce domaine, notamment grâce aux travaux scientifiques de Pabst von Ohain qui travaillait sur ce nouveau mode de propulsion depuis le milieu des années trente. Vers la fin de l’année 1938, le Reichsluftministerium (RLM) avait mis en place, sous la direction des ingénieurs Hans Mauch et Helmut Schlep, un groupe d’étude chargé du développement des réacteurs. Simultanément, un autre groupe de scientifiques s’attaquait au problème d’une cellule d’avion susceptible de recevoir ce nouveau type de propulsion. Parmi ses membres figurait Hans Antz, qui encouragea Willy Messerschmitt à établir les épures d’une cellule pouvant être propulsée par des turbines à gaz, et lui permit de bénéficier d’une commande ferme pour un prototype de chasseur à réaction capable d’atteindre 850 km/h. Répondant aux spécifications officielles, Willy Messerschmitt dessina le « Projekt P.1065 », terminé en juin 1939 : le Me 262 était né…


Me 262 : Développement

Les plans du « P.1065 » (futur Me 262), achevés dès le mois de juin 1939, servirent de base pour la construction d’une maquette qui fut achevée le 1er mars 1940. Peu après, le Reichsluftfahrtministerium (RLM) passa commande de trois prototypes et les études de détails débutèrent sous la direction de l’ingénieur Rudolf Seitz. Le premier prototype, achevé dès 1941, fut désigné Me 262 V1, pour « Versuch 1 » (essai n°1). La cellule restait de construction classique. En revanche, des études aérodynamiques très poussées en soufflerie permirent de réaliser une aile révolutionnaire à profil laminaire très fin, avec une flèche de 18° et des becs de bord d’attaque mobiles. Au début, les premiers prototypes furent dotés d’un train d’atterrissage classique, avec une roulette de queue non escamotable. A l’usage, cette configuration se révéla malcommode pour le décollage et l’atterrissage car elle présentait de gros risques d’endommager les réacteurs sur le béton de la piste, vu la trop faible garde au sol de l’arrière des nacelles. En cas de frottement ou de touchette, le réacteur pouvait se déchirer, voire s’enflammer et bouter le feu à l’appareil. Le train fut donc modifié sur les appareils de présérie et de série qui furent dotés d’un train tricycle moderne, avec une roulette de nez rétractable. Cela permettait de surélever la queue de l’appareil de façon que les nacelles restent parallèles au sol au roulage. Il était prévu d’équiper le futur chasseur de deux turboréacteurs Junkers Jumo 109-004 placés dans des nacelles sous la voilure. Mais comme leur mise au point se révéla plus longue que prévu, on dut se résoudre à tester les deux premiers prototypes (Me 262 V1 et V2) avec des turbomoteurs à pistons fixés sous les longerons des ailes. Le premier prototype (Me 262 V1) fut d’abord équipé d’un classique moteur à pistons Junkers Jumo 210.G de 1200 ch., installé dans le nez de la cellule. C’est avec cette configuration qu’il effectua son premier vol le 18 avril 1941, piloté par Fritz Wendel. Début 1942, le développement des réacteurs Junkers arriva enfin à son terme et un premier test avec réacteurs, montés en tandem sur le V1 conservant son moteur à piston dans le nez, eut lieu au début mars. Il se solda par un échec, les deux propulseurs à réaction étant tombé en panne. Après révision complète, les turboréacteurs furent testés une seconde fois le 15 mars 1942, mais cette fois ils étaient montés sous le fuselage d’un Messerschmitt Bf-110, transformé pour l’occasion en banc d’essai. Ce second essai fut un succès ! Les deux premier Jumo 109-004.A-0 certifiés, développant chacun 840 kgp, furent donc montés sur le prototype Me 263 V3, mais il apparut rapidement qu’il ne pouvait décoller à cause de la configuration classique de son train d’atterrissage avec roulette de queue. Après plusieurs tentatives infructueuses, une manœuvre particulière fut finalement tentée par le pilote pour obtenir le décollement de l’arrière nécessaire à l’envol et, le 18 juillet 1942, le V3 s’arracha du terrain, réalisant ainsi le premier vol inaugural avec propulsion à réaction…


Me 262 : Mise au point

Le 3ème prototype (Me 262 V3), sérieusement endommagé lors d’un accident au décollage de Leipheim (avec un pilote du centre d’essai de Rechlin aux commandes), fut définitivement détruit dans un second crash où le Flugkapitän Ostertag trouva la mort. Ces deux incidents, dus au train d’atterrissage classique avec roulette de queue, démontrèrent l’inadaptation de cette configuration et firent admettre la nécessité de le remplacer par un train tricycle moderne, avec roulette de nez rétractable. Entre-temps, le Me 262 V2 avait accompli son premier vol avec réacteurs, le 2 octobre 1942, et une commande de quarante-cinq Me 262 supplémentaires fut passée peu après. Le quatrième prototype (Me 262 V4) décolla pour la première fois en avril 1943, et pour obtenir l’adhésion des meilleurs pilotes de la Luftwaffe, Willy Messerschmitt invita le général Adolf Galland, célèbre as, à en prendre les commandes. Enthousiasmé par les qualités et les extraordinaires performances du chasseur, celui-ci décida d’organiser une démonstration destinée à convaincre définitivement les dirigeants du RLM. A l’issue de cette exhibition époustouflante, le 25 mai 1943, le RLM demanda à Messerschmitt de cesser la fabrication des Bf 109 pour les remplacer progressivement par des Me 262 sur les chaînes de production. Mais cette décision ne fut pas appliquée, d’une part à cause du suicide de Ernst Udet, à la suite duquel le pouvoir de décision revint au Feldmarschall Erhard Milch, hostile au développement des formules révolutionnaires et concevant en outre une inimitié personnelle pour Willy Messerschmitt ; d’autre part, du fait de la destruction presque totale des usines Messerschmitt de Augsburg et Regensburg par les bombardiers lourds de l’USAAF, le 17 août 1943, qui entraîna le transfert des chaînes de production à Oberammergau (Bavière), ce qui freina et retarda considérablement le développement du Me 262. Le Me 262 V5 effectua son premier vol le 26 juin 1943. C’était le premier prototype équipé d’une roulette de nez, qui assurait au pilote une meilleure visibilité vers l’avant tout en supprimant les risques de touchette des nacelles portant les réacteurs. Plusieurs essais infructueux ayant montré la difficulté d’arracher l’appareil au sol avec cette nouvelle configuration, on parvint à faire décoller l’appareil en ajoutant 2 fusées d’appoint à combustion solide à l’arrière du fuselage. Celles-ci furent abandonnées par la suite, lorsqu’on mit au point la procédure de décollage. Le Me 262 V6 fut le premier appareil équipé d’un train tricycle escamotable. Il était également doté de moteurs améliorés plus puissants, des Junkers Jumo 109-004.B-1 développant 900 kgp chacun et produits en série à partir d’octobre 1943. Tandis que Hitler tergiversait quant à la future affectation de l’appareil, dont il voulait faire un bombardier tactique, les prototypes continuaient à se succéder au centre d’essai de Lechfeld (Bavière). Le Me 262 V7 vola en novembre 1943, doté d’une cabine de pilotage pressurisée qui permettait les missions d’interception à haute altitude contre les formations de bombardiers. Le V8 fut le premier avion à recevoir l’armement qui allait devenir standard sur la version de base, à savoir quatre canons de 30 mm MK-108 logés dans le nez. Le V9 servit en janvier 1944 à tester différents types d’équipements radios. Enfin, le V10 fut le premier appareil modifié pour être converti en chasseur-bombardier (« Blitzbomber »), conformément aux désirs du Führer. Il se différenciait de la version chasseur (Me 262 A-1a) par deux pylônes sous le nez permettant l’emport d’une charge offensive externe (1 bombe de 500 kg ou 2 bombes de 250 kg). Il vola pour la première fois en mai 1943. Malgré les accidents qui émaillèrent les tests, les essais se poursuivirent inlassablement à Lechfeld, mais la mise au point du Me 262 se heurta à de nombreux problèmes de jeunesse qu’il fallut résoudre et éliminer un par un. Sans parler des atermoiements de l’OKL et des tergiversations de Hitler qui retardèrent considérablement la mise au point finale et bouleversèrent les plans de production.


Me 262 Production

En théorie, la production du Me 262 aurait pu être lancée dès le mois de mai 1943, si les tergiversations de Hitler et les atermoiements de l’OKL quant à l’affectation du Me 262 (chasseur ou Blitzbomber) n’avaient pas retardé considérablement sa mise au point. Son développement fut également affecté par la destruction presque totale des usines Messerschmitt de Augsburg et Regensburg par les bombardiers lourds de l’USAAF, le 17 août 1943, qui entraîna le transfert des chaînes de production à Oberammergau (Bavière), ce qui freina et retarda considérablement le projet. De nouveaux bombardements furent menés sur les usines Messerschmitt et sur le centre d’essai de Lechfeld du 13 au 17 décembre 1944, causant de graves dégâts aux installations et aux prototypes du Me 262 qui s’y trouvaient… Ceci amena les Allemands à dépoussiérer le projet : les ingénieurs avaient planifiés 67 versions différentes du 262, avec pas moins de 578 sous-versions. Ce nombre fut ramené à quinze.

Finalement, la décision de lancer la fabrication en série ne fut prise qu’à la fin de 1943 et la production démarra en mars 1944. Les premiers avions à sortir des chaînes de montage durant le mois de mars étaient encore des appareils de présérie, désignés Me 262 A-0. Ils furent suivis, à partir du début avril, par les véritables appareils de série, codés Me 262 A-1a pour le chasseur (« Schwalbe ») et Me 262 A-2a pour le bombardier tactique (« Blitzbomber »).

Dans les faits, la production eut beaucoup de peine à décoller, vu les difficultés croissantes qui minaient le potentiel industriel du Reich. La pénurie de carburant, le manque de matières premières, les ruptures de la chaîne de livraison, les retards dans l’acheminement des fournitures et le manque de pièces détachées frappèrent de plein fouet la fabrication du Me 262 qui souffrit également de la raréfaction de la main d’œuvre qualifiée.

A la fin avril, seuls 23 appareils de présérie étaient sortis des chaînes de montage, mais ce chiffre se redressa par la suite. En novembre, 101 appareils avaient été fabriqués et ce chiffre passa à 430 en décembre. Mais seuls 183 avaient été effectivement livrés à la Luftwaffe ; les autres avaient été placés en réserve ou attendaient la finition de leur montage sur les chaînes d’assemblage, faute de fournitures ou de pièces détachées. La production atteignit son pic maximum en février 1945, avant de dégringoler rapidement…La raison était les frappes aériennes incessantes visant les unités de production, qui obligeaient sans cesse à délocaliser celles-ci pour remplacer les ateliers détruits. Vers la fin, le potentiel industriel de l’Allemagne était réduit à un tel amas de ruines qu’on en vint carrément à créer des ateliers et des halles de montage en pleine nature, sous le couvert des sous-bois ou à l’orée des clairières, dans la région de Oberammergau... C’était le chant du coq. Quelques semaines plus tard, le Reich s’écroulait et la production fut définitivement interrompue...

En tout, on estime que 1’430 exemplaires du Messerschmitt Me 262 ont été construits ou sont entrés en fabrication entre le début janvier 1944 et la fin avril 1945, toutes versions confondues. Sur ce nombre, seuls 809 furent effectivement livrés à la Luftwaffe. Les autres ne purent être terminés à temps, faute de moyens et de fournitures.


Me 262 Défauts et faiblesses

Un appareil très rapide…trop rapide

Lors des premières sorties opérationnelles, les pilotes de Me 262 se trouvèrent souvent confrontés à la difficulté de viser et de faire feu à très haute vitesse, car ils n’avaient que quelques secondes pour aligner la cible et l’encadrer dans leur viseur. Plus d’un faillit percuter l’avion qu’il cherchait à abattre pour avoir mal estimé la distance ou s’être laissé surprendre par la rapidité d’évolution de leur Me 262. Un jet ne réagit pas comme un avion à piston et exige beaucoup de doigté et d’habileté. Son pilotage nécessite une technique de vol différente et ne pardonne aucune erreur. C’est ainsi que plusieurs pilotes se crashèrent et perdirent la vie pour avoir tenté d’effectuer une ressource trop brutale ou une manœuvre trop serrée, provoquant l’arrachement des ailes, la perte de maîtrise de l’appareil ou l’étouffement brutal des réacteurs.

L’atterrissage : une manoeuvre à très haut risque

L’atterrissage et - dans une moindre mesure - le décollage constituaient les phases à plus hauts risques, car le pilote se trouvait privé de l’effet de vitesse et d’une partie de la puissance des réacteurs tout en étant obligé de maintenir une trajectoire rectiligne, ce qui le rendait très vulnérable aux attaques. L’atterrissage était à juste titre particulièrement redouté, car il impliquait une savante coordination des manœuvres du pilote et un véritable doigté dans le maniement des commandes de vol et dans le dosage de la puissance des réacteurs. La plupart des Me 262 accidentés ou abattus le furent d’ailleurs durant la phase d’approche ou d’atterrissage. La moindre erreur, la plus petite inattention, pouvait se révéler fatale et se solder par un crash. La tension était alors à son comble, mettant les nerfs du pilote à rude épreuve. Ceci d’autant plus que l’opération requérait une concentration totale qui s’ajoutait à la fatigue de la mission. Le Me 262 constituait à ce moment là une proie facile pour les chasseurs à piston anglo-américains. Les pilotes alliés eurent tôt fait de s’en rendre compte et de tirer parti de cette faiblesse pour faire des cartons près des bases d’où opéraient les avions à réaction. En effet, pour réussir leur atterrissage, les pilotes de Me 262 devaient ralentir suffisamment tôt, réduire fortement la puissance des réacteurs et surveiller constamment leurs moteurs pour doser savamment la puissance des propulseurs ; dans les avions classiques équipés de moteurs à piston, les manettes des gaz pouvaient être brusquement fermées ou rapidement ouvertes ; un type de manœuvre qui, sur le Jumo 004B, aurait immédiatement causé de graves défaillances mécaniques. Aussi, les pilotes de Me 262 se sont-il rapidement aperçus qu’il valait mieux laisser la manette des gaz en paix.

Atterrir du premier coup ou…mourrir

La manœuvre d’atterrissage était d’autant plus délicate qu’elle devait être parfaite et réussie du premier coup : les pilotes n’avaient pas droit à un second essai ! En effet, en cas de défaillance technique ou d’attaque, toute tentative pour redonner de la puissance aux réacteurs entraînait irrémédiablement, soit la perte de contrôle de l’appareil en raison d’une dissymétrie de poussée, soit l’étouffement complet des réacteurs, soit encore un incendie du système de propulsion. Ce grave défaut s’avéra fatal pour de nombreux pilotes et offrit une opportunité inespérée pour les chasseurs alliés qui surent très vite s’embusquer près des pistes d’où opéraient les avions à réaction pour les surprendre à l’atterrissage, au moment où ils étaient à leur merci, sans possibilité d’échappatoire. C’est dans ces conditions particulières que vingt et un Me 262 furent abattus par des chasseurs à pistons de la RAF ou de l’USAAF. Un pilote de P-51D Mustang du 36th Fighter Group, le lieutenant Urban L. Drew, réussit même l’exploit, jamais renouvelé, d’en abattre deux en l’espace de quelques secondes, lors de leur décollage de la base d’Achmer. C’est à cette même époque que les premiers Gloster Meteor à réaction britanniques furent lancés dans la bataille, mais nul document n’atteste leur rencontre avec un avion à réaction allemand et il semble que cela ne se soit jamais produit. La contrainte du dosage des gaz rendait les vols en formation très difficile, pour ne pas dire impossible, ce qui obligeait les Me 262 à évoluer en formation lâche ou séparément, réduisant ainsi de beaucoup leur force de frappe.

Des pneus déficients

La vitesse d’approche très élevée provoqua également de fréquents accidents lors de la prise de contact des roues avec la piste et, le plus souvent, l’éclatement des pneus. En effet, la qualité du caoutchouc synthétique utilisé pour la fabrication des gommes était très médiocre, et un train de pneus ne résistait pas à plus de quatre atterrissages. Il était fortement conseillé de se poser comme une fleur, sous peine de partir dans le décor en cas d’impact trop violent sur le train…
Des pannes de réacteurs imprévisibles

A ces inconvénients – les plus graves rencontrés sur ce type d’appareil – s’ajoutaient quelquefois des ennuis de moteur résultant d’une mauvaise tolérance des matériaux aux très hautes températures des gaz de combustion. Ces pannes de réacteur étaient imprévisibles et pouvaient survenir n’importe quand. Elles faisaient planer une menace permanente sur la tête des pilotes. Les efforts des ingénieurs pour résoudre ce problème portèrent sur la recherche d’alliages spéciaux plus résistants pour la fabrication des pales de compresseurs. Mais les nouvelles pales ne furent jamais produites en nombre suffisant pour équiper systématiquement tous les réacteurs.

Le problème de la visée à haute vitesse

Les pertes en combat aérien furent essentiellement dues à l’incroyable saturation des armes de bord des bombardiers quadrimoteurs américains qui tissaient une véritable muraille de feu autour des formations. En effet, pour les attaquer, les Me 262 devaient fortement casser leur vitesse pour se placer en bonne position et encadrer la cible, ce qui les rendait alors vulnérables à l’artillerie de bord et aux chasseurs d’escorte. Pour résoudre ce problème et permettre la visée à haute vitesse, le Major Sinner suggéra d’employer, en plus des canons de bord, des batteries de roquettes non guidées R4M de 55 mm qui donnèrent d’excellents résultats, surtout lorsqu’elles étaient tirées en une seule salve contre les formations compactes de quadrimoteurs.

Une autonomie trop réduite

L’un des autres défauts du Me 262 était la trop petite contenance de son réservoir qui réduisait drastiquement son autonomie de vol. En cas d’accrochage avec Me 262, les pilotes alliés avaient ainsi mis au point une parade très efficace : ils plongeait vers le sol et prenaient la fuite en louvoyant à basse altitude. En cas de poursuite, cela réduisait considérablement, en quelques minutes, les réserves de carburant du Me 262, trop faibles pour cette tâche, qui devait rapidement abandonner le combat, laissant échapper ainsi sa proie

Des pilotes trop jeunes, mal formés et inexpérimentés

Mais la raison majeure des échecs du Me 262 reste l’inexpérience des pilotes de chasse, trop hâtivement formés, qui ne connaissaient pas suffisamment les techniques de navigation et le maniement des instruments de bord. Les anciens pilotes de bombardiers, eux, maîtrisaient parfaitement ces techniques, mais n’avaient en revanche aucune expérience en combat aérien rapproché

Un avion performant, mais pas invulnérable

Malgré ses prodigieuses qualités et ses performances extraordinaires, jamais les pilotes alliés n’eurent l’impression que le Me 262 était invulnérable. Même si sa vitesse de pointe était supérieure de 160 km/h aux meilleurs appareils alliés, ils se sont toujours efforcés de faire face à ce redoutable chasseur, dont ils apprirent vite à connaître les défauts et les faiblesses. C’est ainsi que de juillet 1944 à mai 1945, des Hawker Tempest de la RAF enregistrèrent 20 victoires confirmées contre des Me 262. Sur les vingt pilotes de Me 262 abattus, au moins cinq d’entre eux ont trop fait confiance à leur matériel : faute d’avoir scruté le ciel sur leurs arrières, ils ont ralenti leur vitesse pour économiser du carburant et ont essuyé, à ce moment fatal, une rafale d’obus... Le 25 août 1944, le Major Joseph Myers du 78th FG de l’USAAF parvint, en poussant à fond son Republic P-47 Thunderbolt – à faire s’écraser le Me 262 de l’Oberfeldwebel Lauer dans un champ des environs de Bruxelles. Le pilote allemand, trop concentré sur sa proie, ne parvint pas à manœuvrer suffisamment rapidement pour éviter de percuter le sol, lorsque le P-47 se déroba brusquement en amorçant une ressource brutale.


Le Messerschmitt Me-1101

A la fin de l'année 1944, le Reichsluftministerium (RLM) chercha à développer dans l'urgence un nouveau chasseur à réaction susceptible de remettre en cause la suprématie aérienne des Alliés au-dessus du Reich. Il s'agissait de développer un chasseur rapide et maniable, capable d'intercepter et de désorganiser les formations compactes de bombardiers qui opéraient quotidiennement sur l'Allemagne, afin de mettre un terme aux bombardements stratégiques en tapis qui minaient le potentiel industriel du pays.

Premier chasseur à réaction à voilure en flèche

Parmi les divers projets concurrents qui furent soumis au RLM figurait celui d'un chasseur doté d'une voilure en flèche à grande incidence, concept totalement novateur à l'époque... Baptisé P-1101, cet avion conçu par Messerschmitt devait être propulsé par un puissant réacteur Heinkel Hirth HeS 011 développant 1380 kg de poussée. Outre la voilure en flèche fortement inclinée vers l'arrière, l'originalité du concept tenait au fait que le réacteur, assez court et compact, était suspendu sous la cellule de la carlingue tout en étant intégré dans le fuselage. Il était alimenté par une prise d'air frontale ménagée à l'avant du nez et se terminait nettement en avant de la queue de l'appareil dont la poutre se prolongeait bien au-delà de la tuyère d'éjection pour supporter l'empennage. Cette disposition, inhabituelle chez Messerschmitt, offrait l'immense avantage de libérer totalement le dessous des ailes qui pouvait dès lors accueillir divers types de projectiles antiaériens de dernière génération. Le concept s'inspirait manifestement de l'avion expérimental He 178 développé dès 1939 par Heinkel pour mettre au point la turbine à réaction, à l'instar du concurrent direct du Me 1101, le Ta 183A Huckelbein développé par Focke Wulf. On retrouvera d'ailleurs la même disposition du réacteur suspendu dans les premiers prototypes de chasseurs à réaction soviétiques de l'après-guerre, tous étroitement dérivés du Me-1101 (Mig-9, Lavotchkine La-150, La-168, La-174 et La-15).

L'armement prévu pour le Me-1101 comprenait deux canons MK 108 de 30 mm installés dans le nez de l'appareil et des points d'emport destinés à accueillir des rampes de roquettes ou 4 missiles air-air Kramer X-4 filoguidés (deux sous chaque aile). Ces armes nouvelles, tout récemment mises au point, révolutionnaient complètement la tactique du combat aérien car elles étaient propulsées par des moteurs fusées qui leur conférait une vitesse fulgurante et une très grande portée, ce qui permettait de les décocher à une distance de sécurité. Désormais, il n'était plus nécessaire de s'approcher dangereusement des bombardiers pour les encadrer, les aligner dans le viseur et les abattre, au risque de se faire soi-même descendre par les chasseurs d'escorte durant le court laps de temps où il fallait conserver le même cap pour les mitrailler. Ce genre de mésaventure arriva à plusieurs pilotes néophytes de Messerschmitt Me 262, trop confiants dans la supériorité de leur machine ou trop occupés à ajuster leur tir, qui furent " cueillis " par l'escorte au moment même où ils cassaient leur vitesse pour aligner leur cible... L'attaque s'effectuerait dorénavant de loin, à distance respectable des armements de bord, de façon à soustraire le pilote et l'appareil au feu nourri et meurtrier des formations compactes de bombardiers (les fameux " box " de l'U.S.A.A.F.). La nouvelle doctrine d'engagement allemande prévoyait à l'avenir de harceler les vagues de bombardiers alliés tout au long de leur parcours sur l'Allemagne, en lançant successivement contre elles des meutes de chasseurs à réaction échelonnés sur leur chemin. Surgissant inopinément du ciel, les chasseurs attaqueraient simultanément le " box " mais sous différents angles d'attaque, de façon à semer la panique parmi les équipages, à disperser le feu des bombardiers, à désorganiser leur défense et à disloquer les formations... Après quelques passes rapides qui leur permettraient d'abattre plusieurs cibles successives, les chasseurs rompraient le combat aussi soudainement qu'ils étaient apparus pour dégager rapidement vers leur base, en utilisant leur vitesse pour distancer l'escorte, abandonnant la formation à une autre meute qui prendrait le relais un peu plus loin... En multipliant ainsi les raids éclairs tout au long de la route des bombardiers, la Luftwaffe espérait disloquer et décimer progressivement les formations lourdes de bombardiers stratégiques au fur et à mesure qu'elles s'enfonceraient au cœur de l'Allemagne

Bien que le choix Reichsluftministerium se porta finalement sur le projet rival Focke-Wulf Ta 183, il fut décidé de construire le prototype du Me-1101 afin de tester les différentes possibilités offertes par son aile révolutionnaire. En lieu et place du HeS 011 initialement prévu, qui affichait d'importants retard de fabrication, l'unique exemplaire plus ou moins achevé du Me 1101 fut finalement équipé d'un turboréacteur Junkers Jumo 004B. Il fut découvert par l'U.S. Army en avril 1945 dans une usine secrète dont les Alliés ne soupçonnaient même pas l'existence. Cette usine souterraine comportait également une halle où les G.I.'s trouvèrent une série de cellules de Me-1101 inachevées et en cours de montage (voir cliché plus bas).

Transféré dans le plus grand secret aux USA dans le cadre de l'opération " Paperclip ", l'unique exemplaire complet du Messerschmitt Me-1101 fut étudié minutieusement par les spécialistes américains, puis complété afin d'être testé en vol. Rebaptisé " Bell X-5 " par les ingénieurs d'outre-Atlantique, il atteignit une vitesse de 870 km/h à 7000 m d'altitude et devint ainsi le premier jet à voilure en flèche à voler au monde… De son côté, la firme North American développa le fameux P-86 Sabre, un appareil étroitement inspiré du Me-1101 et que l'on peut considérer comme l'aboutissement final des plans du Me-1101. Par une ironie de l'histoire, il fit ses premières armes au combat dans le ciel de Corée, face à un autre appareil issu des projets du Reichsluftministerium (voir "Des jets allemands en Corée").

De leur côté, les Soviétiques, conscients de leur énorme retard en matière aéronautique, ne furent pas en reste dans la chasse aux armes miracles allemandes. Au cours des dernières semaines de la guerre, l'Armée rouge captura des plans de l'appareil et fit prisonnier des savants et des techniciens qui avaient participés au projet. Ils furent transférés de force en U.R.S.S. où ils furent contraints de collaborer à la conception des tout premiers jets soviétiques. De 1946 à 1948, sur ordre express de Staline, l'Union soviétique développa ainsi une série de prototypes qui étaient tous directement inspirés et dérivés du Messerschmitt Me-1101. Mais ceci est une autre histoire et nous renvoyons les internautes plus particulièrement intéressés par ce sujet à la sous-rubrique spécifique qui leur est consacrée (voir "Les dérivés du Me-1101").

Fiche technique :

Type : chasseur à voilure en flèche
Equipage : monoplace
Longueur : 8,98 m
Hauteur : 3,71 m
Envergure : 8,06 m
Poids à vide : inconnu
Propulsion : 1 réacteur Junkers Jumo 004B
Puissance : 890 kg de poussée
Rayon d'action : inconnu
Plafond : inconnu
Vitesse maximale : 860 km/h à 7 000 m d'altitude (Mach 0,81)
Armement : 2 canons MK108 de 30 mm
4 missiles Kramer X-4 (ou des rampes de roquettes)


Les dérivés Soviétiques du Messerschmitt Me 1101

Dans les derniers mois de la guerre en Europe, les Alliés se livrent en Allemagne à une véritable chasse aux savants et aux armes miracles. Les Soviétiques ne sont pas en reste mais les " prises de guerre " qu'ils ont l'occasion de faire au cours de leur progression à travers les ruines fumantes du Reich leur font rapidement prendre conscience de l'étendue de leur retard en matière aéronautique et du fossé qui les sépare encore du premier avion propulsé par turboréacteur… Piqué au vif dans son orgueil national et ne voulant surtout pas demeurer à la traîne des occidentaux, Staline ordonne en mars 1946 la construction d'urgence de chasseurs à réaction subsoniques, capables de voler à Mach 0,9, de grimper vite et haut, présentant une autonomie d'au moins une heure et doté d'un armement à base de canons. L'appareil doit être maniable à haute altitude et pouvoir évoluer par temps incertain. Sa mission est l'interception de bombardiers en haute altitude, l'assaut entrant également dans le cadre de ses éventuelles possibilités de combat... Trois bureaux d'étude sont pressentis: Lavotchkine, Mikoyan-Gourevitch et Yakolev. Sur la base de divers plans saisis en Allemagne et avec l'aide de nombreux techniciens allemands qui avaient collaboré aux armes miracles et qui ont été ramenés de force en URSS, les trois bureaux vont s'inspirer du Messerschmitt Me-1101, le futur chasseur qui était appelé à devenir l'armature de la défunte Luftwaffe.

Le Mig-9

Le 24 avril 1946, Mikoyan-Gourevitch fait décoller le prototype I-300(F), premier chasseur à réaction russe dérivé du Me-1101 à prendre l'air - une heure seulement avant que Yakolev ne fasse de même avec son Yak-15, lui aussi inspiré du chasseur allemand. Au départ, les études du I-300(F) prévoient l'implantation dans la partie centrale du fuselage de 2 turboréacteurs Lyoulka S-18 montés côte à côte, mais la grande incertitude quant aux délais de livraison et à la fiabilité du tout nouveau réacteur élaboré par les Russes amène le constructeur à modifier ses plans. Le prototype est finalement équipé avec 2 turboréacteurs allemands BMW-003.A de 800 kgp, les troupes soviétiques ayant fait main basse sur un stock de BMW-003.A et de Junkers Jumo 004 dans les derniers mois de la guerre… C'est donc avec une motorisation allemande que le premier appareil soviétique dérivé de la technologie aéronautique germanique prend l'air.

Durant les premiers essais, le I-300(F) atteint 750 km/h au niveau de la mer, puis 910 km/h à 5 000 m d'altitude (Mach 0,78). Mais le 24 mai, lors d'un essai à basse altitude, le prototype pique et s'écrase au sol, tuant sur le coup le pilote d'essai Grintchik. Le programme se poursuit avec les 2 autres I-300(F) construits et le 18 août 1946, dans le cadre de la Journée de l'Aviation soviétique, l'un d'entre eux effectue une démonstration en vol à Touchino devant un parterre d'officiels du Kremlin. Le lendemain, sur ordre direct de Staline, qui a été très fortement impressionné, 15 exemplaires sont commandés sous la désignation Mig-9, avec recommandation expresse du dictateur d'être achevés le 7 novembre pour participer à la parade annuelle commémorant la révolution d'Octobre. Grâce à la technologie germanique qu'il s'est approprié, Staline est résolu à en mettre plein les yeux aux délégations occidentales! La firme Mikoyan-Gourevitch réussit à accomplir ce tour de force: le dernier des quinze Mig-9 sort d'usine le 21 octobre, mais, du fait des mauvaises conditions météorologiques, aucun d'entre eux ne peut décoller le 7 novembre au matin… Finalement, quelques 500 Mig-9 seront construits, tous propulsés par des copies du BMW-003.A allemand, et sous différentes versions. Les derniers furent retirés du service en 1954. De 1946 à cette date, l'essentiel des forces tactiques soviétiques.

Le Lavotchkine 150 soviétique


Mis au point peu avant 1950, le P-86 Sabre et le Mig 15 ne furent toutefois pas des cas uniques et il faut bien constater que les premiers jets développés immédiatement après guerre par les diverses firmes soviétiques présentaient tous, sans exception, un étrange air de parenté avec le Messerschmitt Me 1101 allemand… et pour cause!

En 1947, lors de la fête de l'aviation soviétique, les attachés de l'air occidentaux découvrirent ainsi avec surprise le Lavotchkine La-150, un appareil russe dont la silhouette ressemblait étrangement au Messerschmitt Me 1101. Ce chasseur, équipé d'une aile haute et droite comme son modèle allemand, était propulsé par un turboréacteur RD-10 dérivé directement du Jumo 004.A germanique. Comme son homologue allemand, le réacteur était suspendu sous le fuselage et débouchait sous une poutre prolongeant la carlingue et supportant l'empennage. Le La-150 effectua avec succès son premier vol en septembre 1946. Six prototypes furent construits au total. Le dernier fut même équipé de la postcombustion et atteignit la vitesse record de 950 km/h lors des essais effectués au début de l'année 1947. Mais les services de l'aéronautique soviétique lui préférèrent finalement le Yak-15 et, en avril 1947, il fut décidé d'abandonner la série La-150 qui ne fut jamais produite en série

Le Lavotchkine 160 soviétique

Au printemps 1947, la firme Lavotchkine expérimenta en vol un autre appareil directement dérivé du Messerschmitt Me 1101: le La-160 qui avait été spécialement fabriqué pour expérimenter l'aile en flèche de l'appareil allemand. Equipé d'un réacteur RD-10A de 1000 kgp (lui aussi dérivé du Jumo 004.A de Junkers), il possédait une aile et un stabilisateur en flèche de 35°, comme son modèle germanique. Le nez, allongé de 66 cm, renfermait deux canons N-37 de 37 mm. Durant les essais effectués au cours de l'été 1947, le La-160 atteignit la vitesse incroyable de 1050 km/h et il fut le premier appareil soviétique (si on peut dire!) à dépasser le cap des 1000 km/h et à atteindre en palier une vitesse subsonique! Trois exemplaires furent construits, dont un à aile droite, mais il ne débouchèrent sur aucune production en série

Le Lavotchkine La-15 soviétique

Avec le La-168 et le La-174, la firme Lavotchkine abandonna finalement la formule du réacteur suspendu sous le fuselage, inspirée du Messerschmit Me 1101, pour intégrer carrément le turboréacteur dans la cellule. Le prototype du La-168 vola au printemps 1948, quatre mois seulement après le Mig-15. L'appareil n'était toutefois qu'un ultime développement, très perfectionné, du Me 1101, comme le prouvent son aile haute et sa voilure en flèche inclinée de 37° vers l'arrière. Les prototypes La-168 et La-174 étaient presque identiques, différant essentiellement par la puissance de leurs moteurs (2 200 kgp pour le La-168 et 1 600 kgp pour le La-174). Après les essais comparatifs effectués en août 1948, ce fut le La-174, rebaptisé La-15 au niveau de la production en série, qui remporta le marché mais seules quelques dizaines d'exemplaires furent finalement commandés. Affectés comme chasseurs tactiques, ils restèrent en service jusqu'en 1956 qui marque donc la fin ultime de l'histoire de ce qui fut, une dizaine d'année auparavant, le Messerschmitt Me 1101...


Des chasseurs à réaction allemands dans le ciel de Corée…

Paradoxalement, la concurrence effrénée qui avait opposé, dès leur conception, le Messerschmitt 1101 et le Focke Wulf Ta 183 allemands ne prit pas fin avec la chute de l'Allemagne nazie. Elle connut un étonnant prolongement au début de la guerre froide, au cours de laquelle les deux appareils rivaux s'affrontèrent impitoyablement...mais avec d'autres désignations et sous d'autres couleurs que celles du Reich!

L'ironie veut en effet que les premiers combats aériens de l'histoire opposants des jets à réaction eurent lieu dans le ciel de Corée, au tout début des années 1950. Ils virent s'affronter le Mig 15 soviétique, descendant direct du Focke-Wulfe Ta183, et le Northamerican P-86 Sabre de l'U.S.A.A.F, dérivé en droite ligne du Messerschmitt P1101. Si la silhouette des jets des deux camps adverses était si semblable, si leurs performances et leurs qualités de vol étaient comparables, si leurs caractéristiques étaient à tel point similaires, cela ne devait rien au hasard : les deux appareils dérivaient tous deux du projet d'intercepteur lancé par le Reichluftministerium en 1944 et répondaient par conséquent aux mêmes spécifications techniques... Certes, les ingénieurs américains et soviétiques avaient apportés certaines modifications et améliorations aux deux appareils concurrents, mais leurs caractéristiques de base, notamment leur forme générale, n'avaient guère été modifiées. Sous l'étiquette du Mig 15 soviétique et du Sabre P-86 américain, ce furent bien la version améliorée et aboutie du Fw Ta 183 et du Me 1101 qui s'affrontèrent dans le ciel de Corée, avec un léger avantage technologique au premier...

Bien qu'ils aient été développés trop tard pour modifier l'issue de la seconde guerre mondiale, ces deux appareils issus initialement d'un même cahier des charges influencèrent fortement le développement des avions à réaction de la première et seconde génération, tant du côté soviétique que du côté américain. Leurs qualités et leurs performances étaient telles qu'ils eurent d'ailleurs tous deux une descendance prestigieuse, avec le Northamerican F-100 Supersabre du côté américain, et la série des Mig 17, 19 et 21 du côté russe. Ainsi, par un étrange retournement du sort, ce furent les plus farouches adversaires du IIIe Reich - Soviétiques et Américains - qui tirèrent profit du fabuleux travail de recherche et d'étude des ingénieurs allemands, prouvant par la même occasion l'extraordinaire avance technologique que l'Allemagne avait acquise vers la fin de la guerre…


Le Heinkel He 178

Construit à un seul exemplaire, le Heinkel He 178 fut le premier avion à réaction à voler dans le monde. Il effectua son vol initial le 27 août 1939, soit près de deux ans avant son homologue britannique, le Gloster E.28/39. Cinq jours plus tard, le 1er septembre, l'Allemagne envahissait la Pologne, déclenchant la seconde guerre mondiale

Avion expérimental pour la mise au point de la turbine à réaction

Le Heinkel He 178 fait figure de précurseur parmi les avions à réaction, car sa conception est étroitement liée à la mise au point d'un nouveau mode de propulsion qui allait donner un avantage certain aux allemands, avant de révolutionner l'histoire de l'aviation tout entière: la turbine à réaction...

Le développement du Heinkel He 178 fut extrêmement rapide car les premières démarches en vue de sa réalisation ne furent entreprises qu'en mars 1939, six mois à peine avant son premier vol d'essai. A cette époque, Ernst Heinkel avait engagé dans son usine l'ingénieur Hans Pabst von Ohain, le concepteur de la turbine à gaz, ainsi que son assistant, Max Hahn. En fait, les ingénieurs de la firme Heinkel travaillaient depuis plusieurs années déjà à la mise au point d'un nouveau moyen de propulsion révolutionnaire : le turboréacteur.

Le premier propulseur expérimental de ce type, baptisé HeS 1, existait déjà en septembre 1937. Une version perfectionnée et améliorée, le HeS 2, fut testée sur banc d'essai en 1938. Mais les ingénieurs de " Heinkel " n'étaient pas encore pleinement satisfaits, car ils estimaient qu'ils pouvaient encore améliorer les performances du turboréacteur. C'est pourquoi ils conçurent une troisième version, le HeS 3b à flux centrifuge, qu'ils décidèrent de monter sur un appareil expérimental conçu spécialement à cet effet : le Heinkel He 178.

Le He 178 était muni d'une voilure haute et droite, entièrement construite en bois, fixée sur une carlingue semi-monocoque en métal qui conférait à l'avion une silhouette très pure. Le turboréacteur expérimental était logé dans la cellule du fuselage qui présentait de ce fait une forme tubulaire légèrement renflée. La turbine était alimentée par une entrée d'air cylindrique, ménagée à l'avant du nez de l'avion, et les gaz de combustion étaient expulsés par une longue tuyère intégrée dans l'arrière du fuselage. De conception classique, le train d'atterrissage comportait une roulette de queue rétractable pour ne pas diminuer les performances aérodynamiques de l'appareil.

Le turboréacteur HeS 3b développait 500 kg de poussée, ce qui n'était pas négligeable vu la légèreté de l'avion expérimental (1990 kg à pleine charge !). Cette puissance permettait au Heinkel He 178 d'atteindre 580 km/h en palier au niveau de la mer. Par la suite, le Prof. Heinkel expérimenta un turboréacteur à flux centrifuge plus puissant, le HeS 6, qui développait 580 kg de poussée. Mais il dut rapidement limiter la vitesse à 600 km/h sous peine de voir l'avion expérimental se désintégrer en vol, plusieurs éléments du fuselage ne supportant pas le surcroît d'efforts engendrés par cette surpuissance

La configuration générale du He 178 servit de base pour l'étude et le développement des chasseurs à réaction Heinkel He 280 et He 162. Une fois la mise au point du turboréacteur achevé, l'unique exemplaire du He 178 construit par la firme Heinkel fut transféré au Musée de l'Air de Berlin pour y être exposé. C'est là qu'il fut détruit par un bombardement allié sur la capitale du Reich...

Fiche technique :

Type : avion expérimental
Equipage : monoplace
Longueur : 7,51 m
Hauteur : 2,10 m
Envergure : 7,10 m
Surface ailaire : 7,90 m2
Poids à vide : 1 590 kg
Poids au décollage : 1 990 Kg
Propulsion : 1 turboréacteur Heinkel HeS 3b à flux centrifuge
Puissance : 500 kg de poussée
Vitesse maximale : 580 km/h en palier au niveau de la mer
Vitesse d'approche : 165 km/h
Armement : aucun


Le Heinkel He 280

Le Heinkel He 280 fut le premier avion à réaction conçu en tant que chasseur de combat. Il effectua son premier vol d'essai à Marienehe le 2 août 1941, avec une avance de dix-neuf mois sur le premier chasseur à réaction opérationnel britannique, le Gloster Meteor. La configuration générale du He 280 bénéficiait de l'expérience retirée de son prédécesseur, l'avion expérimental He 178 développé en 1939 par la firme Heinkel pour tester le principe de la turbine à réaction.
Le malheureux concurrent du Messerschmitt Me 262

Pour ce nouveau chasseur à réaction, destiné à conférer à l'Allemagne la supériorité aérienne dans le ciel européen, l'ingénieur Hans Pabst Von Ohain conçut un biréacteur doté d'un fuselage en "taille de guêpe" qui conférait au He 280 une silhouette très élégante. La forme générale de l'appareil ressemblait étonnamment à celle de son rival direct, le Messerschmitt Me 262, avec lequel le He 280 partageait de nombreuses similitudes: fuselage effilé et aérodynamique prolongé par un nez conique, voilure basse, réacteurs d'intrados suspendus en berceau sous les ailes, train tricycle, etc. Le Heinkel He 280 différait toutefois de son concurrent par le fait qu'il possédait un empennage papillon bidérive, placé légèrement au-dessus et à l'arrière de la queue de l'appareil, et par une forme générale légèrement plus trapue.

Pour propulser l'appareil, l'ingénieur Von Ohain mit au point un nouveau turboréacteur à flux centrifuge, le HeS 8 (ou 109-001), développant 700 kg de poussée. Deux moteurs de ce genre, logés dans des nacelles placées sous les ailes, équipèrent les trois premiers prototypes, baptisés officiellement He 280 V1 à V3. A eux deux, ces nouveaux turboréacteurs étaient capables de fournir 1400 kg de poussée à l'appareil au moment du décollage ou lors des accélérations brutales. Avant d'être motorisé, le premier prototype (He 280 V1), commença par effectuer de nombreux essais en vol sans moteurs, remorqué simplement par deux Messerschmitt Bf 110, ceci afin de tester le comportement et la manœuvrabilité de la cellule. Lors de son premier vol inaugural motorisé, quelques semaines plus tard, on ne prit même pas la peine de recouvrir les turboréacteurs d'intrados par un capot, comme le montre une photographie réalisée au moment de son atterrissage (voir le cliché sous le texte). Dans un premiers temps, Le He 280 V4 fut équipé d'un turboréacteur BMW 109-003, qui fut remplacé ensuite par six pulsoréacteurs Argus 109-014. Le He 280 V5 reçut tout d'abord des HeS 8, puis des BMW 109-003. Cet appareil, comme d'ailleurs le sixième prototype (He 280 V6) fut armé de trois canons MG 151 de calibre 20 mm. Le He 280 V7 et le He 280 V8 reçurent, pour leur part, des turboréacteurs Jumo 109-004, à l'instar de ceux qui remplacèrent les HeS 8 du prototype n°2. Quant au neuvième et dernier prototype construit, le He 280 V9, il fut équipé également de BMW 109-003.

Sur la base des performances étonnantes affichées par l'appareil et des excellents résultats enregistrés lors des divers vols d'essai, la production en série de l'appareil fut envisagée très sérieusement. Mais le projet capota finalement en raison d'un grand nombre de défauts signalés et l'appareil fut finalement abandonné au profit de son concurrent direct, le Messerschmitt Me 262...

Fiche technique :

Type : prototype de chasseur à réaction
Equipage : monoplace
Longueur : 10,40 m
Hauteur : 3,06 m
Envergure : 12,20 m
Surface ailaire : 21,50 m2
Poids à vide : 3 215 kg
Poids au décollage : 4 310 kg
Propulsion : 2 turboréacteurs HeS 8a (109-001A)
Puissance : 2 x 750 kg de poussée
Vitesse maximale : 900 km/h à 6 000 m d'altitude
Vitesse ascensionnelle : 1 145 m / minute
Plafond estimé : 11 500 m d'altitude
Rayon d'action : 650 km
Armement : 3 canons MG 151 de 20 mm montés dans le fuselage. Ultérieurement, on songea à en placer six au lieu de trois.



HEINKEL He 162

Le Heinkel He 162, dont le premier modèle fut conçu et réalisé en à peine 10 semaines, est le résultat du programme « Volksjäger » (chasseur du peuple) lancé en septembre 1944 par le Reich aux abois. Pour les Nazis, ce programme représentait l’ultime espoir de reconquérir la supériorité aérienne au-dessus de l’Allemagne. Il répondait à un cahier des charges du Reichsluftfahrtministerium visant à produire un chasseur à réaction léger et peu coûteux, facile à piloter, suffisamment simple pour être produit massivement et capable d’évoluer à partir de pistes de fortune sommairement aménagées (notamment des routes goudronnées ou la célèbre autoroute Hambourg-Berlin, reconvertie en aérodrome à la fin de la Seconde Guerre mondiale)…
Baptisé « Salamander » (salamandre) ou « Spatz » (moineau) par les Allemands, cet appareil commença à être fabriqué au début 1945 et aurait vraisemblablement équipé une partie de la Luftwaffe dès 1946 si la guerre s’était prolongée. Les Allemands avaient en effet prévu de le décliner en plusieurs versions (A à E), chacune étant une amélioration de la précédente pour optimiser les performances du « Volksjäger ». Ce sont ces différentes versions que nous vous proposons de découvrir en détail, chacune faisant l’objet d’une rubrique spécifique…


Le Henschel Hs-132

Le premier bombardier à réaction en piqué de l'histoire. Dès 1943, les Allemands s'aperçurent que les pertes enregistrées lors des attaques en piqué menées par les Ju-87 « Stuka » devenaient trop élevées. Qui plus est, ces attaques nécessitaient de plus en plus l'assistance de chasseurs bien armés. Cela était particulièrement manifeste sur le front de l'Est où la chasse soviétique s’était considérablement renforcée et modernisée. Si le « Stuka » avait fait merveille durant les Blitzkriegs de 1939-1941, où sa combinaison tactique avec les Panzers s'était révélée particulièrement redoutable, en 1943 l'appareil était manifestement devenu trop lent et trop vulnérable. Il était temps de songer à le remplacer. La firme Henschel, qui avait acquis une grande expérience en matière d'appareils d'appui au sol, proposa, à la fin de l'année 1944, de construire un bombardier d'attaque en piqué propulsé par un moteur à réaction.

Le réacteur sélectionné, un BMW 109-003E-2 développant 800 kg de poussée, était installé au-dessus du fuselage. Cette disposition, jointe au fait que le Henschel He-132 possédait un empennage bi-dérives de type cantilever, faisait que la silhouette du bombardier ressemblait beaucoup à celle du chasseur à réaction Heinkel He-162. La confusion était encore renforcée par les désignations très similaires des deux appareils dont les noms ne différaient que par quelques lettres. Mais la similitude s'arrêtait là. L'aérodynamisme du Hs-132 avait été étudié en soufflerie pour faciliter l'écoulement de l'air le long du fuselage et diminuer au maximum le coefficient de friction. Il en résultait une cellule oblongue et effilée aux deux extrémités, présentant des formes très pures. La voilure, très fine et magnifiquement profilée, accusait une légère flèche vers l'arrière, avec des ailes fixées à mi-hauteur. La vitesse maximale espérée en palier était de 780 km/h à 6 000 m d'altitude, avec un plafond pratique de 10 250 m et un rayon d'action de 680 km. En piqué, on estime que le bombardier aurait probablement frôlé les 1000 km/h vu sa forme très pure et son aérodynamique très poussée. La capacité d'emport était identique à celui du « Stuka », à savoir une bombe de 500 kg sous le fuselage ou 2 bombes de 250 kg sous les ailes. Sur les photograhies du seul prototype qui fut quasiment achevé, on distingue clairement quatre emplacements prévus pour loger 2 x 2 canons de part et d'autres du nez de l'appareil.

La caractéristique la plus surprenantes du Hs-132 était la position du pilote qui était étendu à plat ventre dans le nez vitré de l'appareil. Cette disposition particulière garantissait une vision optimale dans toutes les directions, grâce à une verrière très ajourée et à la présence d'une bulle frontale offrant un dégagement angulaire sur 360 degrés. Elle permettait surtout au pilote d'encaisser sans problème jusqu'à + 12 G (soit 12 fois son propre poids) lorsque il amorçait sa ressource vers le haut en cabrant son appareil au sortir d'une attaque en piqué. Cela améliorait considérablement le confort du pilote et facilitait le maniement du bombardier à réaction. Etant étendu sur le ventre, le pilote ne ressentait plus l'effroyable tassement des vertèbres inhérent à la position assise et risquait moins de succomber au fameux "voile noir" provoqué par le brusque reflux du sang vers les pieds. La simplicité de construction de l'appareil, qui faisait largement usage du bois, fut particulièrement appréciée par le Reichsluftfahrtministerium (RLM) qui commanda aussitôt trois prototypes. Leur assemblage commença très tardivement, en mars 1945... Seul le Henschel Hs-132 V1 put être achevé avant la fin des hostilités, mais il ne put prendre l'air avant l'écroulement du Reich. Les trois prototypes construits furent saisis par les troupes soviétiques en mai 1945 et l'on perd ensuite leurs traces. Probablement ont-ils été rapatriés dans le plus grand secret en Union soviétique. Existent-ils toujours? Nul ne le sait

Fiche technique du Hs-132

Désignation Henschel Hs-132
Type bombardier en piqué à réaction
Equipage monoplace.
Propulsion 1 turboréacteur BMW 109-003E-2 en position dorsale
Puissance 800 kg de poussée
Vitesse max. 780 km/h en palier à une altitude de 6 000 m.
probablement 1 000 km/h en piqué.
Plafond pratique 10 250 m d'altitude
Rayon d'action 680 km
Poids en charge 3 400 kg au décollage
Envergure 7,20 m
Longueur 8,90 m
Surface alaire 14,82 m2
Armement 1 bombe de 500 kg ou 2 bombes de 250 kg.
emplacements pour 4 canons de part et d'autre du nez


L'aile volante à réaction Horten Ho 229

Le Horten Ho 229 est l'une des premières ailes volantes à réaction à avoir volé au monde, à côté des productions de Jack Northrop aux Etats-Unis. Sur de nombreux points, cet appareil à l'aspect étrange préfigure l'actuel bombardier furtif américain B2 dont la silhouette générale et la forme arrondie en goutte d'eau rappellent étonnement celles du chasseur révolutionnaire conçu cinquante ans plus tôt en Allemagne. L'origine du Ho 229 remonte au début des années 1930, lorsque les frères allemands Walter, Reiner et Volfram Horten passaient leur jeunesse à dessiner, construire et faire voler d'innocents planeurs tout en aile.

Un concept révolutionnaire

Devenu pilote dans la chasse allemande durant la seconde guerre mondiale, Walter Horten constata que plus le conflit se prolongeait, plus les avions de chasse classiques alignés par le IIIe Reich peinaient à rivaliser avec les performances sans cesse améliorées des nouveaux chasseurs alignés par les Alliés (Spitfire Supermarine, Hawker Typhoon, P38 Ligthning, P51 Mustang). Il arriva à la conclusion que l'unique chance de d'inverser la tendance et de redonner à l'Allemagne une supériorité aérienne qu'elle avait perdue depuis longtemps était de concevoir un chasseur en forme d'aile volante, seul capable d'afficher des performances lui permettant de surclasser tous les avions existants à l'époque. Cet appareil révolutionnaire, aux lignes très épurées, devait comporter une cellule en forme de goutte d'eau et ne présenter que des formes arrondies, de façon à lui conférer une grand coefficient de pénétration et une fluidité maximale. Pour diminuer la résistance à l'écoulement de l'air, il était essentiel de supprimer tout élément protubérant et d'intégrer aux maximum les réacteurs dans la cellule. Discrètement encouragés dans cette voie par certains milieux de la Luftwaffe, les trois frères se mirent donc au travail dans le cadre d'une cellule de recherche secrète et non officielle, le " SonderKommando 3 ". Le but était de concevoir et de construire un prototype d'aile volante à réaction totalement dépourvu d'empennage et de stabilisateurs verticaux, capable de dépasser les 1000 km/h en pallier. La portance et la stabilité en vol de l'engin étaient basées sur la seule surface alaire, formée d'une seule aile présentant une légère flèche. L'attribution du prix offert par le programme intitulé " 3 x 1000 chasseurs/bombardiers " leur permit de mener à bien leur projet.

Premiers prototypes

La première phase de développement consista à tester la cellule et le concept adopté. Pour ce faire, on construisit un premier prototype, baptisé Horten Ho IX V1, sur lequel les futurs réacteurs étaient remplacés par des moteurs à piston classiques entraînant deux hélices montés sur le dos de l'appareil. Il n'existe que de rares clichés des essais en vol de cette première ébauche. Le premier prototype à réaction, baptisé Ho IX V2, put être rapidement achevé, en dépit de changements majeurs survenus dans la conception de l'appareil durant la phase de recherche. Ces modifications étaient dues à la dimension imprévue des réacteurs Jumo 004, plus gros que les réacteurs BMW 003 initialement choisis pour propulser l'aile volante. Ce second prototype effectua son premier vol d'essai avec succès en décembre 1944. Durant ce vol inaugural, l'aile volante des frères Horten se comporta même si bien que les premières commandes de production furent immédiatement envoyées aux compagnies de construction aériennes Klemm et Gotha, sous la désignation officielle Ho 229 A (on trouve également la désignation Gotha Go 229).

Un appareil polyvalent

Avant de lancer la production en série, la firme Gotha avait prévu de construire 6 prototypes différents, baptisés Ho 229 V3 à V8, destinés à servir de base d'étude pour le développement des différentes versions prévues. Pour ce que l'on en sait, ces versions comprenaient notamment un chasseur diurne (baptisé Ho 229A), un chasseur-bombardier, une version biplace d'entraînement et un chasseur de nuit biplace, désigné officiellement Ho229B Nachtjäger. Ce dernier se distinguait de la version diurne par l'ajout de deux antennes radar montées respectivement devant le nez de l'appareil et à l'arrière de la cellule. Quand l'atelier Gotha fut occupé par l'U.S. Army en 1945, seul le prototype du chasseur diurne Ho 229A était pratiquement achevé et prêt pour ses premiers essais en vol. Les autres variantes n'avaient pas dépassé le stade des simples épures, faute de temps...

La plupart des plans ont disparu dans le chaos qui engloutit le IIIe Reich. Il existe toutefois encore un dessin montrant la configuration générale du prototype V6, correspondant à la version biplace. On pense qu'il s'agit là de l'ébauche destinée au développement de la version d'entraînement et du chasseur de nuit, qui était équipée d'un second siège réservé à l'instructeur ou à l'opérateur-radar. Le plan montre clairement que l'installation de ce second siège dans la cellule du cockpit nécessita de redessiner complètement la section centrale du fuselage et d'allonger le nez de l'appareil. Equipé d'un radar performant, d'une puissante antenne de détection logée dans le nez de l'appareil et d'une seconde antenne prolongeant le fuselage vers l'arrière, ce chasseur de nuit Nachtjäger Ho 229B aurait sans doute mené la vie dure aux formations de bombardiers anglais opérant de nuit sur l'Allemagne s'il avait pu être développé en nombre et en temps voulu... La chute rapide du IIIe Reich mit toutefois un terme à ces divers projets qui restèrent à l'état d'ébauches ou d'esquisses.

Fiche technique

Version prévues chasseur diurne, chasseur-bombardier, chasseur de nuit, version d'entraînement
Equipage monoplace pour le chasseur diurne et le chasseur-bombardier; biplace pour le chasseur de nuit et la version d'entraînement
Poids 9 tonnes au décollage
Motorisation 2 réacteurs Jumo 004B-2 insérés dans la cellule sur le dos de l'appareil
Poussée 2 x 900 kg de poussée
Rayon d'action inconnu
Plafond utile 15800 m d'altitude
Vitesse max. plus de 1000 km/h en pallier (Mach 1,0)
Armement 4 canons MK 108 de 30mm implantés dans la voilure;
4 missiles air-air Henschel Hs 298 fixés sous les ailes
Longueur 7,46 m pour la version biplace
Hauteur 2,81 m pour la version biplace



Le Focke Wulf TL « FLITZER »

En décembre 1943, le bureau d’étude de la firme « Focke-Wulf » commença à travailler sur un projet de chasseur mono-réacteur doté d'un empennage bipoutre.

L'appareil présentait une cellule courte et ramassée, avec un nez arrondi et un cockpit doté d'une large bulle vitrée. Le réacteur, totalement intégré dans la cellule du fuselage, était placé dans le dos du pilote, avec une tuyère axiale.

La voilure, de forme delta tronquée, était décalée très en arrière de la cellule. Elle était prolongée par un empennage bipoutre, similaire à celui du P-38 américain: deux poutrelles ancrées directement sur la voilure, portant chacune une dérive verticale reliée à l'autre par un aileron stabilisateur transversal. Cet aileron de queue était évidemment surélevé pour ne pas être gêné par les remous provoqué par le jet brûlant des gaz de combustion.

L'alimentation en oxygène du réacteur était fournie par deux prises d'air rectangulaires disposées à l'emplanture des ailes. L'armement comprenait 4 canons: deux dans le bord d’attaque de la voilure et deux autres à la base du nez de l’appareil. L'appareil était muni d'un train tricycle.

A notre connaissance, le « Flitzer » n'a jamais dépassé le stade de projet. En 1944, des essais en soufflerie furent effectués sur un modèle en bois à l’échelle 1 :1 et les ingénieurs espéraient atteindre une vitesse de 990 km/h à 15 200 mètres d’altitude. Mais les recherches ne furent pas poussées plus loin, car le projet fut brutalement abandonné au début de l’année 1945.
Le Flitzer fut donc un projet avorté, l’appareil n’ayant jamais subi le baptême de l’air, ni même volé à l’état de prototype. Nous ignorons donc la plupart de ses caractéristiques de vol...

Fiche technique

Type chasseur monoplace bipoutre
Envergure 10 m
Longueur totale 2,5 m
Longueur fuselage 8,5 m
Propulsion turboréacteur
Vitesse espérée 990 km/h à 15 200 m
Armement 2 canons d'ailes et 2 canons à la base du nez
Performances inconnues


Le monoréacteur ventral Focke Wulf P II

Le Focke Wulf P II est méconnu des passionnés de la Seconde Guerre mondiale, même parmi le cercle restreint des spécialistes. C'est un des projets de base élaborés par la firme Focke Wulf dans le cadre du programme Volksjäger, destiné à développer rapidement et massivement un chasseur à réaction bon marché et facile à piloter, susceptible de redonner au Reich la suprématie aérienne dans le ciel de l'Allemagne. Le projet P II fut officiellement soumis au Reichsluftfahrtministerium (RLM) le 9 juin 1943, mais il fut jugé trop dangereux et écarté. L'avion ne fut donc jamais construit et ses plans sombrèrent dans l'oubli après l'écroulement du IIIe Reich.

Le concept choisi par Focke Wulf est très surprenant. Le bord d'attaque des ailes présente une certaine incidence mais la voilure reste malgré tout relativement classique, avec ses ailes droites. Ce qui frappe dès le premier regard, c'est la localisation inhabituelle du réacteur, placé en berceau sous le ventre de l'appareil et quasiment indépendant de la cellule du fuselage.
Ce choix a été motivé par deux raisons majeures : d'une part la volonté de faciliter la manutention et l'entretien au sol, d'autre part la crainte de rencontrer des problèmes opérationnels avec un réacteur dorsal, disposition qui l'exposait beaucoup plus aux coups des chasseurs ennemis. Ce souci était manifestement partagé par d'autres constructeurs car des concepts similaires furent proposés à la même époque par les firmes concurrentes Messerschmitt (avec son Me P-1095) et Blohm & Voss (avec le BV-P-198). Finalement, ce fut la firme Heinkel qui décrocha le contrat du Volksjäger avec son Heinkel He 162 Salamander, un appareil à l'opposé du Fw P II puisqu'il comportait justement... un réacteur dorsal !

Dans la version de base du projet, le FW PII était équipé d'un turboréacteur Jumo 109-004B fournissant 890 Kgp de poussée, qui permettait d'atteindre une vitesse de 825 km/h à 4000 m d'altitude. Focke Wulf songea ensuite à le doter d'un réacteur plus puissant Jumo 109-004C, développant 1015 kgp, qui offrait un gain de surcharge d'environ 1200 kg et avec lequel on espérait atteindre 870 km/h. L'armement comprenait 2 canons MK 108 de 30 mm dans le fuselage (ou 2 canons MK 103) et 2 canons MG 151/20 de 20 mm à l'emplanture des ailes.
La viabilité de la formule proposée par Focke Wulf pour son projet P-II paraît discutable et l'on comprend aisément que le RLM l'ait écartée. La conception compliquée de la voilure et la difficulté de manœuvrer l'avion à basse vitesse étaient deux défauts principaux de cet étrange chasseur mono-réacteur. L'inconvénient majeur était toutefois la localisation du train avant, placé juste devant l'ouverture de la prise d'air du réacteur, avec tous les risques de pannes-moteur que cela comportait. L'aspiration d'une impureté soulevée par la roue avant sur le tarmac pouvait à tout moment endommager gravement le réacteur, provoquer son extinction, voire déclencher un incendie ou une explosion. Un tel événement survenant à l'atterrissage, lors de la phase de décélération rapide, ou pire encore au décollage, avait toutes les chances de provoquer le crash de l'appareil et la mort du pilote. Sans parler du risque d'embrasement ou d'explosion du réacteur en cas d'atterrissage d'urgence sur le ventre. Il n'est donc pas étonnant que le RLM n'ait pas donné suite au projet.

Fiche technique

Type projet de chasseur dans le cadre du programme Volksjäger
Equipage monoplace
Propulsion version de base: 1 réacteur ventral Junkers Jumo 109-004B développant 890 kgp
version améliorée: 1 réacteur Junkers Jumo 109-004C de 1015 kgp
Vitesse max 825 km/h à 4000 m d'altitude avec le réacteur Jumo 004B
870 km/h avec le réacteur Jumo 004C
Armement 2 canons MK 108 (ou 2 canons MK 103) de calibre 30 mm dans le fuselage
2 canons MG 151/20 de calibre 20 mm à l'emplanture des ailes
Surface alaire 15 m2
Envergure 9,70 m
Longueur 9,85 m


Le Blohm & Voss P-208

Premier projet de chasseur à réaction à poussée vectorielle, parmi les projets les plus fantastiques élaborés par les Allemands durant la seconde guerre mondiale figure celui du Blohm & Voss P-208, un chasseur monoplace d'une conception révolutionnaire qui différait de tous les schémas connus et qui affichait des caractéristiques très en avance sur son époque. Le concept adopté était pour le moins original puisque l'appareil ne possédait ni dérive, ni gouvernes, ni empennage, et recourait au principe de la poussée vectorielle pour se diriger ! La cellule, dont les formes avaient été minutieusement étudiées en soufflerie, présentait une silhouette très pure, avec des lignes fluides qui diminuaient la friction avec l'air, conférant au chasseur un grand coefficient de pénétration dans l'atmosphère.

Le fuselage, très effilé, présentait une forme cylindrique terminée par deux extrémités coniques, qui donnaient à l'engin l'aspect d'un long " cigare " renflé. Le cockpit, situé au-dessus de la partie médiane du fuselage, était équipé d'une verrière profilée en goutte d'eau qui offrait un dégagement visuel optimal au pilote. L'armement comprenait 3 canons MK-108 de 30 mm logés dans le nez de l'appareil. Des points de fixation sous la voilure permettaient l'emport de rampes de roquettes ou de missiles R4 M équipés de détonateurs de proximité, particulièrement efficaces pour décimer les formations compactes de bombardiers.

Le chasseur était propulsé par un turboréacteur intégré dans la cellule du fuselage, qui était alimenté par une prise d'air ventrale et par deux prises d'air secondaires s'ouvrant à l'emplanture des ailes. Etant donné l'absence de dérive et de gouvernail de direction, les changements de cap ainsi que le contrôle du roulis et du tangage s'effectuaient à la fois en jouant sur les ailerons et les volets de la voilure, et en déviant une partie des gaz de combustion de la tuyère vers des échappements latéraux installés sur les flancs de la partie arrière de l'appareil, de façon à obtenir un flux directionnel. Le concept adopté était la première application réelle, sur un engin volant, du principe de la poussée vectorielle, aujourd'hui largement généralisé sur les engins spatiaux comme la navette américaine. Cette opération s'effectuait automatiquement, par l'intermédiaire de clapets qui s'ouvraient ou se fermaient plus ou moins, en fonction de la direction et de l'amplitude des mouvements de la main du pilote sur le manche à balai…
La stabilité en vol d'une cellule par définition aussi instable était obtenue par la forme très étrange donnée à la voilure, profilée en doubles ailes de mouettes. Les ailes, qui accusaient une forte flèche, présentaient deux décrochements angulaires successifs, l'angle d'incidence de la flèche s'accentuant fortement vers les extrémités de la voilure. Le bout des ailes était lui-même replié vers le bas, de façon à accroître la portance et à conférer une sustentation maximale à l'appareil, même à basse vitesse, tout en stabilisant sa trajectoire de vol. La combinaison de ces caractéristiques absolument révolutionnaires permettait au chasseur d'atteindre des vitesses incroyables (grâce à la forte incidence de la flèche) tout en lui assurant une grande manœuvrabilité à basse vitesse ou en combat tournoyant

Le Blohm & Voss P-208 était supposé atteindre une vitesse de 900 km/h en palier. Elaboré trop tardivement, alors que le Reich s'écroulait déjà, cet appareil fut rattrapé par la guerre et ne dépassa pas le stade du projet expérimental. La hardiesse du concept, l'originalité de la voilure et surtout le recours à la poussée vectorielle montrent toutefois à quel haut degré de connaissances les ingénieurs et les techniciens allemands étaient parvenus en 1945 et combien l'industrie aéronautique allemande était en avance sur les pays occidentaux et l'Union soviétique. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si, sous le seau du secret le plus absolu, les Alliés et les Russes se lancèrent dès avril 1945 dans une véritable course effrénée aux armes secrètes allemandes, sillonnant les ruines fumantes du Reich pour dénicher les plans et les prototypes, recrutant massivement les spécialistes qui avaient collaborés à de tels projets. C'est ainsi que de nombreux scientifiques, ingénieurs et techniciens traversèrent l'Atlantique ou se retrouvèrent de l'autre côté du Rideau de Fer. Mais ceci est une autre histoire, celle de la Guerre Froide…


L'aile volante stratosphérique Arado Ar E-555

Dès 1943, la firme Arado basée à Landeshut (Silésie) mit sur pied une cellule de travail chargée d'étudier les différentes possibilités offertes par un avion en forme d'aile volante, un concept alors totalement innovateur et révolutionnaire. Le programme de recherche fut confié au Dr. W. Laute. Son équipe d'ingénieurs se mit aussitôt au travail et, à la mi-décembre 1943, une quinzaine de projets avaient déjà vu le jour sur le papier. Toutes les variantes étudiées étaient des ailes volantes, mais leur application couvrait une très large gamme de possibilités allant du chasseur-intercepteur au bombardier à long rayon d'action. Ces études restèrent toutefois lettres mortes car le groupe de travail se concentra bientôt sur un seul concept, celui d'un bombardier en forme d'aile volante.

Bombardier stratosphérique à long rayon d'action

L'impulsion fut donnée vers le milieu de 1944 par le Reichluftministerium (RLM), qui cherchait désespérément un moyen de mettre un terme aux incessants bombardements sur l'Allemagne et de rendre aux Alliés la monnaie de leur pièce. L'idée était de bombarder des cibles stratégiques civiles situées hors d'atteinte des bombardiers classiques allemands, de façon à frapper les esprits de stupeur et à saper le moral des Alliés. L'un des fantasmes nourris par Hitler et les dirigeants nazis était de parvenir à organiser des raids de représailles sur la côte est des Etats-Unis, sous la forme de frappes massives contre les principales mégapoles américaines. Dans leur esprit, un raid de bombardement majeur sur New-York, Washington, Boston ou Philadelphie créerait un immense choc psychologique dans le pays et ébranlerait la confiance des Alliés. En pratiquant une telle politique de terreur, les dirigeants nazis espéraient terrifier l'opinion publique à un degré tel que la population américaine exigerait la cessation immédiate des raids de bombardement sur le Reich….

Mais pour cela, il fallait impérativement disposer d'un bombardier stratégique à longue distance, capable de franchir les immensités de l'Atlantique Nord. Or, l'Allemagne n'en possédait pas ! La doctrine d'engagement de la Wehrmacht, basée sur la surprise, la mobilité et la vitesse, avait poussé l'Allemagne à négliger les bombardiers stratégiques lourds au profit d'appareils tactiques plus polyvalents. La Luftwaffe n'était équipée que de bombardiers moyens et de bombardiers en piqué, idéals pour appuyer les colonnes de Panzers et suivre le rythme trépidant de la " Blitzkrieg ", mais incapables de mener des raids à longue distance.

Lorsque le Reichluftministerium songea enfin à se doter d'un bombardier stratégique digne de ce nom, vers le milieu de l'année 1944, il s'adressa aussitôt à la firme Arado, car son concept d'aile volante paraissait très prometteur pour développer un tel appareil. Les exigences du RLM étaient toutefois presque irréalisables. Elles portaient sur un bombardier ultra-rapide à long rayon d'action, capable de franchir de très grandes distances et de surclasser les meilleurs chasseurs alliés de l'époque. L'appareil devait pouvoir transporter une charge utile de 4000 kg sur une distance d'environ 5000 km et disposer d'une autonomie et d'un rayon d'action suffisants pour traverser l'Atlantique nord, frapper des cibles sur la côte est des Etats-Unis et revenir...

Pour répondre à la demande du RLM, les ingénieurs de la firme Arado étudièrent le projet d'un bombardier à réaction subsonique en forme d'aile volante, baptisée Arado E 555/1. Les plans de l'appareil montrent que l'accent avait été mis sur une cellule profilée, dotée de caractéristiques aérodynamiques très élaborées et soigneusement étudiées, qui seule permettrait d'atteindre les performances exigées. L'appareil se présentait sous la forme d'une majestueuse aile en forme de W, avec une carlingue cylindrique presque totalement noyée dans la cellule. La poussée nécessaire à la propulsion du bombardier était assurée par 6 turboréacteurs BMW 109/003-A juxtaposés, installés sur le dos de l'aile volante, en arrière du centre de gravité du bombardier.

Le cockpit était intégré dans le nez profilé de l'appareil de façon à ne pas altérer ses performances aérodynamiques. Il était équipé d'une verrière très ajourée qui assurait un excellente visibilité tant vers le haut et le bas que latéralement. L'équipage, composé seulement de 3 hommes (pilote, co-pilote et bombardier), prenait place dans une cabine pressurisée, car l'appareil avait été conçu pour effectuer des vols de croisière à très haute altitude, entre 13'000 et 15'000 mètres. Voler si haut permettait en effet d'économiser le carburant et d'augmenter d'autant le rayon d'action étant donné la faible résistance de l'air dans la stratosphère.
L'envergure du bombardier et sa grande surface alaire assuraient à l'appareil une portance maximale, aussi bien à basse vitesse que dans l'atmosphère raréfiée de la stratosphère, tandis que son profil aérodynamique très élaboré lui permettrait de maintenir une vitesse de croisière de 715 km/h, avec des pointes jusqu'à 860 km/h si nécessaire. Malgré son poids relativement important (24 tonnes en charge au décollage), l'Arado Ar 555 était censé disposer d'une autonomie de 6400 km, ce qui lui conférait un rayon d'action de 3200 km. Ce dernier pouvait même être porté à 4800 km en utilisant des réservoirs d'appoints extérieurs. La charge utile emportée était de 4 tonnes. Pour ne pas nuire aux performances de pénétration du bombardier, toutes les bombes embarquées étaient regroupées dans une soute ventrale ménagée longitudinalement dans la partie inférieure de la cellule, formule qui sera reprise 60 ans plus tard par le bombardier stratégique B-2 américain… Les gouvernes de profondeur de l'appareil, destinées avant tout à contrôler le roulis et le tangage, comprenaient des volets et des élevons situés le long du bord de fuite de l'aile. Quant au contrôle en lacet, il était assuré par 2 dérives équipées de gouvernes de direction, installées symétriquement aux deux-tiers de l'aile, très en arrière du centre de gravité du bombardier.

Bien que la vitesse subsonique de l'appareil ait été calculée pour lui permettre de distancer d'éventuels intercepteurs, les concepteurs n'avaient pas pour autant négligé son armement défensif. Celui-ci comprenait 2 canons MK103 tirant vers l'avant, montés à la racine du bord d'attaque de l'aile, de part et d'autre du cockpit. Un jumelage de mitrailleuses MG 151/20S, monté dans une tourelle rotative dorsale pressurisée juste en arrière du cockpit, permettait d'assurer la défense vers le haut et latéralement. Quant à l'important angle mort situé à l'arrière du bombardier, il était protégé par deux mitrailleuses jumelées mobiles installées dans la queue de l'appareil, destinées à abattre d'éventuels poursuivants. Etant donné l'absence de visibilité vers l'arrière, ces mitrailleuses de queue étaient commandées directement depuis le cockpit, grâce à un épiscope de queue qui renvoyait à l'équipage une image de ce qui se passait dans le sillage de l'appareil. Le responsable de son engagement était l'officier bombardier, dont le siège, adossé à celui du pilote, était tourné dans le sens opposé à la marche du bombardier.

Malgré son caractère révolutionnaire et très prometteur, la fantastique aile volante à réaction élaborée par l'équipe du Dr. Laute ne prit jamais l'air car le programme de développement du bombardier stratégique Arado Ar E555/1 fut brutalement stoppé le 28 décembre 1944, en même temps que d'autres projets expérimentaux, sur ordre de la haute commission du Reichluftministerium. La raison de cet ordre surprenant a souvent été débattue, mais il semble que la pénurie de matières premières et la désorganisation quasi totale de la chaîne de production allemande aient décidé le RLM, dans un sursaut désespéré, à concentrer tous ses efforts sur la production d'appareils dont le programme était beaucoup plus avancés, notamment le Messerschmitt Me-262 et l'Arado Ar-234...

Par la mission qui lui avait été assignée et par le concept totalement révolutionnaire qui était à la base de son étude, l'Arado Ar 555 préfigure, avec cinquante ans d'avance, l'actuel bombardier stratégique furtif B-2 américain. A supposé que le projet ait été mené à terme, il n'est toutefois pas sûr que l'Arado Ar 555 ait répondu aux attentes des ingénieurs allemands, car la stabilité en vol d'une telle cellule en aile est extrêmement difficile à obtenir sans commandes de vol électroniques, comme l'a révélé le programme de développement avorté du XB35 américain au début des années 1950 et, plus récemment, la mise au point du B-2. Sa conception absolument révolutionnaire montre toutefois quelle formidable avance technologique les Allemands avaient acquise en matière aéronautique. A part le projet d'aile volante développé aux USA par Jack Northrop juste avant guerre, les seuls appareils qui puissent lui être comparés sont le chasseur Horten IX, développé à la même époque par la firme allemande Horten et le bombardier en aile volante EF 130 développé par Junkers.

Fiche technique :

Type : bombardier stratégique stratosphérique à très long rayon d'action
Concept : aile volante à réaction
Equipage : 3 hommes
Propulsion : 6 turboréacteurs BMW 109-003A placés en nacelles sur le dos de l'aile volante
Autonomie : 6400 km
Rayon d'action : 3400 km (4800 km avec réservoirs additionnels)
Altitude de croisière : 13000 à 15000m (stratosphère)
Vitesse maximale : 860 km/h
Vitesse de croisière : 715 km/h au niveau de la stratosphère
Armement défensif : 2 canons fixes MK 103 dans l'emplanture des ailes.2 mitrailleuses jumelées MG 151/20s dans une tourelle dorsale commandée électriquement par l'équipage

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