Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

vendredi 21 février 2025

La Patrouille Suisse va disparaître pour de bon


 

Pendant plus de 60 ans, la Patrouille Suisse a fait la fierté de notre armée. La célèbre escadrille incarnait l'esthétisme, la précision et la disponibilité opérationnelle des forces aériennes helvétiques. Mais c'est désormais du passé.

Le Conseil fédéral – la ministre de la Défense Viola Amherd en première ligne – souhaite la faire disparaître pour de bon, une volonté également exprimée par le Parlement. Les avions de combat F-5 Tiger seraient obsolètes et leur maintien en service trop coûteux. La Confédération estime dès lors que les quelque 300 millions de francs pour les dix prochaines années devraient plutôt être investis dans la capacité de défense du pays.

De nombreuses tentatives de sauvetage

Mais la célèbre patrouille acrobatique dispose aussi de nombreux partisans, qui n'ont cessé de s'engager corps et âme pour son maintien. Ainsi, lors de la session parlementaire de décembre dernier, les membres du fan club de la Patrouille Suisse ont remis une pétition de 8177 signatures dans l'espoir de sauver leur joyau.

Dans une tentative de la dernière chance, ils ont même envisagé de lancer une initiative populaire. Seulement voilà, selon les informations de Blick, cet ultime recours s'est, lui aussi, soldé par un échec.

«Ça me fend le cœur»

«C'est difficile de réunir les 100'000 signatures nécessaires quand aucun parti ne soutient le projet et quand les associations militaires sont divisées», explique Werner Salzmann, conseiller aux Etats de l'Union démocratique du centre (UDC). Le sénateur bernois s'est engagé dès le début pour le sauvetage de la fameuse escadrille. Mais, cette fois, après avoir cherché toutes les issues possibles, il doit bien l'admettre: la messe est dite.

La seule collecte de signatures peut coûter jusqu'à un million de francs. Pour le fan club de la Patrouille Suisse, qui compte près de 4000 membres, la pilule a du mal à passer. «Mais même si on réunit les signatures, l'initiative n'a aucune chance dans les urnes compte tenu de la pression exercée sur la Confédération pour faire des économies», estime Werner Salzmann. «Pour moi, le sujet est malheureusement clos et ça me fend le coeur.»

«Un votation aurait été vouée à l'échec»

Et Werner Salzmann est loin d'être le seul dans ce cas. Au sein du fan club de la Patrouille Suisse aussi, la résistance semble avoir été matée pour de bon. Pour Jacqueline Hofer, élue zurichoise au Parlement, il aurait certes été possible de récolter les signatures nécessaires. Mais «notre évaluation montre clairement qu'avec la situation politique actuelle, le conflit persistant en Ukraine et la situation financière de l'armée, une votation populaire aurait été vouée à l'échec», détaille-t-elle. 

Financer une telle initiative serait donc trop risqué pour le fan club. Et il est peu probable qu'une autre organisation s'engouffre dans la brèche. Et pour cause! Même la Société suisse des officiers (SSO) a tourné le dos à la Patrouille Suisse. Un maintien «pour des raisons essentiellement émotionnelles ou traditionnelles» n'est plus défendable, estime la société, pour qui les coûts ne justifient plus la poursuite de l'activité.

Devant le Conseil des Etats en décembre dernier, Viola Amherd avait tout de même reconnu l'utilité de la Patrouille Suisse en tant que fleuron de l'armée : «Une escadrille aérienne (...) doit donc, dans la mesure du possible, continuer à être exploitée et à exister», avait-elle déclaré. De quoi raviver très légèrement la flamme des fans de la patrouille rouge à croix blanche.

«Ce n'est quand-même pas un remplacement»

Depuis, les contours de cette alternative semblent se préciser. Et première conclusion: il semble peu probable que la dénomination Patrouille Suisse refasse surface, l'armée disposant déjà aujourd'hui d'une deuxième escadrille de voltige.

«Avec l'équipe PC-7, qui présente depuis 35 ans des performances spectaculaires et précises avec ses neuf appareils, nous disposons déjà des connaissances et de l'expérience nécessaires», explique le porte-parole de l'armée Stefan Hofer. De plus, les avions Pilatus PC-7 à turbopropulseurs sont nettement moins onéreux que les F-5 Tiger: une heure de vol de l'ensemble de l'équipe PC-7 coûte environ trois fois moins cher qu'une heure de vol de la Patrouille Suisse.

Les partisans de la Patrouille Suisse ne sont pas pleinement satisfaits pour autant. «Ce n'est pas un remplacement», estime le conseiller aux Etats Werner Salzmann. «Rien qu'en termes de vitesse, ce n'est pas comparable.» En effet, alors que les Tiger peuvent atteindre jusqu'à 1000 km/h, les PC-7 se contentent d'une vitesse de 120 à 500 km/h maximum.

 


Daniel Ballmer

blick.ch

Russes et Américains négocient depuis des mois en Suisse dans le plus grand secret !

 

Selon un rapport, Américains et Russes négocient en Suisse depuis des mois, et dans le plus grand secret, sur la question ukrainienne. C'est ce que rapporte l'agence de presse Reuters en se référant à des sources internes. De telles discussions auraient encore eu lieu la semaine dernière. Les premiers contacts auraient été noués sous la présidence américaine de Joe Biden. Il n'est en revanche pas clair si les discussions ont été entamées avant ou après la victoire électorale de Donald Trump début novembre.

La Suisse aurait servi de voie de communication discrète entre les deux puissances. Selon plusieurs sources qui ont souhaité rester anonymes, ces discussions ont eu lieu en dehors des canaux diplomatiques officiels, ce qui souligne l'importance de la Suisse en ces temps de relations tendues entre l'Occident et la Russie

«Entretiens suisse»

«Les discussions ont été menées par un canal suisse qui a agi comme un intermédiaire de confiance », rapporte Reuters. Aucun détail concret n'est donné sur le contenu des discussions, les résultats possibles ou l'identité des participants. On ne sait par ailleurs pas si des représentants ukrainiens étaient impliqués.

L'une des sources décrit ces « entretiens suisses » comme des discussions dites « track-2 », un terme diplomatique désignant un dialogue non officiel ayant pour but d'améliorer la communication et d'apporter des idées plutôt que de développer des propositions concrètes.

blick.ch

jeudi 20 février 2025

Des camps d'entraînement clandestins du PKK organisés en Suisse

 

Le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) organise plusieurs fois par an en Suisse des camps d'entraînement clandestins, informe le Conseil fédéral. Ces camps ont un caractère purement idéologique et servent notamment à endoctriner et recruter des jeunes gens.

Reposant sur les écrits du chef du PKK Öcalan, ces camps servent aussi à recruter certains jeunes comme futurs cadres ou pour des engagements au front contre l'armée turque, indique le Conseil fédéral dans sa réponse publiée jeudi à une interpellation de la conseillère nationale Jacqueline de Quattro (PLR/VD). La connaissance en matière d'armes, la tactique de combat ou d'autres choses similaires ne sont toutefois pas enseignées.

Nombre de camps flou

Comme ils sont organisés clandestinement, il n'est pas possible de se prononcer concrètement sur le nombre de ces camps, écrit le gouvernement. De plus, il n'est pas toujours clair si ces camps servent aussi à d'autres manifestations, comme des réunions de membres ou des rencontres de cadres. Le Service de renseignement de la Confédération (SRC) formule cependant un ordre de grandeur de six camps organisés par an.

Le PKK récolte en outre en Suisse de l'argent et effectue des activités de propagande, poursuit le Conseil fédéral. Certaines associations culturelles accueillent en leur sein des réfugiés kurdes fraîchement arrivés et tentent de les instrumentaliser à des fins partisanes.

Principalement non violent en Europe

Le gouvernement dit que le SRC suit depuis longtemps la situation de près et évalue les menaces. Si nécessaire, des mesures sont déjà prises, comme des interdictions de voyager en Suisse à des membres actifs et à d'anciens partisans du PKK, la mise sous séquestre ou la confiscation de matériel de propagande si le contenu appelle sérieusement ou concrètement à la violence contre des personnes ou des biens.

Le Conseil fédéral rappelle encore que le PKK mène en Europe une lutte principalement non violente pour la reconnaissance des Kurdes dans la région autoadministrée au nord-est de la Syrie. En Suisse également, des affrontements violents ont lieu sporadiquement entre des sympathisants du PKK et des nationalistes turcs.

L'activisme du PKK en Suisse devrait augmenter à la suite des nouvelles interventions turques contre l'autonomie kurde après le bouleversement de situation en Syrie, selon le Conseil fédéral. Mais cet activisme ne devrait pas s'accompagner pour autant de violences.

blick.ch

La Garde suisse se prépare à la mort du pape

 

Le pape François a passé une nuit tranquille, selon le Vatican. Toutefois, après un nouveau diagnostic de pneumonie, les inquiétudes concernant le chef de l’Eglise catholique, âgé de 88 ans, augmentent. Il n’est actuellement plus question d’une rémission prochaine. Des fidèles viennent désormais prier pour François à l’hôpital Gemelli, à l’ouest de Rome, où il est soigné depuis vendredi. Dans le même temps, la Garde suisse se prépare également à toute éventualité, jusqu'au décès du souverain pontife. Selon nos informations, les gardes sont soumis à un couvre-feu. L’enterrement fait aussi l’objet de répétitions.

Les deux poumons touchés

Le pape a été admis vendredi à l’hôpital Gemelli de Rome. Mardi soir 18 février, le Vatican a annoncé qu’un scanner avait révélé un «début d’inflammation pulmonaire bilatérale». Cela signifie que les deux poumons sont touchés. Il n’en avait pas été question jusqu’à présent. Le communiqué précise par ailleurs que le tableau clinique reste «complexe». Le pape souffre donc d’une infection due à différents agents pathogènes, ce qui complique globalement le traitement.

Deux proches du pape ont déclaré à «Politico» que François leur avait dit qu’il «n’y arriverait peut-être pas cette fois». Apparemment, le chef de l’Eglise catholique se prépare déjà à son héritage. Jorge Mario Bergoglio, de son vrai nom, a été nommé pape en 2013. Au cours de son mandat, il s’est engagé entre autres pour les droits des migrants et l’élucidation des scandales d’abus.

Marian Nadler

 Flavia Schlittler

blick.ch

La diplomatie migratoire dans un monde en mutation

 

Depuis les années 2000, la migration et l’asile semble avoir envahi les discours et l’action diplomatiques. En 2023, l’Union européenne insiste dans la formulation de sa politique étrangère sur la « pertinence croissante de la migration » et la « militarisation des frontières et l’instrumentalisation de la migration » ainsi que sur « la complexité accrue de la gouvernance de la migration ». Mais la diplomatie migratoire est souvent mal comprise.

La diplomatie migratoire se définit d’une part comme l’usage des migrations au service d’enjeux diplomatiques non migratoires. Les États et leurs représentants comme les acteurs non étatiques — réseaux de migrants, organisations non gouvernementales et humanitaires, entreprises, mafias transnationales — utilisent les migrants et les réfugiés, l’immigration, l’émigration ou les diasporas pour renforcer ou déstabiliser un pays ou des acteurs politiques, obtenir des avantages matériels, économiques ou symboliques de partenaires diplomatiques. 

D’autre part, la diplomatie migratoire renvoie à l’usage d’instruments diplomatiques pour contrôler à distance les différents types de mobilité (immigration, émigration, asile, exil). Les leviers de la diplomatie bilatérale, multilatérale et sectorielle, comme l’aide au développement ou la politique commerciale, la politique militaire ou culturelle, et la diplomatie publique ou privée, servent ainsi à réguler à court ou à long terme la géographie et le volume des flux migratoires. Le contrôle de la migration et des migrants peut donc être soit un moyen, soit une finalité de la diplomatie. Le plus souvent, la migration est à la fois un moyen et une fin, et se déploie à différents niveaux avec différents instruments, formels et informels.

La diplomatie migratoire n’est pas seulement une réponse à la mondialisation des mobilités. C’est un cadre critique pour repenser les tensions entre contrôle et souveraineté, coopération et conflit, domination et résistance, le lien entre politique intérieure et politique étrangère, tout en questionnant les fondements mêmes des États-nations dans un monde en mutation.

Généalogies de la diplomatie migratoire

Le terme « diplomatie migratoire » ne semble apparaitre qu’au début des années 2000, associé aux politiques restrictives de contrôle de l’immigration en Europe et en Amérique du Nord, au « mur autour de l’Occident » (1). L’expression est en général employée de manière incidente, entre parenthèses ou entre guillemets. Sa définition vient d’ailleurs : elle est élaborée à partir de l’histoire diplomatique de pays d’Afrique et du Moyen-Orient, où les migrations ne sont pas uniquement perçues comme une menace, mais aussi et surtout comme une ressource symbolique, stratégique et économique. 

Une définition émerge en 2007 (2) pour décrire l’histoire de négociations des partis de la guérilla érythréenne avec les pays arabes voisins autour de l’accueil des réfugiés érythréens. L’accueil des réfugiés est à la fois une finalité de la diplomatie érythréenne et un instrument au service de la guerre de libération contre l’Éthiopie : les voisins arabes sont démarchés pour soutenir politiquement et financièrement la guérilla. La diaspora érythréenne sert de relais d’influence dans le monde arabe, et de base arrière qui soutient financièrement la lutte. Le cas érythréen, bien qu’exotique, démontre que le contrôle de l’émigration et de l’exil est central dans le processus de formation d’un nouvel État indépendant. On retrouve le même schéma de diplomatie impliquant des diasporas de réfugiés pour soutenir un État ou la création d’un État dans les cas kurde, palestinien, arménien et dans le cas largement étudié de la diaspora juive. Le cadre analytique de la « diplomatie migratoire » érythréenne sert à des analyses plus générales (3). Il s’intègre dans les nombreux travaux sur la diplomatie publique des pays de départ envers leurs diasporas appelée « diaspora diplomacy » ou « politiques d’attention » dans la recherche francophone. L›Inde, la Croatie (4), la Turquie ou les Philippines gouvernent ainsi directement et indirectement leurs citoyens — migrants comme réfugiés — au-delà de leurs frontières, notamment pour sécuriser des transferts financiers essentiels à leurs économies.

La diplomatie migratoire concerne aussi, bien entendu, les pays de destination. C’est pour décrire la diplomatie des monarchies du Golfe, grands pays d’immigration de travail mais aussi d’asile informel, qu’une extension de la définition initiale est proposée (5). Les pays du Golfe accueillent, dans les années 1960-1970, les migrants et les réfugiés des pays arabes voisins, non seulement afin de répondre aux besoins d’un marché du travail très consommateur de main-d’œuvre, mais aussi pour renforcer l’intégration régionale au sein du monde arabe. La migration est donc à la fois une fin et un moyen de la diplomatie golfienne. Les monarchies opèrent néanmoins de manière informelle : pas de conventions ni négociations explicites jusqu’à la fin des années 1990. Les politiques migratoires sont sélectives et discrétionnaires. Les monarchies, non signataires de la Convention de 1951 [relative au statut des réfugiés], adoptent des quasi-politiques d’asile à destination des exilés palestiniens à partir des années 1950, érythréens dans les années 1960 et 1970, des exilés syriens en 2011, et en 2022 des Soudanais. 

Dans l’Afrique postcoloniale, les États utilisent aussi la migration et l’asile pour favoriser l’intégration régionale, mais institutionnalisent leur diplomatie migratoire à travers la Convention de l’Organisation de l’Unité africaine régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique en 1969 et le Protocole au Traité instituant la Communauté économique africaine relatif à la libre circulation des personnes, au droit de séjour et au droit d’établissement en 2018. On observe les mêmes dynamiques de libre circulation en Asie et en Amérique latine, et en Europe avec la constitution de l’espace Schengen. 

Bien que souvent associée aux politiques restrictives occidentales contemporaines, la diplomatie migratoire trouve donc ses fondements dans des contextes non occidentaux dans lesquels l’immigration et l’asile ne sont pas comme une menace à endiguer, mais un outil de formation de l’État, en lien avec des guerres d’indépendance, et un outil de coopération et d’intégration régionale. Elle se nourrit des relations transnationales complexes où acteurs publics et privés interagissent et s’incarne dans des pratiques formelles et informelles. 

À partir de la fin des années 1990 et sous l’influence d’un tournant sécuritaire et sélectif dans les politiques migratoires européennes, la conversation sur la diplomatie migratoire se centre sur les restrictions à la migration et le contrôle des frontières plutôt que sur l’organisation de la libre circulation. De manière symptomatique, la Libye et le Maroc, qui défendaient une diplomatie migratoire panafricaine ou arabo-africaine jusqu’à la fin des années 1990, deviennent prisonniers des politiques imposées par leurs partenaires européens (6).

La migration comme fin : La récente « migrantisation » de la diplomatie

À partir des années 1990, sous l’effet d’une polarisation politique accrue à l’échelle nationale en Europe, on assiste à ce que j’appelle la « migrantisation » de la diplomatie. Les mobilités deviennent un enjeu majeur de politique intérieure et étrangère : le contrôle des frontières s’externalise. Les gouvernements déploient des politiques spécifiques à la migration ou à l’exil hors de leurs frontières et en parallèle, la migration s’invite dans différents secteurs de leurs politiques étrangères (la diplomatie économique, universitaire, culturelle, militaire, etc). Ces négociations combinées ou « issue linkages », deviennent de plus en plus contraignantes en Europe à partir du Sommet de Séville, en 2002. L’Union européenne (UE) intègre le contrôle de l’immigration dans tous ses accords avec des pays-tiers, et ce quel que soit leur objet. Ainsi, des accords de coopération portant sur le commerce ou la sécurité entre l’Europe et les pays du Sahel ou d’Afrique de l’Ouest — qui auparavant auraient été négociés sans référence aux questions migratoires — sont aujourd’hui conditionnés à la réadmission des migrants expulsés et, plus généralement, à la coopération en vue d’atteindre les objectifs européens de contrôle de l’immigration.

La migrantisation touche principalement les politiques d’aide au développement. L’aide au développement des pays de l’UE intègre des volants concernant la circulation des citoyens des pays partenaires (mobilité étudiante ou pour le travail), et la réadmission des étrangers en situation irrégulière provenant de ces pays. En 2015, au Sommet de la Valette, un Fonds fiduciaire d’urgence de l’UE pour l’Afrique est créé et doté de cinq milliards d’euros. Le sommet, entièrement consacré aux migrations dans le contexte de la crise politique de 2015 autour de l’accueil des exilés syriens, place au même niveau de priorité le développement économique ou la prévention des conflits et la lutte contre l’immigration irrégulière. 

Parallèlement à cette diplomatie bilatérale et régionale, la politique multilatérale et l’activisme transnational se sont également développés, impliquant les États, les organisations internationales onusiennes et non onusiennes et d’autres acteurs non gouvernementaux. En plus des acteurs multilatéraux spécialisés (l’Agence des Nations unies pour les réfugiés, l’Organisation internationale pour les migrations, et des ONG comme le Danish Refugee Council ou des réseaux religieux), d’autres organisations tendent à intégrer la migration au cœur de leurs programmes, comme la Banque mondiale. La migration gagne ainsi sa place dans l’Agenda 2030 sur le développement durable en 2015. Des programmes, des réglementations, de nouvelles organisations et des plateformes spécifiques émergent, dont les deux Pactes mondiaux sur les migrations et l’asile en 2018. Ces dynamiques restent néanmoins soumises aux intérêts des gouvernements, en particulier dans les pays de destination les plus puissants.

La migration comme moyen : rapports de force et arsenalisation

La diplomatie migratoire intègre des rapports de force, souvent hérités de la colonisation. Les corridors migratoires postcoloniaux entre la France et les pays du Maghreb, entre l’Italie et la Libye, entre l’Espagne et le Maroc autour de Ceuta et Melilla, les relations historiquement asymétriques comme entre le Mexique et les États-Unis sont des arènes où les États occidentaux tentent d’imposer à leurs partenaires leurs objectifs de contrôle de l’émigration ou d’importation de main-d’œuvre. Mais la diplomatie migratoire offre des leviers aux pays de départ et de circulation pour négocier avec les pays de destination : c’est le cas de la Libye de Kadhafi, de la Turquie, du Maroc et de la Tunisie, qui négocient non seulement de l’aide au développement, des visas pour leur ressortissants en échange d’accords de réadmission, mais aussi un soutien politique à certaines de leurs positions géopolitiques ou de politique intérieure. Ainsi, quand la France et l’Espagne cherchent à sécuriser le soutien du Maroc dans le contrôle des migrations vers l’Europe, leurs objectifs migratoires pèsent sur leurs positions concernant la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. 

La diplomatie migratoire permet à des acteurs ou des institutions d’acquérir ou de regagner une stature politique internationale : Mouammar Kadhafi renoue ainsi des relations diplomatiques avec l’Italie puis l’Europe à la fin des années 1990. Omar El-Béchir, sous le coup d’un mandat de la Cour pénale internationale, redevient fréquentable grâce au processus de Khartoum lancé en 2014, centré sur la gestion des réfugiés et des migrants dans la Corne de l’Afrique.

Les débats les plus marquants concernent l’usage de la migration comme « arme » géopolitique. La Russie et la Biélorussie ont par exemple acheminé des demandeurs d’asile ou structuré des filières d’émigration via la Biélorussie en provenance du Moyen-Orient vers l’Est de l’Europe avec l’objectif de déstabiliser les pays européens cibles : la Lituanie et la Finlande à partir de 2019, la Pologne en 2021. 

Cette arsenalisation n’est pas nouvelle : Kelly Greenhill au début des années 2000 montrait comment Fidel Castro encourageait le départ de Cubains vers la Floride durant la « crise des balseros » de 1994 (7) dans un contexte de post-guerre froide cubano-américaine. Les États Unis et les pays d’Europe de l’Ouest instrumentalisaient aussi l’accueil des dissidents russes, hongrois, ou les réfugiés vietnamiens pendant la guerre froide, à la fois dans leur confrontation idéologique avec l’Union soviétique et pour les besoins de leur marché du travail. 

L’usage guerrier de la mobilité est encore plus ancien. Il renvoie aux politiques d’ingénierie démographique durant les conflits. Après la conquête de Chypre en 1571, l’État ottoman organisa la déportation de familles d’Anatolie pour peupler et sécuriser l’ile. Après la guerre russo-turque (1877 – 1878) et durant les guerres balkaniques (1912 – 1913), environ un million de musulmans furent expulsés par l’empire russe ou s’enfuirent de Bulgarie, de Grèce et de Serbie et furent réinstallés par l’Empire ottoman en Anatolie, souvent en déplaçant les populations locales non musulmanes. Pour reprendre l’aphorisme du socio-historien Charles Tilly, faire la guerre et contrôler la migration sont des facteurs centraux dans la formation et les transformations de l’État (8).

Même si la métaphore de l’« arme migratoire », introduite au début des années 2000 par Kelly Greenhill, peut être critiquée, les liens entre guerre et migration s’installent dans les perceptions collectives et les politiques. Ce n’est plus seulement la guerre qui est cause d’émigration ou d’exil, mais l’immigration ou l’asile qui sont des armes de guerre. La Russie ou la Turquie les utilisent contre l’UE, et l’UE déploie l’armée à ses frontières et au-delà. La militarisation des frontières doit contenir (containment) des réfugiés. Cette « guerre contre les migrants » n’est pas que métaphorique : l’UE « fait » ou « laisse mourir » des naufragés en mer Méditerranée et autour des iles Canaries ou dans les prisons libyennes, parce qu’ils et elles sont des « migrants ». Ces morts servent une diplomatie publique macabre : ils sont censés dissuader (deterrence) d’autres candidats à l’exil ou à la migration. Cette diplomatie militaire invite à réfléchir au triptyque guerre, diplomatie et migration : la diplomatie migratoire, comme toute diplomatie, sert-elle à faire la guerre ? À empêcher la guerre ? De quelle guerre parle-t-on ? Une guerre froide ou chaude ? Offensive ou défensive ? 

L’apport de la diplomatie migratoire aux relations internationales 

De manière générale, l’étude des migrations et des diasporas a considérablement enrichi la théorie des relations internationales, notamment dans le domaine de la sécurité et des relations transnationales. Elle a permis aux internationalistes de renouveler les études de sécurité (9). La notion de sécurisation forgée pour comprendre la montée des discours et des politiques sécuritaires autour de la migration, s’applique à d’autres domaines de la diplomatie et de la politique internationale, comme la santé ou l’environnement. L’attention à la migration et aux pratiques des migrants a aussi accompagné le tournant transnational en relations internationales (10). Elle amené à réexaminer le rôle des acteurs non étatiques, tout en illustrant la résilience des États et de la souveraineté étatique dans la politique mondiale (11).

Pourtant, la notion de diplomatie migratoire reste un sujet de niche au sein des relations internationales et des études diplomatiques en général, que ce soit en langue anglaise ou en langue française. Elle mérite une attention plus soutenue des spécialistes de diplomatie et de relations internationales pour six raisons principales, qui sont liées à sa généalogie. 

Premièrement, la diplomatie migratoire oblige à décentrer l’analyse loin des pays du Nord, des politiques restrictives et des flux d’immigration. Deuxièmement, elle montre que les dichotomies juridiques entre migrants et réfugiés et les catégories de l’action diplomatique sont constamment redéfinies en fonction des intérêts géopolitiques et économiques des acteurs, qu’ils soient étatiques ou non étatiques. Troisièmement, la diplomatie migratoire impose une approche multiscalaire et multiacteurs de l’analyse diplomatique : elle opérationnalise les liens entre politique interne et extérieure, les interactions entre les échelles locales, nationales et internationales et entre différents types d’acteurs. À l’échelle locale, des acteurs tels que les diasporas, les municipalités ou les intermédiaires bureaucratiques jouent un rôle crucial dans la mise en œuvre des politiques migratoires. Ces dynamiques locales influencent les relations bilatérales et multilatérales, reliant processus globaux et réalités locales. Cinquièmement, la diplomatie migratoire permet d’affiner notre compréhension des types de diplomaties (publiques ou privées, formelles ou informelles, explicites ou implicites) et des instruments spécifiques ou des liens indirects (issue linkages) entre commerce, santé, culture, aide, etc. et migration. Enfin, la diplomatie migratoire invite à repenser le lien entre guerre et diplomatie. Non seulement dans l’usage stratégique de la migration, mais aussi dans l’analyse des vulnérabilités migratoires produite par les discours publics et la polarisation politique sur les questions d’identité et de diversité des pays d’accueil.

Notes

(1) P. Andreas et T. Snyder (dir.), The Wall around the West : State Borders and Immigration Controls in North America and Europe, Lanham (Md.), Rowman & Littlefield, 2000.

(2) H. Thiollet, « Migrations et intégrations dans le sud de la mer Rouge : migrants et réfugiés érythréens au Soudan, au Yémen et en Arabie Saoudite, 1991-2007 », Paris, Sciences Po, 2007.

(3) C. Wihtol de Wenden, La globalisation humaine, Paris, Presses universitaires de France, 2009, p. 97‑138.

(4) F. Ragazzi, « Quand les gouvernements disent ‘’diaspora’’ : pratiques transnationales de souveraineté, citoyenneté et nationalisme en Croatie et en Ex-Yougoslavie », Paris, Sciences Po, 2010.

(5) H. Thiollet, « Migration as Diplomacy : Labor Migrants, Refugees, and Arab Regional Politics in the Oil-Rich Countries », International Labor and Working-Class History 79, no 01, mars 2011, p. 103‑21 (https://​doi​.org/​1​0​.​1​0​1​7​/​S​0​1​4​7​5​4​7​9​1​0​0​0​0​293).

(6) S. Benjelloun, « Diplomatie migratoire du Maroc. La nouvelle politique migratoire ou la formation d’une politique publique engagée pour soutenir la politique étrangère du Maroc », Grenoble, Université Grenoble-Alpes, 2019.

(7) K. M. Greenhill, « Engineered Migration and the Use of Refugees as Political Weapons : A Case Study of the 1994 Cuban Balseros Crisis », International Migration 40, no 4, septembre 2002, p. 39‑74 (https://​doi​.org/​1​0​.​1​1​1​1​/​1​4​6​8​-​2​4​3​5​.​0​0​205).

(8) H. Thiollet, « Migration control as state building : Toward and Illiberal Convergence Hypothesis », in J. F. Hollifield et al. (dir.), Controlling immigration : a global perspective, 4e édition, Stanford, California, Stanford University Press, 2022, p. 630‑38.

(9) D. Bigo, « When Two Become One : Internal and External Securitisations in Europe », in M. Kelstrup et M. C. Williams (dir.), International relations theory and the politics of European integration : power, security, and community, Londres/New York, Routledge, 2000, p. 171‑204.

(10) N. Glick Schiller, L. Basch, et C. Blanc-Szanton, « Transnationalism : A New Analytic Framework for Understanding Migration », Annals of the New York Academy of Sciences 645, no 1, juillet 1992, p. 1‑24 (https://​rebrand​.ly/​7​a​e​e23).

(11) T. Lacroix et H. Thiollet, « Les migrations comme “crise.” Penser l’État et les migrations au 21e siècle », Un monde en crise ? Répondre aux défis internationaux, Centre de Recherches Internationales, Paris, Presses de Sciences Po, 2023.

Hélène Thiollet

areion24.news