Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

mardi 21 janvier 2025

Pour le renseignement américain, les câbles sous-marins auraient été accidentellement endommagés

 

Ces derniers mois, plusieurs infrastructures critiques de la mer Baltique [gazoduc Balticconnector, câbles de télécommunication, interconnecteur Estlink 2] ont été endommagées par les ancres de navires au comportement suspect, comme le porte-conteneurs chinois Newnew Polar Bear, le cargo Yi Peng 3 [également chinois] et le pétrolier Eagle S, soupçonné de faire partie de la « flotte fantôme » russe.

Les pays concernés n’ayant pu arraisonner les deux navires chinois, les enquêtes sur les dommages qu’ils ont infligés aux infrastructures sous-marines sont au point mort. En revanche, ayant réagi avec célérité, les autorités finlandaises ont pu mettre la main sur le Eagle S qui, selon la publication Lloyd’s List, est soupçonné d’avoir mis en œuvre des équipements dédiés à l’espionnage qu’il aurait débarqués à Saint-Pétersbourg.

Quoi qu’il en soit, dans ces trois cas, la piste d’actes délibérés entrant dans le cadre d’opérations dites « hybrides » menées pour le compte de la Russie est privilégiée par les enquêteurs. D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle l’Otan a lancé l’opération « Baltic Sentry » afin de dissuader tout sabotage des infrastructures sous-marines critiques en mer Baltique.

Seulement, d’après le Washington Post, des responsables de services de renseignement américains et européens remettent en cause la thèse d’une campagne de sabotages orchestrée par la Russie.

Ainsi, selon les enquêtes impliquant les États-Unis et une demi-douzaine de services de sécurité européens, il n’y a aucun éléments pour avancer que les navires soupçonnés ont intentionnellement fait traîner leurs ancres à proximité des câbles sous-marins ou qu’ils l’aient fait sur l’ordre de Moscou.

« Au contraire, les responsables américains et européens ont déclaré que les preuves recueillies à ce jour – y compris les communications interceptées et d’autres renseignements classifiés – indiquent qu’il s’agit d’accidents causés par des équipages inexpérimentés servant à bord de navires mal entretenus », avance le Washington Post.

Mieux : il y aurait même des « contre-éléments » qui invalideraient l’hypothèse de sabotages, à en croire un responsable européen cité par le quotidien. Lesquels ? Les interlocuteurs de ce dernier n’ont pas souhaité en dire davantage, invoquant la « sensibilité des enquête en cours ».

Seulement, le propre d’une opération hybride est qu’il est difficile d’en attribuer la responsabilité… C’est d’ailleurs le point qu’a souligné Pekka Toveri, ancien responsable du renseignement militaire finlandais et désormais député européen [groupe PPE].

« Le plus important dans toute opération hybride, c’est la possibilité de nier les faits. Les services russes ont peut-être réussi à ne laisser aucune preuve qui puisse être retenue devant un tribunal. Mais conclure qu’il s’agit d’accidents est de la bêtise pure », s’est-il agacé dans les pages du Washington Post.

En outre, M. Toveri a avancé deux éléments pour contredire le « consensus » auquel sont arrivés les responsables des services de renseignement cités par le quotidien. D’abord, les navires concernés ont eu des « mouvements anormaux », que ce soit avant ou après avoir coupé les câbles sous-marins. Ensuite, il est peu probable de laisser traîner une ancre sur plusieurs dizaines de nautiques sans s’en rendre compte [à moins qu’elle n’ait fait aucun bruit à travers l’écubier et que cela n’ait eu aucune incidence sur la vitesse du navire…].

Responsable du Bureau national d’enquête finlandais, chargé de l’enquête concernant l’Eagle S, Sami Liimatainen a rejeté la thèse accidentelle. « Je ne veux même pas commenter cela. Je prends les informations des journaux étrangers pour ce qu’elles sont. La police nationale finlandaise enquête sur un crime », a-t-il confié au radiodiffuseur YLE.

Par ailleurs, les affirmations des responsables du renseignement sollicités par le Washington Post prennent le contre-pied des déclarations faites par les autorités suédoises.

« La situation sécuritaire et le fait que des phénomènes étranges se produisent régulièrement en mer Baltique nous portent également à croire que des intentions hostiles ne peuvent être exclues », avait dit Ulf Kristersson, le Premier ministre suédois, à l’occasion de l’ouverture du Forum annuel de défense « Folk och » de Sälen, la semaine passée.

Les forces armées suédoises ont laissé entendre que les incidents survenus sur les câbles sous-marins entraient dans le cadre d’une « guerre hybride ».

« Un exemple en est la menace de sabotage, qui cible particulièrement les infrastructures, les communications et l’approvisionnement en électricité. Ces attaques sont planifiées et soutenues par les agences de sécurité de l’État, mais sont souvent menées par l’intermédiaire de mandataires afin de pouvoir être démenties une fois réalisées », ont-elles expliqué, le 14 janvier.

opex360.com

Il ne faut pas enterrer le Hamas trop vite

 

Le Hamas est « affaibli, isolé mais toujours debout », remarque le New York Times, le 16 janvier, au lendemain de l’annonce d’un prochain accord de cessez le feu entre Israël et le mouvement islamiste palestinien.

Le quotidien new Yorkais estime en effet que, en dépit de l’assassinat de ses principaux dirigeants ainsi que ceux de la branche armée du mouvement et la mort de milliers de ses combattants sous les bombardements israéliens, le Hamas reste « la force palestinienne dominante à Gaza, continue à régner en maître dans les camps de personnes déplacées et n’a pas été contraint à la reddition ». Le Hamas n’a pas « hissé le drapeau blanc », souligne le journal. 

Le New York Times précise que, même si de nombreux Palestiniens ont critiqué la décision du mouvement de lancer l’attaque du 7 octobre 2022 qui a provoqué la mort de dizaines de milliers de personnes et a réduit Gaza à un champ de ruines, le Hamas  » a fait face à relativement peu d’agitations populaires ».


« Si le Hamas a perdu beaucoup d’hommes, il en a aussi recruté beaucoup durant cette année et demi durant ces quinze mois de conflit… » 

Le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken


La réponse disproportionnée d’Israël aux attaques du 7 octobre aurait-elle donc été menée en vain? « Si l’accord à plusieurs niveaux [entre le mouvement islamiste palestinien et l’Etat Hébreu] porte ses fruits, le Hamas pourrait bien être en mesure de réimposer sa poigne de fer sur Gaza, ou tout au moins de maintenir un rôle décisif sur ce territoire », analyse le New York Times, qui donne du poids à cette prédiction en citant l’analyste Ibrahim Madhoun, considéré comme proche du mouvement : ce dernier estime en effet que « le Hamas va rester partout présent dans Gaza et ignorer son influence reviendrait à enterrer sa tête dans le sable »…

  Nicolas Beau

mondafrique.com

La relation entre CIA et DGSE, est imperméable aux péripéties politiques

 

Imprévisible, fantasque, économiquement agressif… L’arrivée de Donald Trump fait craindre un chamboulement des équilibres géopolitiques, même chez ses alliés. Des rebondissements qui ne devraient toutefois pas atteindre trop violemment le monde très secret des services du renseignement extérieur français.

« Les Etats-Unis sont nos alliés. Avec leurs services de renseignement, la coopération est particulièrement intense car elle renforce notre sécurité mutuelle », assurait fin novembre dans les colonnes du Point Nicolas Lerner, le directeur général de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). En effet, les relations entre services de renseignement, notamment entre deux pays alliés, sont construites pour rester hermétiques aux aléas politiques.

Des relations immuables même dans la pire des tempêtes

« Même en 2003, au pire moment des relations entre les Etats-Unis et la France [sur fond de tensions sur la guerre en Irak], le froid diplomatique n’a pas eu d’impact sur la coopération des services », rappelle Raphaël Ramos, historien, chercheur associé à l’université Paul-Valéry à Montpellier et auteur du site Intelligence Online. Martelant que lors du premier mandat de Donald Trump, le partenariat stratégique « n’a pas souffert », Nicolas Lerner ne peut « pas imaginer qu’une inflexion politique vienne fragiliser une coopération bilatérale qui remonte à la Seconde Guerre mondiale ».

En ce qui concerne nos espions (dans l’imaginaire collectif) ou les officiers de renseignement (dans le jargon du métier) là encore, ça ne changera pas grand-chose. « J’ai vécu beaucoup d’alternances dans les gouvernances en quarante ans de métier, chez nous ou ailleurs, les services ont tendance à lisser les changements de régime, on travaille sur le long terme et les vaguelettes politiques nous atteignent peu, même quand il s’agit d’une grosse vague comme Donald Trump », abonde Alain Chouet, ancien chef du service renseignement de la sécurité de la DGSE.

Certaines situations peuvent néanmoins amener les renseignements français à se montrer plus prudents. Dans un article publié sur le site Rubicon, Clément Renault, historien des relations internationales et chercheur « renseignement, guerre et stratégie » à l’Institut de recherche stratégique de l’école militaire (Irsem) rappelle « la gestion très problématique et désinvolte des informations sensibles ou classifiées » par Donald Trump. Comme lorsque ce dernier a dévoilé pendant son dernier mandat des informations sur une source d’un partenaire au sein de l’État islamique au ministre russe Sergueï Lavrov. Ou les 325 documents « classifiés » problématiques retrouvés dans sa résidence de Mar-a-Lago et pour lesquels il était poursuivi jusqu’en novembre 2024.

Une politisation potentiellement déstabilisante

Outre cette attitude peu consciencieuse à l’égard d’informations sensibles, sa défiance envers ses propres services de renseignement pourrait changer la donne. Donald Trump n’a jamais cherché à cacher son aversion à l’égard des services secrets et de ce qu’il appelle le « Deep State » (Etat profond). Il a d’ailleurs placé John Ratcliffe à la tête de la CIA, un homme « avec peu d’expérience en la matière, loyal et dévoué à Donald Trump », et « ça peut avoir un impact à terme », souligne Raphaël Ramos.

Sa nomination suscite des craintes sur la politisation du renseignement qui pourrait mener à des purges, des démissions ou encore « des retards, des impossibilités de s’engager, d’obtenir des arbitrages », imagine Clément Renault. Sur un plus long terme, « les services alliés pourraient être tentés d’être plus prudents dans le partage des informations avec les Etats-Unis par peur qu’elles soient instrumentalisées pour des intérêts politiques », met en garde Raphaël Ramos. Pire, la relation de confiance entre services de renseignement pourrait être mise à l’épreuve en raison des agissements de l’exécutif américain.

Intérêts mutuels communs

Le « précédent des armes de destruction massive irakiennes de 2002 [mensonge qui sera le déclencheur de l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis] a durablement impacté la crédibilité du renseignement américain », nuance néanmoins l’historien, s’interrogeant ainsi sur « les répercussions que pourrait engendrer du renseignement déclassifié par une équipe Trump » sur des sujets sensibles comme celui de la Chine par exemple.

Globalement, les Etats-Unis restent toutefois notre allié. Pour que les relations des renseignements soient réellement altérées, il faudrait que l’Amérique de Donald Trump « entre en confrontation économique, technologique, militaire avec la France ou l’Europe et alors, on aurait affaire à un pays hostile et ça changerait la donne », pousse Alain Chouet qui écarte cette hypothèse car « l’administration américaine a besoin d’échanges apaisés avec les Européens ».

Cécile De Sèze

20minutes.fr

L’ombre persistante de l’État Islamique en Syrie

 

La principale question est moins de savoir si Ahmed Al-Charaa saura s’affirmer comme un dirigeant légitime sur la scène internationale que de voir s’il pourra surmonter l’opposition islamiste, y compris celle de ses anciens compagnons d’armes, qui pourraient représenter la principale menace pour la stabilité de son nouveau gouvernement. 

Au tournant du nouveau millénaire, alors que les images de la seconde intifada en Palestine envahissent les écrans de télévision du monde entier, un jeune étudiant saoudien de dix-huit ans bascule vers l’islam radical. En 2003, après avoir interrompu ses études à l’Université de Damas en Syrie, Ahmed Al-Charaa rejoint des groupes djihadistes affiliés à Al-Qaïda en Irak. Incarcéré par les forces américaines à Abu Ghraib et Camp Bucca, prisons tristement connues pour les abus perpétrés sur les détenus, il entre en contact avec plusieurs figures influentes du djihadisme, dont, selon certaines sources, Abu Bakr al-Baghdadi.

À sa libération, Al-Charaa adopte le nom de guerre « Abou Mohammed Al-Joulani » et s’engage au sein de l’État islamique en Irak. En 2012, il fonde Jabhat al-Nosra, la branche syrienne de l’organisation. Treize ans plus tard, Ahmed Al-Charaa, à la tête de l’organisation Hay’at Tahrir al-Cham (HTC), créée en 2017, renverse le régime de Bachar Al-Assad en l’espace d’une dizaine de jours et s’impose comme le maître de la Syrie.

HTC, une force qui se veut modérée

Mais Ahmed Al-Charaa parviendra-t-il à s’imposer comme le dirigeant d’une Syrie unifiée ? Le pays demeure aujourd’hui fragmenté : d’un côté, les nouvelles forces gouvernementales contrôlent une large partie du territoire dont les villes d’Alep, Hama, Homs et Damas ; au nord-est, les forces kurdes exercent leur autorité ; tandis que l’Armée Nationale Syrienne (ANS), soutenue par la Turquie, domine le nord du pays. À cela s’ajoute l’État Islamique qui opère clandestinement au centre du pays.

Dans ce contexte de division persistante, Ahmed Al-Charaa a-t-il les moyens de gouverner un pays réunifié tout en s’affirmant sur la scène internationale ? Depuis sa prise de pouvoir, Hayat Tahrir al-Cham (HTC) a lancé une campagne de communication sophistiquée visant à améliorer son image, tant au niveau national qu’international. Le groupe utilise activement les médias sociaux et sa propre agence de presse, Ebaa News, pour se présenter comme une force modérée, capable de gouverner la Syrie.

La rhétorique du groupe s’est considérablement adoucie, notamment au point de vue idéologique. Ayant troqué son turban pour un costume sur mesure, Al-Charaa tente de tourner la page sur son passé, prenant ses distances avec ses anciennes affiliations terroristes, et refusant d’utiliser son nom de guerre « Al-Joulani ». Désormais, Al-Charaa se présente comme un repenti du djihadisme global, promettant de garantir les libertés des minorités ethniques et religieuses ainsi que les droits des femmes.

Le cadavre de l’EI bouge encore

Bien que de nombreux observateurs occidentaux restent sceptiques quant au revirement idéologique du nouveau dirigeant syrien, notamment en raison des pratiques de gouvernance instaurées depuis 2017 dans la région d’Idlib par son « gouvernement de salut » — où l’on recense des conversions forcées à l’islam, des spoliations de biens appartenant à des chrétiens et des Druzes, ainsi que des détentions arbitraires accompagnées de tortures, viols et assassinats —, la question de sa cohabitation avec les islamistes en Syrie demeure épineuse.

En effet, malgré sa défaite militaire en 2019 face à la coalition internationale, l’État islamique (EI) poursuit ses activités clandestines sur le sol syrien. La chute de Bachar Al-Assad offre à l’EI une opportunité stratégique pour se reconstruire et élargir son influence sur le territoire syrien.

En outre, le retrait progressif des troupes russes et leur relocalisation vers la Libye, ainsi que le retrait des troupes iraniennes, du Hezbollah et des milices chiites irakiennes, laissent un vide sécuritaire susceptible de favoriser une résurgence des forces islamistes.

Le verrou kurde

Un autre facteur préoccupant réside dans la résistance des Forces Démocratiques Kurdes (FDS) face à la Turquie et à ses supplétifs de l’Armée Nationale Syrienne. En effet, si les FDS s’effondraient face à l’incursion turque et perdaient leur territoire autonome au nord-est du pays, l’EI en profiterait pour libérer les camps et prisons où quelque 70 000 détenus de l’organisation sont incarcérés. Déjà en décembre, à peine quelques jours après la chute de Bachar Al-Assad, des plans d’évasion ciblant une prison hautement sécurisée où sont détenus 8 000 combattants de l’EI ont été déjoués. Une telle issue représenterait, non seulement une grave menace pour le nouveau gouvernement, mais aussi pour les pays voisins, en particulier l’Irak, où l’instabilité pourrait rapidement se propager.

Doctrinalement et politiquement opposé à Al-Qaïda – auquel Ahmed Al-Charaa avait prêté allégeance en 2013 à la suite de la séparation de son organisation, Jabhat al-Nosra, avec l’État Islamique en Irak –, l’EI pourrait devenir un des premiers adversaires au nouveau gouvernement syrien. Déjà, à l’époque du califat, l’EI affrontait les forces d’Al-Charaa — alors à la tête du groupe Jabhat Fath al-Sham — pour le contrôle du nord-est de la Syrie.

Aujourd’hui, les tentatives du nouveau dirigeant syrien pour établir des relations diplomatiques avec plusieurs États occidentaux, l’accueil de délégations étrangères, notamment françaises et américaines, et son discours qui se veut ouvertement « pacifique » et « tolérant » risquent de déclencher une vive opposition de la part de l’EI. Celui-ci pourrait accuser le gouvernement de collaborer avec les kuffar (un terme péjoratif employé dans la rhétorique djihadiste pour désigner les non-croyants) et Ahmed al-Charaa de takfirisme (apostasie), un crime passible de mort. Déjà, le 10 janvier, les services de renseignement syriens ont annoncé avoir déjoué une tentative d’attentat de l’EI visant la mosquée chiite de Sayyeda Zeinab à Damas. Cet affront public, démontrant les tensions entre le nouveau gouvernement et l’organisation terroriste, pourrait mener à des représailles directes de la part de l’EI, exacerbant les défis sécuritaires et politiques auxquels Al-Charaa fait face.

Le contre exemple afghan

L’opposition de l’État islamique au nouveau gouvernement syrien évoque la rivalité qui oppose l’État islamique au Khorasan (ISIS-K) au régime des Talibans en Afghanistan, et laisse entrevoir comment la situation pourrait évoluer en Syrie. Fondé en 2015 par d’anciens combattants de l’EI et d’Al-Qaïda originaires d’Afghanistan, du Pakistan et du Turkménistan, ISIS-K est devenu l’opposant principal des Talibans. Bien que ces derniers prônent un islam salafiste rigoriste, ISIS-K rejette plusieurs de leurs politiques, notamment leur vision nationaliste du régime.

Alors que les ambitions des Talibans se limitent aux frontières afghanes, ISIS-K cherche à établir un califat transnational, un différend qui trouve un écho en Syrie, où Ahmed Al-Charaa a renoncé à l’idée d’un califat islamique global tel que le promeut l’EI, ses ambitions étant circonscrites au seul territoire national.

De plus, la critique qu’ISIS-K adresse aux Talibans pour leur quête de reconnaissance internationale pourrait également s’appliquer au gouvernement syrien, qui a tenté d’établir des relations diplomatiques avec de nombreux pays étrangers et en particulier occidentaux depuis son arrivée au pouvoir. Cette dynamique d’opposition reflète également la scission idéologique entre Al-Qaïda et l’État islamique, le régime taliban étant historiquement proche d’Al-Qaïda, un parallèle pertinent avec le contexte syrien.

 Ahmed Al-Charaa lâché par les siens

Cependant, l’État islamique ne constitue pas l’unique force islamiste hostile au nouveau gouvernement syrien. Alors que l’opposition de l’EI à Ahmed Al-Charaa repose en partie sur ses liens historiques avec Al-Qaïda, des partisans de cette même organisation pourraient également se retourner contre leur ancien dirigeant. L’un des motifs majeurs de mécontentement réside dans son refus d’entrer en conflit avec Israël, qui occupe illégalement le plateau du Golan depuis la mi-décembre.

Cette posture a suscité de vives critiques, notamment de Mustafa Hamid, un contributeur du magazine taliban Al-Somood et ancien combattant en Afghanistan. Dans un article publié le 4 janvier sous le titre « La Syrie sous l’emprise d’Israël », Hamid accuse « Al-Joulani » d’avoir coordonné son offensive contre Bachar Al-Assad avec le soutien tacite de Tel-Aviv, le qualifiant de « tyran assoiffé de sang », et le décrivant comme pire que son prédécesseur.

L’absence de mesures punitives contre Israël et l’orientation « séculière » d’Al-Charaa ont conduit, le 8 janvier, à la formation du Bataillon Sayf al-Bahr (« Épée de la mer »), une faction dissidente composée d’anciens membres de Hayat Tahrir al-Cham (HTC). Ce groupe critique ouvertement la direction d’Al-Charaa depuis sa prise de pouvoir, dénonçant sa ressemblance aux élites politiques arabes laïques, figures que les islamistes critiquent pour leur « occidentalisme ». Ses membres fustigent son image publique, où il « sourit aux médias, serre la main des impies et renonce à l’habit religieux qui l’avait rendu célèbre, imitant les dirigeants laïques ». Ces insurgés considèrent son rejet de la charia comme une trahison des fondements religieux d’HTC et l’accusent d’hérésie. Cette réorientation idéologique accentue les divisions internes, menaçant de fragiliser encore davantage sa position au sein d’un paysage politique déjà instable.

Le Moyen-Orient fragilisé

L’opposition islamiste au nouveau gouvernement syrien pourrait entraîner des répercussions significatives sur l’ensemble du Moyen-Orient. La montée en puissance de groupes comme l’État islamique ou des factions dissidentes de Hayat Tahrir al-Sham en Syrie risque de déstabiliser les pays voisins, notamment l’Irak, l’Égypte, la Jordanie ou le Liban. Ces pays, déjà fragilisés par leurs propres défis internes, pourraient voir une recrudescence des mouvements islamistes radicaux sur leur territoire, inspirés par les événements en Syrie. Par exemple, un mouvement vient de se créer en Égypte autour de la figure d’Ahmed Al-Mansour, un ancien combattant rebelle en Syrie et qui appelle désormais à renverser le président Abdel Fattah al-Sissi. L’instabilité en Syrie pourrait également raviver les tensions dans la région, notamment entre sunnites et chiites, ce qui pourrait inciter les milices irakiennes chiites à reprendre les armes.

mondafrique.com

L’OTAN sans les États-Unis. Quelle défense pour l’Europe ?

 

Donald Trump menace de ne plus garantir la protection des « mauvais payeurs » de l’OTAN, voire d’encourager la Russie à les attaquer. Le milliardaire ne dissimule pas non plus son souhait de faire sortir les États-Unis de l’Organisation. En réalité, quel que soit le parti gagnant en 2024, le Pentagone pourrait être obligé d’effectuer un redéploiement majeur de ses forces actuellement stationnées en Europe pour concentrer la plus grande partie de ses moyens militaires dans l’Indopacifique.

Selon certains analystes, la Chine pourrait en effet avoir la capacité d’envahir Taïwan dans un avenir proche. Or, si un tel scénario devait se confirmer, les forces américaines ne seraient pas en mesure de l’emporter sur deux fronts simultanés face à de grandes puissances. Cette perspective est particulièrement inquiétante dans un contexte où certains estiment la Russie capable d’attaquer un ou plusieurs pays européens de l’OTAN d’ici cinq à huit ans. Les membres européens de l’Alliance atlantique sont-ils néanmoins en mesure d’assurer leur propre défense sans l’aide des Américains ? En cas de désengagement partiel ou total des États-Unis vis-à‑vis de l’OTAN, quels sont les scénarios à envisager pour garantir la défense de l’Europe ?

Les États-Unis et les pays européens au sein de l’Alliance : quelques données chiffrées

L’OTAN – qui vient de fêter ses 75 ans – représente probablement la coalition militaire la plus robuste et la plus avancée de l’histoire contemporaine. Les pays membres de l’Organisation possèdent ensemble plus d’effectifs et d’équipements militaires que la Russie, considérée comme « la menace la plus importante et la plus directe » pour la sécurité des Alliés, mais également la Chine, qui « fait peser sur la sécurité euro-­atlantique » des « défis systémiques » (1). Néanmoins, une bonne part de cette supériorité numérique est à mettre à l’actif des États-Unis. A contrario, l’OTAN n’est pas un outil vital pour faire face au défi chinois qui constitue, depuis 2011, la priorité stratégique du Pentagone.

Sur les 3,3 millions de militaires en service actif dont dispose l’Organisation, 1,4 million sont américains et près de 1,3 million sont issus des 23 pays de l’Union européenne également membres de l’Alliance (2). Aujourd’hui, les États-Unis assurent à eux seuls près des deux tiers des dépenses militaires de l’Alliance (ou contributions indirectes de l’OTAN) et fournissent environ 70 % des équipements critiques, tels qu’hélicoptères, appareils de ravitaillement en vol, défense antimissile balistique, reconnaissance et renseignements satellitaires. En outre, cinq des neuf postes de commandement les plus importants de l’Organisation – dont celui de Commandant suprême des forces alliées en Europe (SACEUR) – sont occupés par des Américains (3). Au total, près d’un septième des effectifs du commandement allié Opération (ACO) – dirigé par le SACEUR – sont américains (soit environ un millier de personnes).

Le général américain qui assume la fonction de SACEUR a une double casquette puisqu’il est aussi le chef du Commandement des forces des États-Unis pour l’Europe (COM EUCOM – United States European Command), dont la zone de responsabilité est pratiquement identique à celle de l’ACO. Selon les décisions prises à Washington, les forces américaines peuvent donc être placées sous le commandement du SACEUR et/ou du COM EUCOM. Washington peut ainsi décider d’engager ses forces prépositionnées en Europe en dehors du commandement de l’OTAN et éventuellement sous la forme d’une coalition.

La remontée des effectifs militaires américains prépositionnés en Europe à un niveau d’environ 100 000 hommes (contre 75 000 en février 2022), faisant suite à la seconde invasion de l’Ukraine par la Russie – et représentant actuellement plus de la moitié des soldats américains déployés à travers le monde –, confirme le rôle que joue Washington au sein de l’Alliance atlantique (4). Les États-Unis participent – en tant que pays contributeur ou pays cadre (en Pologne) – à cinq des huit groupements tactiques multinationaux de la « présence avancée renforcée » (Enhanced forward presence – EFP) de l’OTAN, positionnée en permanence sur le flanc est de l’Alliance. Last but not least, les Américains contribuent au « nouveau modèle de forces » de l’OTAN (New Force Model – NFM) qui devrait rassembler jusqu’à 800 000 hommes disponibles sous trois mois pour la défense de l’Europe. Les Européens devraient néanmoins fournir l’essentiel des forces du NFM déployables sous 10 à 30 jours (5).

Les membres européens de l’Alliance atlantique ne disposent pas, à l’heure actuelle, des ressources nécessaires pour mener, sans les États-Unis, une guerre de haute intensité face à un pays tel que la Russie, que ce soit individuellement ou collectivement. Cela peut sembler paradoxal quand on sait que, par exemple, les budgets de défense cumulés des États membres de l’UE sont trois fois supérieurs à celui de la Russie (et ce malgré l’augmentation de 24 % du budget de défense de cette dernière en 2023 par rapport à 2022). En outre, les pays de l’UE alignent ensemble plus de militaires que la Russie (qui compte actuellement 1,1 million de soldats d’active), mais également plus d’avions de combat (± 2 000), plus de chars (± 4 000) et bien plus de navires de guerre (± 180) (6). En réalité, le gros problème des Européens (qu’ils fassent ou non partie de l’UE) est qu’ils manquent des instruments nécessaires – capacités de commandement et de contrôle (C2) ; moyens de renseignement, de surveillance et de reconnaissance (Intelligence, Surveillance and Reconnaissance – ISR) ; capacités logistiques et munitions suffisantes – pour combattre de manière efficace et autonome. Enfin, la posture de dissuasion de l’OTAN repose essentiellement sur les armes nucléaires des États-Unis déployées à l’avant en Europe.

Alors que la guerre russo-­ukrainienne relance l’idée d’un renforcement de l’autonomie stratégique européenne en matière de sécurité et de défense, et par là même d’une consolidation de ce que certains appellent « le pilier européen de l’OTAN », elle accroît paradoxalement la dépendance 

stratégique envers les États-Unis. Les Européens investissent davantage dans leur défense (et consacreront, pour la plupart, 2 % de leur PIB à leurs dépenses de défense cette année), mais ils achètent aussi beaucoup de matériel américain (68 % de leurs acquisitions actuelles et/ou en cours) (7). Or, en cas de conflit majeur dans la région indopacifique, il est probable que cette dépendance à l’industrie américaine puisse compromettre la livraison de systèmes d’armement commandés par les Européens. Certains pays, tels que la France, estiment que l’UE doit se doter d’instruments industriels propres afin de défendre ses intérêts sans dépendre d’États tiers, même alliés. Actuellement, l’Europe est en tout cas loin d’avoir unifié son armement – elle possède six fois plus de systèmes d’armes que les États-Unis –, ce qui est coûteux et peu efficient (8).

Quels scénarios possibles avec et sans les États-Unis ?

Dans un avenir plus ou moins proche, les États-Unis pourraient être amenés à retirer une partie significative de leurs forces opérationnelles déployées en Europe et à réduire leur présence au sein de la structure intégrée de l’OTAN. Le fonctionnement de la chaîne de commandement opérationnel de l’OTAN pourrait dès lors être perturbé, ce qui compliquerait, en particulier, la mise en place des nouveaux plans de défense de l’OTAN. En cas de désengagement américain, peut-être serait-il intéressant d’envisager la désignation d’un SACEUR européen. Celui-ci pourrait non seulement assurer (à temps plein cette fois !) la planification et l’exécution de toutes les opérations otaniennes, mais également renforcer la crédibilité des Européens au sein de l’Organisation et/ou face à un ennemi potentiel. Comme ce fut le cas pour la France, le retrait possible des États-Unis de la structure de l’OTAN pourrait n’être que partiel et temporaire. Une certaine créativité et flexibilité devraient dès lors guider les décisions.

Les États-Unis pourraient également décider de diminuer ou de retirer certaines de leurs capacités facilitatrices présentes en Europe (C2, défense antimissile, ISR et missiles longue portée en particulier), ce qui serait susceptible de compromettre la défense du Vieux Continent. En outre, si Washington venait à remettre en cause le principe de dissuasion nucléaire élargie, la posture stratégique de l’OTAN serait affaiblie. La France et le Royaume-­Uni n’ont en effet jamais intégré le programme de dissuasion partagée de l’Organisation et la possible extension de la dissuasion nucléaire française en Europe suscite encore beaucoup de débats. Enfin, dans le cas extrême où les États-Unis envisageraient un retrait complet de l’OTAN – scénario certes peu probable –, Washington pourrait mettre en œuvre des accords de sécurité bilatéraux avec certains pays européens.

Face au retour d’une guerre de haute intensité en Europe et à celui – tout aussi possible – d’une nouvelle présidence de Donald Trump à la Maison-­Blanche, mais surtout face au « pivot » asiatique des États-Unis, il est urgent dans un premier temps que chaque pays européen soit capable d’assurer sa propre défense sans compter sur l’OTAN et que, dans un second temps, l’Europe soit en mesure de défendre ses frontières communes (grâce à une défense européenne, au pilier européen de l’OTAN et/ou à des accords multinationaux). Il s’agirait là d’un changement de paradigme fondamental pour la défense de l’Europe, exclusivement garantie depuis 75 ans par l’OTAN, et donc essentiellement par les Américains. La défense européenne n’a néanmoins pas vocation à se substituer à l’OTAN, qui reste la pierre angulaire de la défense de l’Europe. Les accords de « Berlin plus » constituent une base de départ pour régler les rapports entre l’OTAN et le volet défense de l’Union européenne, même s’ils s’avèrent difficiles à appliquer, pour des raisons tant politiques que pratiques. Sortir de cette impasse euro-­atlantique est pourtant indispensable pour permettre à l’Europe de développer sa propre personnalité de défense, conformément au traité de Lisbonne.

En définitive, la défense de l’Europe passe par un soutien militaire à l’Ukraine qui soit efficace, mais également par la capacité des Européens à maintenir une première ligne de protection crédible et rapidement disponible pour assurer la défense du territoire européen, et ce même en l’absence des capacités conventionnelles, voire du parapluie nucléaire, des Américains. La mise en place d’un programme industriel de défense et d’un bouclier antimissile européens ainsi que l’extension de la dissuasion nucléaire française en Europe et le développement de bases militaires permanentes européennes dans les pays les plus proches de la Russie font partie des pistes envisagées. 

* L’auteure s’exprime à titre personnel.

Notes

(1) Concept stratégique 2022 de l’OTAN adopté par les chefs d’État et de gouvernement au sommet de Madrid le 29 juin 2022 (https://​www​.nato​.int/​c​p​s​/​f​r​/​n​a​t​o​h​q​/​t​o​p​i​c​s​_​2​1​0​9​0​7​.​htm).

(2) Les 615 300 militaires restants sont fournis par la Turquie (355 200 militaires), le Royaume-Uni (150 350), le Canada (66 500), la Norvège (25 400), la Macédoine du Nord (8 000), l’Albanie (7 500) et le Monténégro (2 350) (The International Institute for Strategic Studies, The Military Balance, 2023).

(3) Quatre généraux américains sont respectivement à la tête des commandements de forces interarmées (JFC) de Norfolk et de Naples, mais également des commandements de milieu terrestre (LANDCOM) et aérien (AIRCOM), qui composent l’ACO.

(4) En 2023, plus de 168 000 soldats américains étaient en service actif à l’étranger.

(5) OTAN, « Defence Expenditure of NATO Countries (2014-2024) », Bruxelles, 12 juin 2024 (https://​www​.nato​.int/​n​a​t​o​_​s​t​a​t​i​c​_​f​l​2​0​1​4​/​a​s​s​e​t​s​/​p​d​f​/​2​0​2​4​/​6​/​p​d​f​/​2​4​0​6​1​7​-​d​e​f​-​e​x​p​-​2​0​2​4​-​e​n​.​pdf).

(6) Jean-Paul Perruche, « L’Europe au défi de la puissance militaire » dans Sando Gozi, Dusan Sidjanski et François Saint-Ouen (dir.), Une défense européenne autonome est-elle encore possible ?, Centre de compétences Dusan Sidjanski en études européennes, Genève, 2023, p. 88.

(7) Olivier Jehin, « [Verbatim] Le réveil européen en matière de défense, trop lent au goût des industriels », B2 Pro Le quotidien de l’Europe géopolitique, 19 avril 2024 (https://​club​.bruxelles2​.eu/​2​0​2​4​/​0​4​/​v​e​r​b​a​t​i​m​-​l​e​-​r​e​v​e​i​l​-​e​u​r​o​p​e​e​n​-​e​n​-​m​a​t​i​e​r​e​-​d​e​-​d​e​f​e​n​s​e​-​t​r​o​p​-​l​e​n​t​-​a​u​-​g​o​u​t​-​d​e​s​-​i​n​d​u​s​t​r​i​els).

(8) Niall McCarthy, « Europe Has Six Times As Many Weapon Systems As The U.S. », statista​.com, 20 février 2018.

Estelle Hoorickx

areion24.news