Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

lundi 8 décembre 2025

L’énigme de l’Est : penser la crise RDC-Rwanda au-delà des lignes de fracture

 

La République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda, acteurs d’une tragédie à ciel ouvert, s’écharpent depuis plusieurs décennies dans une danse macabre que l’on appelle pudiquement « crise sécuritaire dans l’Est du Congo » (1). En réalité, il s’agit d’un cri d’hégémonie, d’agonie, de survie, de prédation, de mémoire mutilée et d’identité blessée.

Ils sont nombreux, les cœurs battants de l’Afrique, qui transpirent de sueur, de traces et de sang rouge — tantôt vif, tantôt ocre. Seulement, aucun ne palpite avec autant de fureur et d’agonie que celui des Grands Lacs, cette géographie à la fois luxuriante et tragique. Là se dressent les collines du Kivu, qui murmurent depuis trois décennies les mêmes complaintes au creux du tympan de l’humanité : pillages, déportations, massacres, viols, mais aussi complicités internationales, impunités diplomatiques, diplomatie des minerais. Comment analyser les origines, les dynamiques actuelles et les possibles évolutions d’un conflit aussi complexe et enraciné qu’il défie les lectures manichéennes classiques ?

Répondre substantiellement aux précédentes questions exige un regard multiple, nourri de récits, d’analyses et de mémoire. Car la complexité de la crise RDC-Rwanda ne peut se réduire à une grille unique, au contraire. Il ne s’agit ni d’une simple agression territoriale ni d’une guerre ethnique, ni même d’un différend diplomatique classique. Il s’agit d’une accumulation de déséquilibres, d’héritages postcoloniaux, de mémoires mutilées et contestées, de rivalités militaires, d’enjeux transnationaux, de jeux de puissance, le tout imbriqué dans une tragédie humaine dont la dimension dépasse de loin les frontières. Des premières fractures nées au lendemain du génocide de 1994 aux soubresauts actuels marqués par la résurgence du groupe armé M23, et des accusations croisées d’agressions aux tentatives diplomatiques de Lomé et de Nairobi, entamons un voyage qui nous plongera dans les abimes du pouvoir, du ressentiment et des intérêts stratégiques.

Les origines d’une tragédie feutrée : entre mémoire, survie et ambitions

L’histoire de la crise — ou guerre — entre la RDC et le Rwanda est entrelacée de douleurs non digérées et d’ambitions inavouées. Elle n’a ni commencement précis ni fin prévisible. Néanmoins, son point de bascule le plus visible demeure l’année 1994, lorsque le génocide des Tutsi au Rwanda (d’avril à juillet) a précipité des millions de réfugiés hutu vers l’est de l’ex-Zaïre (2). Parmi eux, les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR — Hutu), des génocidaires armés et intégrés dans les camps, se sont réorganisées avec le soutien de certaines factions zaïroises. Subséquemment, le Front patriotique rwandais (FPR — Tutsi), au pouvoir à Kigali depuis juillet 1994, a très tôt perçu cette présence comme l’ombre du génocide et l’écho d’une menace existentielle.

Pour l’historien David Van Reybrouck, « le Rwanda craint d’être encerclé par des pays qui lui sont hostiles — et qui ont tous déployé des militaires sur le sol congolais, dans le cadre d’accords bilatéraux ou de forces multilatérales. On peut faire un parallèle avec Israël, dont le Rwanda se sent proche » (3). Mais le Rwanda ne se contente pas de craindre ; il agit, notamment avec le soutien, selon le rapport final du Groupe d’experts sur la RDC de 2024 (4), de groupes comme le M23, afin de sécuriser sa profondeur stratégique. De ce point de vue, Kigali mène contre Kinshasa une guerre préventive et par procuration, justifiée par une mémoire traumatique. Mais une guerre tout de même !

Toutefois, contrairement à Kigali, qui perçoit les FDLR comme un ennemi héréditaire, Kinshasa dénonce un prétexte pour éroder les piliers de son existence en tant qu’État. Autrement dit, derrière l’argument sécuritaire se cache, selon le précédent rapport du groupe d’experts, un activisme économique prédateur rwandais en RDC. Et pour cause : le sous-sol congolais, généreux à outrance, regorge de coltan, d’or, de cassitérite, autant de ressources convoitées comme la pomme d’or de la Discorde dans la mythologie. Le conflit devient alors une rente, car il est moins couteux de soutenir une rébellion que de forer légalement une mine. Ce fut logiquement le terreau de la première guerre du Congo (1996-1997), soutenue par le Rwanda et l’Ouganda, qui a abouti au renversement de Mobutu Sese Seko (1965-1997) et à l’accession de Laurent-Désiré Kabila au pouvoir (1997-2000). Mais très vite, les alliances se sont fissurées. En 1998, la deuxième guerre du Congo éclate, plus brutale et plus sanglante encore, avec une implication régionale étendue (5). Cette fois, le Rwanda justifie son intervention par la nécessité de neutraliser les Interahamwe — la plus importante des milices rwandaises — et les FDLR, tandis que Kinshasa dénonce une prédation masquée sous couvert de sécurité.

Ni les accords de Lusaka (1999) ni le Dialogue intercongolais de Sun City (2002) n’ont réussi à désamorcer entièrement les tensions. En effet, les structures étatiques congolaises sont restées faibles, et les rivalités régionales se sont enkystées dans la logique des groupes armés. Subséquemment, les provinces du Nord et du Sud-Kivu sont devenues un théâtre permanent de conflits à géométrie variable, où s’entrelacent acteurs locaux, intérêts miniers, logiques identitaires et rivalités géopolitiques et diplomatiques (6).

Mosaïque d’alliances, fractures internes et enchevêtrements régionaux

Nous sommes en 2025, et l’Est du Congo brûle toujours sans flamme. Bénéficiant d’un soutien logistique extérieur et d’un matériel sophistiqué (7), et contrôlant plusieurs localités stratégiques du Nord-Kivu, le M23 n’a jamais été aussi puissant. A contrario, les Forces armées de la RDC (FARDC), mal équipées, sous-entrainées, infiltrées et démotivées, peinent à contenir la progression des rebelles, quand elles n’abandonnent pas simplement le champ de bataille devant l’armada de leurs ennemis (8). Malgré le soutien militaire des forces régionales, telles que la South African Development Community (SADC), les FARDC ne parviennent à (re)conquérir ni les territoires occupés ni le cœur des populations affligées. Las d’une situation complexe et stagnante, la Mission de l’organisation des Nations Unies pour la stabilisation en RDC (MONUSCO), en départ progressif, incarne une présence résignée. Sur le front politique, Kinshasa accuse Kigali de soutenir le M23, ce que le Rwanda nie farouchement, affirmant au contraire subir des incursions de la part des FDLR depuis le Congo.


La diplomatie régionale, quant à elle, piétine : qu’il s’agisse des initiatives de Nairobi, de Luanda, ou d’Addis-Abeba, les accords se succèdent comme les promesses mortes au front. Dans le même temps, Kigali redoute une alliance stratégique entre les FDLR et certains segments de l’armée congolaise. C’est ce climat de méfiance qui alimente la guerre d’influence dans la région. Malheureusement, les populations civiles, pour leur part, paient le plus lourd tribut : déplacements massifs, violences sexuelles, enrôlement forcé et désespoir chronique. Le Kivu devient ainsi un laboratoire de la souffrance humaine, mais aussi un espace où s’invente chaque jour une survie farouche sous le regard de différentes puissances soutenant les belligérants.

Le théâtre des puissances : qui soutient qui, pourquoi et comment ?

La crise RDC-Rwanda n’est pas uniquement bilatérale : elle est également fortement insérée dans des logiques internationales fluides. Par exemple, l’Ouganda, autrefois allié du Rwanda, entretient désormais une rivalité froide avec Kigali. Le Burundi, le Soudan du Sud, l’Angola et la Tanzanie jouent tous un rôle ambigu dans la région. On ne saurait oublier les soutiens burundais et sud-africains, qui, bien qu’utiles, sont limités. La East African Community (EAC), qui avait lancé une force régionale, peine à construire une position commune. Sur le plan international, la France, les États-Unis, la Chine et la Russie adoptent des positions opportunistes, dictées par des intérêts économiques, militaires ou diplomatiques. Washington condamne les violations de souveraineté, mais maintient une coopération sécuritaire avec Kigali. Le Royaume-Uni, lui, reste neutre en raison de ses accords migratoires avec le Rwanda. Berlin et Ottawa ont suspendu leur aide à Kigali, tandis que seule la Belgique a osé franchir le seuil de la dénonciation publique et assumée, en soutenant notamment des sanctions européennes contre le Rwanda (9).

Pékin, une fois n’est pas coutume, a nommément souligné le rôle de Kigali dans la résurgence des tensions dans l’Est du Congo (10). Pour autant, fidèle à sa tradition diplomatique, la Chine reste discrète mais présente, en investissant dans les infrastructures minières ; un classique ! Moscou a officiellement condamné l’escalade du M23, et appelé Kinshasa et Kigali à retourner à la table des négociations (11). Toutefois, certains estiment que la Russie scrute les potentielles opportunités offertes par le vide stratégique occidental pour avancer ses pions en tapinois, notamment à travers des contrats sécuritaires privés (12).

En clair, les soutiens aux forces présentes sur le terrain sont pluriels, évolutifs, et obéissent à des logiques d’influence. Car, à l’ombre des discours officiels, certains rapports évoquent des complicités — locales (13) et transnationales — plus larges, notamment dans la chaine de commercialisation des minerais extraits illégalement. L’incidence directe en est la banalisation de la realitas belli, qui a pris les traits du quotidien existentiel : la sécurité humaine est sacrifiée sur l’autel d’équilibres géopolitiques volatils. La conclusion est évidente : le Rwanda, petit par la taille mais grand par sa capacité d’influence, manœuvre avec agilité dans les cercles décisionnels internationaux.

Panorama des forces en présence : milices, armées nationales, acteurs invisibles

L’Est congolais est devenu une matrice de groupes armés : plus de 120 mouvements y sont recensés. Parmi eux, le M23 demeure le plus structuré et le plus controversé. D’autres, comme les FDLR, les Mai-Mai (ou Nyatura), les Forces démocratiques alliées (FDA), ou encore le groupe Twirwaneho, participent à une guerre asymétrique, où les alliances fluctuent selon les intérêts du moment. En quête de soutiens militaires pluriels, la RDC a souvent sous-traité sa guerre par procuration avec les précédents groupes armés. Cependant, les résultats sont pour le moins mitigés, car ces derniers forment une constellation hétéroclite aux objectifs divergents et parfois contradictoires ; en somme, une nébuleuse que même les drones de l’ONU ne parviennent plus à cartographier.

Par ailleurs, l’asymétrie est ici la règle — et pas uniquement sur le plan militaire. D’un côté se trouve la RDC : un État vaste comme un continent, riche et forte de ressources, mais faible et pauvre en institutions solides. De l’autre, le Rwanda : une nation disciplinée, numériquement et géographiquement inférieure, mais dotée d’hommes forts et d’institutions centralisées. Le Rwanda peut aussi compter sur un réseau diplomatique redoutable, ainsi que sur une armée mobile, aguerrie, bien équipée, expérimentée et fortement professionnalisée. Bien que manifeste, cette asymétrie seule ne suffit pas à produire une victoire décisive. En effet, la prise en compte du rôle des marionnettistes de l’ombre permet de mieux comprendre l’orientation de la balance des forces en présence. Car, dans l’ombre des combats et joutes rhétoriques, les entreprises minières, les réseaux mafieux et certains acteurs internationaux tirent les ficelles d’une économie de guerre (14). Le coltan, l’or et le tungstène apparaissent alors autant comme des ressources que comme des « malédictions ». La guerre a donc toujours ses bénéficiaires, souvent éloignés des zones de combat, nonobstant les tentatives de médiation diplomatique.

Initiatives diplomatiques et médiations

Face à l’impasse politico-militaire, les tentatives de médiation se multiplient. Le processus de Nairobi, lancé en 2022 par la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC), a permis des rencontres entre le gouvernement congolais et certains groupes armés. Doha s’essaie également à une médiation discrète. Mais c’est surtout la diplomatie togolaise, menée par le président Faure Gnassingbé (2005-2025), qui a surpris par son activisme discret et sa capacité à dialoguer avec toutes les parties. L’approche togolaise repose sur une logique d’écoute, de respect mutuel et de confidentialité. Contrairement à d’autres médiateurs, Lomé n’impose pas de solutions toutes faites. Cette diplomatie des niches et de la patience pourrait ouvrir une nouvelle voie, à condition que les acteurs régionaux et internationaux soutiennent sincèrement cette initiative.

Perspectives à court et moyen terme : paix piégée ou résilience stratégique ?

À court terme, l’horizon demeure obscur et la paix vacille, car le retrait annoncé de la MONUSCO augure un vide létal, là où la guerre sévit déjà sans répit. Les processus de Nairobi et de Luanda, autrefois porteurs d’espoir, semblent aujourd’hui figés dans le givre du désenchantement. L’option militaire, aussi brutale que couteuse, gagne du terrain sans promettre de lendemain. Pourtant, des lueurs timides percent l’obscurité : quelques échanges directs ou indirects, une volonté naissante de réforme au sein des FARDC, et les voix puissantes d’une société civile qui réclame justice et concorde.

À moyen terme, deux chemins s’esquissent : celui d’une hégémonie imposée, où Kigali tisse sa toile d’influence sur les mailles régionales, et celui d’un renouveau congolais, où Kinshasa, fort d’institutions rénovées, transforme le Kivu en terre d’espérance et non de feu. Mais cette résilience requiert un sursaut d’autorité, une solidarité africaine rallumée (15) et un regard du monde qui cesse de détourner les yeux. Car, tant que les collines saigneront en silence, les plaies resteront ouvertes. La paix durable, quant à elle, dépend d’un pacte régional de sécurité réinventé, d’une lutte implacable contre l’impunité, et d’un lent travail de mémoire entre les peuples meurtris. Alors seulement pourra germer, dans les cendres, l’espoir d’un avenir réconcilié.



La paix comme utopie stratégique ou comme diplomatie de vérité ?

Dans l’Est du Congo, les rivières murmurent, obstinées, l’écho d’un drame ancien aux visages renouvelés. Elles savent, ces eaux témoins, que le conflit qui ensanglante les collines du Kivu n’est ni linéaire ni simple. Il est palimpseste de douleurs et de convoitises, fresque inachevée d’intérêts mêlés, d’identités blessées et d’un silence international coupable. Politique, minier, géopolitique et mémoriel tout à la fois, ce tumulte incarne l’échec d’un ordre global sans boussole, et d’un régionalisme vidé de sa substance. Il exhibe, à la face du monde, le paradoxe d’une humanité qui tolère que les fauteurs de crimes d’hier deviennent les stratèges cyniques d’aujourd’hui, pendant que l’enfance de Goma s’efface sous les larmes et la poussière.

Mais l’histoire, elle, ne sculpte pas seule son cours. Elle attend simplement des mains justes, des voix audacieuses et des volontés fortes. C’est donc aux artisans de la paix — décideurs africains, partenaires sincères, peuples épris de justice — qu’il revient de briser les chaines du fatalisme et de faire mentir les oracles de guerre. Car la crise entre Kinshasa et Kigali n’est pas un labyrinthe sans sortie, mais une énigme qui appelle vérité, reconnaissance, mémoire et réparation. De ce fait, une paix juste ne naitra ni des postures figées ni des slogans creux, mais de la sincérité des actes et de l’audace d’imaginer ensemble un autre récit. Voilà la condition sine qua non pour qu’au cœur des volcans, sous la cendre des rancunes, germe encore puis fleurisse un espoir tenace. Alors peut-être, demain, les collines chanteront-elles enfin non plus le requiem des peuples en errance, mais l’hymne partagé d’une dignité retrouvée.


Chronologie du conflit RDC/Rwanda


Avril 1994 Le 6 avril, l’avion du président rwandais Juvénal Habyarimana est abattu à Kigali. Cet attentat non élucidé est considéré comme l’élément déclencheur des événements qui vont suivre. Dès le lendemain, le génocide des Tutsis commence, orchestré par des extrémistes hutus. Les populations tutsis et de nombreux responsables politiques et sympathisants hutus modérés deviennent la cible d’assassinats systématiques, tandis que le Front patriotique rwandais (FPR) lance une offensive contre le gouvernement en place.


Juillet 1994 Le FPR réussit à prendre Kigali le 4 juillet. Depuis le 7 avril, entre 800 000 et un million de personnes ont perdu la vie dans le conflit. Le 17 juillet, le FPR prend le contrôle de la majeure partie du pays et annonce un cessez-le-feu. Un million de réfugiés hutus, y compris de nombreux responsables du génocide, fuient vers le Zaïre, qui deviendra plus tard la République démocratique du Congo (RDC).


1996-1997 La première guerre du Congo éclate : le Rwanda et l’Ouganda apportent leur soutien militaire et logistique à la rébellion de Laurent-Désiré Kabila. En l’espace de sept mois, son Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), qui compte environ 15 000 combattants, réussit à renverser Mobutu Sese Seko, au pouvoir depuis 32 ans. Ce conflit a causé environ 250 000 morts selon les estimations et le Zaïre est rebaptisé « République démocratique du Congo » en mai 1997.


1998-2003 La deuxième guerre du Congo voit s’affronter le régime de Laurent-Désiré Kabila et des rébellions soutenues par le Rwanda et l’Ouganda. Ce conflit sur plusieurs fronts implique neuf pays africains et des dizaines de groupes armés, entrainant entre 200 000 et 5,4 millions de morts selon les sources. Plus de 3 millions de personnes ont été déplacées, et des centaines de milliers de femmes ont été victimes de violences sexuelles. Ce conflit autour du contrôle des ressources demeure le plus meurtrier depuis la Seconde Guerre mondiale.


2004-2009 La guerre du Kivu, dans l’Est de la RDC, oppose l’armée congolaise à Laurent Nkunda, soutenu par le Rwanda et à la tête d’une rébellion à majorité tutsi, le CNDP (Congrès national pour la défense du peuple). Entre 2007 et 2008, on estime qu’environ 250 000 personnes ont été déplacées à l’intérieur du Kivu. Les combats ont également été marqués par des atrocités massives : en 2008, plus de 7000 cas de viols ont été signalés dans la région, utilisés comme une arme de guerre.


23 mars 2009 Un accord est signé entre Kinshasa et les rebelles du CNDP. Cependant, une partie de ces rebelles fonde le M23, qui exige la protection des Tutsis et le respect des accords établis.


2012-2013 Le M23, soutenu par le Rwanda, s’empare de Goma en novembre 2012, mais est finalement repoussé en 2013 par l’armée congolaise et la brigade d’intervention de l’ONU.


2013-2021 La région de l’Est de la RDC continue de connaitre des violences, avec des affrontements entre divers groupes armés comme les FDLR et les Maï-Maï, ainsi que des tensions persistantes entre la RDC et le Rwanda.


2022 Les hostilités reprennent : le M23, toujours soutenu par le Rwanda, relance une offensive dans le Nord-Kivu, capturant plusieurs localités stratégiques.


Notes

(1) Samuel Nguembock, « Crise sécuritaire à l’est de la RDC : des ambitions manifestes pour une planification stratégique peu réaliste », Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), 15 juillet 2021 (https://​rebrand​.ly/​v​p​0​3​zlj).

(2) Pierre Jacquemot, « Le Rwanda et la République démocratique du Congo. David et Goliath dans les Grands Lacs », Revue internationale et stratégique, vol. 3, n°95, 2024, p. 35 (https://​rebrand​.ly/​0​n​v​h​3f0).

(3) Jérôme Gautheret, Anna Sylvestre-Treiner, « Le conflit en RDC reflète le monde d’aujourd’hui », entretien avec David Van Reybrouck, Le Monde, 12 avril 2025 (https://​rebrand​.ly/​4​w​2​f​tvd).

(4) Conseil de sécurité des Nations Unies, « Lettre datée du 31 mai 2024, adressée au Président du Conseil de sécurité par le Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo », S/2024/432, 4 juin 2024. (https://​docs​.un​.org/​f​r​/​s​/​2​0​2​4​/​432).

(5) Gauthier de Villers, « La guerre dans les évolutions du Congo-Kinshasa », Afrique contemporaine, vol. 3, n°215, 2005, p. 47-70 (https://​rebrand​.ly/​d​1​c​17e).

(6) Filip Reyntjens, The Great African War: Congo and Regional Geopolitics, 1996-2006, Cambridge University Press, 2009 (https://​rebrand​.ly/​1​d​0​7​6tc).

(7) Conseil de sécurité des Nations Unies, op. cit.

(8) Vinciane Joly, Vivien Latour, « Guerre en RD-Congo : la débandade de l’armée sème la panique à Kinshasa », La Croix, 21 février 2025 (https://​rebrand​.ly/​8​d​3​698).

(9) Jean-Pierre Stroobants, « Le Rwanda rompt ses relations diplomatiques avec la Belgique après l’adoption de sanctions européennes », Le Monde, 17 mars 2025 (https://​rebrand​.ly/​9​t​i​9​3bs).

(10) Jack Lau, « Le conflit en RD Congo met à l’épreuve l’équilibre diplomatique de la Chine », BBC News, 30 mars 2025 (https://​rebrand​.ly/​d​0​d​s​ky5).

(11) Permanent Mission of the Russian Federation to the United Nations, « Statement by Permanent Representative Vassily Nebenzia at a UNSC briefing on the DRC », 26 janvier 2025 (https://​russiaun​.ru/​e​n​/​n​e​w​s​/​d​r​c​_​2​6​0​125).

(12) Haleigh Bartos, John Chin, « The Congo’s fork in the road: If the West won’t intervene, Russia will », Modern War Institute, 26 février 2025 (https://​rebrand​.ly/​s​o​q​z​1ng).

(13) Thierry Vircoulon, « Minerais au Congo. De la non-gouvernance locale à la gouvernance mondiale », dans Thierry de Montbrial, Philippe Moreau Defarges (dir.), Ramses 2012. Les États submergés ?, Institut français des relations internationales (IFRI), 2011, p. 202-205.

(14) Justin Mwetaminwa, Thierry Vircoulon, « Un scandale sino-congolais. L’exploitation illégale des minerais et des forêts par les entreprises chinoises au Sud-Kivu », Notes de l’IFRI, février 2022 (https://​rebrand​.ly/​3​c​d​e37).

(15) Georges Nzongola-Ntalaja, The Congo from Leopold to Kabila: A People’s History, Zed Books, 2002.

Jean Yves Ndzana Ndzana

areion24.news

dimanche 7 décembre 2025

Comment et pourquoi Emmanuel Macron a fait chou blanc en Chine

 

Le président français a achevé vendredi une quatrième visite d’Etat en Chine où il a fait chou blanc puisque son homologue chinois Xi Jinping a poliment décliné ses deux principales demandes : faire pression pour que la Russie mette fin à la guerre en Ukraine et donner des garanties pour permettre à la France de combler son déficit commercial abyssal avec ce pays.

Le constat est simple : les « relations stratégiques » qui, pour le chef de l’Etat français, devaient servir de cadre aux échanges entre la Chine et la France n’ont en réalité rien de stratégiques car les déclarations convenues de son hôte chinois ont rapidement montré les limites de l’exercice au cours de cette visite de moins de trois jours : la réponse est non aux principales demandes françaises.

Xi Jinping a même publiquement sermonné Emmanuel Macron lorsqu’il l’a exhorté à « se tenir du bon côté de l’Histoire, » formule que le maître de la Chine communiste affectionne lorsqu’il entend rappeler ses interlocuteurs au sens des réalités : la Chine d’aujourd’hui est puissante et n’entend plus se laisser donner des leçons par quiconque sur la scène internationale.

C’est ainsi que le président français n’a rien obtenu lorsque, une fois de plus, il a exhorté la Chine à œuvrer pour que Moscou accepte au moins un cessez-le-feu en Ukraine. Lors d’une apparition commune devant les médias, Emmanuel Macron a dit avoir « longuement évoqué » avec son homologue le conflit en Ukraine, « menace vitale pour la sécurité européenne. » « J’espère que la Chine pourra se joindre à notre appel et à nos efforts pour parvenir dans les meilleurs délais à tout le moins à un cessez-le-feu, » a-t-il dit.

La réponse de Xi Jinping en deux temps a été inhabituellement sèche. « La Chine soutient tous les efforts pour la paix [et] continuera à jouer un rôle constructif pour une solution à la crise ukrainienne, » a-t-il dit, reprenant des termes convenus régulièrement tenus par Pékin. « En même temps, elle s’oppose fermement à toute tentative irresponsable visant à rejeter la faute ou à diffamer quiconque, » a-t-il ajouté alors que Macron n’avait publiquement formulé aucun grief.

Le ton surprenant de cette dernière phrase renvoie le président français dans les cordes et ne laisse aucune équivoque sur les intentions de la Chine : inutile d’insister car il n’est pas question pour Pékin d’user de ses liens privilégiés avec Moscou pour hâter la fin de la guerre en Ukraine.

Pas question pour la Chine d’intervenir pour raisonner la Russie en Ukraine

La Chine n’a jamais condamné l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022. Partenaire économique et politique primordial de la Russie, elle est le premier pays acheteur de combustibles fossiles russes au monde, y compris de produits pétroliers, alimentant ainsi la machine de guerre russe en Ukraine. Des experts européens et américains l’accusent en outre de fournir des composants militaires à Moscou, ce que dément Pékin.

« Aujourd’hui, l’intérêt de la Chine est de soutenir la Russie. Par conséquent, elle n’est pas neutre, » estime ainsi le sinologue Jean-Pierre Cabestan. Si dans le passé la Russie a livré des armes à la Chine, « la situation est aujourd’hui inversée puisque c’est plutôt la Chine qui, dans ce domaine, aide la Russie en fournissant des technologies duales, des drones et des semiconducteurs qui sont utilisés dans les armements russes dont l’armée fait usage en Ukraine. Cette coopération continuera sur le long terme. Ce partenariat va rester étroit, » explique-t-il dans une interview à Asia Magazine, partenaire d’Asialyst.

De fait, la Chine trouve des intérêts majeurs à la poursuite de la guerre en Ukraine sur les plans économiques, stratégiques et politiques. Xi Jinping et Vladimir Poutine partagent une profonde détestation de l’Occident tandis que la Chine importe à des prix cassés des hydrocarbures et autres matières premières de Russie tout en profitant de la faiblesse de la Russie pour étendre son influence en Asie centrale et d’autres régions jusque-là dans le giron russe.

Pour la Russie, cette alliance de facto avec la Chine lui donne les moyens économiques, financiers et même militaires de poursuivre sa guerre contre l’Ukraine tout en évitant d’être isolée sur la scène internationale. Pékin et Moscou ont, ces dernières années, multiplié leurs exercices militaires conjoints, y compris en Asie de l’Est.

Les limites des relations « stratégiques » Paris-Pékin

Une illustration qui semble confirmer l’étendue de la coopération militaire sino-russe en Ukraine a été la présence, au moment d’une frappe massive de missiles et de drones russes à travers l’ouest de l’Ukraine dans la nuit du 5 au 6 octobre, d’au moins trois satellites de reconnaissance chinois qui ont survolé les régions les plus touchées par l’attaque, selon le média ukrainien Militarnyi, citant des données du service de surveillance Heavens Above dont le siège est à Munich.

Militarnyi a déclaré que les satellites de la série Yaogan 33 ont effectué au total neuf passages au-dessus de la région de Lviv entre minuit et 11h30. Un satellite de reconnaissance optique, Yaogan 34, a ensuite été observé rejoignant ces survols. Selon le rapport, plus de 60 satellites Yaogan de différents types sont capables d’opérer au-dessus de l’Ukraine. Effectuant des orbites basses à quelque 700 kilomètres d’altitude, ils peuvent mener des missions de reconnaissance optique, radar et électronique.

Les services de renseignement ukrainiens ont signalé des cas dans lesquels, selon eux, des données satellitaires chinoises ont été transmises à la Russie et utilisées pour planifier des frappes de missiles à l’intérieur de l’Ukraine, notamment contre des installations appartenant à des investisseurs étrangers. Oleg Aleksandrov, un responsable du service, a déclaré à l’agence de presse ukrainienne Ukrinform : « Il existe des preuves d’une coopération de haut niveau entre la Russie et la Chine dans la conduite de la reconnaissance par satellite du territoire ukrainien afin d’identifier et de repérer des cibles stratégiques pour des frappes. Comme nous l’avons vu ces derniers mois, ces cibles peuvent appartenir à des investisseurs étrangers. »

Pour le Parti communiste chinois, les dates choisies dans le calendrier ne sont que rarement le fait du hasard. Ainsi, comme une sorte de pied-de-nez à la visite d’Emmanuel Macron en Chine, son arrivée mercredi 3 décembre à Pékin a coïncidé avec celle à Paris d’une délégation d’officiels chinois avec pour mission d’expliquer les bienfaits supposés de la politique chinoise au Xinjiang, l’ancien Turkestan oriental annexé militairement par la Chine en 1950 et rebaptisé Xinjiang.

Cette délégation où ne figure qu’une Kazakhe turcique, l’une des minorités ethniques du Xinjiang, à la tête du Bureau d’information du Xinjiang (un relais de la propagande officielle du régime) a notamment été reçue par l’Académie géopolitique de Paris, un think tank de moindre influence, « pour une opération de normalisation du génocide ouïghour, » a expliqué Dilnur Reyhan, une militante d’origine ouïghoure naturalisée française et présidente de l’Institut ouïghour d’Europe.

Le 20 janvier 2022, sur la base des travaux faits par cet Institut, l’Assemblée nationale a voté une résolution reconnaissant le caractère génocidaire des « persécutions systémiques » de la Chine contre les Ouïghours. Jusqu’à un million de Ouïghours auraient été internés dans des camps de travail ou de détention dance région, selon les conclusions de nombreux experts internationaux et associations de défense des droits humains.

La Chine a dépêché une délégation similaire en France en 2024 pour y présenter le narratif officiel concernant le Tibet, autrefois indépendant et envahi en 1950 par l’Armée populaire de libération. Plusieurs collectifs tibétains de France ont fait parvenir des courriers à l’Elysée pour demander au président français d’évoquer les sévices dont sont victimes les Tibétains depuis cette date au cours de sa visite.

Une visite dans un contexte de relations glaciales entre la Chine et l’UE

De fait, cette visite s’inscrit dans un climat glacial entre la Chine et l’Union européenne. Un sommet sino-européen en juillet dernier avait été l’occasion pour les deux parties de présenter leurs griefs. Au terme de ce sommet, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen avait déclaré à Xi Jinping que les relations entre l’UE et la Chine avaient atteint un « point d’inflexion. » Elle avait précédemment qualifié la Chine de « rival systémique. »

« À mesure que notre coopération s’est approfondie, les déséquilibres se sont accentués, » avait-elle déclaré, faisant référence à l’énorme déficit commercial de l’Union européenne avec la Chine. Elle a également averti que les liens entre la Chine et la Russie constituaient désormais le « facteur déterminant » dans ses relations avec l’UE. Le déficit commercial de l’UE avec la Chine atteint le chiffre colossal de 306 milliards de dollars en 2024. Il a quadruplé en volume et doublé en valeur depuis 2015.

Le président français a voulu plaider pour un rééquilibrage du déficit commercial français lui aussi béant avec la Chine qui a également doublé en dix ans et totalisait 47 milliards d’euros en 2024. Ce déficit « n’est pas tenable » et crée des « risques de crise financière, » a-t-il déclaré devant son hôte chinois qui, nullement troublé, arborait comme à son habitude son sourire figé se voulant bienveillant.

Mais dans ce registre également, les résultats ont été particulièrement maigres. Aucun accord commercial majeur n’a été signé et aucune mention n’a été faite d’un ensemble de commandes totalisant 500 avions Airbus dont le groupe européen discute avec Pékin depuis des mois et qui est souvent lié aux visites diplomatiques. Il est vrai qu’une commande massive d’avions Airbus pourrait gêner le pouvoir de négociation de Pékin dans le cadre des négociations commerciales avec les États-Unis qui font pression pour obtenir de nouveaux engagements d’achat d’avions Boeing.

Les dirigeants d’Airbus, de la plus grande banque française BNP Paribas, du géant de l’électricité Schneider, de Danone et du constructeur ferroviaire Alstom, ainsi que les dirigeants des groupes industriels français des secteurs laitier et avicole accompagnaient le président Macron. Au total, 35 chefs d’entreprises français avaient fait le voyage. Pour très peu de résultats : quelques accords cadre dans les secteurs du nucléaire civil, l’aéronautique, la santé mais sans aucun chiffre sur les éventuels investissements à venir, bien loin donc des « investissements croisés » préconisés par le président français pour rééquilibrer la relation commerciale.

Le fait est que cette visite a eu lieu dans un contexte différent de celui qui prévalait lors de la dernière visite d’ Emmanuel Macron en avril 2023. Outre la Russie qui s’est encore davantage rapprochée de la Chine, l’ombre des Etats-Unis était bien présente aussi car la posture d’accommodement – sinon même de complicité selon certains critiques – du président américain Donald Trump avec Vladimir Poutine a, de fait, radicalement changé la donne pour Pékin.

En effet, la politique de l’administration Trump envers la Russie a pour conséquence de considérablement fragiliser l’Europe qui, dès lors, n’apparaît plus comme le contrepoids potentiel aux Etats-Unis que la Chine voyait en elle. Son utilité géostratégique pour Pékin en est amoindrie. Ceci quand bien même le marché européen de 420 millions d’habitants demeure l’un des plus grands du monde et reste, à ce titre, important pour l’économie chinoise qui traverse ces dernières années des difficultés inédites.

Enfin, empêtré dans une crise politique majeure en France et arrivé presque au terme de son deuxième et dernier mandat avec une image passablement ternie, Emmanuel Macron en est d’autant diminué aux yeux de la direction communiste chinoise.

Cette bien piètre image de l’Europe en Chine

La sinologue Camille Brugier a examiné les commentaires de six analystes chinois publiés dans le quotidien chinois The Paper (澎湃新闻) pour qui si elle veut redevenir un partenaire crédible de la Chine, l’UE doit arrêter de soulever à chaque rencontre « sa » guerre avec la Russie car sur ce dossier les intérêts de la Chine et l’UE sont « irréconciliables. »

L’autre jugement conjoint de ces six experts chinois non identifiés est que l’UE doit « sortir d’une réaction émotionnelle » à la Chine qu’elle perçoit à tort comme une menace, redevenir « un partenaire stratégique et fiable de la Chine. » Elle doit accepter le fait que, ce pays étant une plus grande puissance que l’UE, il joue le même jeu que la puissance américaine et, enfin, retrouver un lien de « partenaire de la Chine dans la gouvernance mondiale, » une allusion au vide laissé par le retrait des Etats-Unis de nombreuses institutions internationales qui devrait, selon ces experts, être comblé ensemble par Pékin et Bruxelles.

« Voilà les éléments qui en ressortent – ça en dit long sur comment nous sommes perçus » par la Chine, ajoute cette sinologue, sinophone, docteure en science politique et experte des questions de sécurité liées à la montée en puissance de la Chine, dans une étude publiée sur LinkedIn.

Décomplexée, s’estimant plus puissante et peut-être bientôt toute-puissante, la Chine a le sentiment que le temps joue en sa faveur. De ce fait, plus que jamais elle use d’un rapport de force avec la France et, derrière elle, le reste de l’Europe. Ainsi, connaissant bien les faiblesses de l’industrie française et européenne, Xi Jinping et son équipe font pression pour la levée des barrières douanières érigées ou en préparation contre le raz-de-marée des voitures électriques chinoises et des autres marchandises provenant d’usines souvent subventionnées par l’Etat, tout ceci en échange d’un adoucissement des tarifs chinois visant le cognac ou certains produits agricoles.

Le rapport de force Chine/Europe s’est inversé au profit de Pékin

« Il y a une volonté de Bruxelles de mieux s’armer juridiquement face aux mesures de rétorsion chinoises, par exemple sur l’approvisionnement en terres rares. Mais les Chinois sont aujourd’hui en position de force dans presque tous les domaines. Une réponse globale et uniforme est vouée à l’échec, tant les rapports de forces sont asymétriques, » souligne jeudi 4 décembre le sinologue Emmanuel Lincot dans les colonnes du Figaro. « Pour la Chine, la France apparaît aujourd’hui comme un pays ‘’has been’’, » ajoute-t-il.

« On pourrait aussi espérer obtenir enfin une réciprocité sur les transferts de technologie : après quarante ans où la Chine a largement bénéficié des nôtres, un juste retournement serait bienvenu. Mais les Chinois, en position de force, n’ont aucune raison objective de le faire, » ajoute encore Emmanuel Lincot.

Emmanuel Macron sera bientôt suivi à Pékin par le Premier ministre britannique Keir Starmer et peut-être ensuite par le chancelier allemand Friedrich Merz. Or, dans les deux cas, ce ne sont pas les contentieux qui manquent.

A Londres le projet de construction d’une gigantesque nouvelle super-ambassade de Chine a suscité une levée de boucliers des riverains et des inquiétudes sur la « surveillance » et l’espionnage massif que pourrait favoriser le bâtiment, tout proche du centre économique et financier de la City.

Quant à l’Allemagne, fin octobre le ministre des Affaires étrangères, Johann Wadephul, avait annulé un déplacement à Pékin deux jours avant son départ faute de pouvoir rencontrer des interlocuteurs de haut rang en dehors de son homologue des Affaires étrangères. Simple coïncidence ? Cet été, le ministre chrétien-démocrate avait dénoncé l’« attitude de plus en plus agressive » de la Chine dans le détroit de Taïwan et son soutien à Moscou dans le conflit ukrainien. Des propos qui sont mal passés à Pékin.

Restant la seconde puissance économique du monde, quels que soient les différends commerciaux ou politiques, Pékin continuera d’être ardemment courtisé par l’Europe et ses dirigeants savent qu’ils ont désormais de nombreuses cartes en main pour dicter les conditions des prochaines visites, la Chine demeurant un partenaire obligé.

S’agissant de la visite d’Emmanuel Macron, lorsque son épouse Brigitte visitait à Pékin un musée en compagnie de la femme de Xi Jinping, savait-elle que Peng Liyuan (彭丽媛), ex-chanteuse vedette et gradée de l’Armée populaire de libération, s’était rendue sur la place Tiananmen quelques jours seulement après le massacre du 4 juin 1989 de centaines sinon des milliers de jeunes manifestants pour y chanter des chansons à la gloire des militaires qui avaient tiré sur la foule ? La photo de cet épisode est aujourd’hui censurée en Chine.

Pour autant, cette visite d’Etat s’est terminée sur une note positive avec l’annonce d’au moins un succès probant : Pékin enverra de nouveaux pandas géants en France début 2027 « au plus tard, » selon le directeur du zoo de Beauval, Rodolphe Delord, qui accompagnait dans sa dernière étape en Chine le chef de l’État à Chengdu, capitale du Sichuan, terre d’élection de ces ursidés. Annonce qui intervient quelques jours seulement après le départ des deux pandas géants Huan Huan et Yuan Zi qui étaient en France depuis 13 ans et dont le rapatriement, initialement prévu pour 2027, avait été anticipé en raison d’une insuffisance rénale dont souffre Huan Huan, la femelle. La relève est assurée et nous voilà rassurés !

Pierre-Antoine Donnet

asialyst.com

Kiev et Londres voulaient voler un missile Kinjal

 

La Russie a dénoncé mardi une «provocation» orchestrée par l’Ukraine et son allié britannique qui visait, selon elle, à détourner un avion de chasse russe MiG-31 équipé d’un missile hypersonique Kinjal.

Moscou, qui a lancé une offensive à grande échelle contre l’Ukraine en février 2022, accuse régulièrement Kiev et ses alliés européens de s’en prendre à ses intérêts sur son sol, le plus souvent sans fournir de preuves.

Mardi matin, le Service fédéral russe de sécurité (FSB) a dit avoir mis «fin à l’opération des Services de renseignement du ministère ukrainien de la Défense et de ses tuteurs britanniques visant à détourner vers l’étranger un avion de chasse MiG-31 des forces armées russes, porteur du missile hypersonique Kinjal».

3 millions pour recruter un pilote

Le FSB accuse ainsi les services de renseignement ukrainiens d’avoir tenté de recruter des pilotes pour cette opération en leur proposant trois millions de dollars.

Selon le FSB, l’avion aurait dû ensuite être acheminé vers la base aérienne militaire de l’Otan de Constanta, en Roumanie, située sur les bords de la mer Noire, à 400 km à vol d’oiseau de la péninsule de Crimée, annexée par Moscou en 2014. Là-bas, l’appareil aurait pu être «abattu» par les systèmes de défense antiaérienne, a encore expliqué le FSB.

«Ces projets ukrainiens et britanniques d’organiser une provocation d’ampleur ont été déjoués», grâce à l’un des pilotes de l’avion qui a prévenu les forces de l’ordre, selon la même source.

Tuer le commandant de l'avion

Dans une vidéo du FSB diffusée par la télévision russe, cette personne, dont le visage est dissimulé, affirme s’être vu proposer, par mail, par le renseignement ukrainien de «tuer» le commandant de l’avion avant de détourner l’appareil, en échange de trois millions de dollars et de l’obtention de «la nationalité d’un pays occidental», sans préciser lequel.

En «riposte à cette provocation», les forces russes ont effectué une frappe au moyen de missiles Kinjal contre un centre de renseignement électronique de l’armée ukrainienne à Brovary, dans la région de Kiev, et une base aérienne de Starokostiantyniv dans la région de Khmelnitsk, selon le FSB cité par l’agence de presse officielle TASS.

Cette annonce intervient alors que la Russie, dont les forces sont mieux équipées et plus nombreuses, continue d’avancer dans l’est de l’Ukraine et notamment dans la région de Donetsk où se concentre l’essentiel des combats.

AFP

samedi 6 décembre 2025

Un militaire sans expérience du renseignement nommé à la tête du Mossad

 

Le général de division Roman Gofman doit succéder à l’actuel chef du service extérieur du renseignement israélien, David Barnea, dont le mandat de cinq ans s’achève en juin 2026.

Le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a annoncé jeudi la nomination à la tête du Mossad de son attaché militaire, un général étranger au monde du renseignement. Le général de division Roman Gofman doit succéder à l'actuel chef du service extérieur du renseignement israélien, David Barnea, dont le mandat de cinq ans s'achève en juin 2026, a annoncé le bureau de Netanyahou dans un communiqué. Né en Biélorussie en 1976, Roman Gofman est arrivé en Israël à l'âge de 14 ans et s'est engagé dans l'armée en 1995, dans les blindés.

Il a été nommé au cabinet de Netanyahou en avril 2024 après avoir été blessé au combat contre le Hamas dans le sud d'Israël le 7 octobre 2023, jour de l'attaque surprise du mouvement islamiste palestinien ayant déclenché la guerre à Gaza. Il était alors commandant du centre d'entraînement national de l'infanterie. Après avoir nommé un militaire issu du sionisme religieux à la tête du Shin Bet (Sécurité intérieure) en la personne du général de division David Zini, Netanyahou nomme encore un homme proche de ses idées nationalistes à la tête d'un service clef de l'appareil d'État.

«Loyauté» à Netanyahou

Le général Gofman, bien que ne portant pas la kippa des juifs pratiquants, a étudié à la yéshiva (école talmudique) d'Ely, institution phare du sionisme religieux de droite située dans cette colonie israélienne du nord de la Cisjordanie occupée. Il a en commun avec le général Zini de ne pas être issu du service qu'il va diriger, mais sa nomination n'a pas suscité le tollé politique créé par celle du chef du Shin Bet, qui a pris ses fonctions en octobre.

Rare voix discordante, Uri Misgav, éditorialiste du quotidien de gauche Haaretz, a estimé que le général Gofman était «inapte à diriger le Mossad» à cause de son inexpérience dans le domaine du renseignement. Comme pour David Zini, ce qui a joué, c'est «sa loyauté» à Netanyahou, estime-t-il. Réputé comme l'un des meilleurs services de renseignements au monde, le Mossad n'a pas vraiment pâti du fiasco des forces israéliennes lors du 7 Octobre dans la mesure où les Territoires palestiniens sont traditionnellement hors de son champ d'action.

Il s'est même illustré depuis aux yeux des Israéliens en contribuant à la décapitation de l'état-major du Hezbollah libanais en 2024 et de celui des forces armées iraniennes lors de la guerre de 12 jours déclenchée par Israël contre Téhéran en juin dernier.

lefigaro.fr

Opération Colère de Dieu : quand les espions européens ont aidé le Mossad à tuer

 

Ce soir du 16 octobre 1972, Wael Zwaiter rentrait chez lui après avoir pris un dernier verre dans un bar à Rome. Dans la cage d'escalier de son immeuble, ce jeune Palestinien, traducteur à l’ambassade de Libye, croise deux hommes armés qui l’abattent de 11 balles en pleine poitrine.

Ce meurtre est un message : une balle pour chaque victime de l’attentat qui a visé l’équipe israélienne lors des Jeux olympiques de Munich de 1972. Wael Zwaiter devenait ainsi la première victime de l’Opération Colère de Dieu, entrée dans l’Histoire comme la mission vengeresse des espions israéliens du Mossad contre l’organisation palestinienne "Septembre noir", qualifiée de terroriste par les États-Unis et les Européens.

Ces assassinats ciblés sont au cœur du nouveau livre "Operation Wrath of God: The Secret History of European Intelligence and Mossad's Assassination Campaign" de la spécialiste britannique des services de renseignement Aviva Guttmann, publié le 19 novembre au Royaume Uni.

Le Club de Berne et le réseau Kilowatt

Cette opération du Mossad, dont la première vague s’est déroulée entre octobre 1972 et juillet 1973, a fortement contribué à forger le mythe d’efficacité impitoyable des espions israéliens. L’opération Colère de Dieu a été disséquée encore et encore.

La naissance du groupe pro-palestinien "Septembre Noir" en réponse au traumatisme des bombardements des camps de réfugiés palestiniens en Jordanie sur ordre du roi Hussein en septembre 1970, a déjà été décrite en détail. Tout comme le déroulé de la prise d’otages qui s’est soldée par la mort des athlètes israéliens lors des JO de Munich en 1972, considérée comme l’un des principaux coups d’éclat de "Septembre noir".

De nombreux ouvrages se sont aussi intéressés à la traque sur plus de 20 ans de tous ceux qu’Israël considérait comme responsables directement ou indirectement de l’attentat de Munich. Tout semblait avoir été dit.

Sauf qu’Aviva Guttmann a eu accès à une source unique : les archives des communications confidentielles entre différents services européens de renseignement et le Mossad durant cette période. Ces discussions en coulisses établissent entre autres que les assassins israéliens étaient loin d’être aussi omnipotents qu’on a pu le croire. "Le Mossad n’aurait pas été capable d’organiser ces assassinats tout seul. Il dépendait des espions européens, qui ont été les complices volontaires ou non dans l’opération Colère de Dieu", assure Aviva Guttmann.

Cette spécialiste a pu s’appuyer sur des preuves de première main pour étayer ses dires. Les communications proviennent d’une cellule méconnue et pourtant très influente de coopération entre espions européens : le Club de Berne. Cette association informelle et extrêmement secrète a été fondée en 1969 en Suisse par les chefs des services secrets de huit pays : la Belgique, la France, la Grande-Bretagne, l'Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Suisse et l'Allemagne de l'Ouest. L’objectif était d’améliorer la lutte contre le terrorisme par l’échange de renseignements.

À cette fin, le Club de Berne a mis en place à partir de 1971 un canal de communication spécifique baptisé Kilowatt, ouvert à dix agences supplémentaires, dont le Mossad. C’est cette documentation qu’Aviva Guttmann a pu éplucher.

Les échanges entre espions ont été très actifs au lendemain de la prise d’otages de Munich. "Les services secrets allemands se sont montrés particulièrement ouverts au partage d’informations, car ils voulaient probablement démontrer à quel point ils pouvaient être précieux et efficaces dans l’obtention d’informations sur les Palestiniens", souligne Aviva Guttmann.

Le Mossad fait ses courses sur Kilowatt

Le Mossad s’est rapidement rendu compte de l’avantage d’avoir accès à Kilowatt pour donner plus de poids à son bras vengeur : les services européens de renseignement pouvaient potentiellement leur prémâcher le travail.

"Le Mossad voulait agir vite après Munich, à la fois pour se venger, pour perturber les opérations de 'Septembre noir' en Europe et tenter de les dissuader. Les Israéliens avaient donc besoin d’informations rapidement. Mais ils ne devaient pas agir dans la précipitation, car chaque assassinat devait être approuvé par Golda Meir [alors Premier ministre israélien, NDLR]", explique Aviva Guttmann.

Quoi de mieux que de se reposer sur les collègues européens, déjà familiers avec le terrain, pour obtenir des informations fiables aussi rapidement que possible. La DST française, le BfV (Bundesamt für Verfassungsschutz, sécurité intérieure) allemand ou encore le SISDE (Servizio Informazioni e Sicurezza Democratica, renseignement) italien ont ainsi fourni des listes de cibles potentielles parmi lesquelles les espions israéliens pouvaient piocher.

Dans le cas du traducteur Wael Zwaiter, connu davantage pour ses poèmes que pour son soutien aux activités terroristes pro-palestiniennes, ce sont les espions allemands qui ont fourni les cartouches pour en faire la première cible du Mossad. Le BfV a, ainsi, découvert que Wael Zwaiter avait payé les factures d’hôtels des auteurs de l’attaque de Munich et qu’il avait été en contact prolongé avec eux en amont de l’attentat.

"L’assassinat de Mohamed Boudia à Paris le 28 juin 1973 représente peut-être le meilleur exemple de cette complicité – passive ou non – des services européens de renseignement", juge Aviva Guttmann.

Ce dramaturge algérien et militant de la cause palestinienne était considéré par le Mossad comme le nouveau chef de "Septembre noir en France". Mais les espions israéliens manquaient d’informations sur cet homme, d’autant plus prudent qu’Israël avait déjà mené sept autres missions d’assassinat contre des responsables palestiniens liés à "Septembre noir".

Dans son cas, ce sont les services de renseignement suisses qui ont été les plus utiles. "Ils ont permis aux Israéliens de connaître les faux noms qu’il utilisait et, après avoir interrogé une de ses maîtresses, ils ont aussi fourni des adresses de cachettes", explique Aviva Guttmann.

Surtout, ce sont les Suisses qui ont découvert son talon d’Achille : une Renault R16 grise immatriculée à Paris qu’il utilisait pour tous ses déplacements. Les assassins du Mossad ont sauté sur l’occasion pour piéger ce véhicule, dont l’explosion sera fatale à Mohamed Boudia.

Complicité tacite ?

Il n’y a jamais eu sur Kilowatt de discussions officielles sur l'opération Colère de Dieu. Tout s’est passé comme si les services européens de renseignement aidaient le Mossad à l’insu de leur plein gré. Pire, après chaque assassinat, les agences européennes partageaient des informations sur les enquêtes en cours. Autrement dit, "ils indiquaient au Mossad si les polices locales étaient sur la trace de leurs agents sur le terrain", souligne Aviva Guttmann.

Mais la DST et autres services de renseignement pouvaient-ils réellement ignorer que le Mossad buvait au robinet à informations de Kilowatt ? "Même les Palestiniens après le deuxième assassinat se doutaient qu’une opération israélienne était en cours", souligne Aviva Guttmann.

Le scénario le plus probable est celui d’une complicité tacite. Une entente gagnant-gagnant : Israël obtient ce qu’il veut, tandis que les services européens "ont pu estimer qu’il valait mieux laisser les Israéliens faire le sale boulot à leur place. Ils n’ont peut-être pas non plus voulu contrarier l’un des principaux contributeurs à Kilowatt sur la question de la menace terroriste pro-palestinienne : le Mossad", spécule Aviva Guttmann.

Les Européens ont été surpris d’être ciblés par le terrorisme pro-palestinien avec la prise d'otages de Munich. "C’était un peu leur moyen de gérer cette nouvelle situation d’être devenu un champ de bataille pour ces groupes armés", précise l’historienne.

Laisser le Mossad agir à sa guise a aussi pu mettre de l’huile sur le feu. La fenêtre ouverte par ces communications secrètes entre espions européens prouve en effet que les groupes armés pro-palestiniens ont été bien plus actifs qu'on ne le pensait pour tenter de se venger des assassinats ciblés. "Ces documents et rapports partagés entre agences révèlent que 'Septembre Noir' avait planifié en réalité bien plus d’attaques, souvent plus brutales, qui ont pu être évitées grâce à cette coopération", explique Aviva Guttmann.

Le livre révèle entre autres que le mouvement terroriste avait planifié un attentat contre l’ambassade de Jordanie à Paris en mars 1973, qui a pu être déjoué in extremis grâce à la collaboration entre les services de renseignement italien et français. Ils ont intercepté une Mercedes, en provenance de Syrie, qui transportait plus de 10 kilogrammes d’explosifs.

L'un des ratés les plus spectaculaires du Mossad

Si Kilowatt s’est montré très utile au Mossad, il a aussi contribué, indirectement, à l’un des ratés les plus spectaculaires de l’agence israélienne : l’assassinat de Lillehammer, en Norvège, le 21 juillet 1973.

Les espions israéliens ont assassiné ce jour-là Ahmed Bouchiki, un Marocain sans lien avec le terrorisme, qu’ils ont confondu avec Ali Hassan Salameh. Surnommé le "Prince Rouge", il était l’un des principaux cerveaux de la prise d'otages de Munich et se trouvait tout en haut de la liste des cibles du Mossad.

Ahmed Bouchiki était un simple serveur qui vivait en Norvège avec sa femme, qui attendait un heureux événement. Comment le Mossad a-t-il pu le confondre avec sa cible, outre le fait que les deux hommes se ressemblaient physiquement ?

Deux éléments ont pu contribuer à les induire en erreur. Des discussions sur Kilowatt indiquaient que les groupes terroristes pro-palestiniens s’intéressaient de plus en plus aux pays scandinaves. Le Mossad ne disposait, de plus, que d’une seule photo d’Ali Hassan Salameh, qui avait été partagée par le MI5 britannique sur le système de communication secret du Cercle de Berne. C’était en théorie trop peu pour garantir une identification à 100 %.

Mais à ce moment-là, "le Mossad avait probablement un sentiment d’impunité et de toute puissance qui lui faisait croire que rien ne pouvait aller de travers, ce qui fait qu’ils n’ont pas effectué les vérifications suffisantes."

Ce fiasco a réduit à néant l'ensemble des opérations du Mossad en Europe, rappelle l'auteure du livre. En effet, les agents israéliens ont non seulement tué le mauvais homme, mais ils ont également été arrêtés par la police norvégienne, qui a découvert à cette occasion des informations cruciales sur les hommes et les planques du Mossad sur le Vieux Continent.

Sébastian SEIBT

france24.com