Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

jeudi 4 décembre 2025

Londres sanctionne l'ensemble du renseignement militaire russe après l'enquête sur Salisbury

 

La Grande-Bretagne a annoncé jeudi des sanctions générales contre les services de renseignement militaire russes après qu'une enquête publique a conclu que le président Vladimir Poutine avait personnellement ordonné l'opération menée en 2018 à Salisbury, qui a entraîné la mort d'une femme britannique et l'empoisonnement de Sergueï et Ioulia Skripal.

Les mesures dévoilées après la publication du rapport final de l'enquête Dawn Sturgess désignent l'ensemble de la Direction principale de l'état-major général (GRU) russe. Les sanctions visent également 11 personnes accusées d'avoir participé à des « activités hostiles » soutenues par l'État russe, dont huit cyber-agents liés aux efforts de piratage visant les Skripal.

L'enquête a déterminé que des agents du GRU ont utilisé l'agent neurotoxique de qualité militaire Novichok pour empoisonner Ioulia Skripal, une ancienne officière militaire russe qui aurait travaillé pour les services secrets britanniques, dans le cadre d'une cyber-opération, avant d'utiliser la même substance dans une attaque physique contre elle et son père à Salisbury.

Sturgess, qui a été exposée à des résidus de l'agent neurotoxique plusieurs mois plus tard, est décédée après être entrée en contact avec le flacon de parfum jeté qui avait servi à le transporter.

Le Premier ministre Keir Starmer a déclaré que ces conclusions soulignaient le mépris du Kremlin pour la vie humaine.

« Les empoisonnements de Salisbury ont choqué la nation, et les conclusions d'aujourd'hui rappellent de manière grave le mépris du Kremlin pour les vies innocentes », a déclaré Starmer. « La mort inutile de Dawn est une tragédie et restera à jamais un rappel de l'agression irresponsable de la Russie. »

La ministre des Affaires étrangères, Yvette Cooper, a déclaré que ces conclusions montraient que Poutine et le GRU restaient une menace active pour la Grande-Bretagne.

« Nous ne tolérerons pas cette agression effrontée et méprisable sur le sol britannique », a déclaré Cooper. Elle a confirmé que l'ambassadeur de Russie avait été convoqué au ministère des Affaires étrangères pour répondre de ce qu'elle a qualifié d'« activité hybride » continue de Moscou visant le Royaume-Uni et ses alliés.

La ministre de l'Intérieur, Shabana Mahmood, a déclaré que Sturgess « était une victime innocente d'un acte irresponsable et cruel », ajoutant que l'utilisation du Novichok à Salisbury démontrait le « mépris total » de la Russie pour le droit international.

Outre les sanctions imposées au GRU lui-même, le Royaume-Uni a infligé des sanctions à trois officiers accusés d'avoir orchestré d'autres opérations en Ukraine et dans toute l'Europe, notamment ce que le gouvernement a qualifié d'attaque terroriste planifiée contre des supermarchés ukrainiens.

Les responsables britanniques affirment que le GRU continue de mener des opérations hybrides, notamment des cyberattaques, des campagnes de désinformation, des tentatives de sabotage et le recrutement de criminels, qui, sans constituer un conflit ouvert, représentent néanmoins de graves risques pour la sécurité.

Le ministère des Affaires étrangères a déclaré avoir exigé que Moscou mette fin à ses activités hostiles et réponde aux conclusions de l'enquête, qui ont confirmé que l'utilisation par la Russie d'un agent neurotoxique interdit sur le sol britannique avait causé la mort d'un ressortissant britannique.

Le gouvernement a déclaré qu'il continuerait à coordonner ses efforts avec ses partenaires de l'OTAN pour contrer l'influence russe et renforcer la sécurité collective.

Mariem Njeh

Mehmet Solmaz

aa.com.tr

Tsahal restructure son Directorat informatique : focus sur l’IA et la guerre électronique

 

L’armée israélienne a achevé mardi la restructuration de l’Unité de cyber-défense C4I, avec la création d’une nouvelle division dédiée à l’intelligence artificielle (IA) et l’élargissement du dispositif de guerre électronique. Cette mesure renforcera encore les capacités défensives d’Israël dans le cyber-domaine, notamment pour contrer les attaques de drones.

Dirigée par le général de division Aviad Dagan, l’Unité de cyber-défense C4I est chargée de la mise en place et de la maintenance des réseaux et des systèmes informatiques de Tsahal, ainsi que des capacités défensives dans le cyber-espace et de la gestion du spectre électromagnétique, ou ondes radio.

Cette restructuration permettra de créer deux nouvelles divisions, de regrouper plusieurs petits départements et de former de nouvelles unités. Au total, l’Unité de cyber-défense C4I comptera désormais cinq divisions, chacune dirigée par un général de brigade.

Les unités de haut niveau comprennent la Division des Opérations et le Corps C4I (commandement, contrôle, communications, informatique et renseignement), dirigés par le brigadier général Omer Cohen, chef des transmissions, et la division chargée du renforcement des forces, dirigée par la brigadier générale Yael Chaya Grossman, cheffe d’état-major du Directorat.

Sous ces unités se trouvent trois autres divisions, dont deux – la Division du Spectre et des Communications et la Division de l’Information et de l’Intelligence artificielle – ont été créées récemment.

La Division du Spectre et des Communications est chargée de la gestion et de l’exploitation du spectre électromagnétique, ainsi que des communications et des réseaux militaires stratégiques, par exemple entre les quartiers généraux militaires et les avions de chasse ou les sous-marins éloignés. Cette division sera également responsable des communications spatiales et par satellite.

Initialement, le spectre de fréquences avait été développé comme moyen de défense, mais pendant la guerre, l’armée s’est aperçue qu’il pouvait également être utilisé à des fins offensives, notamment pour perturber les communications ennemies et abattre des drones.

Au cours de la guerre de douze jours contre la République islamique d’Iran en juin, environ 25 % des 1 100 drones lancés contre Israël par l’Iran ont été détruits par le 5114ᵉ bataillon Spectrum, qui dispose de capacités de guerre électronique, selon des responsables militaires.

La Division de l’Information et de l’Intelligence artificielle, nouvellement créée, est chargée de développer des systèmes TIC pour l’ensemble de l’armée, notamment dans les domaines du big data, de l’IA, du cloud computing et d’autres solutions logicielles.

La nouvelle Division de l’Intelligence artificielle a notamment développé un système capable de transcrire en quelques secondes les communications sur les réseaux de Tsahal et de fournir des transcriptions textuelles de ce qui se dit dans les chars, les avions et les navires de la marine, ce qui permet de gérer les opérations avec plus d’efficacité, a expliqué l’armée.

Selon Tsahal, un autre système basé sur l’IA, actuellement en cours de développement, permettra d’identifier plus rapidement et plus efficacement les victimes.

De plus, une nouvelle unité composée exclusivement de réservistes a été créée au sein de la Division de l’Intelligence artificielle. Les officiers supérieurs de l’Unité de cyber-défense C4I ont en effet constaté, lors de la guerre, que les réservistes possédant des connaissances avancées acquises dans le cadre de leur travail civil dans le secteur technologique étaient capables de résoudre des problèmes sur lesquels les soldats travaillaient depuis des mois.

La dernière division, la Division de la Défense du Cyberspace, créée en 2018, est chargée de protéger l’espace cybernétique israélien et les systèmes électroniques de Tsahal.

L’Unité de cyber-défense C4I compte près de 50 % de soldates, dont 40 % occupent des postes de commandement supérieur

La moitié du personnel de l’Unité de cyber-défense C4I travaille au sein même du Directorat, tandis que l’autre moitié est répartie entre les différents corps, escadrons et commandements de l’armée.

Chaque bataillon, brigade et division des forces terrestres, ainsi que toutes les unités à tous les niveaux de la marine et de l’armée de l’air, disposent d’officiers des transmissions chargés de fournir des solutions de mise en réseau et de communication.

Au total, il existe 33 professions technologiques distinctes pour les soldats servant dans l’Unité de cyber-défense C4I.

Selon Tsahal, près de 50 % sont des femmes, dont 40 % occupent des postes de haut gradé – un secteur généralement dominé par les hommes dans l’armée – et deux des cinq généraux de brigade à la tête des divisions sont des femmes.

Par ailleurs, des milliers de membres du personnel du Directorat des Ressources humaines sont actuellement en train de déménager vers un nouveau campus militaire à Beer Sheva, où sera basé le nouveau siège du Directorat des Ressources humaines, dans le cadre des plans en cours de Tsahal visant à déplacer de nombreuses unités hors du centre d’Israël vers le sud.

Emanuel Fabian

fr.timesofisrael.com

Les drones turcs : un nouveau pilier incontournable au service de la politique étrangère

 

Placés sous les projecteurs depuis le début de la guerre en Ukraine, les drones produits par la Turquie ne cessent d’attirer de nouveaux clients. En mettant en œuvre une véritable diplomatie du drone, Ankara a su miser sur cet équipement stratégique offrant une diversité d’usages.

Le monde devient chaque jour plus « sécuritisé », les crises géopolitiques occupant le centre des préoccupations internationales. Les dépenses militaires mondiales ont atteint 2 718 milliards de dollars en 2024, soit une augmentation de 9,4 % en termes réels par rapport à 2023, marquant la plus forte hausse annuelle depuis la fin de la guerre froide. Un nouveau système est en train d’émerger, marquant un tournant historique comparable à d’autres moments décisifs tels que 1945, 1991 ou 2008. Les premières manifestations de ce système rappellent les principes du XIXe siècle, où le puissant était perçu comme « juste et dominant ». L’irrédentisme, le révisionnisme et l’isolationnisme trouvent une légitimité en s’appuyant sur un large soutien populaire, amplifié par l’extrême populisme. Les politiques industrielles, la production locale et le contrôle des exportations deviennent désormais des priorités essentielles. Une nouvelle réflexion s’ouvre sur la notion de puissance, lui attribuant de nouvelles responsabilités. Les États dits « de taille moyenne » disposent aujourd’hui d’une marge de manœuvre plus grande que jamais. Dans ce contexte en pleine mutation, les drones émergent comme des instruments stratégiques, non seulement pour renforcer les capacités de défense, mais aussi comme leviers diplomatiques et vecteurs d’exportation.

Les drones, en tant que technologie émergente, redéfinissent les rapports de force géopolitiques et les stratégies de défense. Leur utilisation croissante dans des domaines aussi variés que la sécurité nationale, les missions de surveillance et les opérations militaires bouleverse les modèles traditionnels de puissance. En parallèle, leur production et leur exportation créent de nouvelles alliances et rivalités, transformant les relations internationales et introduisant de nouveaux enjeux liés à la sécurité et aux intérêts économiques. La diplomatie des drones mêle technologie, politique et économie, et se trouve désormais au cœur de nouveaux systèmes émergents.

Alors que les drones transforment le paysage de la guerre moderne, un nombre croissant d’acheteurs se tournent vers la Turquie. Celle-ci a développé une industrie de « drones indigènes » dans les années 2010, en raison des obstacles politiques rencontrés pour l’acquisition de drones Predator fabriqués aux États-Unis, ainsi que des difficultés techniques liées à l’exploitation des drones israéliens Heron. Sous l’impulsion stratégique du gouvernement, qui vise à investir dans la recherche et le développement (R&D) ainsi que dans « la production locale d’armement », cette initiative de fabrication de drones locaux a donné naissance à plusieurs systèmes de haute qualité, souvent moins chers que ceux des concurrents, tout en offrant des capacités avancées. Parmi eux, le Baykar Bayraktar TB-2 se distingue comme un succès majeur sur le marché mondial. Bien que de nombreuses entreprises turques, telles que Baykar, Turkish Aerospace Industries (TAI) et STM, fabriquent des drones, ceux produits par Baykar, en particulier les modèles de combat Bayraktar TB2 et Akıncı, sont particulièrement demandés.

Grâce à des succès éprouvés sur le champ de bataille, comme en Ukraine, en Libye, et au Nagorny-Karabagh, les drones turcs ont suscité un intérêt considérable, notamment de la part de pays émergents en proie aux conflits au Moyen-Orient, en Afrique et en Asie. Aujourd’hui, la Turquie détient 65 % du marché mondial des drones (1), principalement grâce aux produits lancés par Baykar — entreprise dirigée par deux frères, dont l’un est le gendre du président turc Recep Tayyip Erdoğan — et TAI. Il est également essentiel de souligner que le succès des drones constitue un symbole de fierté nationale, servant de levier au techno-nationalisme promu par le gouvernement.

Une quête d’autonomie stratégique et une influence grandissante dans le Sud global

Ces dernières années, Ankara a cherché à repositionner le pays en tant que « puissance moyenne influente » dans un monde multipolaire. En agissant avec plus de fermeté sur la scène internationale, et en privilégiant des partenariats plus flexibles, la politique étrangère de la Turquie s’est orientée vers un nouvel objectif : l’autonomie stratégique. Dans cette démarche, Ankara perçoit les ventes de drones comme un levier essentiel pour étendre l’influence turque à l’échelle mondiale, notamment en Afrique et en Asie. Ainsi, les produits de défense turcs acquièrent une importance géopolitique croissante, ouvrant des portes vers des régions où la Turquie était jusque-là peu présente, tout en soutenant son accès au Sud global. La diversification de la politique étrangère turque, ainsi que l’expansion de son industrie de la défense, se sont donc déroulées de manière parallèle et complémentaire.

La « politique d’ouverture » d’Ankara en Afrique, qui perdure depuis les années 2000, a donné lieu à divers investissements turcs sur le continent, ainsi qu’à un renforcement de son soft power, notamment grâce à sa fondation Maarif et à TİKA, ainsi qu’à l’établissement de formations dispensées par l’armée turque, comme en Somalie et en Libye. Toutefois, l’un des exemples les plus tangibles de cette coopération et de la présence croissante de la Turquie en Afrique est la vente d’équipements militaires turcs aux pays africains, en particulier celle de drones. Les pays africains figurent parmi les principaux acheteurs de drones turcs, notamment le Bayraktar TB2, mais aussi le TAI Anka et le STM Aksungur. Parmi ces pays figurent la Libye, le Mali, le Maroc, la Tunisie, le Sénégal, le Burkina Faso, le Nigeria, le Kenya, l’Éthiopie, l’Ouganda, la Somalie et l’Angola, qui ont tous acquis ces drones pour renforcer leurs capacités militaires. En parallèle, la République démocratique du Congo et le Mozambique figurent parmi les nations intéressées (2). Selon les rapports (3), une unité de production serait par ailleurs installée au Maroc. L’achat de matériels militaires turcs permet ainsi aux États africains de se doter d’équipements modernes, sans avoir à s’engager auprès des États-Unis, de la Russie ou de la Chine.

Les ventes de drones au Moyen-Orient ont également connu un développement rapide ces dernières années, notamment grâce aux accords avec l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis (EAU). En juillet 2023, l’Arabie saoudite a annoncé une commande de drones armés Bayraktar Akıncı lors de la visite du président Erdoğan. Un accord d’une valeur estimée à trois milliards de dollars a été signé en aout 2023 entre les deux pays. Par ailleurs, durant la période de rapprochement entre la Turquie et les EAU, un contrat majeur portant sur l’achat de drones Baykar a vu le jour, dans le cadre d’un accord global de deux milliards de dollars signé en 2022. Les EAU prévoient également d’acquérir 120 drones TB2, l’une des commandes les plus importantes de drones turcs à ce jour. De plus, Baykar et le groupe émirati EDGE coopèrent pour équiper les drones TB2 de munitions guidées de précision fabriquées aux EAU.

Lorsqu’on aborde la diplomatie des drones et son intégration aux objectifs stratégiques de la politique étrangère turque, il est impensable de ne pas évoquer l’Ukraine. Grâce à des ventes massives de drones, Ankara est devenu un acteur clé dans l’effort collectif de l’Occident pour soutenir Kyiv. En plus de ses ventes de drones, Baykar a lancé la construction d’une usine près de la capitale ukrainienne, qui emploiera environ 500 personnes et où seront fabriqués ses modèles de drones TB2/TB3, avec une date de mise en service prévue pour aout 2025. Bien qu’en pleine limitation du soutien américain à l’Ukraine — illustrée par les négociations de paix entre les États-Unis et la Russie à Riyad, le 18 février 2025, sans la présence de l’Ukraine —, le président Volodymyr Zelensky était à Ankara ce même jour. De son côté, Erdoğan continue de développer des relations économiques avec la Russie. Ainsi, la Turquie parvient à être pro-ukrainienne sans pour autant adopter une position antirusse, maintenant ainsi un équilibre subtil dans ses relations avec les deux pays. Cet exercice d’équilibre illustre la vision turque du monde, mettant en évidence sa volonté de dialoguer avec toutes les parties tout en maximisant son autonomie.

Enfin, l’Asie émerge comme un nouveau marché. En 2023, TAI a exporté ses drones Anka, d’une valeur de 100 millions de dollars, à l’armée de l’air malaisienne. En février 2025, il a été rapporté que 60 drones Bayraktar TB3 (4), ainsi que 9 Bayraktar Akıncı, seront exportés vers l’Indonésie (5). Conçus et fabriqués par la société de défense turque Asisguard, les drones Songar seraient également utilisés par le Pakistan dans la nouvelle escalade contre l’Inde, qui a débuté dans la nuit du 6 au 7 mai 2025 (6). La Force aérienne pakistanaise a également acquis des drones Bayraktar Akıncı en 2023. En Asie centrale, le Kirghizistan figure parmi les principaux acheteurs : les premiers drones Bayraktar TB2 avaient déjà été mis en service pour l’armée de l’air kirghize en 2021, avant que le gouvernement n’ajoute les drones Aksungur et Anka à son portefeuille. Le Kazakhstan et le Turkménistan semblent tout autant intéressés par ce type d’acquisition.

Le succès des drones a également eu des répercussions importantes en matière de défense, notamment lors de la visite d’Erdoğan en Italie en avril 2025 : un accord de partenariat stratégique et de production conjointe a été signé entre Bayraktar et l’italien Leonardo, l’un des dix plus grands groupes de défense au monde.

L’essor de l’industrie de défense turque via les drones

Globalement, les revenus d’exportation de la défense turque ont connu une augmentation progressive, largement alimentée par la vente de drones et de matériels associés. En mars 2025, le secrétaire des Industries de défense de la Turquie, Haluk Görgün, a annoncé qu’avec plus de 3 500 entreprises dans le secteur, plus de 1 100 projets, un budget de R&D approchant les trois milliards de dollars, un taux de localisation atteignant les 80 %, et un volume de projets excédant les 100 milliards de dollars, les exportations avaient atteint 7,1 milliards de dollars en 2024, soit une hausse de 29 % par rapport à l’année précédente. Baykar, quant à elle, a généré 1,8 milliard de dollars de revenus grâce à ses exportations, lesquelles représentent 90 % de son chiffre d’affaires total.

Pour conclure, les drones turcs dépassent le simple cadre de la défense : ils sont devenus des leviers stratégiques essentiels dans la diplomatie nationale, permettant à Ankara de redéfinir sa place dans un système mondial émergent, tout en consolidant son influence dans des régions où la rivalité des grandes puissances est particulièrement visible.

Notes

(1) Abdulkadir Gunyol, « Türkiye dominates 65% of global UAV market: Baykar chairman », AA, 13 décembre 2024 (https://​rebrand​.ly/​9​f​a​239).

(2) Anne-Sophie Vial, Emile Bouvier, « Türkiye, the new regional power in Africa (3/3). A military presence that is now greater than that of the former European powers », Les clés du Moyen-Orient, 6 mars 2025 (https://​rebrand​.ly/​6​4​f​8​gzp).

(3) Le Matin, « Le Maroc reçoit un premier lot de drones Bayraktar Akinci de Turquie », 10 février 2025 (https://​rebrand​.ly/​m​a​r​o​c​3​c​f​356).

(4) Le TB3 est le modèle avancé du drone TB2.

(5) Mucahithan Avcioglu, « Türkiye’s Bayraktar drones set to be exported to Indonesia », AA, 12 février 2025 (https://​rebrand​.ly/​d​r​o​n​e​s​3​3​2​0de).

(6) Debanish Achom, « What Is ‘Asisguard Songar’: Turkish Armed Drone Used By Pak Against India », NDTV, 9 mai 2025 (https://​rebrand​.ly/​3​a​e​fb5).

Temmuz  Yiğit Bezmez

areion24.news

mercredi 3 décembre 2025

Le football des Iraniennes : force ou faiblesse diplomatique ?

 

Enjeu diplomatique majeur et miroir d’une société en mutation, le football féminin a connu une ascension sans précédent en République islamique d’Iran entre 2018 et 2022. Si la répression les contraint à l’autocensure, les footballeuses résistent en maintenant leur présence sur un terrain qui les oppose directement à l’État : celui de la visibilité.

« Ce match contre la Thaïlande était difficile ; il faisait chaud. Au moment de marquer, je ne me suis pas rendu compte que mon hijab était tombé. Les premiers instants de l’euphorie passés, j’ai réalisé qu’il avait glissé et je l’ai réajusté. » Joignant le geste à la parole lors d’un entretien vidéo accordé au quotidien Shargh fin janvier 2025, l’internationale iranienne Zahra Ghanbari revient sur l’« incident » qui aurait pu briser sa carrière. C’était le 12 octobre 2024. Les 12 meilleurs clubs du continent asiatique s’affrontent pour la première édition officielle de la Ligue des champions féminine de la Confédération asiatique de football (AFC), l’une des six qui composent la Fédération internationale de football association (FIFA).

Alors qu’elles sont à égalité 1-1 avec les Thaïlandaises du BG Bundit Asia, les joueuses du Khatoon Bam FC, en tête du championnat iranien, se qualifient pour les quarts de finale (qui se sont joués les 22 et 23 mars 2025) à deux minutes de la fin du temps additionnel. Le but de la victoire est signé par la capitaine, Zahra Ghanbari. Les gradins sont vides, mais une image va faire le tour du monde et récolter plus de 7 millions de vues sur le compte Instagram de l’AFC : à l’efficacité de l’attaquante succède un buzz à propos de sa tête dévoilée, ce qui va entraîner un élan de sympathie à son égard et accroître sa popularité. Deux semaines plus tard, Zahra Ghanbari est exclue de la sélection. Elle et son club communiquent publiquement des excuses, assurant « avoir toujours respecté les règles » en matière de port obligatoire du voile. Après un bref temps d’incertitude, la meilleure buteuse du pays est réhabilitée ; elle poursuivra donc en ligues nationale et continentale.

Paradoxe sportif

Contrairement aux autres disciplines, les compétitions de football sont les plus médiatisées au monde et font l’objet d’une attention et d’une visibilité incomparables. Surtout, la gouvernance du « sport roi » est placée sous l’autorité de la FIFA, qui, depuis le lancement de sa première stratégie de développement du football féminin en 2018, oblige le régime iranien à se conformer à des normes contraires à ses propres fondements idéologiques. En effet, la promotion d’un sport où la visibilité de la femme et de son corps en mouvement est centrale se heurte aux impératifs de sobriété et de mise sous tutelle de la citoyenne iranienne, lesquels s’inscrivent dans un cadre légal fondé sur l’obligation du port du voile et les principes d’inégalité et de séparation entre les sexes.

Issue de la génération qui a révélé au monde l’évolution du football féminin en Iran, Zahra Ghanbari, née en 1992, incarne l’inextricable paradoxe de la diplomatie sportive menée par la République islamique. D’un côté, les standards officiels valorisent l’image de l’Iranienne, cachée, recouverte et silencieuse, mère sacrificielle et épouse dévouée. De l’autre, le football met en scène les corps, l’effort physique et mental, des femmes en action qui hurlent, crachent, arborent un tatouage ou un bracelet aux couleurs arc-en-ciel. Non seulement le football a une charge symbolique considérable, mais il est aussi un haut lieu de résistances multiformes. Pour l’État iranien, contrôler l’image des sportives demeure par conséquent un enjeu (géo)politique de la plus haute importance.

Un espace de contestation 

Exploités avec ingéniosité par les jeunes générations de footballeuses, les réseaux sociaux constituent un observatoire fascinant. Ils le furent d’autant plus jusqu’au déclenchement du mouvement « Femme, Vie, Liberté » en septembre 2022 : la répression brutale du régime s’est traduite, entre autres, par un renforcement du contrôle et de la surveillance de l’espace numérique. Si les principales concernées naviguent depuis lors avec prudence sur la toile, nous avons été témoins d’actions politiques et de prises de position publiques courageuses qui donnaient un aperçu des métamorphoses culturelles d’une nation en transition. Par exemple, la mobilisation des joueuses sur Instagram durant la crise de la Covid-19 a mis en lumière la dimension contestataire du football.

En Iran, à cette période de pandémie, le championnat de football féminin est mis au point mort durant près d’une année. Cette situation est mal vécue par de nombreuses joueuses. À visage découvert et parfois reconnues du grand public, elles saisissent les médias sociaux pour communiquer sur l’incompétence des autorités et les discriminations auxquelles font face les citoyennes en Iran. En accès libre jusqu’en 2022, Instagram contient une mine d’informations sur l’expérience individuelle de certaines sportives, les souffrances, les défis qui s’imposent à ces joueuses en tant que femmes, la teneur politique de leurs revendications, leur volonté d’alerter l’opinion sur les contraintes, les discriminations et les obstacles qui freinent ou handicapent le développement du football féminin. Et, par extension, l’émancipation des Iraniennes de manière générale.

Un talon d’Achille encore solide

En dépit du retard, des déboires et de leur exclusion du classement FIFA, les footballeuses iraniennes parviennent à se qualifier pour la première fois de leur histoire pour la Coupe d’Asie en 2022. Un exploit qu’elles doivent à leur persévérance, à leur niveau de jeu affiné depuis vingt ans sous une multitude de contraintes, ainsi qu’à la visibilité qu’elles se sont octroyée et à leur popularité grandissante auprès de l’opinion. Mais cette victoire exceptionnelle est d’abord un moyen supplémentaire pour le pouvoir iranien, en particulier les Gardiens de la révolution (pasdaran), de conquérir les instances nationales de gouvernance du football depuis les années 2000, selon une vision de diplomatie sportive alternative à la dominance des normes occidentales dans le sport international.

Enlisée dans des scandales à répétition de corruption et de détournement d’argent, la Fédération iranienne contrevient à ses obligations envers la FIFA, notamment en matière d’indépendance vis-à-vis du politique et du droit des femmes à entrer dans les stades. Les profils des 24 présidents qui se succèdent à sa tête depuis 1979 laissent peu de doute sur leurs accointances avec les autorités militaires et conservatrices des pasdaran, qui s’arrogent par ailleurs le droit de choisir le candidat, indépendamment de ses éventuels antécédents judiciaires.

Dans ce contexte, le football féminin pourrait être analysé comme l’un des talons d’Achille du pouvoir iranien. La discipline représente un moyen pour le régime de poursuivre ses ambitions diplomatiques et, dans le même temps, cristallise les luttes de pouvoir liées à l’orientation idéologique du système. Malgré l’établissement d’une diplomatie sportive fondée sur la « désoccidentalisation », soit l’appropriation de codes occidentaux et leur détournement vers un modèle culturel alternatif, le régime semble dans l’incapacité d’invisibiliser totalement les sportives iraniennes. Si les footballeuses servent les ambitions politiques de ceux qui les méprisent, ce sont elles qui arpentent le terrain et construisent les caractéristiques identitaires et historiques de leur sport.

Le pouvoir iranien dispose d’une marge de manœuvre suffisante pour souffler le chaud et le froid sur la carrière d’une joueuse, mais il doit désormais composer avec une nouvelle inconnue. Inévitable et imprévisible, l’évolution socioculturelle de la population mène au rejet du modèle de gouvernance théocratique établi depuis 1979 en Iran. Une mutation sociologique profonde et pérenne, qui poursuit lentement son œuvre depuis plusieurs générations, mais dont le reste du monde n’a mesuré l’ampleur qu’avec le déclenchement du mouvement « Femme, Vie, Liberté ».

Caroline Azad

areion24.news