Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

dimanche 2 novembre 2025

La fuite des tortionnaires de l’ex dictateur Bachar al-Assad

 

Moins d’un an après la chute du régime de Damas, que sont devenus les tortionnaires en chef de Bachar al-Assad?  Le New York Times a mis ses plus fins limiers sur la trace d’une cinquantaine de figures du gouvernement renversé et a reconstitué la fuite de ces hiérarques qui ont réussi à s’échapper de la capitale syrienne peu avant la chute de la ville aux mains des rebelles islamistes, le 8 décembre 2024.

Minuit à Damas, le 7 décembre 2024 : une douzaine d’ombres s’agitent sur le tarmac désert de l’aéroport militaire de la capitale syrienne. Bientôt, transportant avec eux de maigres bagages, le groupe de mystérieux passagers s’engouffre dans un petit jet privé.  Aussitôt, le petit « yak 40 » de fabrication russe décolle pour Hmeimim, ville de la côte méditerranéenne. 

Alors que Damas est en train de tomber aux mains des islamistes du nouveau régime,  ces collabos notoires de la famille al Assad viennent d’échapper à la vengeance des rebelles se pressant aux portes de la ville. Ils n’ont guère l’espoir de bénéficier de la clémence de ces derniers s’ils avaient été pris : durant des années, ces hommes, – responsables des services secrets, généraux de l’armée, de l’aviation et d’autres féroces institutions du régime en train de s’écrouler- avaient été les tortionnaires en chef et les exécuteurs des opposants à « Bachar ». Près de quatorze ans ans après le début de la guerre civile qui aura fait plus de six cent mille morts, dont plus de la moitié de civils, cette nuit du destin a fait se transformer ces caciques hier encore tout puissants en fuyards pathétiques,  prêts à tout pour échapper à l’avancée inexorable de la « révolution ».

La piste de 55 tortionnaires

C’est sur la piste de ces hommes que le New York Times a lancé ses enquêteurs. Pas seulement sur celle de la douzaine de passagers de ce vol de la dernière chance : au terme d’une longue investigation, inédite à ce jour dans la presse, et après s’être entretenus avec des membres du régime déchu, des opposants à ce dernier et des responsables d’organisations de défense des droits de l’Homme, les journalistes du « NYT » ont réussi à reconstituer une liste d’exactement cinquante cinq suppôts du gouvernement Bachar. Ceux qui ont réussi, tout comme leur ex mentor, réfugié à Moscou, à se refaire une vie en Russie , tandis que d’autres se sont installés au Liban et même… en Syrie!

Au nombre des passagers du vol nocturne figuraient trois hommes de mains de haut vol : le premier d’entre eux, Qahtan Khalil, directeur des services secrets de l’armée de l’air, est aujourd’hui accusé d’être directement impliqué dans l’un des plus sanglants massacres de la guerre civile. (Celui de centaines de manifestants tués dans le faubourg damascène de Daraya, en août 2012).  Deux autres passagers étaient également des personnalités en vue : il s’agissait d’Ali Abbas et d’Ali Ayyoub,  tous deux ayant jadis occupé , les postes de ministres de la défense. Ils sont soupçonnés de s’être rendus eux aussi coupable de terribles exactions contre les droits de l’Homme durant le conflit en leur qualité de haut gradés chargés de la stratégie de défense du système

A cette courte liste, il fallait ajouter, précise le New York Times, le nom de l’ancien chef d’état major des armées,  Abdul Karim, notamment accusé d’avoir supervisé les tortures et autres sévices sexuels contre les femmes prisonniers. Le quotidien américain a de bonnes sources : toutes ces informations, notamment sur les détails du vol et la personnalité des fuyards, lui ont été communiqué par un passager, anonyme, mais membre du cénacle du tyran déchu. 

« Afin de cibler un noyau dur de responsables, le Times a compilé les noms de toutes les personnes sanctionnées par les Etats-Unis ou l’Union européenne en raison de leurs liens avec le régime d’Assad. Cette longue liste a été affinée en la recoupant avec des informations provenant d’enquêteurs syriens et internationaux sur les droits de l’Homme , des documents internes du régime et d’autres preuves de sources ‘ouvertes’ extraites d’internet », explique le journal dans son article. 

Les limiers du quotidien savent ainsi que Qahtan Qalib, l’un des fuyards mentionné plus haut,  a trouvé refuge à Moscou ; Tous comme les deux « Ali », les ex ministres de la défense. Les lieux de résidence actuels d’autres personnalités « wanted » par Interpol et le nouveau régime syrien – mentionnés sur la liste complète des « 55 » qu’a publié le quotidien, photos à l’appui – ,  interpellent le lecteur : un certain Bassam Hassan, ci devant coordonnateur du programmes d’armes chimiques du défunt régime,  a réussi à prendre ses quartiers à Beyrouth. On suppose que l’homme loge plutôt au sud de la capitale , dans les zones chiites sous contrôle du Hezbollah, allié d’Assad…. Autre surprise, plus grande encore : Amr al-Armanazani, un autre responsable du programme chimique, a été pisté par les reporters du « NYT » à Damas, où il vit tranquillement chez lui… Son opération de retournement de veste de dernière minute a dû être délicate à négocier;  l’on ne peut qu’imaginer en quoi les informations dont il disposait ont pu être utiles au nouveau régime… Le New York Times parle simplement d' »accords un peu troubles » passés entre les anciens ennemis. 

Le petit bi moteur « Yak » avait fini par se poser seulement 30 minutes plus tard sur l’aéroport de Hmeimim, stratégiquement situé à côté d’une base militaire russe, le pays de Poutine ayant été le grand pourvoyeur de la famille al Assad père et fils ( Hafez, le patriarche de la dynastie et Bachar, successeur et fossoyeur de ce même système).  » A bord de l’avion, c’était la panique », a raconté au NYT l’un des passagers, lui-même ancien officiel du palais de Bachar ; « j’avais l’impression que nous n’arriverions jamais tant les minutes nous paraissaient interminables ». Certains passagers, peu chargés en bagages inutiles, avaient cependant pris la précaution « d’embarquer avec des sacs emplis de billets de banque et de bijoux », a précisé la même source. L’on n’est jamais trop prudent quand des aubes incertaines se lèveront sur de funestes nuits.

Au même moment dans Damas, un autre cacique luttait lui aussi pour sa survie : Maher al Assad, le frère du tyran renversé, était en train d’arranger sa propre fuite. Celui qui était encore le jour même le chef de la redoutable 4ème division des Forces armées venait d’appeler un ami de la famille et l’un de ses partenaires en affaires. Maher les somma de le rejoindre toutes séances tenantes et de l’attendre devant chez lui. Tout ce beau monde parvint à prendre la fuite pour une destination inconnue. Maher est aujourd’hui à Moscou, les poches sans doutes lestées. 

Parfois, certains fuyards de haut vol échappèrent de peu à l’arrestation, même si, avance le New York Times, « pour minimiser la résistance des hommes du régime [en train de s’effondrer], il y eut comme un accord tacite avec les rebelles , ces derniers préférant parfois ignorer la fuite de certains loyalistes de Bachar ». Tel n’aurait cependant pas été le sort de Bassam Hassan, l’un des responsables du programme des armes chimiques mentionné plus haut, s’il avait été arrêté par les combattants du nouveau pouvoir. Pourtant, c’est bien ce qu’il failli lui arriver : parvenu dans un convoi de trois voitures dans la ville d’Homs, à près de deux cents kilomètres de Damas, le haut gradé syrien dû s’arrêter à un barrage de rebelles. Ceux-ci demandèrent à sa femme et à sa fille de sortir de l’un des véhicules. Ils confisquèrent la voiture , intimant aux deux femmes de laisser derrière elles bijoux, possessions et portefeuilles. Avant de les laisser tranquillement remonter dans le « 4X4 » de leur mari et père, laissant s’échapper l’un des sbires les plus notoires de l’un des plus terribles régimes qu’a connu le moyen-orient dans sa récente histoire. 

Bruno Philip

mondafrique.com

Une rançon de 50 millions d’euros versée par les Emirats à Iyad Ag Ghali

 

Les réseaux sociaux maliens ont suivi pratiquement jour par jour la chronique du versement de la rançon record versée par les Émirats, à peine plus d’un moins après leur enlèvement, pour deux Emiratis et un Iranien libérés jeudi à Gao. Des otages de grande valeur royalement monnayés par Iyad Ag Ghali, le chef d’Al Qaida au Sahel, qui a plus que jamais besoin d’argent pour financer une armée qui s’agrandit et s’étend.

Cheikh Ahmed Bin Maktoum bin Joumoua Al Maktoum, général en retraite, membre de la famille royale au pouvoir à Dubaï, avait été enlevé le 23 septembre dernier avec un visiteur émirati de passage et un employé iranien à Sanankoroba, dans la région de Koulikoro, à une quarantaine de km de la capitale, où il vivait dans une grande propriété agricole. Le cheikh avait également installé un aérodrome sur place. Des images du commando djihadiste dans l’aérodrome avaient été diffusées à l’époque par les ravisseurs.

Les Émirats n’ont pas hésité à charger la barque financière pour obtenir la libératuin de leurs compatriotes. On parle de 50 millions d’euros (ou de dollars, selon les sources) versés par les Emirats arabes unis, de 11 à 20 millions supplémentaires pour l’achat de munitions, de la sortie de prison de 25 djihadistes ainsi que de facilités de déplacement à l’étranger.

C’est d’un accord global qu’il s’agit au delà de la libération du général émirati.  Plusieurs otages maliens aux mains du Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM), des notables et des militaires, seraient en cours de libération pour satisfaire les autorités maliennes, sans lesquelles l’échange n’aurait pu se faire. C’est ainsi que l’ancien député de Koutiala, Abdou Maïga, enlevé le 23 avril 2023, a finalement regagné son domicile le 31 octobre 2025.

Une affaire vite ficelée

Les sources concordent sur l’identité des intermédiaires impliqués dans la négociation. Il s’agirait d’Ahmada Ab Bibi, l’habituel négociateur et homme de confiance d’Iyad Ag Ghali, ancien député et ancien membre du groupe armé  touareg Ansar Dine, coutumier de toutes ces affaires. On cite aussi, chose plus surprenante, deux trafiquants arabes de Tilemsi très connus, proches aussi bien de la junte que des groupes armés djihadistes et de certains leaders armés du nord du Mali.

Sid Ahmed El Zamili alias Zouleylou aurait été mobilisé pour l’achat et le transport des munitions (on parle de 40 tonnes) auprès de trafiquants toubous installés en Libye et au Tchad. Son cousin Mohamed El Mehri, beaucoup plus connu sous le surnom de Rougi, aurait, lui, assuré le transport des otages jusqu’à Gao. Un éminent leader du Front de Libération de l’Azawad, proche lui aussi d’Iyad Ag Ghali, aurait servi d’intermédiaire pour approcher les vendeurs d’armement toubous.

L’imbrication de ces réseaux criminels démontre, une nouvelle fois, la porosité et les connexions des gros bras armés maliens  sur le terrain militaire quand il s’agit de faire fonctionner le ruissellement propre à ces affaires d’otages.

Un butin colossal

Avec ce butin de guerre colossal, Iyad Ag Ghali va pouvoir verser des primes à tous les soldats de l’organisation, récompenser les preneurs d’otages et les équipes de geôliers et distribuer l’argent de la guerre aux katibas déployées au nord, au centre, à l’est et, de plus en plus, à l’ouest du Mali, au Burkina Faso et à l’ouest du Niger ainsi que, ces tout derniers temps, au Nigeria, à la frontière béninoise, où le GSIM n’entend pas laisser le terrain libre à son rival de l’Etat islamique au Sahel.

Plus le groupe s’étend sur un large espace, plus il consomme d’hommes, de carburant, d’armes, de munitions et de logistique. Pour recruter, y compris aux dépens des autres groupes armés moins bien lotis, il faut de l’argent.

Mais le prix des otages n’est, évidemment pas le même montant pour tous. Avec le vieux général dubaiote amateur de gazelles, le GSIM a touché le jackpot. Il n’en ira pas de même avec les autres otages étrangers en possession du groupe armé islamiste:  des citoyens égyptiens, chinois, indiens, bosniaques (ou croates); des dizaines de soldats maliens et burkinabé; plusieurs notables maliens.

On ignore si des Russes de Wagner ou d’Africa Corps sont détenus par les djihadistes mais deux combattants de Wagner, des officiers, sont détenus par les Touareg du FLA. La Suissesse, l’Autrichienne et l’Américain enlevés au Niger depuis le début de l’année sont aux mains de l’Etat islamique, nouveau dans le business des otages.

mondafrique.com

samedi 1 novembre 2025

Le chef de l'armée suisse ne fait pas confiance aux Américains

 

La Chancellerie fédérale mise sur Microsoft. Une large part des documents, e-mails, discussions et appels des autorités doit passer par les serveurs du géant américain.

La majorité des fonctionnaires fédéraux travaillent donc avec les produits Microsoft, un choix déjà critiqué par le Contrôle fédéral des finances pour manque de garanties en matière de protection des données et de sécurité. L’organe de surveillance a aussi pointé la classification inappropriée de la confidentialité de certains documents.

C’est précisément en raison de ces failles que le chef de l’armée, Thomas Süssli, a adressé une lettre à la Chancellerie fédérale, révèle le média Republik. Il y rappelle les directives de la Confédération sur la confidentialité: les documents «internes» et «secrets» ne devraient pas être traités, ou seulement de manière restreinte, dans le cloud et les applications de Microsoft. Republik s’est appuyé sur la loi sur la transparence pour consulter cette lettre.

Sortir au plus vite du cloud de Microsoft

Les rapports d’exercice de la troupe sont classés «internes», les plans d’intervention des forces spéciales «secrets». Selon des sources internes, environ 90% des données de l’armée relèvent de ces deux catégories. 

Le chef de l’armée sortant plaide donc pour la création d’un cloud privé dédié à l’armée, capable de garantir une sécurité complète pour les informations sensibles. Il demande également l’élaboration rapide d’une stratégie de sortie du cloud Microsoft et le développement d’une solution open source indépendante, à laquelle l’armée contribuerait directement.

Thomas Süssli n’est pas seul à défendre cette position. L’armée autrichienne juge elle aussi trop risqué l’usage d’un cloud américain, sur la base de ses propres analyses. En Allemagne, les Länder du Schleswig-Holstein et de Thuringe ont déjà opté pour des alternatives non américaines. La plupart des gouvernements européens, toutefois, restent clients de Microsoft – comme la Suisse.

Des risques d’accès américains

Pour les experts, la motivation de l’armée suisse est claire: disposer d’une infrastructure informatique à l’abri d’un éventuel accès du gouvernement américain. À ce jour, nul ne sait exactement quelles données quittent le cloud de Microsoft pour transiter vers les Etats-Unis – et donc potentiellement vers les autorités américaines.

En cas de crise, l’armée redoute aussi qu’un ordre de «désactivation» de Microsoft puisse paralyser son système informatique. Elle souhaite donc une solution nationale, exploitée et contrôlée en Suisse.

La Chancellerie fédérale, elle, ne semble pas ébranlée par cette lettre. Convaincue d’avoir respecté toutes les exigences en matière de sécurité, elle maintient sa feuille de route pour la migration vers le cloud Microsoft.

Daniel Ballmer

blick.ch

Sommet Xi / Trump : une trêve où la Chine ressort plus forte

 

Tant attendu, le sommet du 30 octobre entre Xi Jinping et Donald Trump, le premier entre les présidents des deux superpuissances de la planète depuis 2019, a accouché d’une souris avec l’annonce d’une simple trêve. Mais c’est la Chine qui en sort gagnante, n’ayant rien cédé sur le fond à son grand rival américain sur le dossier explosif des terres rares.

Comme il en a l’habitude, Donald Trump était triomphant au sortir des cent minutes qu’a duré cette rencontre entre les deux hommes et leurs délégations : « Ce fut une rencontre extraordinaire, » a-t-il déclaré aux journalistes à bord d’Air Force One alors qu’il rentrait à Washington jeudi après avoir assisté au sommet de la Coopération économique pour l’Asie-Pacifique (APEC) en Corée du Sud. « Sur une échelle de 0 à 10, 10 étant la meilleure note, cette rencontre mérite un 12. »

Le 47e président des États-Unis a expliqué qu’il s’était mis d’accord avec son homologue chinois sur un « ensemble de décisions exceptionnelles » et que les États-Unis et la Chine signeraient « très bientôt » un accord commercial. Cet accord, selon plusieurs médias américains, pourrait être signé dès la semaine prochaine.

Mais l’erreur serait de confondre la forme et le fond. Car si Washington a obtenu un report d’un an de la mise en œuvre de la décision de Pékin d’imposer un contrôle strict de l’usage des terres rares produites sur le sol de la Chine, celle-ci demeure maître des horloges puisqu’elle peut, comme bon lui semble, soit l’annuler avant terme, soit y mettre fin dans un an car, dans les faits, les autorités chinoises ne l’ont pas enterrée.

L’épée de Damoclès de la Chine reste donc bien présente : elle continuera d’user de ce levier politique considérable qui est de menacer l’approvisionnement en terres rares à travers le globe dont l’utilisation est au cœur de tous les secteurs de la Tech, qu’elle soit à usage civil ou militaire. Elle avait annoncé le 9 octobre son intention d’imposer un contrôle approfondi sur les exportations des terres rares, sachant que la Chine extrait 69 % des minéraux de terres rares, traite 88 % des concentrés de terres rares et raffine 90 % des métaux de terres rares dans le monde.

Ces terres rares et minéraux sont devenus une absolue nécessité pour la fabrication d’une très large panoplie de produits allant de ceux utilisés au quotidien jusqu’aux hautes technologies militaires, que ce soient les smartphones, les ordinateurs, les automobiles ou les missiles intercontinentaux à capacités nucléaires (ICBM).

Avec les terres rares, Pékin conserve un levier politique majeur

Le contrôle de la Chine sur les terres rares est d’autant plus stratégique que ces règles aujourd’hui temporairement suspendues introduisent aussi la notion d’extraterritorialité – mesure inédite pour Pékin mais souvent utilisée par les États-Unis – la Chine s’arrogeant la possibilité d’interdire des exportations par des pays étrangers de produits contenant plus de 0,1% de ces fameux métaux et terres rares d’origine chinoise.

Les États-Unis ont souvent eu recours à cette notion, bannissant par exemple les ventes en Occident de smartphones de la marque chinoise Huawei contenant des puces d’origine américaine. Pékin ne fait donc que répliquer à son profit une méthode américaine.

En retour, Pékin a obtenu de Washington de mettre fin pendant un an aux taxes imposés depuis peu aux industries maritimes, logistiques et navales chinoises dans les ports américains et une baisse des tarifs douaniers des marchandises chinoises importées par les États-Unis qui, selon les calculs des experts et observateurs de la Chine, devraient désormais s’établir à 47% contre des menaces de les porter à plus de 100%.

Un sommet qui a accouché d’une souris

Il reste cependant que ce sommet n’aura produit que peu de résultats tangibles, le fond de la rivalité entre les États-Unis et la Chine demeurant inchangé : le premier pays entend rester le numéro un mondial, un statut que le second entend bien lui ravir dans un avenir proche. Cette rivalité reste intacte car l’un comme l’autre non seulement ne se font aucunement confiance mais campent sur leurs positions.

« L’atmosphère qui règne actuellement à Pékin révèle que la relation la plus importante au monde est devenue plus amère et hostile que jamais […] Chaque partie suit sa propre logique inexorable, » commente The Economist jeudi 30 octobre.

« Les États-Unis ont adopté une politique d’endiguement, bien qu’ils refusent d’utiliser ce terme. Ils voient une Chine autoritaire passée d’un régime à parti unique à un régime à homme unique. Le président Xi Jinping devrait rester au pouvoir pendant des années et est hostile à l’Occident, qu’il considère comme en déclin, » ajoute l’hebdomadaire.

A Pékin, l’atmosphère n’est guère meilleure. « Dans les couloirs du gouvernement [chinois], les responsables du Parti communiste dénoncent ce qu’ils considèrent comme des intimidations de la part des États-Unis. Ils affirment que ceux-ci ont l’intention de battre la Chine à mort. Les diplomates occidentaux décrivent une atmosphère empreinte d’intimidation et de paranoïa, » ajoute The Economist pour qui « [la] seule chose sur laquelle les deux parties s’accordent, c’est que le meilleur scénario est celui de plusieurs décennies de brouille, et que le pire, celui d’une guerre, est de plus en plus probable. »

Mais rien de cela n’a bien sûr transparu dans les déclarations officielles. Donald Trump a encore expliqué que Xi Jinping s’était engagé à « travailler très dur » pour endiguer les exportations des éléments précurseurs utilisés par les narcotrafiquants pour produire et exporter le fentanyl vers les États-Unis. Drogue de synthèse, cet opioïde bon marché cause la mort de dizaines de milliers d’Américains chaque année.

Il a ajouté que les discussions avaient également abordé la question des semiconducteurs et que le géant Nvidia discuterait avec la Chine de l’exportation de puces, mais il a précisé que ces discussions ne portaient pas sur les systèmes les plus avancés. Jeudi, la capitalisation boursière de Nvidia, la première au monde, atteignait le niveau record de 5 000 milliards de dollars.

Le président a annoncé qu’il se rendrait en Chine en avril et que Xi Jinping effectuerait ensuite une visite réciproque aux États-Unis.

Face au triomphalisme américain, le sens de la mesure chinois

Le ton était nettement plus mesuré côté chinois. Certes, le président chinois ne s’est pas privé de flatter son homologue américain. « J’ai toujours pensé que le développement de la Chine devait aller de pair avec votre vision de rendre à l’Amérique sa grandeur, » a expliqué Xi Jinping qui, lui-même, ambitionne aussi de « rendre sa grandeur à la Chine. »

Le ministère chinois du Commerce a confirmé la suspension pour un an de la mise en œuvre des contrôles sur les terres rares tandis que les États-Unis suspendent également pour un an leurs propres contrôles à l’exportation liés à la technologie aux filiales des entreprises chinoises, annoncés à la fin du mois dernier. Il a ajouté que la Chine avait accepté « de travailler avec les États-Unis pour résoudre de manière appropriée les questions liées à TikTok, » une autre pierre d’achoppement entre Pékin et Washington.

Cité par le Quotidien du Peuple, l’organe du Parti communiste chinois, Xi Jinping s’est borné à indiquer que « les deux parties doivent affiner et finaliser le travail de suivi dès que possible, respecter et mettre en œuvre le consensus, et obtenir des résultats tangibles. »

Si Pékin s’est également engagé à renouer avec ses achats de soja américain, la seule véritable surprise de ce sommet est que, selon le président américain, « La question de Taïwan n’a jamais été abordée [et n’a donc] pas été discutée. »

La crainte à Taïwan parfois exprimée en privé est que l’île fasse les frais d’un « deal » commercial entre les États-Unis et la Chine, Donald Trump pouvant accepter d’abandonner l’idée de défendre l’île face au géant chinois en échange de conditions commerciales accordées par Pékin.

Le secrétaire d’État américain Marco Rubio a néanmoins récemment publiquement rejeté cette idée. Le 27 octobre, il avait déclaré à l’agence Reuters que personne à Washington n’imaginait qu’un accord commercial aurait pour conséquence que les États-Unis « s’éloigneraient de Taïwan. » Lundi, Donald Trump a éludé une question d’un journaliste sur le fait que ce sujet serait ou non abordé lors de sa rencontre avec le président chinois, se bornant à répondre : « Taïwan est Taïwan. »

Cité par l’agence officielle taïwanaise CNA, le ministre des Affaires étrangère de Taïwan, Lin Chia-lung (林佳龍), s’est de son côté voulu rassurant, affirmant qu’il n’était pas inquiet sur le fait que Donald Trump pourrait être amené à « abandonner » Taïwan. « Nos relations sont très stables, » a-t-il dit.

Au début de leur rencontre dans la ville de Busan, voisine de celle Gyeongju, au sud-est de la Corée du Sud où s’est déroulé le sommet de l’APEC, Donald Trump a salué Xi comme un « grand dirigeant d’un grand pays, » avant d’ajouter qu’il entretenait avec son homologue chinois « une relation fantastique depuis longtemps. »

Les images vidéo de la salle de conférence montraient Donald Trump entouré de ses principaux responsables, dont Marco Rubio, le secrétaire au Trésor Scott Bessent et le secrétaire au Commerce Howard Lutnick, tandis que Xi Jinping était accompagné de Cai Qi, membre de la toute-puissante commission permanente du Bureau politique du PCC, du ministre des Affaires étrangères Wang Yi et du vice-Premier ministre He Lifeng.

Assis en face de lui, Xi Jinping a déclaré qu’il était naturel que les États-Unis et la Chine « ne soient pas toujours d’accord » et ajouté qu’il était « normal que les deux principales économies mondiales aient des frictions de temps à autre. » Les deux superpuissances « doivent être amies, » car c’est « ce qu’exige la réalité. »

Un butin bien maigre pour les États-Unis

Mais, de l’avis général des commentateurs, le butin de ce sommet est bien maigre pour les États-Unis, considérant les menaces formulées par Donald Trump qui, il y a quelques jours encore, brandissait celles de taxes de 100% sur les importations chinoises. « Franchement, les États-Unis ne semblent pas avoir obtenu grand-chose, » estime ainsi Alicia Garcia-Herrero, économiste en chef pour la région Asie-Pacifique chez Natixis, citée jeudi par le quotidien japonais Nikkei Asia.

« Nous ne voyons pas de réduction significative des risques géopolitiques à long terme. Nous pensons que la probabilité d’un découplage plus poussé est plus forte que le contraire. Les États-Unis ont clairement affiché leur préférence pour une politique donnant la priorité à l’Amérique, tandis que la Chine privilégie l’autosuffisance dans les industries clés, » souligne de son côté Lorraine Tan, directrice de la recherche sur les actions chez Morningstar, cité par le même média.

Pour Julian Evans-Pritchard, expert de l’économie chinoise chez Capital Economics, « la désescalade [entre Pékin et Washington] élimine la menace immédiate d’une forte hausse des droits de douane [mais] les forces sous-jacentes qui divisent les États-Unis et la Chine restent sans solution et les tensions pourraient donc facilement resurgir [car] même si la trêve actuelle tient, les deux parties poursuivront leurs efforts de découplage à plus grande échelle. »

« Ce sommet ne peut apporter qu’une détente tactique plutôt qu’une réinitialisation stratégique des relations entre les États-Unis et la Chine, » estime Zhao Minghao, professeur à l’Institut d’études internationales de l’université Fudan à Shanghai, cité par le Financial Times.

Si, à l’échelle mondiale, les États-Unis restent sans égaux sur de nombreux fronts du fait de leur contrôle sur les « technologies fondamentales » telles que les puces électroniques, leur gigantesque marché de consommation et leurs réseaux d’alliances, relève Han Shen Lin, directeur national pour la Chine du cabinet de conseil américain The Asia Group, la Chine « joue le long terme. »

« Si les États-Unis peuvent dicter le rythme et la pression du conflit à court terme, la Chine se prépare à une lutte prolongée, » estime-t-il. « Il s’agit moins de savoir qui a « l’avantage » aujourd’hui, mais plutôt qui est le mieux placé pour une confrontation à long terme, » relève encore cet analyste.

La BBC a pour son part souligné qu’à la différence de « l’optimisme grandiloquent » manifesté par Donald Trump, « la Chine s’est montrée moins enthousiaste [puisque] la déclaration de Pékin ressemble [davantage] à un mode d’emploi » pour permettre aux deux rivaux de s’accorder sur la marche à suivre dans les mois prochains.

« Trump souhaite conclure un accord « très rapidement », tandis que Pékin semble vouloir poursuivre les discussions, car il joue la carte du long terme, » explique la BBC pour qui « il ne s’agit que d’une trêve temporaire [qui] ne résout pas les divergences au cœur d’une relation aussi compétitive » que celle qui existe entre Pékin et Washington depuis maintenant plusieurs décennies.

« Les États-Unis et la Chine prennent des directions différentes, » explique Kelly Ann Shaw, l’ancienne conseillère économique de Donald Trump lors de son premier mandat, citée par la BBC. « Il s’agit en réalité de gérer la rupture de manière à limiter les dégâts, à préserver les intérêts américains et, je pense, du point de vue de la Chine, à préserver ses propres intérêts. Mais ce n’est pas une relation qui va nécessairement s’améliorer de manière spectaculaire dans un avenir proche, » a-t-elle ajouté.

« Le principe fondamental de la Chine est de lutter, mais sans céder », explique Keyu Jin, professeure d’économie à la London School of Economics et autrice de The New China Playbook : Beyond Socialism and Capitalism(Penguin Publishing Group), un essai publié en 2024 devenu une référence sur la Chine. « Et elle a opté pour l’escalade afin de désamorcer la situation, ce qui est une tactique très nouvelle, » relève cette experte de la Chine.

« Si les États-Unis pensent qu’ils peuvent dominer la Chine, qu’ils peuvent la réprimer, je pense qu’ils se trompent, » déclare encore Keyu Jin. « Cela montre clairement au monde entier, et en particulier aux États-Unis, que la Chine doit être respectée, qu’elle ne s’incline pas et ne fait pas trop de concessions politiques ou économiques. »

Comment Pékin avait soigneusement préparé son jeu

Il s’avère que Pékin avait soigneusement préparé cette rencontre au sommet où le président américain n’avait, en réalité, que peu de cartes en mains, jugent certains analystes.

Pour preuve, avec l’annonce antérieure au sommet de contrôles renforcés sur les terres rares, la Chine avait frappé Donald Trump là où ça fait mal. « La nuance qui est souvent négligée dans le débat sur les terres rares est que la Chine occupe une position dominante sur la partie la plus stratégique de la chaîne d’approvisionnement en terres rares : les terres rares lourdes utilisées dans les systèmes de défense avancés, » explique Jason Bedford, expert en macroéconomie et analyste en investissement, cité par la BBC.

Obtenir de la Chine qu’elle assouplisse ses contrôles à l’exportation était donc devenu une priorité pour Washington, ce dossier devenant du même coup un levier important pour Xi Jinping lorsqu’il s’est assis à la table des négociations face à Donald Trump.

Un autre levier politique a été pour la Chine d’interrompre ses achats de soja américain, une mesure parfaitement ciblée puisqu’elle frappait de plein fouet les agriculteurs des États républicains, la base électorale de Trump. Dès jeudi, semble-t-il, Pékin avait recommencé à acheter du soja américain.

L’un des enseignements de ce sommet est donc de constater que la posture de la Chine face aux États-Unis a profondément changé entre le mandat de Trump 1.0 (2017-2021) et celui entamé en janvier de Trump 2.0 : à la volonté de négocier qui était celle du vice-Premier ministre de l’époque Li He (刘鹤) a succédé celle de la fermeté d’une Chine désormais décomplexée face au colosse américain aujourd’hui en perte de vitesse du fait des incohérences répétées de son président.

L’autre enseignement est que lorsque les États-Unis de Donald Trump visent des « deals » de court terme souvent contre-productifs, la Chine, plus résiliente que l’Amérique, parie sur le long terme. De cette relation plus asymétrique que jamais, il ressort clairement qu’au-delà de la trêve conclue à Busan, elle restera explosive pour les années à venir, la balance penchant progressivement en faveur de Pékin.

Pierre-Antoine Donnet

asialyst.com

vendredi 31 octobre 2025

L’électricité en Europe : un réseau vulnérable ?

 

Le 28 avril 2025, une panne d’électricité massive a frappé l’Espagne et le Portugal, plongés dans le noir pendant plusieurs heures. Si l’enquête sur les causes précises de cet incident était en cours un mois plus tard, ses effets se sont fait ressentir au-delà des frontières ibériques, une partie du sud-ouest de la France ayant temporairement subi des coupures. Cet événement met en lumière la complexité et la fragilité de l’interconnexion du réseau électrique européen.

Dans le cadre de sa politique de décarbonation, l’Union européenne (UE) mise sur une électrification croissante des usages pour assurer sa transition énergétique. Depuis l’accord de Paris de 2015, elle s’est fixé pour objectif la neutralité carbone à l’horizon 2050. En 2022, l’électricité représentait 23 % de la demande énergétique, une proportion appelée à croître jusqu’à 57 % d’ici à trente ans. En 2023, la production électrique de l’UE s’est élevée à 2 572 térawattheures (TWh), dont plus de 45 % issus de sources renouvelables. Les combustibles fossiles représentaient encore 31,7 %, notamment dans les pays d’Europe orientale. Le nucléaire comptait, quant à lui, pour 22,8 %, la France restant l’État européen le plus dépendant de cette source pour sa production électrique. Les besoins en électricité devraient plus que doubler d’ici à 2050, en raison de l’essor des usages dans les transports (véhicules électriques), le chauffage (pompes à chaleur) et l’industrie.

Des aspirations européennes 

L’UE déploie une politique d’envergure à l’échelle continentale visant à instaurer un marché à la fois compétitif, durable et sécurisé, conformément au « pacte vert pour l’Europe » et au plan « REPowerEU » adopté à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022. Cette stratégie s’accompagne d’un changement de paradigme dans l’organisation des réseaux. Le modèle hérité, statocentré, centralisé et verticalement intégré, cède progressivement la place à un système décentralisé, interconnecté et transfrontalier, où la production et la consommation locales – en particulier grâce au solaire résidentiel et à l’éolien – prennent une importance croissante.

Cette mutation repose sur le développement des « smart grids » (réseaux électriques intelligents). L’amélioration de l’interconnexion entre les systèmes nationaux permet non seulement d’optimiser les échanges transfrontaliers, mais aussi de renforcer la sécurité d’approvisionnement énergétique dans un contexte géopolitique marqué par de fortes incertitudes. Le réseau électrique européen, le plus vaste au monde, s’appuie sur 11,3 millions de kilomètres de lignes et de câbles, couvrant les besoins de quelque 266 millions de clients. Il est exploité par 2 500 gestionnaires de réseaux de distribution (GRD) et 30 gestionnaires de réseaux de transport (GRT), qui assurent l’interconnexion entre les 27 membres de l’UE. En février 2025, les trois États baltes ont finalisé leur synchronisation avec le réseau continental européen, rompant avec la Russie et renforçant ainsi leur sécurité énergétique.

Les enjeux à venir

La panne survenue en Espagne et au Portugal soulève des questions sur la fiabilité du réseau européen, qui doit être profondément modernisé pour répondre aux défis de l’électrification dans un contexte de changement climatique. L’âge moyen des infrastructures est élevé : près de 40 % des réseaux de distribution ont plus de 40 ans, alors que la durée de vie des lignes oscille entre 40 et 60 ans. Les investissements nécessaires sont colossaux : la Commission européenne les évalue entre 2 000 milliards et 3 000 milliards d’euros d’ici à 2050. La stabilité repose sur un équilibre permanent entre l’offre et la demande, l’électricité ne pouvant être stockée en masse. Toute rupture, même brève, de cet équilibre peut entraîner des coupures automatiques, comme ce fut le cas le 28 avril 2025. L’interconnexion présente des atouts – elle permet à chaque pays d’être successivement importateur ou exportateur selon les besoins –, mais elle amplifie aussi les effets domino.

Les vulnérabilités du système ne sont pas nouvelles. En novembre 2006, une défaillance en Allemagne avait privé 15 millions d’Européens de courant en quelques secondes. Mais la panne géante d’avril 2025 en Espagne et au Portugal montre que, malgré l’interdépendance du réseau, sa résilience reste perfectible. Les infrastructures électriques européennes sont soumises à un double défi : elles doivent croître et se transformer pour répondre aux enjeux de transition, tout en adoptant une gouvernance partagée. L’intégration renforce l’échelle européenne, parfois au détriment des souverainetés nationales, suscitant des tensions entre l’UE, les États et les collectivités locales. Tandis que Bruxelles promeut un réseau supranational, des acteurs de proximité défendent une approche décentralisée, fondée sur les territoires et les smart grids. Cette diversification des modèles pose donc des questions de planification, d’acceptation sociale et de gouvernance.

Si l’interconnexion croissante du réseau est indispensable, elle accroît également sa vulnérabilité. La multiplication des sources non pilotables (solaire, éolien) complique la gestion en temps réel du système. À ces défis s’ajoutent les menaces liées au changement climatique, aux cyberattaques et au terrorisme. Des projets européens visent à anticiper ces risques. La sécurité énergétique ne peut plus être envisagée comme une question technique ; elle exige une mobilisation politique et stratégique à tous les niveaux. 

Le réseau électrique européen


Éric Janin

Laura Margueritte

areion24.news