Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

mardi 9 décembre 2025

Manœuvre et opérations multimilieux/multichamps

 

Si les concepts d’opérations multimilieux/multichamps d’origine américaine qui se sont diffusés depuis une petite dizaine d’années représentent le dernier avatar, poussé à l’extrême, de l’approche « manœuvrière » des opérations, une autre forme d’opérations M2MC qui émerge de la guerre russo-ukrainienne les enferme dans une approche directe. Rendre de nouveau pertinente cette approche manœuvrière exige selon nous de transformer en profondeur nos systèmes de forces.

Écrire sur les opérations « multidomain », « all domain » ou, selon le terme français, Multimilieux/multichamps (M2MC), dans la manœuvre n’a rien d’évident compte tenu de l’ambivalence des deux notions. Commençons par la notion de manœuvre. Sa définition dans les documents de doctrine de l’Alliance comme des nos armées reste la même depuis 1982 : « L’emploi des forces sur le champ de bataille combinant le mouvement, le feu effectif ou potentiel [et les “effets immatériels”, rajoute la doctrine de l’armée de Terre], en vue de se mettre en position favorable par rapport à l’ennemi pour accomplir la mission donnée. » En réalité, cette définition masque selon nous au moins deux acceptions différentes de la notion de manœuvre :

• la manœuvre en tant qu’approche opérationnelle particulière : la « maneuver warfare » ou « approche manœuvrière » qui vise à la dislocation du système adverse et s’oppose ainsi à « l’approche directe », la destruction de l’ennemi par le détail (« l’attrition warfare » chez les Anglo – Saxons). C’est explicitement la doctrine de la composante terrestre de l’OTAN : « L’approche manœuvrière est la philosophie opérationnelle de la composante terrestre, dans laquelle il est primordial de briser la cohésion globale et la volonté de combattre de l’ennemi plutôt que ses forces et son équipement. L’approche manœuvrière est une approche indirecte qui met l’accent sur le fait de cibler la composante morale de la puissance de combat de l’ennemi plutôt que sa composante physique. (1) » ;

• la manœuvre en tant qu’enchaînement des effets et des actions militaires quelles que soient l’approche ou la combinaison d’approches retenue, directe ou indirecte. Cette acception générique est par exemple celle de la doctrine de l’armée de Terre dans laquelle l’« idée de manœuvre » est synonyme de « mode d’action », qui va donner corps au concept d’opération. Dans cette acception, toute campagne, opération ou bataille, du niveau stratégique au niveau tactique, implique une manœuvre.

Nous retiendrons donc pour notre propos d’une part l’« approche manœuvrière », d’autre part le terme de « manœuvre générique », faute de mieux. Quant à l’approche M2MC des opérations, il s’agit, en résumant, de coordonner, de synchroniser, voire d’intégrer les effets recherchés et/ou les actions entreprises dans les différents milieux (terrestre, naval, aérien, spatial et cyber) et champs (électromagnétique et informationnel) pour démultiplier l’efficacité et l’efficience de la force (2). Le M2MC est, depuis toujours, consubstantiel des niveaux de conception de la stratégie opérationnelle et de la manœuvre d’ensemble sur un théâtre. Un premier enjeu des développements actuels est alors de mieux intégrer à ces niveaux les éléments les plus novateurs (notamment les milieux cyber et spatial). Un second, plus ambitieux encore, est de développer ces synergies au niveau tactique, de la bataille et même de l’engagement, et dans les cycles de conduite, y compris d’opportunité. Cela dit, il existe déjà de multiples « îlots » multimilieux à ces niveaux, parfois depuis des siècles. Pensons aux opérations amphibies puis aux opérations aéroportées et à l’appui aérien rapproché, ou encore à l’exploitation du champ électromagnétique, qui est forcément incluse dans les opérations menées dans chacun des milieux.

En d’autres termes, l’approche M2MC n’est ni plus ni moins qu’une « inclusivité » optimale de la manœuvre, dans son sens générique, du niveau stratégique au niveau tactique. Plus intéressante est la relation avec l’acception « approche manœuvrière ». Chez les Américains, initiateurs du concept, les Joint all domain operations (JADO) et, avant, les Multidomain operations (MDO) ne sont que l’aboutissement conceptuel de la marche vers l’intégration interarmées, la jointness, lancée dans les années 1980. Elles sont promues au sein de forces américaines baignant dans un « référentiel » – un cadre d’interprétation – privilégiant l’approche manœuvrière. La « convergence des effets » (pour reprendre le terme de l’US Army) vise à créer et à exploiter des « fenêtres de supériorité » permettant de manœuvrer dans les différents domaines et finalement à disloquer le dispositif de déni d’accès et d’interdiction de zone (le fameux A2/AD) de l’ennemi (avant tout chinois).

Les MDO/JADO sont donc la traduction à l’échelle interarmées de l’esprit de la combined arms maneuver, la manœuvre interarmes. Notons néanmoins que les effets de cette manœuvre passent au premier chef par l’intégration des feux.

L’omniprésence de la manœuvre dispersée des éléments de la force et celle de la désagrégation spatiale des fonctions opérationnelles, de l’espace à la surface, qui est aussi un élément cardinal de l’approche opérationnelle américaine actuelle, reste plus un impératif de résilience face au ciblage adverse qu’un impératif d’efficacité opérationnelle. Nos forces, elles aussi, privilégient l’approche indirecte, ce qui, dans l’armée de Terre, se traduit par une recherche de la « supériorité par la manœuvre » qui repose d’ailleurs plus qu’outre – Atlantique sur le mouvement opérationnel des unités.

Or, la guerre russo – ukrainienne vient rebattre les cartes en la matière. Le conflit accouche bel et bien d’une confrontation elle aussi « M2MC », y compris à l’échelle tactique la plus basse, mais avec des manifestations que personne n’avait anticipées à cette échelle. En effet, la dronisation massive, qui devient l’une de ses caractéristiques essentielles à partir de 2023, emprunte toutes les caractéristiques d’une « micropuissance aérienne » à l’échelle de ce que les Américains appellent « l’air-ground littoral » (le littoral aéroterrestre, du sol à 1 000 m d’altitude environ) (3). Les deux belligérants y réalisent des actions d’appui, d’interdiction, de soutien et de counterair (lutte antidrone surface-air et air-air, attaque des opérateurs adverses, etc.). Cette dronisation contribue également (car elle n’est pas le seul facteur) à la diffusion de la guerre électronique au sein des unités interarmes des deux camps.

Deux ans plus tard, le résultat est sans appel : la transparence du champ de bataille et le triomphe du feu (qu’il ne faut pas limiter aux drones et aux Munitions téléopérées – MTO), au moins jusqu’à 20 km de profondeur, auxquels il faut ajouter le minage systématique ou encore la pollution du champ de bataille, asphyxient toute velléité de manœuvre tactique un tant soit peu structurée et forcent à une désagrégation des unités jusqu’au groupe de combat. Les deux belligérants, confrontés à des taux d’attrition en véhicules de combat qu’ils ne peuvent compenser à la longue, se « démécanisent ». Au final, ce champ de bataille M2MC aboutit au blocage tactique que l’on sait, à l’ornière d’une approche directe qui s’auto – entretient. Le mécanisme de défaite se réduit alors à l’usure qui doit aboutir soit à une rupture stratégique ukrainienne si l’on est Russe, soit à un épuisement de la posture offensive russe, si l’on est Ukrainien. Autre différence d’importance avec les concepts MDO/M2MC originaux, le conflit ukrainien est marqué par une forte hétérogénéité dans l’intégration des moyens qui procède surtout d’une approche pragmatique et très sélective. Les cycles reconnaissance/frappe ukrainiens et russes semblent par exemple très bien intégrés, mais aucun des deux belligérants ne dispose d’un SIC C2 unifié.

S’agit-il d’un « modèle » pour les guerres futures ? L’avènement des opérations M2MC à l’échelle tactique entraîne-t‑il un bouclage séculaire des formes de confrontation aéroterrestre, le retour au primat d’une approche directe par la guerre de positions du même ordre que celle vécue lors de la Première Guerre mondiale ? Distinguer « le conjoncturel du structurel », comme le dit le général Schill, n’a rien d’aisé. Nous aurions cependant tendance à répondre par l’affirmative, du moins en ce qui concerne le combat aéroterrestre et sous certaines conditions. Il est bien évident que chaque conflit est unique dans son essence et ses caractéristiques stratégiques, mais, dans ses formes technico – opérationnelles, il reste façonné par les tendances préexistantes autant qu’il les infléchit à son tour.

Au moins deux grands facteurs y contribuent. Tout d’abord, la dronisation, sur le principe, apparaît « combat proven », quelles que soient ses traductions concrètes qui ne cessent d’évoluer au gré des cycles rapides et permanents d’adaptation/contre – adaptation et des avancées technologiques. Elle tient dans une large mesure à flot l’armée ukrainienne depuis deux ans. Ce n’est pas tant que les MTO, les drones de bombardement et autres soient nettement plus efficaces que les moyens « classiques » (mortiers, artillerie canon, frappes aériennes, etc.) : la dronisation permet surtout, et c’est le second grand facteur, de disposer d’une masse inégalable de moyens ISR et d’effecteurs parce qu’elle est directement tirée des technologies commerciales civiles. Dans le cas ukrainien, et secondairement russe, cette dronisation massive est intervenue dans une certaine mesure par accident, faute au premier chef d’un volume suffisant d’obus et de pièces d’artillerie. Or, rien n’indique que les capacités industrielles, même celles des plus grandes puissances, en dépit de leurs extensions actuelles, seront suffisantes à l’avenir pour produire les quantités de munitions permettant de soutenir dans le temps une campagne de haute intensité.

L’un des arguments souvent entendus pour minimiser la portée de ce qui se trame en Ukraine réside dans la faiblesse des puissances aériennes des deux belligérants. Il était tout à fait recevable jusqu’au début de 2023, mais la puissance aérienne est revenue sur le devant de la scène. Par exemple, en 2024, si l’on se limite à la bataille aéroterrestre, les VKS russes ont largué – selon les Ukrainiens (4) – 40 000 bombes FAB guidées par GNSS (5) sur le front et dans la profondeur tactique et en auraient commandé 75 000 en 2025, soit un volume de feu que seuls les Américains ou les Chinois peuvent égaler, sans qu’il provoque la rupture tant espérée à Moscou. Certes, les VKS ne disposent ni de la compétence ni des renseignements de leurs homologues occidentaux en matière de ciblage et le kit de guidage UMPK de ces bombes était, au moins initialement, beaucoup moins précis que celui des munitions équivalentes occidentales (JDAM, Hammer, etc.). Cependant, les Russes rattrapent progressivement leur retard et les munitions guidées occidentales guidées par GPS les plus anciennes peuvent être tout aussi affectées par le véritable barrage de brouillage mis en œuvre par les forces terrestres (6).

Les implications sont critiques pour nos modèles de force, car, dans de telles configurations, l’approche manœuvrière devient tout simplement impossible ou réservée à des conditions d’asymétrie capacitaire très spécifiques. Le déblocage tactique, le retour à de plus amples possibilités d’approche indirecte, reste alors probablement tributaire, au moins en partie, au niveau tactique bas, de l’aptitude à obtenir des supériorités partielles et transitoires dans le « littoral aéroterrestre », notamment par un effort concentré de contre – ISR, et, plus largement, à des échelles tactiques plus élevées, des effets de « façonnage » suffisamment massifs dans la grande profondeur opérationnelle pour saccager le dispositif terrestre de l’adversaire, notamment sa logistique, et lui interdire de déployer dans la zone de contact la masse de moyens permettant d’imposer cette approche directe.

Cela implique de disposer d’importants moyens ISR pour assurer la capacité de ciblage requise d’un grand nombre de cibles payantes et de suffisamment d’effecteurs de précision pour assurer des frappes relevant de l’attrition. Cela ne peut passer que par un « high-low mix » de moyens clairement multimilieux : dans le domaine ISR, il implique l’intégration systématique des données spatiales, une énorme masse de drones ISR, de relais peu coûteux, ainsi que de capteurs déposés, notamment ESM (mesures de soutien électroniques). Il repose sur une combinaison de l’ensemble des effecteurs disponibles. Les frappes aériennes d’interdiction en restent une composante critique, d’autant que le coût des munitions aérolarguées – de la bombe guidée au missile de croisière – baisse, permettant leur production en plus grand nombre. Mais le nombre de plateformes restera en général trop limité, surtout si elles doivent en parallèle acquérir et maintenir la supériorité aérienne et exercer des effets dans la profondeur stratégique.

Ces feux doivent donc incorporer beaucoup plus significativement l’artillerie, dont le gradient de densité de feu va se décaler dans la profondeur, car le remplacement partiel à moyen terme de la roquette par les obus propulsés jusqu’à 50-60 km et, d’ores et déjà, du missile tactique par la roquette de portée étendue jusqu’à 100 km permettent de diminuer le coût par effet à une portée donnée. Un tel high-low mix doit enfin inclure un très grand nombre de MTO multimilieux à longue portée. En outre, la capacité à intégrer ces feux dans les complexes reconnaissance/frappe est cardinale même si la mise en œuvre de solutions « low cost », très évolutives, se paie mécaniquement par une intégration moins systématique que celle envisagée par les concepts M2MC occidentaux. Cette exigence de high-low mix se retrouve aussi, bien sûr, sur le plan défensif, notamment avec des défenses sol-air devant se massifier et abaisser leurs coûts par effet face à la noria de MTO et de drones adverses. Elle impose aussi une généralisation de la guerre électronique au sein des forces. Elle implique enfin une véritable manœuvre M2MC intégrant ces composantes offensives et défensives pour prendre l’ascendant dans le littoral aéroterrestre.

En fin de compte, une révision des approches M2MC « originales », intégrant la dronisation massive et les high-low mix de capacités, pourrait représenter, toutes choses étant égales par ailleurs, la meilleure, voire la seule, solution à terme pour débloquer une confrontation figée dans l’approche directe… par l’action multimilieux. Cela impose à nos systèmes de forces une transformation en profondeur. Elle touche la doctrine, l’organisation et l’équipement de nos forces et, au-delà, les processus d’acquisition de ces moyens et l’écosystème permettant leur développement rapide et leur fabrication en masse.

Notes

(1) NATO, « AJP-3.2 Allied Joint Doctrine for Land Operations Edition B », version du 1er février 2022, p. 37.

(2) Voir pour plus de détails Philippe Gros et coll., « Intégration multimilieux/multichamps : enjeux, opportunités et risques à horizon 2035 », rapport FRS de l’étude prospective et stratégique 2021-08 au profit du CICDE, mars 2022 (https://www.defense.gouv.fr/sites/default/files/dgris/l%27EPS%202021-08%20M2MC%20enjeux%2C%20opportunités%20et%20risques%20à%20l%27horizon%202035-2040.pdf).

(3) Amos C. Fox, « Army Aviation and Decisiveness in the Air-Ground Littoral », Land Warfare Paper 163, 22 août 2024 (https://​www​.ausa​.org/​p​u​b​l​i​c​a​t​i​o​n​s​/​a​r​m​y​-​a​v​i​a​t​i​o​n​-​a​n​d​-​d​e​c​i​s​i​v​e​n​e​s​s​-​a​i​r​-​g​r​o​u​n​d​-​l​i​t​t​o​ral).

(4) Ministère de la Défense ukrainien, « In April, russian aviation dropped over 5,000 guided aerial bombs », 1er mai 2025 (https://​mod​.gov​.ua/​e​n​/​n​e​w​s​/​i​n​-​a​p​r​i​l​-​r​u​s​s​i​a​n​-​a​v​i​a​t​i​o​n​-​d​r​o​p​p​e​d​-​o​v​e​r​-​5​-​0​0​0​-​g​u​i​d​e​d​-​a​e​r​i​a​l​-​b​o​mbs).

(5) Global navigation satellite system : GPS, Galileo, Glonass, etc.

(6) Sam Cranny-Evans, « Blood and dust: The rise of Russia’s glide bombs », European Security and Defense, 15 juillet 2025 (https://​euro​-sd​.com/​2​0​2​5​/​0​7​/​a​r​t​i​c​l​e​s​/​a​r​m​a​m​e​n​t​/​4​5​3​8​2​/​b​l​o​o​d​-​a​n​d​-​d​u​s​t​-​t​h​e​-​r​i​s​e​-​o​f​-​r​u​s​s​i​a​s​-​g​l​i​d​e​-​b​o​mbs).

Philippe Gros

areion24.news

Le ministère des Armées veut exploiter les données satellitaires commerciales pour surveiller la Très Haute Altitude

 



Comprise entre la fin de l’espace aérien contrôlé [20 km] et le début de l’espace extra-atmosphérique [100 km], la Très Haute Altitude [THA] est une zone qui est en passe de devenir un nouveau domaine de conflictualité à cause d’un cadre juridique censé la réglementer imprécis, faute de consensus sur ses limites.

« C’est un Far West que nous devons absolument investir », résume le général Jérôme Bellanger, le chef d’état-major de l’armée de l’Air & de l’Espace [CEMAAE]. Et cela pour deux raisons : si la THA peut offrir plusieurs avantages dans les domaines du renseignement, de la guerre électronique ou encore des télécommunications, grâce à l’utilisation d’aérostats, elle est aussi une source de menaces pour les mêmes raisons. L’affaire du ballon chinois qui a survolé les États-Unis, en 2023, en est la démonstration.

Aussi, la stratégie pour la THA que le ministère des Armées a récemment dévoilée repose sur trois piliers : « détecter », « intercepter » et « opérer ».

S’agissant du volet « intercepter », l’armée de l’Air & de l’Espace [AAE] a démontré qu’elle était capable de détruire une cible évoluant dans la THA en abattant des ballons stratosphériques avec des missiles air-air MICA tirés par un Rafale et un Mirage 2000-5.

« S’agissant de la neutralisation, l’essai réalisé sur Rafale-Mirage 2000 pour abattre un ballon situé à une altitude de 20 kilomètres, voire au-delà, a été réussi. Nous ferons un nouveau test, avec un autre type de missile, en janvier. Sachez qu’il y a, sur nos plots de posture permanente de sûreté aérienne [PPSA], des missiles modifiés qui peuvent éventuellement neutraliser des ballons détectés un peu plus haut », a d’ailleurs confié le général Bellanger aux sénateurs de la commission des Affaires étrangères et de la Défense, en octobre dernier.

Seulement, pour « intercepter », encore faut-il pouvoir « détecter ». D’où la relance du développement du radar transhorizon Nostradamus.

Selon l’Office national d’études et de recherches aérospatiales [ONERA], ce radar, dont les antennes occupent une surface de 12 hectares dans l’enceinte de l’ancienne base aérienne de Dreux-Louvilliers, sera capable de détecter tout objet volant [même furtifs] à une distance comprise entre 500/800 et 2 500/3 000 km, sur 360 degrés.

« Compte tenu de la prolifération des menaces, il est indispensable d’être capable de détecter, d’identifier et d’intercepter dans la très haute altitude. Le radar transhorizon Nostradamus devient ainsi l’un des maillons du dispositif d’alerte avancée que nous souhaitons souverain et pour lequel un investissement en sur-marche de 60 millions d’euros permettra de passer à l’échelle », a expliqué le CEMAAE, lors d’un récente audition à l’Assemblée nationale.

Sauf que, comme l’a souligné Emmanuel Chiva, l’ex-Délégué général pour l’armement, Nostradamos « ne peut pas tout détecter à lui tout seul, notamment parce qu’il est dépendant des conditions atmosphériques ». Aussi faut-il développer des capacités complémentaires, comme des radars UHF, par exemple. Mais pas seulement.

En effet, la semaine dernière, l’Agence de l’innovation de défense [AID] a fait savoir qu’elle venait de lancer le projet d’accélération d’innovation Stratowatch, en partenariat avec l’AAE et avec l’entreprise Kayrros, spécialiste de l’analyse de données satellitaires grâce à l’intelligence artificielle [IA].

Il s’agit ainsi de « renforcer la capacité nationale de détection des objets qui opèrent en très haute altitude grâce à l’exploitation de données satellitaires ouvertes et commerciales », a indiqué l’AID.

« En mobilisant l’expertise de Kayrros […], le projet vise à démontrer que des capteurs civils peuvent contribuer efficacement à la surveillance de la THA encore peu maîtrisée. En exploitant l’intelligence artificielle et des données satellitaires en sources ouvertes, il permet d’expérimenter une nouvelle solution, complémentaire des dispositifs souverains de surveillance et conforme à l’ambition du ministère : être présent dès aujourd’hui dans un espace qui structurera les équilibres de demain », a expliqué l’AID.

L’objectif est de détecter, de caractériser et de suivre quasiment en temps réel des ballons stratosphériques. Voire d’autres objets évoluant dans la THA, comme les avions solaires.

« À moyen terme, Kayrros pourrait fournir, avec des délais très courts et des conditions de performance et de coûts très compétitives, de nouvelles applications géospatiales duales pour le ministère des Armées, en fonction de ses besoins », a conclu l’AID.

opex360.com

Dédiée au renseignement militaire, la base de Creil a été survolée par des drones inconnus

 


Dans la soirée du 4 décembre, le bataillon de fusiliers marins « de Morsier » a tenté d’abattre, avec des fusils brouilleurs, cinq drones inconnus qui venaient d’être détectés « techniquement » au-dessus de la base navale de l’Île-Longue, antre des quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins [SNLE] de la Force océanique stratégique [FOST].

« Les infrastructures sensibles n’ont pas été menacées », a rassuré le capitaine de frégate Guillaume Le Rasle, le porte-parole de la préfecture maritime de l’Atlantique, auprès de l’AFP. « Il est trop tôt pour caractériser » l’origine de ces drones, a-t-il ajouté, avant d’estimer que cet incident avait « pour d’inquiéter la population ».

Ayant ouvert une enquête judiciaire, le parquet militaire de Rennes a précisé, plus tad, qu’aucun drone n’avait été abattu et que leur télépilote restait inconnu. « Aucun lien avec une ingérence étrangère n’est donc fait à ce stade », a déclaré Frédéric Teillet, le procureur. En outre, a-t-il ajouté, les investigations doivent « confirmer ou non qu’il s’agit bien de drones  » et déterminer « le type et le nombre d’engins ».

Cela étant, la semaine précédente, le Pôle Interarmées de Creil-Senlis [ex-BA 110], qui abrite notamment les organismes techniques de la Direction renseignement militaire [DRM], a aussi été survolé par des drones inconnus. Révélée par Jean-Marc Tanguy via le site du magazine Air & Cosmos, le 8 décembre, cette information a été confirmée auprès de l’AFP par le Service d’informations et de relations publiques de l’armée de l’Air & de l’Espace [SIRPA Air].

« Dans le cas de la nuit du 26 novembre , la présence effective de plusieurs drones est avérée », a-t-il affirmé, sans aller jusqu’à confirmer des tirs avec des armes de calibre 12 pour les neutraliser, comme l’a avancé Air & Cosmos, qui évoque l’intrusion de six engins.

Un hélicoptère Fennec, utilisé pour appliquer les mesures actives de sûreté aérienne [MASA] a été mobilisé mais les drones s’étaient éclipsés avant son arrivée sur place. Une plainte a été déposée et une enquête est en cours. Pour le moment, « tout lien avec des provocations étrangères est à ce stade prématuré », avance le SIRPA Air.

Mais, toujours selon ce dernier, deux autres cas de survols de drones auraient eu lieu dans les nuits du 28 et du 30 novembre. Mais pour l’instant, il n’y a aucune certitude, les « conditions météorologiques [nuit, brouillard épais et plafond bas] n’ayant pas été propices « à une levée de doute irréfutable ». Et d’ajouter que ces « conditions très particulières expliquent durant la soirée les nombreuses confusions entre les avions en approche [de Roissy] et de possibles drones ».

Lors d’une audition à l’Assemblée nationale, en novembre, le général Marc Le Bouil, commandant de la défense aérienne et des opérations aériennes [CDAOA], a, en quelque sorte, mis en garde contre un « syndrome du périscope ».

Au début des années 1980, un sous-marin soviétique s’était échoué dans l’archipel de Karlskrona, en Suède. Ce qui donna lieu ensuite à de nombreux signalements de submersibles présumés soviétique dans les eaux suédoises… Signalements qui ne furent presque jamais corroborés par des éléments probants. D’où le « syndrome du périscope ». En ira-t-il de même avec les drones ?

Quoi qu’il en soit, pour le général Le Bouil, la « difficulté, c’est d’être sûr de ce qu’on a vu » car « de nuit, j’ai vu un certain nombre de bases où des personnes voyaient des drones et qui correspondaient aux traces radar des avions de ligne qui passent à la verticale de la base ».

opex360.com

Poutine en Inde : tapis rouge mais résultats en demi-teinte

 

Vladimir Poutine a été accueilli en grande pompe à New-Delhi les 4 et 5 décembre derniers pour célébrer les 25 ans du partenariat stratégique indo-russe. Sa délégation était vaste, les thèmes de discussion nombreux, mais pas d’annonce majeure sur l’énergie ou les contrats de défense. Narendra Modi garde manifestement des cartes en main pour finaliser ses négociations avec Washington.

Accueilli personnellement par Narendra Modi à sa descente d’avion pour un dîner en tête à tête, hôte d’un banquet d’Etat offert en son honneur au Rashtrapati Bhavan – le palais présidentiel – par la présidente de la République indienne Droupadi Murmu, co-président d’un forum d’affaires réunissant la fine fleur des grandes entreprises de deux pays, Vladimir Poutine a bénéficié d’un accueil exceptionnel durant son séjour de 48 heures en Inde. Cette visite est pour lui la dixième en tant que président de la fédération de Russie. Elle est l’occasion de fêter le 25ème anniversaire du « partenariat stratégique » qu’il avait établi en octobre 2000 avec le premier ministre indien de l’époque, Atal Bihari Vajpayee.

Lors d’une conférence de presse conjointe le 5 décembre, Narendra Modi soulignait que « l’amitié entre l’Inde et la Russie a réussi à surmonter les nombreuses crises internationales des dernières décennies, et nos relations restent fondées sur le respect mutuel et une profonde confiance. » Continuité, respect mutuel et confiance sont les mots clés d’une communication conjointe qui s’adresse manifestement d’abord aux Etats-Unis, mais également à la Chine, qui n’a pas le monopole de l’« amitié sans limites, » voire à l’Union européenne qui cherche encore à peser sur les choix stratégiques de l’Inde. La réalité des relations bilatérales est en fait loin d’être stable. Elle est certes marquée par une dynamique incontestable ces dernières années mais aussi par des enjeux en constante évolution.

Des échanges commerciaux en rapide mutation

Jusqu’au lancement de l’« opération spéciale » déclenchée par Vladimir Poutine en Ukraine en février 2022, les relations économiques entre l’Inde et la Russie avaient une portée modeste, avec un commerce bilatéral limité à 12 milliards de dollars. La Russie exportait sur le marché indien des quantités restreintes de pétrole et de charbon, des perles naturelles et des fertilisants. L’Inde exportait encore moins vers le marché russe (un peu plus de 3 milliards de dollars en 2021, soit à peine 0,6% de ses exportations globales).

Les choses changent brutalement avec l’invasion de l’Ukraine. L’Inde, officiellement neutre face à ce conflit, profite de l’embargo occidental sur les produits énergétiques russes et des « discounts » (environ 12 dollars par baril) que lui propose la Russie pour acheter massivement du pétrole et du charbon russe. En trois ans, la part de la Russie dans les importations indiennes de pétrole brut passe de 2,5 à 36%, selon une étude de la Carnegie Foundation publiée le 20 novembre dernier. Les exportations indiennes vers la Russie ne progressent en revanche que modestement et le déficit bilatéral de l’Inde explose, frôlant les 60 milliards de dollars en 2024.


Source : International Trade Center


Le 27 août dernier un nouveau choc géopolitique déstabilise la dynamique des échanges énergétiques entre la Russie et l’Inde. Donald Trump décide de taxer les exportations indiennes à 25%, auxquels s’ajoutent 25% supplémentaires en raison des achats massifs de pétrole en provenance de Russie. Trump renforce la décision du 27 août en ciblant directement les compagnies russes Lukoil et Rosfnet, qui livrent 60% du pétrole destiné à l’Inde (une décision qui a pris effet le 21 novembre). L’exaspération en Inde est d’autant plus forte qu’elle est le seul pays à être sanctionné pour acheter des produits énergétiques russes. La Chine, premier importateur de la Russie, ne l’est pas. L’Union européenne non plus, ou du moins pas encore.

Cette anomalie a été soulignée par Vladimir Poutine dans une interview donnée à India Today à la veille de sa visite : « les Etats-Unis nous achètent de l’uranium enrichi pour leurs centrales nucléaires. C’est aussi du combustible. Si les États-Unis se donnent le droit de nous acheter du combustible, pourquoi l’Inde devrait-elle être privée d’un tel droit ? »

Diversification et rééquilibrage

Au-delà du débat sur le pétrole, la visite de Vladimir Poutine est l’occasion pour l’Inde, qui a besoin de nouveaux débouchés pour compenser les barrières tarifaires érigées par les Etats-Unis, d’accroître et diversifier ses exportations vers la Russie. Le président russe a affiché son ouverture sur le sujet, déclarant que « la Russie est prête à accroître significativement ses achats de biens et services indiens, en tenant compte de son excédent commercial. » La cible d’un commerce bilatéral porté à 100 milliards de dollars en 2030 a été fixée dans le communiqué conjoint publié à l’issue de la visite.

Plusieurs accords signés se situaient dans cette optique de rééquilibrage. La Russie a élargi la liste des entreprises indiennes autorisées à exporter des produits laitiers et des fruits de mer sur le marché russe. Le groupe russe Ultrachem a signé une lettre d’intention avec plusieurs entreprises indiennes du secteur des fertilisants pour la création à proximité de la frontière entre les deux pays d’une usine de production d’urée de grande capacité qui permettra de réduire les coûts de la filière pour les opérateurs indiens. Les douanes des deux pays ont signé un protocole d’accord pour la facilitation des échanges. Les discussions s’accélèrent pour la signature d’un traité bilatéral de protection des investissements et la mise en place d’un accord de libre-échange entre l’Inde et l’Union économique d’Eurasie.

Sur le plan monétaire, le recours aux devises des deux pays est déjà très avancé. Il atteindrait plus de 90% du commerce bilatéral selon les sources russes, essentiellement parce que l’Inde achète le pétrole russe en roupies, ce qui constitue clairement un avantage supplémentaire pour New Delhi (c’est aux Russes de se débrouiller avec leurs avoirs en roupies qui s’accumulent dans le système financier indien).

La coopération dans le nucléaire civil était également au cœur des discussions, avec comme projet phare la centrale nucléaire de Kudankulam, dont deux tranches sont en fonctionnement et quatre autres en phase de finalisation, ainsi que la recherche d’un nouveau site, le lancement d’une coopération sur les petits réacteurs et les projets de retraitement. L’Inde s’est fixé des objectifs très ambitieux dans le nucléaire civil : porter la capacité de production électrique d’origine nucléaire de 9 gigawatts aujourd’hui à 100 Gigawatts en 2047 (date du centième anniversaire de l’indépendance). La Russie fait clairement partie des partenaires majeurs dont elle a besoin pour s’approcher de cette cible.
Un accord de facilitation pour les échanges de travailleurs qualifiés est en phase de finalisation, pour augmenter la présence en Russie des travailleurs indiens dans différents domaines – construction, santé, tourisme – dans un contexte où la Russie connaît un déficit structurel de travailleurs qualifiés.
Ces perspectives sont bienvenues pour l’Inde mais restent modestes par rapport aux deux enjeux majeurs que représentent l’énergie et la défense.

Modi très prudent sur les sujets clés

Face aux sanctions américaines sur le pétrole, Vladimir Poutine a promis des « fournitures ininterrompues de produits pétroliers à l’Inde. » Narendra Modi ne s’est pas exprimé directement sur le sujet. S’agissant de l’Ukraine, il a souligné que l’Inde n’était pas neutre, mais qu’elle soutenait « la paix. » Pour autant, aucune mention de l’Ukraine ne figure dans le communiqué conjoint. L’article publié dans le Times of India le 30 novembre par les ambassadeurs de France, d’Allemagne et du Royaume Uni intitulé « le monde veut la fin de la guerre en Ukraine, mais la Russie ne paraît pas sérieuse en matière de paix » a été jugé « inacceptable » par les autorités indiennes.

Brahma Chellaney, professeur d’études stratégiques au Center for Policy Research de New-Delhi, donnait, lors d’un débat récent organisé par la chaîne d’information Al Jazeera, des éléments de contexte intéressants sur l’attitude indienne face aux sanctions américaines. Il rappelait qu’en 2019 les Etats-Unis avaient menacé de sanctions les pays qui continueraient à acheter du pétrole iranien au moment où Washington s’était retiré de l’accord de non-prolifération nucléaire avec l’Iran. L’Inde avait fini par accepter de ne plus acheter de pétrole iranien. La Chine en avait aussitôt profité pour accroître ses propres achats à des prix très compétitifs, devenant à bon compte le principal acheteur de pétrole iranien. L’Inde était apparue comme le « looser » de cette séquence géopolitique et il n’est pas question pour Narendra Modi de recommencer.

Pour autant les opérateurs indiens ne peuvent pas ignorer les sanctions américaines. Ils ont commencé dès le mois de novembre à réduire leurs achats de pétrole russe. La chute pourrait atteindre plus de 30% au cours du dernier trimestre de l’année 2025. Dans le même temps, les opérateurs indiens ont commencé à acheter davantage de pétrole américain (un demi-million de barils/jour fin octobre 2025). A défaut d’un engagement formel de ne plus acheter de pétrole russe qui est clairement inacceptable pour Modi, un réajustement à la baisse des livraisons russes et à la hausse des livraisons américaines est en cours, en attendant une hypothétique avancée sur le règlement du conflit avec l’Ukraine.

La même prudence caractérise l’attitude de Modi en matière de défense, où la Russie demeure le premier partenaire de l’Inde. Alors que Moscou annonçait des accords possibles en matière de missiles sol-air et de contrats aéronautiques, rien n’a été officialisé à l’issue de la rencontre entre les deux ministres de la défense. Une première partie du problème vient de la Russie elle-même, qui a le plus grand mal à respecter les délais des contrats en cours, en particulier celui relatif aux missiles sol-air S400, en raison des priorités liées à la guerre en Ukraine. Une autre partie vient de l’Inde, qui accorde une priorité maximale à la localisation de son industrie de défense, ce qui retarde les décisions sur les grandes commandes d’aéronautique militaire. Les discussions sur la livraison par la Russie du SU57, chasseur furtif de cinquième génération, se heurtent probablement à cette exigence indienne. Une troisième partie est liée aux discussions en cours avec Washington, qui ont également un volet militaire important.

Globalement, la visite de Vladimir Poutine en Inde est caractéristique du jeu d’équilibre instable auquel se livrent actuellement les quatre grandes puissances de la planète (Etats-Unis, Chine, Inde et Russie) pour préserver les alliances traditionnelles, gagner des points dans les rivalités stratégiques, diversifier les partenariats et mettre au premier plan l’intérêt national, l’Union européenne apparaissant comme un « junior partner » dans ce complexe jeu de Go.

Narendra Modi n’accueillera pas Donald Trump en Inde avant la fin de l’année pour le prochain sommet de la Quad (dialogue quadrilatéral pour la sécurité réunissant Etats-Unis, Inde, Japon et Australie) dont il sera l’hôte. A la demande américaine, la rencontre a été reportée au premier trimestre 2026, ce qui signifie que les discussions bilatérales en cours sont laborieuses. On peut cependant parier qu’elles vont aboutir car un axe Inde/Etats-Unis plus stable est dans l’intérêt des deux pays.

Hubert Testard

Les services de renseignement russes et américains sont en contact

 

Le chef des espions russes Sergueï Narychkine a déclaré mardi que les services de renseignement russes et américains maintiennent des contacts entre eux, selon un rapport de l’agence de presse russe Interfax.

La déclaration de Narychkine, qui dirige le service de renseignement extérieur de la Russie, confirme l’existence de canaux de communication continus entre les agences de renseignement des deux puissances mondiales malgré les tensions géopolitiques plus larges.

fr.investing.com