Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

mercredi 20 novembre 2024

«Tesla-isation» des USA: derrière le vernis, de sombres réalités

 

Les Etats-Unis seront-ils désormais gérés comme une entreprise? Ce n’est pas une question en l’air. On y vient gentiment. Annoncé le 13 novembre 2024, le nouveau département de l’efficience (appelé «DOGE») créé par la future administration Trump sera attribué, dès janvier, à l’hyper-entrepreneur Elon Musk, patron de Tesla, de SpaceX et de Twitter.

Il pourra garder le contrôle de ses entreprises tout en intervenant dans la conduite du gouvernement, ce qui préfigure qu’il pourra exercer une influence sur le cadre réglementaire. Appliquant la mentalité business aux fonctions de l’Etat, Elon Musk se donne une année pour couper au moins un tiers des dépenses étatiques. C’est l’avènement de «Tesla sur D.C.».

Ou de la méthode Twitter. A la tête de la plateforme à l’oiseau bleu depuis 2022, le nouveau propriétaire a licencié 80% des effectifs. Ce serait l’équivalent d’un licenciement de 2,3 millions de personnes à l’Etat. Bien sûr, il ne pourra aller aussi loin, au gouvernement. Mais c’est uniquement parce que les fonctionnaires de l’Etat bénéficient de protections que n’avaient pas les employés de Twitter et qui pourraient le freiner. Reste que le terme «efficiency», souvent mal traduit par «efficacité», recouvre bien l’«efficience» des coûts, l’optimisation des ressources, la lutte contre le gaspillage.

Un laboratoire pour l’IA?

Il sera tentant pour Musk d’utiliser ce formidable terrain d’action qu’est l’Etat comme un laboratoire pour tester ses produits, et notamment l’IA. Il est certain que l’automatisation sera recherchée partout où c’est possible. C’est une «réforme structurelle drastique» que promet le communiqué de l’équipe Trump/Musk. Le département agira comme une sorte de consultant externe, «en partenariat» avec la Maison Blanche, pour «apporter une approche entrepreneuriale au gouvernement, jamais vue auparavant». Le tout va permettre de «libérer l’économie».

Certes, il est difficile de nier qu’il existe une lourde bureaucratie au niveau fédéral américain, dans ce pays hyperendetté qui n’a que rarement montré, dans son histoire, une capacité à la discipline budgétaire. Mais dans la vision trumpiste qui n’hésite pas à lancer «You’re fired» («vous êtes viré», allusion à son émission «The Apprentice»), s’inquiète-t-on du sort des personnes qui seront laissées sur le carreau et leurs familles?

En général, même dans un communiqué d’entreprise ou de banque, on fait preuve de responsabilité sociale en évoquant les licenciements potentiels et les mesures de replacement prévues. Si la réforme est drastique, les mesures d’accompagnement devraient l’être aussi. Mais dans le communiqué de l’équipe Trump, le sujet de l’emploi n’est nullement mentionné. Le signal n’est pas bon, quoi qu’en disent les enthousiastes de l’efficience. Le secteur public fédéral, qui est le plus gros employeur du pays, a une responsabilité sociale élevée et devrait consacrer autant de place à la réforme qu’à la gestion de ses conséquences.

Admiration et envie

Or il est frappant de constater que cette business-révolution à la tête des Etats-Unis a suscité une grande admiration dans nos milieux économiques et financiers. Sur LinkedIn, le communiqué DOGE a reçu plus d’éloges que de critiques de la part d’une communauté d’entrepreneurs, financiers et consultants irrités par les réglementations et épatés par le côté audacieux, novateur et business-friendly de la démarche Trump-Musk.

Un interlocuteur m’a répondu que «Virer des fonctionnaires qui ne font rien ne peut qu’être bénéfique pour l’économie». Pour un autre, il est temps de s’attaquer aux «planqués du secteur public». On parle de «création de valeur» pour les citoyens. On oppose ceux qui vivent la vraie vie des entreprises aux fonctionnaires sans expérience professionnelle.

Avec l’élection américaine, ces vieilles rengaines deviennent maintenant plus légitimes. Même certains qui critiquaient Trump jusqu’à récemment soulignent à quel point on aurait besoin des mêmes recettes en Europe, en Suisse, et à Genève. Evidemment, cette vision tient beaucoup du conformisme. Trump et Musk ont gagné, alors on commence à les mettre sur un piédestal. J’ai même croisé deux sosies d’Elon Musk en Suisse romande. Véridique.

C’est cette béatitude devant les gagnants du moment qui mène les gouvernements à idéaliser le privé et à faire toujours plus appel à des consultants, auxquels ils paient des fortunes. L’exemple de Macron, qui a fait intensivement appel aux conseils de McKinsey et d’autres consultants, mais aussi à ceux de Blackrock, n’est plus à démontrer. En Suisse, on assiste au même phénomène. Chaque année, la Confédération confie davantage de mandats à des consultants externes. L’opposition à cette évolution grandit d’ailleurs au Parlement.

Des milliardaires pour gérer des smicards?

Première objection: les gouvernements ne peuvent être gérés comme des entreprises. La première raison, c’est qu’on est élu. Les actionnaires, ici, c’est le peuple. Dans son ensemble. Du moins, tant que la démocratie est encore une réalité. Et les actionnaires des USA, ce ne sont pas tous des entrepreneurs milliardaires.

Ce sont en majorité des salariés aux besoins très différents de ceux qui vont gouverner le pays. Alors quand on parle d’efficience, il faut bien s’interroger: l’efficience pour qui? Si les ultra-riches n’ont aucun besoin de l’Etat (sauf pour sauver leurs entreprises et leurs portefeuilles gratuitement en cas de crise), les pauvres et les populations fragiles dépendent de l’Etat, car c’est leur ultime filet.

Certes, le langage de l’équipe Trump a convaincu une majorité d’électeurs, y compris paupérisés, car il a su parler de leurs préoccupations mieux que le camp Harris. Mais à présent que les dés sont jetés, les USA ont-ils les bonnes personnes au pouvoir pour s’occuper des problèmes aigus des Américains? Rendre le gouvernement efficient est sans doute un objectif pertinent.

Mais la réduction de l’Etat à portion congrue ne va pas aider les Américains dans leur vie de tous les jours. Leurs priorités se situent au plan des salaires, de la santé, du logement, de l’éducation, de problèmes récurrents comme les fusillades de masse. Ces problèmes sont éloignés d’un monde «multiplanétaire» et «multistellaire» rêvé par un Elon Musk qui, se situant au sommet de la pyramide de Maslow, a la tête dans les étoiles.

Elon Musk doit beaucoup à l’Etat

Deuxième objection: il est faux et caricatural de prétendre qu’il y aurait, d’un côté, les entrepreneurs, innovants, dynamiques et efficients, et de l’autre, le secteur public, inefficient, poussiéreux, avec des fonctionnaires lents et improductifs. Cette vision est peu crédible et fausse complètement la compréhension du système économique.

En réalité, ceux qui portent fièrement une vision ultra-libérale, qui pointent comme Elon Musk l’inefficience du public, doivent se souvenir combien ils doivent à l’Etat. Ont-ils oublié les sauvetages financiers et bancaires aux Etats-Unis, sans lesquels ce secteur serait resté en ruines, en raison de ses énormes dérapages, qui ont coûté au contribuable sur de multiples plans? Et que dire des multinationales du CAC 40, subventionnées en France à hauteur de montants équivalents à ceux de l’aide sociale?

L’Etat, ce monstre d’inefficience, est donc venu rattraper les plus gros ratés du privé, qui a curieusement oublié sa rengaine sur l’assistanat au moment où il en était bénéficiaire. Le premier à devoir beaucoup à l’Etat, c’est Elon Musk lui-même. Le self-made-man, venu en sauveteur restructurer un secteur public ronflant, ne serait jamais devenu première fortune mondiale sans l’Etat.

A ses débuts, Tesla peinait à lever des fonds. Jusqu’à ce que le groupe reçoive un prêt de 465 millions de dollars du Département américain de l’énergie. Les trois entreprises d’Elon Musk, Tesla, SolarCity et SpaceX, avaient ensemble bénéficié de quelque 5 milliards de dollars de soutien public sous formes diverses. Du jamais vu.

Mariana Mazzucato, économiste britannique, met en évidence cette réalité dans son ouvrage «The Entrepreneurial State»: les plus grands groupes tech américains, qu’on a longtemps représentés comme nés dans un garage et issus d’un pur esprit entrepreneurial, sont redevables à l’Etat. Sans lui, Apple et Google ne seraient rien. L’algorithme de recherche de Google a été initialement financé par la National Science Foundation (NSF), une agence publique américaine.

Pour développer les technologies qu’utilise Apple dans l’iPhone, il a fallu les contributions de recherche du CERN, du Département américain de la défense, de la NSF, de la CIA, de l’Université Stanford et de la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency). Cette dernière a investi des milliards dans les prototypes qui ont précédé des technologies commerciales comme le Windows de Microsoft, Google Maps, Linux ou le cloud. Aucun de ces géants n’aurait pu lui-même innover dans ces proportions, ni financer massivement la recherche qui a propulsé les révolutions informatique, internet et digitale.

Ces groupes ont ensuite rendu très peu à l’Etat. Ils bénéficient de lois monopolistiques trop conciliantes qui empêchent des concurrents d’émerger, comme l’explique Thomas Philippon dans «The Great Reversal». Mais on ne les entend pas beaucoup s’insurger sur une cartellisation aussi peu libérale. Ils ne partagent pas avec le secteur public leur mine d’or de méga-données qui aideraient à mener des politiques publiques plus informées et ciblées, mais qu’ils ont définitivement privatisées.

En outre, ces groupes paient le moins d’impôts possible, à l’instar des GAFA qui optimisent agressivement en Europe, et de Tesla, dont le patron nommé ministre avait déménagé au Texas en 2020 pour éviter l’impôt sur le revenu, économisant 1,1 milliard de dollars dès la première année. On voit que le privé se moque volontiers du public, mais que le premier est l’enfant gâté du second et que les flux sont à sens unique. Rien de tout cela n’est vraiment responsable et encore moins entrepreneurial.

Si le gouvernement avait été entrepreneurial lorsqu’il a financé ces technologies au départ, il aurait exigé en échange un partage des bénéfices équitable. Un flux en retour qui ne se limiterait pas aux impôts, qui ne font que financer les infrastructures nationales dont tout le monde bénéficie dès lors qu’il est sur ce territoire, mais qui serait le juste retour sur investissement d’un Etat bailleur de fonds.

Conflits d’intérêts décomplexés

Troisième objection: les conflits d’intérêts d’Elon Musk posent problème et semblent un élément saillant de cette future administration. Pratiqués de manière toujours plus décomplexée dans l’économie, ils deviennent ici une affaire d’Etat. Comme évoqué, l’homme d’affaires pourra garder le contrôle de ses entreprises. Dans un cadre politique éthique, ce serait impossible: le risque de le voir influer sur les réglementations dans un sens favorable à ses entreprises est trop évident.

Or cela ne pose aucun problème à l’administration Trump. Deuxième conflit d’intérêts, financier cette fois, l’idée d’Elon Musk de nommer son département DOGE. Ce clin d’œil non dissimulé à la cryptomonnaie dogecoin, dans laquelle il a investi depuis 2020, a fait exploser le cours, lui conférant potentiellement un enrichissement direct. Cette crypto avait été lancée comme un gag en 2013, pour se moquer des cryptomonnaies, et aurait pu avoir le destin d’un «shitcoin» comme un autre.

Sauf qu’elle a bénéficié d’une publicité inattendue de Musk lorsque en décembre 2020, il s’est amusé à tweeter «un mot: DOGE», suivi par une série d’autres tweets favorables. Cela a suffi à faire exploser le cours de 15’000% en 4 mois. Il est très probable que Musk ait conservé ses dogecoins depuis 2020, même s’il n’y a pas d’information transparente à ce sujet (une divulgation serait évidemment nécessaire).


A l’époque, cela lui a valu des accusations de manipulation de cours. Aujourd’hui, c’est bien d’un conflit d’intérêts qu’il s’agit, puisque l’annonce de son département a entraîné 250% d’envolée du dogecoin.

Pas d’alignement d’intérêts

Bref: doctrine problématique de supériorité du privé sur le public, alors que le premier a été financé, sauvé et subventionné maintes fois par le second; climat d’impunité importé du monde des affaires, conflits d’intérêts patents, référence à une crypto bidon comme credo d’efficience et de licenciements futurs. En termes de symboles, on a vu mieux.

Mais au final, la quatrième objection et la principale, Votre Honneur, je la formule en langage business: c’est l’absence d’alignement d’intérêts entre les deux businessmen milliardaires au pouvoir et la population d’un pays qui, dans sa large majorité, a des besoins aux antipodes des leurs. Ce concept d’alignement d’intérêt, cher au secteur financier et valeur cardinale de sa crédibilité, serait-il soudain tombé en désuétude dès lors qu’on bascule en politique?

En 2029, quel sera l’état de l’Amérique, où en seront les inégalités de richesses, les paramètres de développement humain, les réglementations et les impôts des entreprises, le degré de conflits d’intérêts, d’impunité du monde des affaires et de corruption institutionnelle? Cette corruption que la nouvelle administration prétend vouloir éradiquer, mais qu’elle contribue d’emblée à installer sous de nouvelles formes?

Aujourd’hui, les Etats-Unis affichent un déclin sur de nombreux paramètres. Taux de mortalité infantile record parmi les pays développés, espérance de vie en baisse, taux de pauvreté en hausse dans des régions désindustrialisées mais aussi dans des lieux où la croissance est très mal répartie comme L.A. et San Francisco, taux d’inactivité record. Ce dernier indicateur vient compléter le tableau trompeur d’un taux de chômage officiel qui lui, est plutôt bas, mais qui ne tient pas compte de toutes ces personnes sans emploi et ne cherchant pas à travailler; une définition que le BIT veut davantage prendre plus en compte pour mieux cerner les réalités modernes.

En tous les cas, il faudra faire un bilan précis et détaillé de la méthode Trump/Musk car le risque est de voir les paramètres socio-économiques du pays se détériorer plutôt que s’améliorer, et de nombreuses digues éthiques sauter au sommet de l’Etat. Il serait honnêtement surprenant que ce duo, au terme des 4 ans, n’ait pas avantagé les hauts revenus et les grandes entreprises aux dépens de tous les Américains, et n’ait pas accentué encore davantage les déséquilibres sociaux du pays.

Exercer le pouvoir politique suppose des responsabilités sociales élevées. Avoir le peuple pour actionnaire, c’est autre chose qu’avoir les investisseurs de Tesla pour actionnaires. Mais la démocratie est un vieux reste des idéaux des siècles passés. Des idéaux qui, depuis cet étrange mois de novembre 2024, semblent être devenus encore plus anachroniques.

Myret Zaki

blick.ch

La mer : colonne vertébrale de l’économie mondiale

 

Malraux écrivait que « le monde aurait pu être simple comme le ciel et la mer ». Mais la mer n’est pas qu’une vaste étendue dont la tranquillité n’est dérangée qu’au gré des humeurs changeantes du vent. Force est de constater qu’elle n’a également cessé de devenir un espace dans lequel se manifeste toute la complexité du monde. Dans ce contexte, l’économie bleue française, par son dynamisme et son importance stratégique, constitue un élément central de la puissance et de la résilience nationale, faisant de la France une nation maritime de premier plan.

Depuis l’Antiquité, où la Méditerranée représentait un enjeu stratégique pour l’Empire romain, jusqu’au Moyen Âge, où les navires vénitiens témoignaient de la puissance économique de la cité des Doges, la mer a toujours été au cœur des échanges mondiaux. Mais au XXe siècle, le commerce maritime est entré dans une nouvelle ère. En particulier depuis les années 1970, le transport de marchandises par voie maritime a connu un essor sans précédent. La mondialisation découle en effet d’une maritimisation croissante des échanges [voir p. 16]. Chaque année dans le monde, ce sont aujourd’hui environ 9 marchandises sur 10 qui transitent par voie maritime à bord de porte-conteneurs.

Des paquets de riz aux smartphones, en passant par le carburant, une immense partie des produits que nous consommons partent et arrivent d’un port. Au total, le transport maritime mondial représente un marché de près de 2 000 milliards d’euros. Mais au-delà, ce sont aussi les océans qui rendent possible la quasi-totalité de nos communications par l’intermédiaire de câbles sous-marins et qui nous fournissent en ressources fossiles et halieutiques, entre autres [voir p. 20]. 

Aujourd’hui, l’économie bleue est la colonne vertébrale de l’économie mondiale. Elle englobe tous les secteurs liés aux océans, aux mers et aux littoraux, qu’ils relèvent directement du milieu marin, comme le transport maritime, la fourniture de produits de la mer, ou du milieu terrestre, tels que les ports, les chantiers navals ou les infrastructures côtières. Toutefois, elle se trouve confrontée à des défis de taille. À l’échelle nationale, la France doit impérativement se mobiliser, car l’avenir de son économie maritime, et par extension de l’économie nationale, en dépend.

Entre tensions géopolitiques et nouveaux enjeux sécuritaires et environnementaux

L’instabilité géopolitique et la multiplication des conflits de toute nature constituent pour l’économie maritime une première difficulté notable [voir p. 27]. L’essor du commerce maritime s’inscrit dans la dynamique d’interconnexion croissante des échanges. Or, dans une économie mondialisée, les répercussions économiques des guerres et des conflits sont démultipliées. Certaines tensions géopolitiques ont tout particulièrement révélé la vulnérabilité des principales routes maritimes mondiales. Depuis fin 2023, les attaques perpétrées par les rebelles houthistes du Yémen, près du détroit de Bab el-Mandeb, conduisent plusieurs grandes compagnies du transport maritime à suspendre le passage de leurs navires dans la région, une décision non sans conséquences [voir p. 42]. 

En effet, la mer Rouge voit transiter 12 % du commerce maritime mondial de marchandises et joue un rôle crucial dans les échanges entre l’Asie et l’Europe. Renoncer à y passer et opter pour le cap de Bonne-Espérance conduit par exemple un navire voulant rallier Rotterdam depuis Shanghai à allonger sa durée de navigation de 14 jours. Or, l’allongement des routes empruntées contribue à l’augmentation de la consommation de carburant, perturbe les chaines d’approvisionnement et engendre des surcouts, surtout pour les compagnies maritimes et dans une moindre mesure pour les consommateurs.

Enjeu ancien, la piraterie affecte l’économie bleue. Dans sa conception moderne, elle cible indifféremment les navires de commerce, de pêche ou de plaisance et aggrave de surcroit l’insécurité de certaines routes maritimes. Plusieurs régions sont particulièrement touchées, parmi lesquelles le golfe de Guinée, devenu l’épicentre de l’insécurité maritime avec un tiers des actes de piraterie mondiaux, et l’Asie du Sud-Est, où les menaces d’enlèvement par des groupes criminels restent préoccupantes. Or, la piraterie en haute mer entraine des pertes financières annuelles de plusieurs milliards de dollars. Ce phénomène risque de s’intensifier, entrainant une hausse des primes d’assurance maritime et, par conséquent, une augmentation des couts de transport. Ainsi, l’un des premiers défis pour l’économie maritime est de rétablir la sécurité et la stabilité nécessaires à la prospérité des échanges.

Mais il existe aussi d’autres tensions en mer, moins visibles, mais tout aussi importantes, qui renferment des enjeux de souveraineté économique importants : la gestion et le contrôle des câbles sous-marins. Ils s’étendent sur 1 200 000 kilomètres, soit 32 fois le tour de la Terre. Les géants technologiques, tels que les GAFAM ou leurs homologues chinois tel Huawei, accroissent leur influence sur ces infrastructures vitales, soulevant des questions cruciales concernant la neutralité du net et la sécurité des communications internationales.

Les espaces maritimes et littoraux naturels sont en péril, principalement en raison des activités humaines. Les indicateurs sont alarmants, notamment sur des problématiques telles que la pollution plastique, le réchauffement climatique, l’acidification des océans, la montée des eaux, la surpêche ainsi que la diminution de la biodiversité. Bien que ces défis soient intégrés dans certains accords internationaux, comme le traité pour la protection de la haute mer et de la biodiversité marine (BBNJ), ils doivent s’accompagner d’une transition profonde de nos sociétés, incluant l’économie maritime. Au-delà de la nécessaire reconfiguration des filières existantes, le secteur maritime offre également des alternatives prometteuses, que ce soit dans le domaine énergétique avec des énergies renouvelables, en matière d’alimentation avec une aquaculture en relais de la pêche respectueuse de l’environnement, ou encore dans le domaine sanitaire grâce à la découverte de nouvelles molécules.

La transition écoénergétique de l’économie maritime : une opportunité sous tension

Les émissions de gaz à effet de serre (GES) dues au transport maritime international représentent seulement 2,89 % du total des émissions au monde (étude 2020 de l’Organisation maritime internationale — OMI). C’est le mode de transport le moins polluant à la tonne transportée.

Fort de ce constat, les organisations internationales et les États se sont engagés ces dernières années en faveur de trajectoires de réduction plus ambitieuses en ciblant spécifiquement l’économie maritime. L’Union européenne (UE), à travers le paquet « Fit for 55 », découlant du Pacte vert, et son initiative « FuelEU Maritime » adoptée en juillet 2023, doit contribuer à amorcer la production à grande échelle de carburants marins renouvelables bas-carbone, tout en garantissant la fluidité du trafic maritime. Ces initiatives doivent aussi permettre de placer le transport maritime sur la trajectoire des objectifs climatiques de l’UE pour 2030 et atteindre enfin la neutralité carbone en 2050. Pour y parvenir, l’UE s’est également engagée à soutenir le développement de la filière de l’éolien offshore en fixant l’objectif de porter la capacité européenne de production de 12 à au moins 60 GW d’ici à 2030. Sur ce volet, le président Macron a fixé l’objectif de la mise en service en France de 45 GW à l’horizon 2050 lors des « Assises de l’économie de la mer » de novembre 2023, ainsi que l’attribution de 2 GW par an dès 2025.

L’OMI a également renforcé ses positions concernant la décarbonation de l’économie maritime et des navires de ses États membres en adoptant en 2023 une stratégie révisée comprenant des objectifs revus à la hausse pour lutter contre les émissions nocives. Cette ambition commune doit permettre la réduction à zéro des émissions nettes de GES provenant du transport maritime international avant ou vers 2050. Pour ce faire, plusieurs mesures ont été suggérées par l’OMI, une norme sur les combustibles en fonction d’objectifs tendant à la réduction progressive de l’intensité des émissions de GES et une autre fondée sur un mécanisme de tarification des émissions du secteur.

Si les projets autour des e-carburants se multiplient et suscitent certains espoirs, ils sont pour l’heure particulièrement onéreux et demeurent loin de se concrétiser par une production à l’échelle industrielle. Ces opportunités nécessitent ainsi des investissements considérables et une collaboration plus étroite entre les pouvoirs publics, l’industrie ainsi que les autres parties prenantes. Ce sont ces apports collectifs qui permettront ensuite de poursuivre les investissements dans la recherche et le développement (R&D) de technologies de décarbonation innovantes, de même que dans les infrastructures de production de e-carburants nécessaires pour accompagner leur déploiement. Par ailleurs, la mise en œuvre d’une diplomatie nationale des carburants de synthèse doit conduire la France à sécuriser ses ressources les plus compétitives et à projeter son industrie dans les pays qui disposent de celles-ci.

Dans le même temps, le transport vélique, reposant sur une propulsion en partie ou en totalité par la force du vent, connait un essor certain à travers une multiplication des projets, notamment en France, et ce, malgré une exclusion de ce type de propulsion de la taxonomie européen de la catégorie zéro émission et des financements qui y concourent. Le slow steaming, reposant quant à lui sur la réduction de la vitesse des navires pour diminuer les émissions, évoqué lors du sommet du G7 de Biarritz en 2019 par le président Macron, constitue une autre possibilité, mais qui comprend des effets pervers potentiels qui ne peuvent être sous-estimés, la répercussion financière sur les supply chains et l’augmentation des flottes par les armateurs pour maintenir un niveau de service équivalent en termes de délais étant les craintes le plus évoquées.

L’économie bleue française : colonne vertébrale de la souveraineté nationale

L’économie bleue française s’impose aujourd’hui comme un pilier essentiel de notre économie nationale, contribuant directement à la souveraineté alimentaire, énergétique, industrielle et sanitaire de la France. Elle joue un rôle crucial dans la préservation et le développement de notre nation car 72 % de nos importations et exportations transitent par voie maritime. Nos communications sont toutes autant concernées : 95 % d’entre elles transitent par des câbles sous-marins, accroissant la dimension stratégique de ce secteur.

En pleine mutation et toujours en quête d’innovation, l’économie bleue française a généré une valeur de production de 116 milliards d’euros en 2023 (1), tout en offrant plus de 530 000 emplois directs. D’ici 2030, l’ambition du secteur est d’atteindre une valeur de production de 150 milliards d’euros ainsi qu’un million d’emplois.

La France possède le deuxième plus grand espace maritime au monde, qui s’étend grâce aux territoires ultramarins répartis dans tous les océans. Il confère à la France un statut unique, celui d’un pays où le soleil ne se couche jamais. Cette immensité impose une présence militaire constante, assurée par une Marine nationale de premier rang en Europe et la septième au monde en termes de tonnage. Cette dernière dispose du seul porte-avions nucléaire non-américain, ainsi que d’une panoplie de moyens d’actions exceptionnelle, notamment ses sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) [voir p. 70]. 

Ce territoire implique également des milliers de kilomètres carrés inexplorés, avec notamment les grands fonds marins, dont 92 % sont encore inconnus mais déjà convoités, qui font l’objet d’une stratégie nationale avec comme objectif principal d’explorer pour mieux connaitre.

Les trois façades maritimes de la France hexagonale et son vaste domaine maritime ont favorisé l’essor de fleurons industriels nationaux. Dans le transport maritime, la compagnie marseillaise CMA CGM se distingue en tant qu’un des trois leaders mondiaux, avec une capacité de 3,56 millions d’EVP (équivalent vingt pieds) et une flotte de plus de 500 navires. Louis Dreyfus Armateurs (LDA) est un autre acteur clé, jouant un rôle majeur dans le transport et la logistique de l’éolien offshore. LDA est également un pilier dans le secteur stratégique des câbles sous-marins, en armant la flotte d’Alcatel Submarine Networks, désormais retourné dans le giron de l’État qui, avec Orange Marine, fait partie des leaders mondiaux dans la fabrication, la pose et l’entretien de ces infrastructures vitales.

Cette tradition maritime française s’étend également à l’industrie navale, où les carnets de commande des chantiers sont remplis. Les Chantiers de l’Atlantique, spécialisés dans la construction de paquebots, affichent des carnets de commandes bien remplis. Sur le plan militaire, Naval Group consolide la défense nationale à travers ses constructions navales, tout en affirmant sa présence à l’international, qui constitue plus du tiers de son chiffre d’affaires. Côté plaisance, la France excelle, notamment dans la construction de voiliers grâce au groupe Beneteau, leader mondial dans ce domaine.

À toutes ces filières bien développées s’ajoutent des filières en plein boom de croissance, portée par les mutations de la société et l’évolution technologique. Ainsi, la filière française des énergies marines renouvelables (2) connait une croissance considérable sur ces dernières années, son chiffre d’affaires à l’export ayant triplé en l’espace d’un an. L’éolien en mer contribue à la diversification du mix énergétique français et la filière doit continuer son développement pour atteindre l’ambitieux 45 GW d’éolien en mer d’ici 2050.

Terre d’innovation, la France accueille des start-up maritimes dans bien des domaines : numérique, robotique, alimentation, énergie, transport, biodiversité, santé (3). Cet écosystème en pleine ébullition apporte des solutions en faveur de la protection des océans, de la décarbonation des navires, de la pêche et de l’aquaculture durable ou encore du traitement des données numériques maritimes.

Des menaces pouvant altérer l’essor de l’économie maritime française

Dans un contexte de mutations profondes accompagnant l’essor de l’économie maritime au niveau mondial, les différentes filières de l’économie bleue française font face à un nombre croissant de menaces. Parmi celles-ci, certaines, pouvant être considérées comme traditionnelles telles que la piraterie ou la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN), connaissent un renouveau récent qui n’est pas sans risques.

En effet, si la zone économique exclusive (ZEE) française constitue un vecteur de croissance fort, son étendue à travers de vastes surfaces réparties sur tout le globe incite certains groupes ou acteurs locaux à s’adonner à des pratiques illicites mais particulièrement rémunératrices. Face à cela, la Direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de l’aquaculture (DGAMPA) définit et met en œuvre la politique de lutte contre la pêche INN à travers son Bureau de liaison unique (BLU), avec le concours essentiel de la Marine nationale.


Toutefois, certaines zones demeurent particulièrement exposées à des pratiques de prédation, notamment Clipperton, en dépit de l’accord franco-mexicain reconduit en 2017, et la Guyane, où le président de la République s’est engagé en mars 2024 à renforcer les dispositions de contrôle et les opérations de démantèlement qui ont conduit à la destruction de 10 navires utilisés pour des activités illicites.

De façon plus globale, le contexte géostratégique est marqué par une « augmentation du désordre international », comme le soulignait l’amiral Nicolas Vaujour, chef d’état-major de la Marine, dans le bilan annuel 2023 sur la sureté des espaces maritimes du MICA Center (4). Si les zones internationales les plus exposées ont concentré l’essentiel des moyens déployés, le territoire national est quant à lui exposé à des menaces plus insidieuses. C’est ce que la commission d’enquête sénatoriale sur l’impact du narcotrafic en France (5) a souligné : il existe de nombreuses inquiétudes quant aux menaces identifiées dans les ports secondaires français, pour l’heure insuffisamment armés pour faire face au « tsunami blanc » du trafic de drogues dénoncé par différentes parties prenantes.

Concernant les risques liés au dumping social et à la concurrence déloyale affaiblissant les armateurs français, la récente prise de conscience issue des licenciements massifs de marins européens de la compagnie transmanche P&O Ferries s’est finalement traduite par la loi Le Gac du 26 juillet 2023. Les décrets d’application publiés fin mars 2024 permettent de mieux lutter contre le dumping social transmanche et renforcent la sécurité du transport maritime. Pour autant, si la loi Le Gac constitue une réponse forte au niveau national, celle-ci doit désormais être portée au niveau européen, alors même que le paquet législatif de révision des directives relatives au transport maritime présenté fin 2023 ne contenait aucune disposition visant à réduire les pratiques de dumping et que de nombreuses lacunes demeurent au niveau mondial.

Concernant la filière pêche, les professionnels sont confrontés à des obstacles structurels anciens, qui se sont accentués au gré des crises conjoncturelles récentes (Covid-19, crise de l’énergie, épisodes inflationnistes). Alors que les navires sont âgés en moyenne de 31 ans (6), la filière fait face à un important taux d’érosion, avec une diminution des effectifs de marins pêcheurs de près de 10 % rien qu’entre 2020 et 2021 (7). Aussi, la pêche professionnelle française est fragilisée par de nombreux phénomènes qui s’amplifient, tels que la concurrence accrue avec les États membres de l’UE et les États tiers, couplée à une réduction croissante des zones de pêche en raison d’accords politiques (par exemple entre l’UE et le Royaume-Uni en 2022 à l’issue du Brexit), d’un effondrement des ressources halieutiques, des restrictions liées à des considérations environnementales (comme l’illustrent les arrêtés successifs du Conseil d’État en 2023 pour mieux préserver ponctuellement les populations de mammifères marins dans le golfe de Gascogne (8)) et des nouveaux usages de la mer liés au déploiement des énergies marines renouvelables.

En ce qui concerne les ports français, la crise liée à la pandémie de Covid-19 a montré à quel point ils constituaient, et notamment les trois principaux — HAROPA, Marseille et Dunkerque —, aussi bien des instruments de souveraineté incontournables que des atouts stratégiques indispensables au maintien et au développement de la compétitivité économique. Partant de ce constat, la stratégie nationale portuaire de 2021 identifie les priorités afin de surmonter les limites actuelles du modèle français en ciblant un objectif de reconquête des parts de marché devant porter à 80 % à l’horizon 2050 (contre 60 % aujourd’hui) la part du fret conteneurisé à destination ou en provenance de la France qui est manutentionnée dans les ports de commerce français, et ainsi reconquérir les flux européens. L’ambition est de pouvoir à terme se positionner comme des concurrents réels au « Delta d’Or », qui rassemble les ports d’Anvers, Zeebrugge et Rotterdam, et plus largement de consolider notre position dans la rangée nord-européenne.

Enfin, concernant l’industrie navale, à l’échelle européenne, il convient de mettre en place une véritable stratégie industrielle maritime pour lutter contre le dumping asiatique qui gonfle anormalement les carnets de commande chinois ou sud-coréens à coup de subventions et sans aucun règlement de l’UE pour y faire face. En agissant sur les incitations financières, l’investissement continu pour la R&D et l’outil de production au profit du « made in Europe », un cadre réglementaire plus favorable pour soutenir la compétitivité et former plus de main-d’œuvre qualifiée, l’industrie navale européenne et en particulier française pourra construire 10 000 navires décarbonés et digitalisés à l’horizon 2035 (9).

Des défis réels restent à relever pour assurer un développement pérenne à moyen et long terme

D’une part, les enjeux de formation et d’attractivité demeurent une problématique majeure pour un grand nombre de filières de l’économie maritime, qui voient pour l’heure leur activité freinée en raison d’une main-d’œuvre qualifiée trop largement insuffisante, comme en attestent les quelque 400 000 emplois vacants, dont 100 000 rien que pour la filière pêche.

D’autre part, la crise en Nouvelle-Calédonie a provoqué une situation de quasi-effondrement économique alors que les acteurs locaux estiment les pertes entre 20 et 30 % du PIB local en seulement trois mois. Cette situation fragilise de fait la position française dans l’Indo-Pacifique, dont la mise à jour de la stratégie de 2019 a été repoussée sine die.

Aussi, dans la situation politique et institutionnelle actuelle, il existe un enjeu de cohérence réel quant à la poursuite des objectifs énergétiques fixés, tandis que la France est déjà en retard sur les cibles européennes en matière d’énergies renouvelables.

Malgré les récentes mesures entreprises qui ont permis d’engager l’État et les collectivités dans une trajectoire plus ambitieuse devant permettre à terme de faire de la France la nation leader de l’éolien offshore d’ici 2050, la récente dissolution de l’Assemblée nationale a rebattu les cartes. Les filières se retrouvent confrontées à des risques de sécurité juridique et d’absence de visibilité qui pourraient s’avérer préjudiciables pour leurs investissements, les procédures étant placées en stand-by en attendant l’avènement d’un nouveau gouvernement dont les marges d’action sont nombreuses dans le domaine.

Enfin, les besoins de financement de l’économie bleue française sont également prégnants. La décarbonation, les infrastructures et les technologies maritimes innovantes mobilisent en effet des ressources financières plus importantes par rapport aux moteurs gazoles traditionnels. Divers projets enclenchés conjointement par l’État et des acteurs privés constituent des solutions novatrices qui doivent permettre de soutenir les mutations du monde maritime, des petits navires de pêche aux grandes installations portuaires. Plus largement, l’engagement de l’écosystème maritime dans une démarche stratégique doit permettre d’assurer une visibilité de moyen et long terme et de mobiliser, en lien avec les banques et les assurances, des capacités d’investissements publiques et privées pérennes.

La France a pris le tournant de la maritimisation, qui a conduit à faire de la mer un objet politique central, dans lequel l’économie bleue assure un rôle pivot, vecteur de développement et de souveraineté. Les crises actuelles, qu’elles soient militaires, économiques ou environnementales, mettent en lumière la nécessité d’une flotte stratégique capable d’assurer les intérêts vitaux du pays. C’est en renforçant ses capacités maritimes tout en développant ses filières historiques et émergentes que la France pourra faire face aux défis contemporains de l’économie maritime.

Notes

(1) Chiffres 2023 de l’économie bleue française, Cluster Maritime Français.

(2) Observatoire des énergies de la mer, « La construction des premiers parcs éoliens en mer bat son plein », rapport n°8, juin 2024 (https://​merenergies​.fr/​l​a​-​c​o​n​s​t​r​u​c​t​i​o​n​-​d​e​s​-​p​r​e​m​i​e​r​s​-​p​a​r​c​s​-​e​o​l​i​e​n​s​-​e​n​-​m​e​r​-​b​a​t​-​s​o​n​-​p​l​e​i​n​-2/).

(3) CMF, « Index French Blue Tech : lancement du 1er index des startups maritimes françaises », recensant les 35 start-up du maritime les plus prometteuses, 19 décembre 2023 (https://​www​.cluster​-maritime​.fr/​2​0​2​3​/​1​2​/​1​9​/​i​n​d​e​x​-​f​r​e​n​c​h​-​b​l​u​e​-​t​e​c​h​-​l​a​n​c​e​m​e​n​t​-​d​u​-​1​e​r​-​i​n​d​e​x​-​d​e​s​-​s​t​a​r​t​u​p​s​-​m​a​r​i​t​i​m​e​s​-​f​r​a​n​c​a​i​s​es/).

(4) Voir le site du Maritime Information Cooperation & Awareness Center : https://​www​.mica​-center​.org/.

(5) Sénat, « Commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier », 14 mai 2024 (https://​rebrand​.ly/​g​i​j​4​wn7).

(6) Ifremer, Système d’informations halieutiques (SIH), « Synthèse de la flotte : France métropolitaine », 2020 (https://​archimer​.ifremer​.fr/​d​o​c​/​0​0​7​4​6​/​8​5​8​01/).

(7) Observatoire prospectif des métiers et des qualifications de la pêche, « Rapport national 2021 », décembre 2022 (https://www.ocapiat.fr/wp-content/uploads/RAPPORT-2021-PÊCHE-VD.pdf).

(8) Conseil d’État, décisions n°449788, 449849, 453700, 459153, lecture du 20 mars 2023 et n°489926, 489932, 489949, ordonnance du 22 décembre 2023.

(9) SEA Europe, « Setting sail to build in Europe 10,000 sustainable and digitalised vessels by 2035 », avril 2024 (rebrand​.ly/​o​x​c​h​s4e).

Nathalie  Mercier-Perrin

areion24.news

Révolutions technologiques et pouvoir d’industrie : le nouveau visage des confrontations mondiales

 

La conquête du leadership sur l’économie et la capacité à édicter les règles de la gouvernance mondiale sont un invariant historique du jeu des puissances. Il se caractérise aujourd’hui par un pouvoir qui a marqué l’histoire du capitalisme plus libéral ou plus protectionniste : la capacité de maitriser l’innovation, les technologies et l’industrie dans un contexte de réarmement économique général. Percevoir et comprendre cet invariant dans ses réalités contemporaines, tel est l’objet de notre regard à travers une lecture de la rivalité entre les deux hégémons — Chine et États-Unis — et de son « onde de choc » sur l’Europe.

Les politiques industrielles et de recherche — civiles et militaires — sont aujourd’hui un levier majeur des confrontations géoéconomiques. Elles opèrent à l’échelle mondiale selon une « logique techno-nationaliste » pour la domination des marchés, à la recherche de la suprématie stratégique, technologique et industrielle.

L’enjeu est bien la maitrise de la frontière des technologies critiques essentielles à la révolution industrielle accélérée par le changement climatique, la transition énergétique et fondée sur les innovations numériques. Au cœur de la guerre industrielle qui advient, une technologie s’impose et conditionne les logiques de domination à venir : l’intelligence artificielle (IA) générative. Elle est une source de « progrès auto-entretenu » vers d’innombrables découvertes scientifiques en un temps record. L’IA ouvre une rivalité industrielle magistrale à travers la fabrication des semiconducteurs.

Le capitalisme stratégique

Après des années d’hypermondialisation gouvernées par les dynamiques du marché, du libre-échange et du « technomondialisme », les États reviennent aux commandes des stratégies industrielles et d’accroissement de puissance par la technologie, la science et l’innovation, leviers de la sécurité nationale. L’emploi et l’application des doctrines de sécurité nationale s’appuient sur des leviers économiques tels que des mesures monétaires, le contrôle des investissements étrangers, les sanctions, les aides d’État et les subventions, les contrôles commerciaux sur l’énergie, les minerais et la technologie, les droits de douanes, le contrôle des exportations. À rebours de l’évolution des chaines de valeur des trente dernières années, ces mesures coercitives visent à découpler les relations économiques entre les nations. Véritables politiques d’endiguement, elles tendent à limiter les biens, les connaissances, les services, les ressources ou les technologies, dans le but d’obtenir un avantage géopolitique et de consolider les sphères d’influence des puissants pour le contrôle d’actifs et d’espace stratégiques. À cet effet, le droit y est instrumentalisé à travers des applications extraterritoriales, des sanctions et des stratégies de contrôle par les normes. Ces doctrines de réarmement économique sont nourries par une transformation profonde des représentations que développent les élites et les sociétés, à propos de la relation État – marché, de la gouvernance, de la technologie et de l’industrie, dans les relations internationales. 

À partir de ces premiers constats, nous concevons l’hypothèse selon laquelle cette centralité de l’industrie dans les confrontations géoéconomiques révèle une force déterminante des relations entre puissances « techno-nationalistes » : le pouvoir d’industrie. Nous le définissons comme la capacité d’élaborer, de légitimer et de mettre en œuvre les écosystèmes industriels stratégiques comme levier de pouvoir et de contrôle des règles du jeu économique et technologique. Nous empruntons ici le concept inventé par Eric Schmidt (voir bibliographie en fin d’article) de « pouvoir d’innovation » ou la capacité de créer des nouvelles technologies comme soft et hard power. Nous considérons que ce dernier contribue au pouvoir d’industrie au même titre que les standards et les normes, l’attractivité, mais aussi l’imaginaire collectif relatif à l’industrie. Nicolas Dufourcq, dans son enquête sur l’histoire de la désindustrialisation en France, montre comment les Français, collectivement, ont « expulsé » l’industrie de la société. Le pouvoir d’industrie, plus structurant, doit être envisagé au service des stratégies qui régissent les rivalités au sein des relations internationales pour la domination des marchés, mais aussi du système de gouvernance mondiale. De la part des hégémons, ce pouvoir contribue à imposer la forme de capitalisme correspondant à leurs intérêts. En effet, la nouvelle « grande transformation » que vivent nos sociétés et nos économies marque le retour du « capitalisme politique » de Max Weber, forme caractérisée par des liens étroits entre pouvoir politique et intérêts économiques.

Replaçons l’enjeu dans son contexte actuel. La forme moderne du capitalisme politique repose sur des politiques industrielles, de recherche et d’innovation au cœur des confrontations géoéconomiques : planification et R&D, soutien aux jeunes pousses industrielles, création de champions nationaux et soutien aux industries stratégiques pour la sécurité économique et militaire. En 2012, le stratégiste américain Richard D’Aveni publia un ouvrage prémonitoire à cet égard, sous le titre Strategic Capitalism : The New Economic Strategy for Winning the Capitalist Cold War. Il y alertait les décideurs américains et leurs alliés à propos d’un danger mortel : la montée en puissance du « managed capitalism », dirigé par les acteurs performants de la compétition mondiale avec en tête la Chine. Porté par cette dynamique, l’objectif de la Chine est de reprendre aux Américains le leadership économique mondial en devenant la puissance qui définira les règles du jeu économique et industriel. L’auteur alerte : « Si l’Occident n’agit pas rapidement , il risque de tout perdre face cette menace : la prospérité financière, la liberté économique, le pouvoir géopolitique, la sécurité nationale, voire les valeurs démocratiques ». En écho actuel, le récent dossier de la revue Foreign Affairs sous le titre « Can China Remake the world ? » (mai-juin 2024). 

Richard D’Aveni décrit par ailleurs la dynamique stratégique qui utilise le pouvoir d’industrie et porte le « but de guerre industrielle » : celle des sphères d’influence, organisations de combat économique dont l’objectif est la suprématie. Les principales caractéristiques d’une sphère d’influence sont les suivantes :

• le pouvoir d’établir un ensemble de règles de base du capitalisme auxquelles l’ensemble des parties prenantes se conforme ;

• le pouvoir de convaincre et d’aider les parties prenantes à modifier leur version du capitalisme pour la rendre compatible avec le système du leader ;

• le pouvoir de modeler la sphère économique des rivaux qui souhaitent jouer selon d’autres règles du capitalisme ;

• le pouvoir d’influencer les systèmes économiques mondiaux, les modèles commerciaux, la monnaie internationale, les systèmes financiers, les écosystèmes industriels, les normes et les règles de propriété intellectuelle. 

C’est bien selon ces pouvoirs que la sphère américaine fonctionne et que la Chine perturbe la sphère d’influence des États-Unis en « s’emparant » de nouveaux partenaires commerciaux (routes de la soie), en prenant des positions d’influence dans des institutions économiques et internationales, allant jusqu’à créer une institution internationale, la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures en 2014. 

Le pouvoir d’industrie chinois

En mars 2024, après que les Pays-Bas eurent décidé de bloquer les exportations d’ASML [fabricant hollandais de machines à imprimer des semiconducteurs] vers la Chine, le président Xi Jinping déclarait à l’attention des Occidentaux : « Aucune force ne peut arrêter le rythme du développement et du progrès scientifique et technologique de la Chine ». 

La Chine déploie sa stratégie avec une vision de long terme et une volonté d’aboutir et de concrétiser (plan « China 2025 »). Les Américains et les Européens se sont reposés longtemps sur les forces du marché. S’exposant aux surprises stratégiques, ils n’ont pas — ou tardivement — adopté de plan directeur industriel à visée prospective pour un pilotage critique de l’IA, des semiconducteurs et des puces , mais aussi de l’accès aux métaux rares. Les analystes prévoient le leadership chinois en IA d’ici 2040. Dès 2006, la Chine domine avec plus de 58 000 publications scientifiques. En 2022, les chercheurs chinois sont à l’origine de plus de 155 000 articles, soit 40 % des publications mondiales. Les Européens les suivent avec 100 000 recherches publiées (« Rapport sur la propriété intellectuelle dans le monde en 2024 », OMPI). Toutefois, les industriels chinois reconnaissent leur retard. Ils demeurent dépendants de l’industrie et des fabricants américains dans le domaine des semiconducteurs, composants essentiels pour la mise en œuvre des recherches et donc de l’innovation. Le leader mondial américain Nvidia, fabricant de processeurs graphiques avancés, a détenu jusqu’à 90 % du marché chinois. Malgré la qualité de la planification et la vision de long terme, les stratèges chinois sont aussi sujets à la surprise stratégique ! Leur stratégie d’auto-suffisance est remarquable. Selon les industriels chinois, la capacité de production de puces évaluée à 5 % en 2018 s’élèverait à 30 % en 2023 (Usine nouvelle, 30 mai 2024). 

Le pouvoir d’industrie s’exprime aussi à travers la capacité des États et des entreprises à former et attirer les compétences humaines. Ici, les leaders technologiques européens (dont le chinois Huawei) alertent sur le déficit européen à 2030 en matière de compétences « STIM » (sciences, technologies, ingénierie, mathématiques). Face aux besoins de l’industrie, évalués à 20 millions de talents, les professionnels pronostiquent un vivier de 12 millions à l’horizon 2030 (Euractiv, 2 mai 2024). Les chercheurs de l’Université de Georgetown aux États-Unis ont calculé qu’en 2025, les universités chinoises auront formé deux fois plus de docteurs dans ces disciplines que les Américains. Les autorités soulèvent la question de sécurité nationale que ce retard pourrait engendrer. 

Le pouvoir d’industrie américain

Les États-Unis placent la maitrise de la frontière des technologies critiques comme pilier central de leur puissance. Le président américain est tenu par la loi de définir une stratégie dans ce domaine. Le pouvoir d’industrie américain s’évalue et s’apprécie selon la capitalisation boursière des industriels de l’Internet et désormais de l’IA générative. Les entreprises américaines qui dominent cette industrie représentent une part significative de la capitalisation mondiale dépassant à elles seules la capitalisation du CAC40, soit environ 12 000 milliards de dollars. La volonté américaine de renforcer leur suprématie dans l’IA se traduit par une concentration de capitaux — 46 milliards de capitalisation boursière. Le chiffre correspondant pour l’Europe est de 14 milliards (L’Opinion, 18 avril 2024). 

La stratégie américaine de suprématie industrielle repose sur une série de textes de politique industrielle votés au Congrès à partir de 2020, afin de renforcer le financement fédéral de la recherche et des industries avancées : Endless Frontier Act, Strategic Competition Act, United States Innovation and Competition Act… Ces textes répondent au sentiment d’inquiétude grandissant des élites vis-à-vis de la montée en puissance technologique de la Chine. Des décideurs parlent d’une « position de leadership érodée et défiée par des concurrents étrangers ». En 2021, un think tank américain publie une étude sur le réseau des instituts provinciaux chinois d’informations scientifiques et technologiques d’appui à la recherche et à l’innovation. Le constat est éclairant. Face à ce réseau puissant et outillé d’intelligence technologique, les États-Unis ne sont plus à l’abri d’une « surprise stratégique » liée à une innovation technologique majeure. Plus récemment encore, deux universitaires américains identifient les dépendances construites durant des décennies de « fanatisme libéral » comme une faille de sécurité économique. Face aux dégâts stratégiques causés par la scission entre économie et sécurité, les auteurs prônent la création d’un « dispositif d’intelligence économique en matière de sécurité ». Il s’agit, comme au sein de l’Union européenne, de recréer les capacités de diagnostic/analyse des chaines de valeurs mondiales américaines, dont on ne sait plus identifier les menaces auxquelles elles sont exposées. Le Chips and Science Act vise à renforcer la capacité d’innovation et de production industrielle dans les semiconducteurs ou l’ordinateur quantique. L’Inflation Reduction Act, le navire amiral et son soutien majeur, structure l’actuelle stratégie industrielle des États-Unis pour reprendre notamment l’avantage face à l’Europe dans le domaine des énergies renouvelables. 

Un pouvoir d’industrie européen ? 

En 2020, Jean Pisani-Ferry écrit : « L’UE a besoin d’un changement de mentalité pour faire face aux menaces qui pèsent sur sa souveraineté économique. Elle doit apprendre à penser en tant que puissance géopolitique, définir ses objectifs et agir de manière stratégique ». Aujourd’hui, la bataille titanesque pour la puissance économique s’exprime « politique industrielle contre politique industrielle ». L’Union européenne a-t-elle la capacité de piloter ses sphères d’influence vis-à-vis de la Chine et des États-Unis à partir d’un pouvoir d’industrie convaincant ? Ici nous saute aux yeux un important décalage entre un réel réarmement reconnu à l’étranger et la réalité d’une puissance qui décroche. L’Europe se trouve l’otage des stratégies industrielles des deux hégémons de l’ère industrielle post-fossile. 

L’Union européenne, en son sein la Commission, dessine une dynamique d’autonomie stratégique engagée lors de la présidence Juncker (Plan 2015). Elle est illustrée par une transformation emblématique du modèle de développement à travers sa nouvelle politique industrielle (2020, 2021), sa boussole stratégique et sa très récente doctrine de sécurité économique. Les décideurs européens ont engagé le débat stratégique relatif au modèle de développement de l’Union, à sa protection et sa nécessaire adaptation à la mondialisation. Ils modifient à des degrés différents leurs représentations de la relation de l’État et des institutions au marché, mais aussi leur représentation de la technologie et de l’industrie, de la place de l’économie et des valeurs européennes dans le monde et les relations internationales. Progressivement, la nécessité du réarmement économique fait son chemin avec une vision claire des relations internationales sur le plan économique : « derisking » et non « découplage » vis-à-vis de la Chine, « le rival systémique ». 

En complément des politiques horizontales, la nouvelle stratégie industrielle de l’Union repose sur 14 écosystèmes industriels (Aérospatial/Défense, Agriculture/Agroalimentaire, Commerce…). Elle comporte plusieurs outils d’organisation et de pilotage : les alliances industrielles — batteries, hydrogène, données industrielles, semiconducteurs —, le suivi des dépendances stratégiques, une stratégie de puissance normative et le lancement de Projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC) sur les secteurs industriels stratégiques avec une dérogation relative aux aides d’État.

En appui, la Commission a publié en juin 2023 un plan de sécurité économique fondé sur trois piliers consistant à promouvoir la compétitivité de l’Union, à se prémunir contre les risques et à conclure des partenariats avec le plus large éventail de pays possible afin de préserver les intérêts communs en matière de sécurité économique. Début 2024, elle enrichit son plan en proposant un meilleur filtrage des investissements étrangers dans l’UE, des actions dans le domaine du contrôle des exportations, le recensement des risques découlant des investissements sortants dans un nombre limité de technologies, un meilleur soutien à la recherche et au développement dans le domaine des technologies à double usage, le renforcement de la sécurité de la recherche au niveau national et sectoriel. Cette révolution copernicienne dans le logiciel européen de l’action économique préfigure une posture d’« Europe puissance » promue par la France. Mais elle voit son ambition réduite par les faiblesses structurelles de l’Union et par « l’onde de choc » des stratégies développées par les hégémons industriels. 

Le rapport récent d’Enrico Letta sur l’avenir du marché unique a pour objectif d’éviter le « décrochage » du Vieux Continent face aux États-Unis. L’écart de richesse entre la zone euro et les États-Unis inquiète. Le taux de croissance du PIB américain (1993-2020) est supérieur de 50 % à celui de l’Europe. Depuis la crise sanitaire et avec l’augmentation des couts de l’énergie, l’Europe a perdu entre 20 et 25 % de compétitivité. Un autre rapport à paraitre, signé Mario Draghi, constatera que « l’organisation, le processus décisionnel et le financement de l’Union est conçu pour le monde d’hier, d’avant la rivalité entre grandes puissances ». Par ses choix stratégiques historiques, par ses faiblesses structurelles, l’Union se trouve l’otage géoéconomique des stratégies industrielles des États-Unis et de la Chine. 

En effet, l’offensive américaine de l’Inflation Reduction Act produit deux effets redoutables : un réarmement de l’industrie nationale par la diffusion d’aides et de crédits d’impôts et le « siphonnage » des ressources des pays « alliés » en incitant les investisseurs et les « talents » de ces pays à se délocaliser aux États-Unis. La conséquence directe en est le détournement d’actifs industriels européens. Par ailleurs, le renforcement du pouvoir d’industrie contribue à la croissance et de ce fait crée un second détournement, celui de l’épargne européenne qui se valorise auprès des actifs américains. 

Le second effet de la stratégie d’Outre-Atlantique de découplage avec la Chine est « le contournement ». Lorsque M. Biden décide, en mai 2024, des droits de douanes de 100 % sur les véhicules électriques chinois, ainsi qu’une augmentation des droits sur les batteries et les panneaux solaires, il déclenche un détournement des automobiles et autres produits industriels chinois vers l’Europe, soit directement, soit à travers les stratégies chinoises de délocalisation des dernières étapes de production des marchandises vers des pays à bas cout de main-d’œuvre de la sphère d’influence européenne (Europe de l’Est, Afrique du Nord). 

Perspectives

Le pouvoir d’industrie est appelé à se redéployer avec l’émergence d’un puissant capitalisme de plateforme, centré sur l’exploitation de données en masse. Né aux États-Unis, il a commencé à conquérir le monde pour devenir mondial. De type étatique, il est chinois ou singapourien. Américain, compte tenu de la capitalisation des industriels de l’Internet et des milliards de données captées, il favorise l’essor des monopoles. Leur rivalité va s’exprimer sur le contrôle des milliards de données d’entreprises captées par les plateformes. Le risque, pour une Union européenne au pouvoir d’industrie affaibli car n’ayant pas su générer les futurs « titans » technologiques du digital, est d’entrer dans une dépendance longue et de devoir se soumettre ici à la sphère chinoise, là à la sphère américaine. 

Bibliographie

• A. Aresu, L. de Catheu, G. Gressani, « Capitalismes politiques en guerre », Le Grand Continent, 4 janvier 2023.

• Robert Boyer, Les capitalismes à l’épreuve de la pandémie, La Découverte, 2020.

• Benjamin Bürbaumer, Chine/États-Unis, le capitalisme contre la mondialisation, La Découverte, 2024.

• Louis de Catheu, « État, puissance, technologie : le techno-nationalisme à Washington », Le Grand Continent, 21 avril 2022.

• Richard A. D’Aveni, Strategic Capitalism, New York, McGraw Hill, 2012.

• Nicolas Dufourcq, La désindustrialisation de la France, Odile Jacob, 2022.

• Henry Farrell et Abraham Newman, « The New Economic Security State », Foreign Affairs, nov.-déc. 2023.

• Anne de Guigné, « Comment la Chine fait désormais la course en tête sur les technologies d’avenir », Le Figaro, 3 juillet 2024.

• William Hannas, Huey-Meei Chang, « China’s STI Operations : Monitoring Foreign Science and Technology Through Open Sources », Center for Security and Emerging Technologies, janvier 2021.

•Chris Miller, La guerre des semi-conducteurs, l’enjeu stratégique mondial, Éditions de l’Artilleur, 2024.

• Eric Schmidt, « Innovation Power – Why Technology Will Define the Future of Geopolitics », Foreign Affairs, 28 février 2023.

• World Economic Forum, « Global Risks » reports, janvier 2023 et janvier 2024. 

• Remco Zwetsloot, Jack Corrigan, Emily S. Weinstein, Dahlia Peterson, Diana Gehlhaus, Ryan Fedasiuk, « China is Fast Outpacing U.S. STEM PhD Growth », CSET, aout 2021.

Philippe Clerc

Patrick Cappe de Baillon

areion24.news

mardi 19 novembre 2024

L’équipe de Donald Trump présage des relations orageuses avec Pékin

 

Donald Trump, élu 47ème président des États-Unis, a nommé une équipe qui laisse présager le retour du tumulte dans les relations sino-américaines. En particulier avec celui qu’il a choisi comme chef de la diplomatie : Marco Rubio, sénateur de Floride et « faucon » connu pour ses positions radicales à l’égard du régime communiste chinois.

Macro Rubio sera « un défenseur ardent de [la] nation [américaine], un véritable ami pour [les] alliés [du pays] et un guerrier intrépide qui ne reculera jamais face [aux] adversaires » des États-Unis, a déclaré le président élu dans un communiqué le 13 novembre. S’il s’est fait connaître pour sa défense de la souveraineté de Taïwan, le sénateur de 53 ans, fils d’immigrés cubains, est ouvertement partisan d’une ligne dure envers la Chine. « Je pense que l’avenir du XXIème siècle sera défini par ce qui se passe dans l’Indo-Pacifique », avait-il affirmé sur le plateau de la chaîne catholique américaine EWTN après la victoire de Donald Trump le 5 novembre.

Tandis que le milliardaire new-yorkais avait, pendant sa campagne électorale, laissé entendre que l’île devrait payer les États-Unis pour sa défense, Marco Rubio a, lui, insisté sur le fait qu’une nouvelle administration Trump soutiendrait Taipei face à Pékin. Au Sénat, il avait également appelé à armer Taïwan, en passant par des livraisons directes d’équipements militaires américains plutôt que par la vente d’armes classique.

Né en 1971 en Floride, un État du Sud où habitent de nombreux immigrés cubains, Marco Rubio a grandi dans un environnement de grande hostilité à l’égard des régimes communistes – qu’il a clairement fait sienne. « C’est un élément très important, tant les origines comptent en politique américaine, car il fait de lui un anticommuniste viscéral », souligne Lauric Henneton, maître de conférences à l’Université de Versailles-Saint-Quentin, cité par Le Figaro.

« Il s’oppose frontalement à une réconciliation avec Cuba, à un accord sur le nucléaire iranien, et se dit même favorable à une intervention militaire en Iran. Des positions jamais vues depuis les néoconservateurs sous Georges Bush ! », souligne Romuald Sciora, directeur de l’observatoire politique et géopolitique des États-Unis de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).

Marco Rubio a également soutenu l’idée d’une nouvelle politique industrielle américaine adaptée pour concurrencer l’économie chinoise. Sous le mandat de Joe Biden qui s’achève, il avait parrainé un projet de loi visant à bloquer l’importation de produits chinois fabriqués par le travail forcé des Ouïghours, cette minorité ethnique de confession musulmane en Chine victime d’une répression brutale. Marco Rubio avait aussi évoqué la « menace substantielle pour la sécurité nationale du pays » que représente TikTok, le réseau social de conception chinoise accusée d’espionnage aux États-Unis.

Si le sénateur de Floride milite toutefois, comme Donald Trump, pour que l’Ukraine accepte de négocier avec la Russie pour mettre rapidement un terme à la guerre avec la Russie, il défend, à la différence du président élu, l’importance d’alliances comme celle de l’OTAN.

Marco Rubio fait l’objet de sanctions décrétées par les autorités chinoises pour « s’être mal comporté sur les questions liées à Hong Kong ». Lors de la répression qui s’était abattue sur les contestataires dans l’ancienne colonie britannique, il avait pris des positions claires en faveur des mouvements hongkongais pro-démocratie. Mais, comme le souligne un commentateur de CNN, après sa nomination à la tête de la diplomatie américaine, la Chine pourrait bien être contrainte de lever ses sanctions pour pouvoir traiter avec lui.

Faucons et protectionnistes

Autre nomination qui n’est pas pour plaire à Pékin, celle de Mike Waltz, élu de Floride lui aussi mais à la chambre des Représentants. Waltz enfilera les habits très stratégiques de conseiller à la Sécurité nationale de la Maison Blanche. Cet officier des forces spéciales à la retraite est lui aussi en faveur d’une politique étrangère interventionniste, une opinion clairement inverse de l’isolationnisme de Donald Trump pendant son premier mandat et de son slogan « America First » encore brandi tout au long de sa campagne électorale.

« Monsieur Waltz est un faucon déclaré contre la Chine mais il est aussi d’avis que l’Amérique a pris des décisions erronées en Afghanistan et en Irak et devrait de ce fait en tirer les leçons, souligne The Economist. À propos de la Chine, Waltz s’est parfois fait l’écho de la rhétorique propre à la guerre froide : « Je vais combattre jusqu’à la fin cette fois-ci pour m’assurer que les États-Unis et le monde libre ne se mettront jamais à genou devant le Parti communiste chinois », a-t-il écrit sur X (ex-Twitter) en 2021. »

Autre nomination qui symbolise la volonté déjà clairement affirmée du président élu pendant sa campagne d’en découdre avec la Chine sur le plan des échanges commerciaux, celle de Robert Lighthizer. À 77 ans, cet ancien représentant américain au commerce lors du premier mandat de Trump, est lui aussi un fidèle adepte du protectionnisme, y compris avec Pékin. Il avait été à la Maison Blanche l’une des figures de proue de la guerre commerciale que les États-Unis avaient livrée à la Chine. Il voit dans la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et surtout de l’adhésion de la Chine à cette institution en 2001 la source de tous les maux. Il est allé jusqu’à qualifier l’OMC de « gâchis » qui a « trahi l’Amérique » et attribue au libre-échange la perte d’emplois dans le secteur manufacturier américain.

Robert Lightsizer a ainsi appelé à la mise en place d’un « nouveau système américain » de politique commerciale qui fasse appel aux droits de douane pour compenser le déficit commercial des États-Unis. Des prises de position qui sont donc dans la droite ligne des intentions affichées par Donald Trump d’imposer des taxes douanières uniformes de 60 % pour toutes les importations de produits chinois. Même si Lighthizer aurait toutefois expliqué qu’il ne fallait pas s’attendre à de telles taxes dans l’immédiat, cette menace étant plutôt un moyen de conclure des accords.

Mais l’artisan du nouveau protectionnisme américain pendant le premier mandat de Donald Trump, pourrait bien être à nouveau appelé à modifier en profondeur l’équation des échanges commerciaux des États-Unis avec le reste du monde. Ceci en particulier avec la Chine au moment où son économie traverse de fortes turbulences et affiche une fragilité inédite depuis plusieurs décennies avec un recul marqué de la croissance du PIB qui a chuté à moins de 5 % l’an et une hausse sans précédent du chômage, en particulier celui des jeunes.

Un autre choix de Donald Trump risque de renforcer les craintes à Pékin de fortes tensions à venir avec Washington : celui de nommer le commentateur de la chaîne de télévision Fox News Pete Hegseth secrétaire à la Défense. Ce dernier ne ménage pas ses critiques contre Pékin. En juin dernier, il avait à l’antenne prévenu du « danger immédiat » que poseraient les Chinois aux Américains : « La Chine échafaude une puissance militaire pour vaincre les États-Unis. » Lors de cette interview, Hegseth avait accusé Pékin de poursuivre une stratégie de « guerre ouverte » contre Washington, notamment en stationnant « des dizaines de milliers de citoyens chinois » à ses frontières sud.

Xu Jinping mieux préparé à Trump qu’en 2016 ?

Dans un message de félicitations envoyé à Donald Trump après sa victoire électorale, le président chinois Xi Jinping a souligné que « l’histoire nous enseigne que la Chine tout comme les États-Unis profitent de la coopération et perdent de la confrontation ». Pékin pourrait certes tirer parti sur le plan géopolitique d’un nouvel isolationnisme américain pendant le second mandat de Donald Trump, ce qui permettrait à la Chine d’avancer ses pions en Asie où elle espère chasser l’Amérique. La composition de la nouvelle administration Trump risque toutefois de contrecarrer ses plans dans ce domaine. Reste cependant le caractère hautement imprévisible du milliardaire de Manhattan qui rend toute prédiction hasardeuse.

« L’opinion répandue est que la politique chinoise de Trump qui a infligé un choc économique sérieux à la Chine était à mettre au compte du découplage [économique] sino-américain, écrit Katsuji Nakazawa, ancien correspondant à Pékin et éditorialiste du Nikkei Asia dans un commentaire publié le 14 novembre. Mais la vérité est que ce découplage avait été suscité par la Chine bien avant la première présidence de Trump. La politique haute en couleurs de Trump n’a fait que le rendre visible et l’accélérer. »

« Lorsqu’il reprendra la présidence [des États-Unis] dans deux mois, poursuit Katsuji Nakazawa, Trump trouvera une économie chinoise plongée dans des courants contraires, très différente de la forte puissance qui régnait en 2017, lorsque son mandat de quatre ans avait commencé. Cependant, en dépit de la menace de taxes douanières brandie par Trump, abandonner la [politique] d’autosuffisance de la Chine n’est pas une option pour Xi. » Pourquoi cela ? En réalité, « Xi n’a pas le choix sinon de continuer à plein régime vers son objectif de 2035. S’il échoue dans la réalisation de son projet de « Rêve chinois », des questions seront posées sur ses capacités à maintenir son règne au-delà de 2027, lorsque le Parti [communiste chinois] réunira son 21ème Congrès. »

Dans cette atmosphère où les deux dirigeants vont probablement l’un et l’autre camper sur leurs positions, le risque est fort de voir les relations entre les deux premières économies du monde, déjà très tumultueuses, se tendre encore davantage. Le quotidien britannique Financial Times souligne dans un article paru le 13 novembre que la Chine s’est déjà préparée à répliquer fortement à l’éventualité d’une nouvelle guerre commerciale avec le retour de Donald Trump au pouvoir.

Si Xi Jinping avait été pris par surprise en 2016 par la victoire de Trump, il a cette fois-ci déjà préparé des « contre-mesures fortes » pour permettre à l’économie chinoise de résister à une nouvelle guerre commerciale, affirme le quotidien des affaires britannique qui cite des conseillers et des analystes à Pékin. Les autorités chinoises ont ainsi déjà adopté un arsenal législatif permettant à la Chine d’inscrire des entreprises étrangères sur une liste noire et d’imposer des sanctions revenant à interdire l’accès aux États-Unis à certaines chaînes d’approvisionnement cruciales.

« Il s’agit d’un processus double, explique Wang Dong, directeur général du Institute for Global Cooperation and Understanding de l’Université de Pékin, cité par le Financial Times. La Chine va évidemment tenter d’engager le dialogue avec le président Trump pour, d’une façon ou d’une autre, essayer de négocier. Mais si, comme ce fut le cas en 2018, la négociation n’apporte rien et si nous devons lutter, nous allons défendre de façon résolue les droits et les intérêts de la Chine. »

Parmi les contre-mesures chinoises figure la possibilité pour Pékin d’imposer un contrôle strict des exportations de produits stratégiques tels que les métaux rares et le lithium qui sont des matériaux clés utilisés dans les hautes technologies à la fois civiles et militaires. La Chine « ferait de la sorte un usage de nature militaire de sa domination globale » dans ce secteur où ses ressources excèdent largement celles du reste du monde, analyse le Financial Times.

Pour Andrew Gilholm, directeur Chine au cabinet de conseil Control Risks, nombreux sont ceux aux États-Unis qui ont minimisé les dégâts que pourrait causer de telles mesures sur les intérêts américains. Des « coups de semonce » ont déjà été tirés par Pékin ces derniers mois, révèle Guilhom, dont des sanctions décrétées par la Chine contre Skydio, le plus grand fabricant américain de drones livrés par les États-Unis à l’armée ukrainienne, lequel n’a plus accès à des composants chinois critiques pour leur fabrication.

Pékin a également brandi la menace de sanctions contre PVH, un groupe dont fait partie Calvin Klein qui pourraient être écarté du marché chinois, capital pour son chiffre d’affaires. « Ce n’est que la partie émergée de l’iceberg, estime Andrew Gilhom. Je ne cesse de dire à nos clients : « Vous pensez que vous avez correctement évalué le risque géopolitique lié à une guerre commerciale sino-américaine, mais ce n’est pas le cas car la Chine n’a pas encore réellement contre-attaqué pour le moment ». » Or tout serait déjà prêt à Pékin dans ce registre. « Tout le monde [en Chine] s’attendait déjà au pire et il n’y aura donc pas de surprise. Tout le monde est prêt », assure Wang Chong, un expert en relations internationale de la Zhejiang International Studies University, que cite le Financial Times.

L’Amérique pénalisée par une nouvelle guerre commerciale avec la Chine ?

Il reste que si Donald Trump met à exécution sa menace de droits de douanes à 60 % ou plus sur toutes les importations chinoises, les conséquences sur l’économie de la Chine pourraient bien se révéler gravissimes compte tenu de ses difficultés actuelles. Mais des mesures protectionnistes décidées contre la Chine pourraient également avoir un effet négatif sur les États-Unis.

Aux yeux de Joe Mazur, analyste basé à Pékin, expert des relations commerciales sino-américaines pour le groupe de consultants Trivium, une telle politique pourrait même se retourner contre l’Amérique. À la lumière d’un regain du protectionnisme américain, « si d’autres grandes économies commençaient à considérer les États-Unis comme un partenaire commercial non fiable, elles pourraient rechercher des liens commerciaux plus forts avec la Chine dans le but de trouver des marchés plus favorables à leurs exportations ».

Mais de l’avis prépondérant des analystes occidentaux, des représailles chinoises massives contre les États-Unis ne manqueraient pas d’avoir un impact majeur à long terme sur l’économie chinoise et les entreprises de ce pays. James Zimmerman, un responsable du cabinet d’avocats Loeb & Loeb à Pékin, juge que le gouvernement chinois pourrait en réalité être « totalement impréparé » au second mandat de Donald Trump, en particulier au « chaos et au manque de diplomatie qui va avec ». Or, dit-il, « la probabilité d’une guerre commerciale étendue pendant le second mandat du président élu des États-Unis est élevée. »

Pour le média américain Politico, la présence à la tête de l’administration Trump de « responsables hostiles à la Chine augure mal des relations sino-américaines dans les quatre prochaines années ». « La réponse de Pékin pourrait être de doubler la mise dans ses politiques belliqueuses dans le détroit de Taïwan ainsi qu’en mer de Chine du Sud », estime Lyle Goldstein, fondateur du China Maritime Studies Institute de l’Académie maritime américaine et actuellement analyste expert de l’Asie au think tank américain Defense Priorities basé à Washington.

Pour d’autres observateurs, le retour de Donald Trump à la Maison Blanche pourrait néanmoins être à terme bénéfique à la Chine. « Je m’attends en effet à ce que les relations économiques entre les États-Unis et la Chine deviennent plus volatiles avec Trump mais je pense que, globalement, ceci pourrait se révéler mieux pour la Chine », relève Chen Zhiwu, professeur d’économie à l’Université de Hong Kong, cité par la chaîne de télévision américaine CBS. En effet, si Donald Trump met à exécution ses menaces de taxes douanières, ceci « pourrait forcer la direction à Pékin à n’avoir plus comme choix que de se concentrer sur l’économie parce que l’économie chinoise rencontre actuellement de grands problèmes ».

Quoi qu’il en soit, le maître de la Chine communiste connaît suffisamment Donald Trump pour ne pas se faire d’illusion. « Quelle que sera la rhétorique de Trump, Pékin a probablement déjà conclu qu’après sa première présidence, Trump a l’intention d’installer une rivalité féroce avec la Chine, quoi qu’il dise », estime le New York Times.

« Xi Jinping est un dirigeant dénué de sentiment et doté d’une interprétation sombre des intentions de l’Amérique à l’égard de la Chine, note Ryan Hass, directeur du John L. Thornton China Center de la Brookings Institution, cité par le quotidien new-yorkais. Il pourrait se montrer ouvert à une relation plus amicale avec Trump, mais il ne s’attend pas à une relation personnelle plus chaleureuse qui puisse le conduire à mettre de l’eau dans son vin dans son désir de compétition avec la Chine. »

En définitive, les incertitudes sur l’avenir des relations entre les deux grandes puissances de la planète sont d’autant plus grandes que, bénéficiant désormais de la majorité dans les deux chambres du Congrès américain, Donald Trump ne se sentira plus guère d’obstacles dans les décisions qu’il pourra prendre concernant la Chine.

« Personne ne sait ce que l’avenir réserve aux relations américano-chinoises, peut-être même pas Donald Trump lui-même, écrit ainsi Evan Medeiros, professeur à l’université Georgetown et ancien membre du National Security Council américain dans les colonnes du Financial Times. Les opinions du président élu sur la Chine sont si nombreuses et si contradictoires. »

Pierre-Antoine Donnet

asialyst.com

Le Brésil peut-il devenir un narco-État ? Quelles conséquences pour la France et l’Europe ?

 

Tandis que la criminalité et le trafic de drogue sont devenus le principal problème du Brésil, la montée en puissance et la force de frappe financière des groupes criminels brésiliens constituent pour une Europe en pleine crise un risque systémique majeur, encore largement sous-estimé, voire incompris.

Depuis la campagne électorale de 2018 et l’élection surprise de Jair Messias Bolsonaro à la présidence de la République, à la faveur d’une tentative d’assassinat commise par un militant d’extrême gauche le 7 septembre 2018, le Brésil est traversé de convulsions, certes récurrentes dans l’histoire contemporaine de ce pays, mais qui révèlent plus que jamais sa grande fragilité structurelle (2). La difficile réélection à la présidence de Luis Inácio Lula da Silva le 30 octobre 2022 ne saurait masquer que, malgré l’alternance politique entre deux blocs radicalement opposés de la scène politique brésilienne, ce scrutin n’a pas fondamentalement changé la donne intérieure pour de très nombreux Brésiliens qui continuent d’affronter une insécurité massive, la précarité sociale, les incertitudes politiques et économiques et le développement d’une grande criminalité qui fait courir un risque existentiel majeur aux populations, aux structures étatiques brésiliennes et à tout ce qui fait la vie de ce pays (presse, élus, collectivités locales, syndicats, etc.) (3).

Plus globalement, l’Amérique latine, sauf exceptions identifiées (Haïti, Cuba ou le Vénézuéla par exemple), semblait s’orienter depuis les années 1990 sur la voie d’une réelle stabilité démocratique, d’une croissance économique débouchant sur une plus grande prospérité et sur une réduction, certes difficile, des inégalités sociales les plus criantes. Or, en 2024, force est de constater qu’au Brésil comme ailleurs dans le sous-continent, et quelle que soit l’orientation politique des gouvernements en place, le retour en arrière que connaissent de nombreux pays de la région (recul des libertés démocratiques, croissance atone, reprise des fortes inégalités sociales, explosion de la criminalité, tentatives de coup d’État comme encore récemment en Bolivie) frappe par son ampleur et son intensité. Plus grave encore, des pays jusque-là plus ou moins épargnés par la très grande criminalité (à l’exemple du Chili ou de l’Argentine) sont à leur tour rattrapés par ce phénomène qui gangrène de plus en plus les sociétés latino-américaines.

Le « modèle » criminel mexicain ou colombien semble même devenu une norme pour tous et le Brésil n’est évidemment pas épargné par ce phénomène aussi structurel qu’inquiétant pour la stabilité de notre monde. De fait, la force de frappe financière et militaire des groupes criminels latino-américains, et parmi eux, ceux du Brésil, constitue une menace majeure au moins comparable à la menace islamique pour l’Europe ou aux conflits géopolitiques en cours ou latents entre grandes puissances, à l’exemple de la guerre en Ukraine. Cette menace systémique, qu’on peut qualifier de menace à bas bruit et dont les principaux tenants et aboutissants ne sont pas toujours perçus par les opinions publiques et dirigeants des pays européens, peut en réalité nous entrainer dans un gouffre dont il sera extrêmement difficile de ressortir. C’est d’ailleurs ce constat d’être au bord du gouffre qui a conduit le Salvador et son président élu en 2019, Nayib Bukele, à mettre en place une politique éminemment répressive et spectaculaire de lutte contre les grands groupes criminels salvadoriens, en justifiant cette stratégie par l’effondrement quasi complet de l’État de droit.

À ce contexte latino-américain s’ajoute la fragilisation croissante de nombreux États européens, sous l’effet de crises politiques, économiques, sociales et démographiques. Cette situation offre une opportunité historique phénoménale aux groupes brésiliens criminels, qui ont parfaitement compris à quel point ces crises géopolitiques, migratoires, sécuritaires, politiques et économiques qui frappaient l’Union européenne (UE) et ses États membres représentaient pour eux leur plus grande chance d’établir leurs règles et leur diktat en dehors de leur pré carré et de ses marches, comme en Guyane française (4) ou aux Antilles. La grande criminalité brésilienne doit donc devenir un objectif critique à combattre pour les États européens et ce sujet ne doit en aucun cas être sous-estimé.

Brésil : une situation sécuritaire très préoccupante

Contrairement aux apparences véhiculées par différents médias en Europe comme en Amérique latine, l’alternance politique intervenue en 2022 au Brésil n’a pas conduit à une véritable amélioration de la situation intérieure du pays, loin s’en faut. De manière générale, et quel que soit le sujet ou l’État brésilien concerné, et pour ne rester que sur la seule thématique sécuritaire, la criminalité est en nette augmentation partout au Brésil depuis trois ans. Bien évidemment, les causes sont multiples et ne datent pas de la récente alternance politique (5). Elles tiennent entre autres à l’histoire violente de ce pays, au poids très particulier et lourd de l’esclavage dans la société brésilienne, aux inégalités sociales, au nombre d’armes à feu en circulation, à la faiblesse du civisme et à bien d’autres facteurs politiques, économiques ou sociaux. Mais ce qui a changé depuis 1993 et la grande révolte des prisons brésiliennes, à la suite du massacre du 2 octobre 1992 au sein de la prison de Carandiru de São Paulo, c’est l’importance croissante qu’occupe la grande criminalité organisée dans la société brésilienne. Et cette question est à la fois nouvelle et structurante pour comprendre le Brésil d’aujourd’hui et la nature des menaces qui pèsent sur la société brésilienne et sur les pays qui subissent cette criminalité brésilienne, tout particulièrement les États membres de l’UE (6).


Conscient que la situation sécuritaire ne cesse de se dégrader partout au Brésil, le président Lula da Silva a adopté le 17 juin 2024 le « Plan Amazone : sécurité et souveraineté » qui vise à combattre les organisations criminelles qui contribuent à la déforestation de l’Amazonie. Cette initiative vise notamment à renforcer les équipements, tels que les bateaux et les hélicoptères, destinés à la protection de cette forêt tropicale. Elle prévoit également l’installation d’un centre de coopération policière internationale à Manaus, dans l’État de l’Amazonas, où travailleront des agents des services de renseignement des pays dans lesquels la forêt tropicale est également présente (comme la Colombie ou le Pérou), alors qu’existaient déjà de multiples plans, mesures et moyens pour sécuriser le bassin amazonien (7).

Mais cette question amazonienne, bien qu’importante, ne représente qu’une fraction des problèmes de sécurité auxquels le Brésil fait face, dans un contexte où les forces de sécurité sont souvent mal formées, mal encadrées, mal payées ou, lorsqu’elles sont efficaces, comme l’est la police fédérale (8), ne disposent pas des moyens suffisants pour mener à bien leurs missions. Les polices locales et régionales mènent régulièrement des opérations, souvent sanglantes, à l’exemple de l’opération des 28 juillet et 2 aout 2023 dans la région de São Paulo, au lendemain de l’assassinat du policier Patrick Bastos Reis, lors d’une patrouille, dans des zones où les gangs criminels dominent. Ces opérations restent spectaculaires, violentes, médiatiques, mais elles sont le plus souvent parfaitement inefficaces puisqu’elles ne s’attaquent ni aux causes ni aux racines des problèmes criminels. Une fois terminées, tout est en fait à recommencer et le problème est sans fin (9). De fait, comme le rappelaient récemment de nombreux quotidiens brésiliens, dans les sondages, la criminalité et le trafic de drogue sont devenus pour les Brésiliens le principal problème du pays, devant la corruption et l’économie. Simple exemple, le 5 octobre 2023, trois médecins qui participaient à un congrès à Barra da Tijuca, un quartier de la périphérie occidentale de Rio de Janeiro, ont été assassinés par un gang. Ces exemples abondent quotidiennement, au point de faire du Brésil l’un des pays les plus dangereux pour la vie humaine en dehors des zones de guerre (10) et détenant le record mondial de morts violentes par habitant pour un pays qui n’est pas en guerre avec une moyenne de 50 000 morts annuelles depuis 2000.

Le Brésil, plate-forme majeure de la grande criminalité mondiale

Bien évidemment, la situation sécuritaire très dégradée du Brésil n’est pas récente. Certains échos parviennent en Europe à l’occasion de l’agression ou de la mort de ressortissants européens ou d’une personnalité connue, comme la chanteuse Loalwa Braz Vieira du groupe Kaoma, célèbre interprète de la Lambada (chanson en réalité d’origine bolivienne), assassinée et brulée à son domicile le 19 janvier 2017 par des cambrioleurs. Mais ces faits divers, pour importants et tragiques qu’ils soient, ne doivent pas faire oublier que la criminalité brésilienne est aujourd’hui entrée dans une autre dimension. Comme le rappelait dès 2017 Bertrand Monnet dans ses articles consacrés au PCC (11) (Primeiro comando da capital — « Premier commando de la capitale »), la criminalité brésilienne s’est progressivement organisée et structurée autour de quelques groupes emblématiques, dont le plus connu est bien le PCC. Ce groupe criminel est né le 31 aout 1993 à la prison de Taubaté, située à 140 kilomètres de São Paulo, en réaction aux massacres de Carandiru et à l’occasion d’un match de football à l’issue duquel les créateurs du PCC ont montré au travers d’une rixe leur emprise sur la prison qui était alors considérée comme la plus sure de cet État. Les années passant, le PCC est progressivement devenu une mafia des prisons, puis un groupe criminel au cœur des trafics de drogue en tous genres pour devenir aujourd’hui un cartel structuré et redoutable pour les institutions brésiliennes, au point d’être désormais l’un des groupes les plus violents et les plus puissants au monde avec plus de 20 000 membres identifiés et au moins 80 000 membres qui lui sont affiliés, ce qui représente une véritable armée au Brésil.

Le PCC n’est évidemment pas le seul groupe criminel de grande envergure. On peut également citer :

• le Comando vermelho (CV), un groupe criminel créé en 1979 dans une prison de haute sécurité et qui, à l’origine, était une alliance entre militants communistes et groupes criminels incarcérés à la prison Candido Mendes de l’État de Rio de Janeiro, située sur l’ile d’Ilha Grande, à une centaine de kilomètres au sud-ouest de Rio de Janeiro, à l’époque de la dictature militaire ;

• la Família do norte (FDN), créée en 2007 par des habitants de zones rurales de l’État d’Amazonas, là où l’ordre public est désormais quasiment inexistant ;

• les autres grands groupes criminels brésiliens, sans être évidemment exhaustifs, qui sont Os amigos dos amigos (« Les amis des amis ») créé en 1998 d’une scission du CV et qui a pris le contrôle de la célèbre favela de Rocinha de 2004 à 2017 ; O escritório do crime (« Le bureau du crime ») présent sur Rio de Janeiro et souvent constitué d’anciens policiers ; Okaida, organisation de l’État du Paraíba qui s’inspire des méthodes d’Al-Qaïda ; le Terceiro comando (« Troisième commando ») ou encore le Terceiro comando puro (« Troisième commando pur »).

Ces groupes s’affrontent les uns aux autres. Le CV et le PCC s’affrontent violemment depuis 2017, mais, depuis juin 2024 et la rupture entre les deux groupes criminels, la guerre s’est généralisée dans toutes les prisons, partout au Brésil, dans le Paraguay limitrophe et très certainement au-delà dans les prochains mois, au point que la presse brésilienne parle désormais de mise en place d’une véritable guerre civile au Brésil. Parallèlement à cette guerre CV/PCC, le PCC lui-même n’est actuellement pas épargné par des guerres internes. Ainsi, en 2018, Rogério Jeremias de Simone, alias Gegê do Mangue, un des plus importants responsables du PCC, a été retrouvé mort en compagnie de Fabiano Alves de Souza, alias Paca, un autre membre de l’organe de commandement du PCC désormais baptisé « La Coupole », en référence à la Cosa nostra sicilienne. Actuellement, un trio de putschistes mené par Roberto Soriano, Abel Pacheco de Andrade et Wanderson Nilton de Paula Lima, respectivement surnommés Tiriça, Vida Loka et Andinho, s’oppose au leader historique du PCC pour le contrôle de l’organisation, Marco Willians Herbas Camacho, que tout le Brésil connait sous son pseudonyme de Marcola, et qui purge une peine de prison de longue durée à l’isolement supposé être le plus total. Les assassinats ciblés se multiplient depuis lors et les autorités brésiliennes semblent désormais paralysées et désemparées face à l’ampleur des violences.

L’Europe, principal marché de la grande criminalité brésilienne

Cette situation est d’autant plus préoccupante que ces organisations se déploient progressivement depuis plusieurs années à l’international. Le PCC est implanté en Argentine et en Colombie, mais il est clair que cette organisation nourrit d’autres objectifs. Le PCC comme ses rivaux ont pris pour cible privilégiée les États européens car le « marché » nord-américain est déjà saturé par les cartels venus du Mexique, de Colombie et d’Amérique centrale. Ces organisations brésiliennes estiment que c’est un marché facile, prenable, dans une Europe en pleine crise existentielle, et face à des forces de sécurité qui ont déjà fort à faire avec les criminalités locales et régionales, et avec des groupes politiques violents qui mobilisent une part non négligeable des moyens de police des États européens.

Pour commencer, les groupes criminels brésiliens se sont implantés en Guyane française qui est frontalière de l’État d’Amapá, l’un des États les plus criminogènes du Brésil [voir p. 83]. En Guyane, les gangs brésiliens ont mis la main sur le trafic de cocaïne et y déploient une activité criminelle grandissante. Au moins 200 membres de gangs brésiliens sont recensés dans ce département d’outre-mer par les forces de l’ordre. Selon une note récente de la police judiciaire datée du début de l’année et parue dans la presse, les « factions brésiliennes constituent une composante essentielle » de la criminalité guyanaise. Plusieurs groupes criminels sévissent déjà sur le sol français, dont le PCC, la Familia terror do Amapá (FTA) ou le CV. Des groupes criminels guyanais, comme les B13 de Matoury ou le BTR Gang, se sont d’ailleurs associés avec ces groupes criminels brésiliens. Leur principal point de contact se trouve à la prison de Remire-Montjoly, à proximité de Cayenne. Avec un millier de détenu pour 600 places, le taux d’occupation y est de 167 %, l’un des plus élevés de France. Dans cette prison, 151 détenus sont de nationalité brésilienne, soit près de 15 % de la population carcérale totale. C’est là que se forment les alliances.

Au-delà de la Guyane, les groupes criminels brésiliens ont rapidement franchi l’Atlantique pour se servir de l’Afrique occidentale et de l’Afrique du Nord comme bases opérationnelles et points d’exportation des productions de drogue venues d’Amérique du Sud en direction de l’Europe. Il ne faut pas perdre de vue que le Brésil est aujourd’hui l’un des plus gros producteurs mondiaux de drogues de synthèse, crack ou ecstasy, et que la demande ne cesse de croitre (12) dans les pays européens. La fragilité politico-économique des États africains les rend perméables à la puissance financière de groupes, comme le PCC, et certains États de la région, lusophones, en particulier la Guinée-Bissau, sont des portes d’entrée idéales pour les produits exportés clandestinement du Brésil. Les organisations criminelles brésiliennes ont également fait la liaison avec les groupes islamo-criminels d’Afrique occidentale. Les liens entre le PCC et des organisations islamistes comme AQMI (13) ne sont pas actuellement pleinement démontrés, mais la logique voudrait que leurs intérêts communs finissent par converger au nom d’intérêts financiers bien compris. Les organisations islamistes prélèveraient leur dime en échange d’un libre passage vers le nord ; un passage d’autant plus facilité que les armées occidentales quittent le Sahel et que la Russie soutient toute forme de déstabilisation des pays membres de l’OTAN depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. Le danger est donc réel et immédiat pour l’Europe qui risque très rapidement d’être submergée par les drogues venues du Brésil et par l’action criminelle tous azimuts d’organisations comme le PCC.

Le risque criminel brésilien est donc devenu un risque systémique pour l’Europe. Lors des récentes élections européennes des 6 et 9 juin 2024, il n’a jamais été question de ce sujet à aucun moment de la campagne électorale dans aucun État européen. Clairement, la menace n’est ni vue ni comprise, alors qu’elle est critique et doit être mise a minima au même niveau que la menace terroriste islamiste, sinon plus. En effet, ces groupes criminels brésiliens sont certes très violents, mais ils disposent d’abord d’une force de frappe financière qui peut à tout moment faire basculer dans la corruption et la criminalité les maillons les plus faibles de notre dispositif juridique et sécuritaire. Il est donc urgent de s’en préoccuper et de mettre les autorités brésiliennes devant leurs responsabilités.


Notes

(1) L’auteur s’exprime à titre personnel et ne représente le point de vue d’aucune institution.

(2) Voir sur la question des fragilités structurelles : Christophe-Alexandre Paillard, « Le Brésil à la dérive », Diplomatie, n°92, mai-juin 2018, publié en ligne le 22 décembre 2018 (https://​www​.areion24​.news/​2​0​1​8​/​1​2​/​2​2​/​l​e​-​b​r​e​s​i​l​-​a​-​l​a​-​d​e​r​i​ve/).

(3) Sur la crise socio-économique de ce pays, voir : C.-A. Paillard, « Brésil, comprendre la crise », Diploweb, 22 mai 2016 (https://​www​.diploweb​.com/​B​r​e​s​i​l​-​c​o​m​p​r​e​n​d​r​e​-​l​a​-​c​r​i​s​e​.​h​tml).

(4) C.-A. Paillard, « Le Brésil, voisin de la Guyane et première frontière terrestre de la France », Administration, n°279, septembre-octobre 2023, p. 43-46.

(5) Voir C.-A. Paillard, « Le Brésil face à ses démons sociaux, politiques et sécuritaires », Diplomatie, n°123, septembre-octobre 2023, publié en ligne en janvier 2024 (https://​digital​.areion24​.news/​5q0).

(6) Cette question revêt une telle importance que la revue Conflits vient de lui consacrer deux articles : Jean-Yves Carfantan, « Le crime organisé colonise l’Amazonie. L’expansion d’un État parallèle », 27 juin (https://​digital​.areion24​.news/​my7) et une deuxième version le 2 juillet 2024 (https://​digital​.areion24​.news/​buf).

(7) Pour rappel, Eric G.L. Pinzelli avait déjà dressé un état des lieux des moyens mis en œuvre dans son article « Brésil : “L’Amazonie est à nous !” Comment le Brésil défend sa souveraineté sur le poumon vert de la planète ? », Diploweb, 24 octobre 2014 (https://​www​.diploweb​.com/​B​r​e​s​i​l​-​L​-​A​m​a​z​o​n​i​e​-​e​s​t​-​a​-​n​o​u​s​.​h​tml).

(8) Voir le site de la police fédérale dont le siège est à Brasilia (https://​www​.gov​.br/​p​f​/​p​t​-br).

(9) Voir le 17e annuaire annuel brésilien de la sécurité publique sur le chiffrage de la criminalité en 2023 : Forum brasileiro de segurança publica, « Anuário Brasileiro de Segurança Pública », 2023 (https://​digital​.areion24​.news/​rbk).

(10) Voir l’article d’Hervé Théry, « Le grand basculement de la violence », Mercator, février 2024 et ses analyses cartographiques du Brésil (https://​digital​.areion24​.news/​iv5).

(11) Voir Bertrand Monnet, « Plongée à haut risque à “Cracolandia”, l’antre du gang le plus puissant du Brésil », Le Monde, 26 mai 2017 (https://​digital​.areion24​.news/​lvq) et son podcast sur France Culture, « PCC : les entrepreneurs du crime brésilien », 19 avril 2023 (https://​digital​.areion24​.news/​adf).

(12) Nations Unies, « World Drug Report 2023 », rapport sur la drogue et le crime (https://​digital​.areion24​.news/​7mg).

(13) Al-Qaïda au Maghreb islamique, aujourd’hui appelé AQMI, est une organisation terroriste créée le 25 janvier 2007 et placée sur la liste officielle des organisations terroristes à cause de sa relation directe avec le mouvement islamiste Al-Qaïda, ce dernier fondé par le cheik Abdullah Yusuf Azzam (assassiné en 1989) et son élève Oussama Ben Laden (mort le 2 mai 2011 au Pakistan) en 1987.

Christophe-Alexandre Paillard

areion24.news