Eddie Ray Routh souffrait de troubles mentaux depuis son retour d'Irak.
Comme sa victime, Chris Kyle, l'homme aux 160 « cibles »
Eddie Ray Routh, l'homme jugé pour le meurtre de l'ancien tireur d'élite des Navy Seals Chris Kyle, a été condamné mardi 24.02.2015 par le tribunal texan à la prison à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle.
Eddie Ray Routh, sitôt après avoir tué Kyle, 38 ans, la «légende» des Navy Seals pour ses «exploits» en Irak (160 insurgés abattus officiellement, 255 d'après Kyle ), et Chad Littlefield, un voisin de Kyle, avait posément avoué le crime à sa sœur Laura, effrayée, avant de s'enfuir avec le gros véhicule 4 × 4 de Kyle. Possédé, l'ex-US Marine souffrant de stress post-traumatique (PTSD) l'était assurément, mais il assumait la gravité de ses actes.
Fin janvier 2013, la mère de Routh, qui croise parfois Kyle devant l'école primaire où il dépose ses deux enfants, supplie celui-ci de s'occuper de son fils perturbé. Kyle, retraité des Seals depuis 2009 et atteint lui aussi de PTSD, a repris pied grâce à l'amour de sa femme Taya et de sa progéniture. Il a même retrouvé un sens à sa vie en portant secours aux autres vétérans mal en point. Eddie Ray Routh, lui, devrait être hospitalisé: hanté de cauchemars atroces et diagnostiqué schizophrénique, il n'a pas été maintenu en observation médicale par le ministère des Anciens Combattants. Trop coûteux.
Alors sa mère se tourne vers Kyle, qui accepte sans enthousiasme d'emmener le jeune homme se défouler au stand de tir. Ce que le sniper ne sait pas, c'est que Rough, le matin même de leur rendez-vous, s'est gavé de marijuana et d'alcool. Durant les quatre-vingt-dix minutes de route jusqu'au luxueux complexe de Rough Creek Ranch Lodge Resort, Kyle et Littlefield, peu diserts, échangent des SMS inquiets, scrutant discrètement leur passager dodelinant sur la banquette arrière. «Ce type est complètement barré», tapote Kyle sur son clavier. «Couvre mes arrières», grimace Littlefield.
Routh confiera aux enquêteurs qu'il a peu apprécié que ses deux «Samaritains» ne lui adressent pas la parole. Et le forcent à un arrêt casse-croûte sur la route alors qu'il n'avait «pas faim». En mai 2013, lors d'une interview au New Yorker, il ajoute qu'il y avait «une puanteur dans l'air ce jour-là, d'amour et de haine à la fois. Exactement ce que ces deux types étaient en train de me donner».
En pleine paranoïa, Routh se convainc que Kyle et Littlefield cherchent à l'éliminer. Il s'étonne que Kyle commence à s'exercer au revolver, et pas au fusil d'assaut, tandis que Littlefield reste en retrait. «Alors, tu tires ou pas? Ce n'est pas un sport de spectateur!», s'emporte Routh, égaré entre fantasme et réalité, certain désormais qu'il s'agit d'un duel à mort comme dans un western et qu'il va devoir sauver sa peau. Puis il empoigne un revolver et loge quatre balles dans le dos de Kyle, puis cinq dans le dos et la tête de Littlefield. Avant de s'enfuir, persuadé d'avoir échappé à un destin funeste.
Qui était Chris Kyle
Chris Kyle était un personnage complexe, éminemment polarisé et intrigant à plus d'un titre. Parti faire la guerre «en terre impie», il arborait une imposante croix rouge sang tatouée comme le trident des Navy Seals sur son avant-bras, qu'il exhibait volontiers «afin que tout le monde sache pourquoi je combats». «Badass» (dur-à-cuire) assumé, il expliquait placidement être un «croisé de Dieu», brandissant un glaive impitoyable face à ces «sauvages» d'Irakiens, allègrement regroupés dans le même panier. Sur la casquette de sa société de mercenaires Craft International, il avait fait ajouter la mention: «Contrairement à ce que votre maman vous a dit, la violence résout les problèmes.»
Chris Kyle avait tout de la brute épaisse, du psychopathe délivré de l'ivresse des combats et projeté dans une vie civile trop étriquée pour qu'il se réadapte un jour. Et pourtant, il y avait quelque chose de doux dans ces petits yeux sombres et ce visage mangé par une barbe rousse et drue. Quelque chose d'enfantin, d'innocent même, lorsqu'il nous racontait, presque gêné, avoir «fini» au couteau un insurgé dans une maison de Falloujah en 2004.
American Sniper élude le sujet, mais Chris Kyle défendait sa vision de la guerre d'Irak. Manichéenne, forcément. Peu lui importait que le lien entre Saddam Hussein, les attentats du 11 septembre 2001 et al-Qaida n'ait jamais été bien établi. Les armes de destruction massive existaient bel et bien, soutenait-il mordicus: «Si je vous disais tout ce que les forces spéciales ont trouvé.» Pourquoi n'en avait-on jamais entendu parler? Mystère.
Cette bête humaine, grand rouquin d'1,88 m et 100 kg de muscles, entouré de fusils d'assaut et de mitrailleuses lourdes (chargées) dans son bureau, avait de quoi calmer les ardeurs éventuelles.
Chris Kyle avait été soupçonné d'affabulations. Il avait par exemple confié avoir descendu une trentaine de pilleurs lors de la tempête Katrina qui avait ravagé La Nouvelle-Orléans en 2005, juché sur le toit d'un stade de football et grimé en «Punisher», le vengeur masqué à tête de mort oblongue devenu son totem en Irak. Aucun recoupement n'avait jamais pu être établi sur ces exploits de super-héros, réels ou fantasmés. Il prétendait aussi avoir abattu deux types qui cherchaient à lui dérober son pick-up dans une station-service du Texas, en 2010, sans que la police retrouve jamais la trace d'un tel incident.
Ce qui ne souffre pas contestation, en revanche, c'est l'aura de légende qui entourait le personnage. Depuis son départ des Navy Seals, Kyle était souvent approché par des inconnus, au garage ou au supermarché, le temps de remerciements appuyés pour leur avoir sauvé la vie tel jour, dans telle ville en Irak. Chris Kyle n'avait pas usurpé sa réputation d'«al-Shaïtan al-Ramadi (le diable de Ramadi)» ni les 80 000 dollars placés sur sa tête par les insurgés.
TF121