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lundi 13 octobre 2025

Quantique : un enjeu de sécurité crucial pour les États-Unis

 

Le secteur quantique est considéré comme hautement sensible, à l’image de l’industrie de l’armement. Pourquoi représente-t-il aujourd’hui une priorité stratégique pour Washington, et comment les technologies quantiques pourraient-elles transformer les capacités de défense américaines ?

Lorsqu’on parle de technologies quantiques, il faut bien distinguer plusieurs niveaux de maturité (maturity). Si l’ordinateur quantique reste encore loin d’une exploitation concrète, d’autres applications, comme les capteurs quantiques, sont déjà bien avancées. L’US Air Force, par exemple, déploie déjà ces technologies pour améliorer la navigation et la synchronisation de précision. De notre côté, nous commençons aussi à adapter certains de nos réseaux informatiques pour les rendre plus résistants aux futures attaques des ordinateurs quantiques. Ainsi, plusieurs technologies issues du secteur quantique sont d’ores et déjà prêtes à être déployées.

Le principal défi du calcul quantique réside dans l’irrégularité de ses avancées. Nous ne pouvons pas prévoir si, dans six mois ou dans seize ans, la Chine parviendra à une percée décisive. Quoiqu’il en soit, une telle avancée provoquerait un véritable choc. Les États-Unis suivent une trajectoire similaire, mais l’incertitude reste entière quant à celui qui prendra l’avantage en premier. L’enjeu est de taille, car dans le domaine quantique, le premier arrivé bénéficiera d’un avantage considérable, très difficile à rattraper. C’est la raison pour laquelle l’informatique quantique constitue un défi stratégique majeur. Il ne s’agit pas seulement d’investir de l’argent ou du temps, mais aussi de naviguer dans une course dont l’issue reste imprévisible. Les implications dépassent largement la sécurité nationale : elles auront un impact significatif sur l’économie mondiale.

Où en sont actuellement les États-Unis dans le développement de l’informatique quantique, et quels sont les principaux programmes et initiatives dans ce domaine ?

Les États-Unis occupent aujourd’hui une position de leader dans le développement de l’informatique quantique, notamment grâce à d’importants investissements publics et privés. L’un des principaux moteurs de cette avancée est la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency), qui a alloué un milliard de dollars pour soutenir la recherche et le développement dans l’industrie quantique. Cet investissement vise à renforcer la base industrielle de défense en garantissant un financement aux entreprises émergentes du secteur.

Mais l’un des défis majeurs dans ce domaine réside dans la diversité des technologies quantiques. Contrairement à d’autres innovations, ici, il n’existe pas encore de solution unique dominante. Plusieurs types d’ordinateurs quantiques coexistent, chacun avec ses propres avantages et inconvénients. C’est pourquoi il est essentiel de financer l’ensemble des approches plutôt que de se concentrer sur une seule. Un autre enjeu critique concerne la chaine d’approvisionnement de l’ordinateur quantique. Certaines ressources clés pour leur fabrication sont limitées à un petit nombre de fournisseurs, parfois situés en Chine. Cette dépendance pourrait devenir problématique si la technologie devait être déployée à grande échelle.

Enfin, bien que l’informatique quantique reste encore en phase de développement, certaines technologies, comme les capteurs quantiques, sont déjà opérationnelles. De plus, elles sont intégrées dans des programmes de défense. Le département de la Défense des États-Unis a d’ailleurs lancé plusieurs initiatives pour exploiter ces avancées, ce qui démontre des progrès concrets dans l’adoption de cette technologie.

Quels sont les principaux défis techniques auxquels les Américains sont aujourd’hui confrontés dans le développement de la technologie quantique ?

Dans le domaine des technologies quantiques, les États-Unis disposent de la base industrielle la plus solide au monde, ce qui résulte en grande partie des importants investissements venus des marchés financiers. Mais c’est aussi l’un des plus grands défis auxquels les agences de sécurité nationale sont confrontées. En effet, historiquement, ces agences réalisaient elles-mêmes leurs recherches et développements. Aujourd’hui, les technologies les plus avancées se trouvent dans le secteur privé. Dès lors, comment transmettre le bon message aux sociétés de capital-investissement et de capital-risque, en leur indiquant que la technologie quantique est cruciale pour nous ? Nous avons l’intention de l’acheter à grande échelle une fois qu’elle sera développée. Cela devrait permettre d’utiliser ces milliards de dollars pour favoriser le développement de ces capacités.

Évidemment, certains pays comme la Chine développent des dispositifs tels que la fusion des secteurs civils et militaires, permettant au gouvernement de financer directement les technologies. Cela présente certains avantages, mais je pense qu’une innovation sans entrave via les marchés financiers permet une meilleure allocation des fonds en ciblant les secteurs qui doivent recevoir des injections de financement.

Quels sont les principales forces et faiblesses des États-Unis dans ce domaine ?

Les principaux avantages des États-Unis résident justement dans leur base industrielle, leurs marchés financiers et leurs financements flexibles. Le département de la Défense et les organisations de ce type doivent maintenant envoyer un signal clair dès le départ : le quantique est un secteur d’avenir dans lequel il est rentable d’investir, parce que nous avons l’intention d’investir dans cette technologie dès qu’elle sera prête.

Concernant les désavantages, les États-Unis font face à un défi auquel chaque pays est confronté : il est extrêmement difficile de hiérarchiser les priorités. En effet, l’intelligence artificielle semble cruciale, tout comme les technologies quantiques et l’autonomie. Nous devons également faire face à des vulnérabilités dans notre réseau électrique, sans parler des matériaux avancés, également à prendre en compte. Alors même que la concurrence dans le domaine des technologies émergentes n’a jamais été aussi forte, nous devons toujours assurer l’avance technologique et la modernisation de notre défense nucléaire, des navires, des avions, etc. Parce que les États-Unis ne peuvent tout simplement pas dépenser de l’argent pour tout, la priorisation est donc un enjeu crucial : il faut pouvoir déterminer quelle est la priorité la plus élevée, ce qui constitue le plus grand défi, non seulement pour les États-Unis, mais aussi pour tous les pays qui veulent s’assurer qu’ils sont à la pointe de la technologie.

Nous assistons actuellement à une course technologique très serrée. La Chine rattrape-t-elle les États-Unis en technologie quantique ? Comment les Américains réagissent-ils face à cette situation ?

Il est toujours difficile de répondre à cette question, parce que la Chine n’est pas une source totalement fiable quant à ses capacités réelles. Il a été observé à deux reprises cette année que la Chine avait franchi une étape importante, mais ces affirmations ont été immédiatement réfutées par des experts. Cela suggère que la Chine subit une pression énorme pour afficher des résultats. Bien sûr, cette pression s’accompagne de moyens : des financements considérables, et les meilleurs talents que le pays peut mobiliser. Cependant, la course aux résultats peut parfois produire l’effet inverse. La Chine publie effectivement plus de travaux sur l’informatique quantique que les États-Unis. Mais ces publications sont-elles évaluées par des pairs ? Ont-elles le même niveau ? Probablement pas. Ce qui est certain, en revanche, c’est que la Chine investit des milliards — même davantage que le gouvernement américain —, dans le domaine quantique. Cela soulève des inquiétudes, d’autant qu’elle a fait de la technologie quantique une priorité majeure.

Dans ce contexte, il est impératif de ne pas prendre de retard. La Chine est-elle un leader dans la technologie quantique ? Ou bien reste-t-elle en retrait loin derrière ? Les deux points de vue peuvent être défendus. L’essentiel est que les États-Unis doublent leur avantage comparatif, à savoir la force de leurs marchés financiers, et s’assurent que les départements concernés signalent clairement que la technologie quantique est une priorité stratégique, afin que leur base industrielle, très solide, puisse continuer à jouer son rôle.

Thomas Delage

Whitney McNamara

areion24.news