Donald Trump a relancé la guerre commerciale avec la Chine avec la menace le 10 octobre d’imposer des taxes douanières de 100% sur les importations chinoises, un nouveau bras-de-fer peut-être déjà perdu entre les deux plus grandes puissances mondiales après la décision chinoise très lourde de conséquences de contrôler davantage ses exportations de terres rares.
Tout paraissait enfin presque sans nuage entre Donald Trump et son homologue Xi Jinping à l’approche d’un possible sommet entre les deux dirigeants que Washington avait déjà annoncé en marge du prochain sommet en novembre de la Coopération économique pour l’Asie-Pacifique (APEC) en Corée du Sud.
Pékin n’avait jamais confirmé ce sommet qui serait le premier depuis 2019. Nul ne sait s’il aura lieu ou non du fait de ces tensions nouvelles qui augurent d’une nouvelle crise durable entre les deux géants économiques de la planète. Mais l’important n’est pas là.
Il est en effet plutôt à chercher dans la décision des autorités chinoises, annoncée le 9 octobre, d’imposer un contrôle approfondi sur les exportations des terres rares, sachant que la Chine extrait 69 % des minéraux de terres rares, traite 88 % des concentrés de terres rares et raffine 90 % des métaux de terres rares dans le monde.
Ces terres rares et minéraux sont devenus une absolue nécessité pour la fabrication d’une panoplie très large de produits allant de ceux utilisés au quotidien jusqu’aux hautes technologies militaires, que ce soient les smartphones, les ordinateurs, les automobiles ou les missiles intercontinentaux à capacités nucléaires (ICBM).
Les conséquences économiques, technologiques et donc géopolitiques de cette décision sont donc potentiellement considérables. Ceci d’autant plus que ces règles nouvelles introduisent aussi la notion d’extraterritorialité, mesure inédite pour la Chine qui s’arroge la possibilité d’interdire des exportations par des pays étrangers de produits contenant ces fameux métaux et terres rares d’origine chinoise. Les Etats-Unis ont souvent eu recours à cette notion, bannissant par exemple les ventes de smartphones de la marque chinoise Huawei contenant des puces d’origine américaine. Pékin ne fait donc que répliquer à son profit une méthode américaine.
Les enjeux sont donc énormes et tout cela l’administration américaine l’a bien compris. Au-delà des vociférations coutumières de Donald Trump, Washington a déjà appelé le reste du monde à en prendre la mesure, estimant qu’en faisant ainsi la Chine s’attaquait au monde entier.
Les Etats-Unis mettent en garde la Chine contre un découplage mondial
Le secrétaire au Trésor Scott Bessent a averti Pékin mercredi 15 octobre que ces nouvelles mesures de contrôle des exportations de terres rares et de minéraux critiques obligeraient les États-Unis et d’autres pays à un « découplage » avec la Chine. Ce terme de découplage est fort car il signifie couper tout lien de dépendance entre des économies, ce qui de l’avis de la majorité des experts est d’ores et déjà virtuellement impossible avec la Chine.
S’exprimant aux côtés du représentant américain au commerce Jamieson Greer lors d’une conférence de presse mercredi à Washington, M. Bessent a déclaré que « si la Chine veut être un partenaire peu fiable pour le monde, alors le monde devra se dissocier. » « Le monde ne veut pas de découplage. Nous voulons réduire les risques. Mais des signaux comme celui-ci sont des signes de découplage, ce que nous ne pensons pas que la Chine souhaite, » a-t-il souligné.
Selon les nouvelles règles annoncées par Pékin qui prendront effet le 1er décembre, les entreprises non chinoises exportant des produits contenant même d’infimes quantités (0,1% en valeur) de ces minéraux et de douze terres rares produites en Chine devront obtenir au préalable une licence gouvernementale. Loin d’être une décision hâtive, ce pavé dans la mare fait, à coup sûr, partie d’une offensive mûrement réfléchie par le régime communiste chinois issue d’un calcul politique prenant en compte l’effondrement progressif de l’influence américaine depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche le 20 janvier dernier.
Les restrictions nouvelles s’étendent notamment à l’erbium, l’europium, l’holmium, le thulium et l’ytterbium, et s’appliquent ainsi aux applications dans les domaines de la défense et aux semiconducteurs. Les perturbations causées par les restrictions à l’exportation sont inévitables en raison du manque de sources alternatives de terres rares et de l’absence de matériaux de substitution viables dans de nombreuses applications intégrées, souligne jeudi 16 octobre le groupe IDTechEx qui fournit des études indépendantes fiables sur les technologies émergentes et leurs marchés.
Lors de cette même conférence de presse, le représentant américain au commerce Jamieson Greer a insisté sur le fait ces mesures nouvelles auraient un impact mondial : « Si la Chine a pris un certain nombre de mesures commerciales de rétorsion contre les États-Unis, l’Europe, le Canada, l’Australie et d’autres pays ces dernières années, cette mesure-là n’est pas une rétorsion proportionnée. C’est là une forme de coercition économique sur tous les pays du monde. »
Sara Schuman, qui était jusqu’à récemment l’une des principales négociatrices commerciales américaines pour la Chine, a invité Pékin à revenir sur cette décision. « La balle est désormais dans le camp de la Chine. Va-t-elle […] lever ces restrictions [sur les terres rares] ou choisir d’utiliser comme arme les chaînes d’approvisionnement mondiales qu’elle domine ? », a-t-elle ajouté. « La réponse de la Chine à cette question au cours des deux prochaines semaines aura de vastes implications stratégiques pour les années à venir, » a-t-elle insisté.
Pékin a adopté un ton radicalement nouveau avec Washington
Derrière les paravents, la réalité semble bien être que le ton a radicalement changé à Pékin dans les négociations commerciales menées avec Washington. Selon plusieurs sources américaines informées, les dernières négociations tenues le mois dernier à Madrid ont été particulièrement orageuses, ce que laissent d’ailleurs entendre Scott Bessent et Jamieson Greer.
Cités par le quotidien des affaires britannique Financial Times dans son édition de mercredi 15 octobre, ils ont critiqué Li Chenggang (李成钢), le principal négociateur de l’équipe commerciale chinoise dirigée par le vice-premier ministre He Lifeng (何立峰), l’homologue du secrétaire au Trésor américain.
Selon Scott Bessent, Li Chenggang s’est rendu à Washington sans y être invité en août et s’y est montré « très irrespectueux, » contrairement aux autres membres de la délégation chinoise lors des quatre cycles de négociations commerciales tenues jusque-là.
Ce même négociateur, selon le responsable américain, est allé jusqu’à menacer de provoquer un « chaos mondial » si les États-Unis mettaient à exécution leur projet de facturer des frais aux navires chinois accostant dans les ports américains, une nouvelle politique américaine entrée en vigueur cette semaine.
Les analystes sont divisés sur les intentions chinoises. Pour certains, Pékin fait le pari que l’imposition du programme de contrôle des exportations de terres rares obligera les États-Unis à assouplir leurs contrôles à l’exportation sur les semiconducteurs et les technologies liées aux puces, sachant que Donald Trump a déjà plusieurs fois déjà cédé aux exigences chinoises.
Pour d’autres, l’attitude du régime chinois à l’égard des Etats-Unis a, sur le fond comme sur la forme, fondamentalement changé du fait de deux éléments nouveaux dans l’équation géopolitique mondiale : les dégâts massifs infligés à l’influence des Etats-Unis dans le monde par la politique souvent irréfléchie de Donald Trump et le renforcement progressif de l’alliance existant de facto entre la Chine et la Russie qui donnent à Pékin des cartes nouvelles dans son jeu sur la scène mondiale.
« On espère toujours que M. Trump parviendra à conclure un accord avec Xi Jinping, son homologue chinois, le 29 octobre, avant le sommet en Corée du Sud. Mais pour une trêve durable, chaque partie doit comprendre les forces et les faiblesses de son rival, ainsi que les siennes. Cela ne semble pas près d’arriver, » souligne jeudi The Economist.
« M. Trump semble croire que l’économie américaine peut supporter des droits de douane à trois chiffres sur la Chine. Ce, malgré l’expérience acquise plus tôt dans la guerre commerciale, lorsque les droits de douane moyens imposés par les États-Unis sur les produits chinois ont brièvement dépassé 100 % et que les marchés se sont effondrés. Cette situation, ainsi que les représailles de la Chine, se sont avérées trop douloureuses pour être supportées plus de quelques semaines. C’est pourquoi les États-Unis ont cherché à conclure une trêve en mai, » relève l’hebdomadaire britannique.
Les arguments de la Chine pour faire céder les Etats-Unis
Nombreux sont les économistes pour qui des droits de douane de 100% sur les importations chinoises se révèleraient rapidement trop coûteuses pour les consommateurs américains avec des conséquences politiques pour Donald Trump, tandis que la Chine a, de son côté, pris soin ces dernières années de diversifier ses exportations avec pour résultat une dépendance bien moindre à l’égard du marché américain.
« Si [Donald Trump] met à exécution ses droits de douane de 100 %, tous les paris sont ouverts. Si les investisseurs concluent que M. Trump ne les craint pas, ils le craindront », explique The Economist. « Nonchalants face aux faiblesses de leur pays, les responsables américains exagèrent également celles de la Chine. Il est vrai que celle-ci souffre d’une faible demande et d’une déflation persistante : ses prix à la sortie d’usine ont baissé en septembre pour le 36e mois consécutif. Sa croissance cette année a également été soutenue par les exportations. Mais cela ne signifie pas que la Chine dépend de manière paralysante du marché américain, » souligne l’hebdomadaire.
Dans un autre article, The Economist tourne en ridicule les dernières déclarations de Donald Trump, tour à tour menaçantes puis conciliantes, qui illustrent à souhait leur peu de sérieux. « Ne vous inquiétez pas pour la Chine, tout ira bien ! », a-t-il déclaré sur son réseau social Truth Social le 12 octobre, quelques jours après avoir menacé de riposter aux nouvelles mesures chinoises, suggérant que Xi Jinping « a simplement eu un mauvais moment. »
« Dire que Xi a eu un « mauvais moment » – ce qui signifie que Xi a commis une erreur – rend probablement plus difficile pour la RPC [la Chine] de faire marche arrière, même si elle le souhaitait, » explique Bill Bishop, observateur chevronné de la Chine, dans sa dernière newsletter. « La partie chinoise semble parier que Trump cédera à nouveau […] mais s’il ne le fait pas, les choses pourraient mal tourner. Il semble extrêmement improbable que la partie chinoise fasse marche arrière sur ce nouveau régime de contrôle des exportations qui lui confère un pouvoir considérable sur des industries mondiales clés, » ajoute-t-il.
Mais au-delà de l’inconséquence de Donald Trump, affirme en titre The Economist, « L’équilibre de la terreur économique n’est pas une base pour la stabilité » mondiale et les désaccords entre Washington et Pékin sont tels aujourd’hui qu’ils font peser la menace d’une crise durable aux conséquences planétaires.
« La dernière rupture montre également que les États-Unis et la Chine continuent de se méprendre l’un l’autre, » estime The Economist pour qui « M. Trump espère persuader M. Xi d’abandonner ces contrôles. Il sera déçu. Ils font partie des efforts déployés par la Chine pour mettre en place un cadre réglementaire pour ses meilleures armes économiques. »
Or la crise sino-américaine s’est encore aggravée depuis car, outre les taxes imposées aux navires commerçants chinois, elle s’étend aussi aux importations chinoises de soja américain que Pékin entend réduire.
« Je pense que tout ira bien. Et si ce n’est pas le cas, ce n’est pas grave […] J’ai une excellente relation avec le président Xi mais parfois on s’échauffe un peu, car la Chine aime profiter des gens. Quand les coups pleuvent, il faut savoir se défendre, » déclarait récemment Donald Trump.
Quasiment au même moment, la Chine faisait savoir qu’elle entendait réduire encore ses achats de soja américain. Ces derniers mois, Pékin, le plus grand acheteur mondial de soja, avait déjà fortement réduit ses achats en provenance des États-Unis au profit du Brésil et de l’Argentine.
« Nouvelle fureur de Donald Trump qui, mardi 14 octobre, a accusé la Chine d’avoir commis un « acte hostile sur le plan économique, » suggérant que les États-Unis pourraient chercher à se « venger » en mettant fin aux importations d’huile de cuisson et d’autres marchandises. « Nous pouvons facilement produire nous-mêmes de l’huile de cuisson, nous n’avons pas besoin de l’acheter à la Chine, » précisait Trump sur Truth Social.
La Chine et le temps long contre les États-Unis et le temps court
De ces derniers épisodes ressort nettement une différence de fond entre la Chine et les États-Unis sur leur façon de mener leur politique étrangère. Si celle de Pékin est basée sur le temps long alimentée par les bouleversements profonds que connaît la planète, celle de Washington plus immédiate est largement nourrie par son président et ses humeurs changeantes du moment.
L’une des surprises de l’année 2025 aura été le nombre très limité de pays qui ont choisi de riposter aux droits de douane imposés par Donald Trump en instaurant leurs propres taxes. La plupart ont estimé qu’il valait mieux apaiser le président plutôt que de risquer une confrontation coûteuse. Or la Chine a fait exception en répondant aux menaces de M. Trump par des mesures de rétorsion jusqu’à ce que les deux parties, à l’initiative du président américain, concluent une trêve de dernière minute au printemps dernier.
Ce contraste frappant entre la relative passivité des principaux partenaires des États-Unis et l’exception chinoise marque, de la part de la Chine, une combativité nouvelle qui illustre à la fois sa détermination à lui résister et le fait qu’elle affiche depuis le retour à la Maison Blanche du 47è président américain une volonté décomplexée de systématiquement contrecarrer ses ambitions.
Ce n’est pas la première fois que Pékin fait usage des terres rares comme d’un levier politique. Il l’avait fait dans les années 90 envers le Japon. Mais tout ceci fait dire à Edward Luce, rédacteur en chef pour les Etats-Unis du Financial Times, que « Trump est un cadeau qui continue de profiter à la Chine. »
Pour lui, le président américain est « condamné à sortir perdant de ses escalades commerciales avec la Chine. » « Trump ne semble pas partager l’opinion selon laquelle les États-Unis et la Chine sont engagés dans une lutte manichéenne pour la suprématie mondiale […] Ses actions alimentent les ambitions de la Chine et rendent plus probable une collision entre les deux puissances à un moment donné, » ajoute ce commentateur familier de la Chine.
« Ces mesures ont choqué tout le monde […] mais cela s’inscrit dans la lignée des efforts déployés par la Chine pour maximiser son influence et son contrôle sur les exportations de terres rares, » estime de son côté Henry Sanderson, l’un des grands spécialistes mondiaux des terres rares et de leurs utilisations.
« Je pense que la Chine est aujourd’hui décomplexée et nous avons déjà vu par le passé que lorsqu’elle a utilisé les terres rares comme moyen de pression, Trump a effectivement cédé et capitulé, » ajoute-t-il, cité mercredi 14 octobre par The Wire China, un magazine d’information hebdomadaire en ligne consacré à l’économie, aux affaires et à la finance chinoises, fondé par l’ancien correspondant du New York Times à Shanghai, David Barboza.
Le paris risqué mais calculé de la Chine et ses gains considérables
De fait, la décision de Pékin sur les terres rares ressemble fort à un pari calculé du président chinois basé sur un constat aussi simple que froid : à la différence de la période du premier mandat de Donald Trump (2017-2021), la Chine d’aujourd’hui est suffisamment forte pour résister aux États-Unis et faire plier son président fantasque.
Voici donc relancée la guerre commerciale entre les deux pays. Mais à Pékin, le calendrier politique n’est jamais loin des décisions importantes. Pour certains observateurs, Xi Jinping avait, pour des raisons internes, intérêt à relancer le bras-de-fer au moment où l’économie chinoise continue de montrer des signes d’essoufflement inquiétants.
Le quatrième plénum du 20e Comité central du Parti communiste chinois (PCC) se déroulera du 20 au 23 octobre. Il rassemblera quelque 370 membres permanents ou suppléants du comité central, avec pour objectif d’entériner les grandes orientations du pays. Une fois de plus, l’un des thèmes centraux sera la question prédominante de la sécurité nationale. Résister aux États-Unis donnera à Xi Jinping l’occasion de montrer à ses pairs qu’il est respecté sur la scène internationale, y compris par les Américains.
Mais s’il semble acquis que la Chine ne reviendra pas sur sa décision, le pari chinois est d’une portée bien plus grave puisqu’il touche l’ensemble des économies mondiales avec le risque – jugé à Pékin vraisemblablement faible et donc limité – d’une levée de boucliers sur la scène internationale.
S’il réussit, il donnera à la Chine un levier politique particulièrement puissant et inédit car il lui sera loisible, dans les licences qui seront ou non accordées à un rythme décidé par Pékin, de choisir ses cibles et, de la sorte, peser sur les alliés des Etats-Unis. Ceci avec pour ambition aujourd’hui à peine dissimulée de les éloigner de l’Amérique qui serait ainsi encore davantage fragilisée.
Pierre-Antoine Donnet