Face à une révolution technologique où le premier arrivé devrait tout rafler, la France et l’Europe accusent un retard très inquiétant face aux acteurs américain et chinois. Alors que la robotique humanoïde s’apprête à transformer en profondeur l’ensemble des pratiques humaines sans exception, la France n’aura d’autre choix que celui de mettre en place un « plan Marshall » de la robotique humanoïde nationale, si elle espère rester dans la course à ce que Pékin considère comme la révolution la plus puissante de l’histoire.
L’histoire industrielle française est jalonnée de grands succès et d’exploits de portée mondiale, grâce auxquels notre pays s’est inscrit dans la liste des nations technologiques de premier plan. Lorsque l’on évoque ces succès, on pense immédiatement au Concorde, au paquebot France, au TGV, au lanceur Ariane, à l’ensemble de la filière nucléaire française, ainsi qu’à la base industrielle de défense aujourd’hui classée au deuxième rang mondial pour l’exportation de matériels militaires. Les succès du Rafale (Dassault Aviation), du Canon Ceasar (KNDS), des sous-marins de Naval Group, des réacteurs de Safran et des systèmes radars de Thales ont fait le tour du monde et contribuent quotidiennement au rayonnement militaro-industriel français. Derrière chacun de ces exploits, on trouve des concepteurs visionnaires, des ingénieurs, des chercheurs, des financiers, de grands capitaines d’industrie et des équipes de précurseurs qui ont su prendre des risques avant les autres, faire des paris, arbitrer efficacement, anticiper les évolutions technologiques et la demande mondiale. Pour autant, ces succès historiques tricolores ne doivent pas faire oublier la très longue liste d’échecs, individuels ou collectifs, de rendez-vous manqués, de trains passés trop vite, de lacunes dans l’anticipation — qu’elles soient imputables à certaines entreprises ou aux structures étatiques chargées de la planification industrielle.
Par nature, l’échec marque moins l’histoire que le succès : chacun préfère l’oublier ou le sous-évaluer. Dans le domaine du numérique, les réussites européennes et françaises restent discrètes, souvent limitées aux frontières hexagonales, et accusent parfois un retard important face à la domination américaine et chinoise. Confrontés à une concurrence mondiale féroce, les secteurs de l’intelligence artificielle et de la robotique en Europe n’échappent pas à la règle des retards et des rendez-vous manqués. Le segment de la robotique humanoïde est à ce titre emblématique.
La filière européenne : entre manque de soutien et concurrence mondiale darwinienne
En 2025, deux grandes révolutions technologiques s’apprêtent à transformer l’ensemble des pratiques et activités humaines : d’une part, l’intelligence artificielle, incarnée par une course à l’IA générale opposant la Chine aux États-Unis ; d’autre part, la robotique, qui suscite paradoxalement moins d’attention dans l’espace médiatique que l’IA. Pourtant, c’est bien la robotique qui aura, in fine, beaucoup plus d’impact sur notre vie quotidienne et nos activités professionnelles. Là où l’IA agit sur l’espace numérique, la robotique intervient simultanément dans les sphères numérique et physique. En ce sens, la révolution robotique englobe celle de l’IA. Un robot transforme la matière, la façonne, l’assemble et la déplace. Il interagit physiquement et directement avec l’humain et son environnement, ce qui constitue une différence fondamentale avec l’IA, prisonnière de sa dimension numérique. Lorsqu’un robot embarque de l’IA, il opère la jonction entre les deux espaces physique et numérique. Tout devient alors possible pour celui qui supervise le robot en termes de puissance et de passage à l’échelle dans la mécanisation du travail.
En France, la révolution de l’IA a bien été prise en compte par les pouvoirs publics : plusieurs plans de développement et de soutien à la filière ont été lancés, et, ces deux dernières années, le président de la République a multiplié les interventions sur l’IA et a tenté de réunir les forces vives du domaine à l’occasion de grandes conférences. La France forme d’ailleurs d’excellents chercheurs en IA de renommée mondiale, très appréciés par les géants américains de la tech, mais également très mal payés en France. Les GAFAM savent reconnaitre leur valeur et les attirer en leur proposant un salaire qui leur permet de s’extraire de la précarité salariale de la recherche publique française.
En dehors de la recherche en IA et en robotique — où la France dispose de laboratoires de recherche très performants, reconnus internationalement —, la situation est moins brillante au niveau industriel. Les start-up françaises stars de l’IA sont majoritairement financées par des fonds américains et n’ont donc de « français » que la domiciliation et la nationalité des dirigeants.
La situation est encore plus critique en robotique. Les financements français demeurent extrêmement rares : nous disposons notamment de champions dans le domaine des drones (robotique aérienne), mais qui ont trouvé, faute de convaincre des investisseurs locaux, leurs financements hors de France. La filière des drones aériens français est pourtant très active et très innovante, comptant une quinzaine de constructeurs évoluant dans un marché international concurrentiel, soutenu par presque tous les gouvernements. Les entreprises qui survivent après dix ans sont à la fois résilientes et innovantes, et ont su se développer sans soutien étatique, dans un écosystème darwinien où seuls les plus forts survivent. À ce jour, il est toujours extrêmement difficile pour une start-up française de robotique aérienne de trouver des investisseurs français qui acceptent de porter seuls le risque face à l’absence de financements et de commande publique. En robotique terrestre, « le ticket à l’entrée » en termes de recherche et de développement (R&D) reste très élevé et limite fortement l’apparition de nouveaux acteurs. La France possède toutefois un champion internationalement reconnu, Shark Robotics, qui est le leader mondial du segment des robots pompiers et des rovers évoluant dans des environnements extrêmes. Là encore, il s’agit d’une société purement darwinienne, qui n’a jamais bénéficié de soutien étatique mais qui a su trouver le chemin de la réussite à l’international, en s’appuyant sur une capacité d’innovation exceptionnelle (plus de 50 brevets déposés en dix ans). Le segment de la robotique navale repose quant à lui sur le succès de grands groupes industriels comme Naval Group, et sur celui de quelques start-ups capables de rivaliser avec une concurrence mondiale féroce, soutenue et subventionnée. Enfin, le segment hautement stratégique de la robotique humanoïde s’est structuré, à l’échelle mondiale, autour des deux géants que sont les États-Unis et la Chine. À ce jour, l’Europe et la France en sont totalement absentes, ne comptant ni grands constructeurs ni start-ups spécialisées dans les robots humanoïdes (bipèdes) ou quadrupèdes. Ce « trou dans la raquette » européenne constitue une vulnérabilité potentiellement catastrophique pour notre souveraineté industrielle et notre indépendance.
Les gagnants historiques de la robotique humanoïde font oublier les perdants
Historiquement, le premier champion de robotique humanoïde est né aux États-Unis avec la création de Boston Dynamics en 1992, en tant que spin-off du MIT (Massachusetts Institute of Technology). Rachetée en 2013 par Google, puis en 2017 par Softbank, et encore en 2021 par Hyundai Motor, Boston Dynamics a développé une gamme complète de robots terrestres quadrupèdes et bipèdes, en particulier les robots humanoïdes Petman et Atlas — les premiers véritables humanoïdes capables d’accomplir des tâches utiles en remplacement d’un opérateur humain.
Contrairement à la multitude de constructeurs de robots à roulettes, de robots « jouets » de petite taille qui n’ont jamais réussi à maitriser la marche humaine, Boston Dynamics a relevé le défi technologiquement complexe de la locomotion bipédique.
Depuis le début des années 1980, de nombreuses tentatives infructueuses ont visé à produire des robots humanoïdes capables de marcher comme un humain, en conservant leur équilibre. Ces efforts se sont toutefois heurtés à l’extrême complexité de la marche humaine et du maintien de l’équilibre sur deux pieds. Conscients de cette double difficulté — à la fois algorithmique et mécanique —, les constructeurs ont fini, les uns après les autres, par céder à la facilité : greffer des roulettes sous les pieds et réduire la taille des robots. Ce faisant, ces constructeurs n’ont jamais produit de robot humanoïde au sens strict du terme, mais des robots « jouets » roulants, incapables d’exécuter des actions utiles ou de remplacer l’humain. En France, un seul constructeur disposait initialement des capacités pour relever ce défi : Aldebaran Robotics. Première pépite française du secteur, l’entreprise a été placée en liquidation judiciaire en juin 2025, après une série de rachats, de plans de reprise infructueux, et — il faut le dire — de mauvais choix technologiques répétés. On pourrait résumer cet échec entrepreneurial en une phrase : Aldebaran a été tuée par ses roulettes, par la trop petite taille de ses robots Pepper et Nao, et par leur incapacité à reproduire la marche humaine ou à réaliser des actions véritablement utiles dans un environnement humain. À l’inverse, Boston Dynamics, en investissant plusieurs dizaines de millions de dollars dans sa R&D, est devenu le premier laboratoire à lever les verrous scientifiques de la mécatronique, du contrôle optimal et de l’optimisation. Ce travail lui a permis de concevoir des robots à taille humaine capables d’adopter une marche humaine. Les succès de Boston Dynamics ont ainsi marqué et rythmé la première phase de la révolution de la robotique humanoïde. La seconde phase, elle, est aujourd’hui en cours. Elle se caractérise par une accélération technologique sans précédent et par une hégémonie industrielle chinoise. En un mot : le robot humanoïde — Boston l’a pensé, mais Shenzhen l’a réalisé, et l’a rendu accessible au plus grand nombre.
En robotique humanoïde, le gagnant (chinois) rafle tout !
Selon Citigroup, le marché des robots humanoïdes et des services associés pourrait représenter 7 000 milliards de dollars d’ici à 2050, avec plus d’un milliard de robots en activité dans le monde. Ce segment bénéficie de l’essor fulgurant de l’IA générative et de la profondeur de marché maximale, fondée sur l’hypothèse de « un ou deux robots par foyer dans le monde entier ». En 2024, Elon Musk estimait que son humanoïde Optimus pourrait générer, à lui seul, un chiffre d’affaires de 10 000 milliards de dollars ! Il reconnait toutefois, avec lucidité, que la Chine a toutes les cartes en main pour dominer cette nouvelle industrie. Selon lui, les meilleures entreprises du secteur, à l’exception de Tesla, d’Amazon (qui teste actuellement des humanoïdes chinois), de Boston Dynamics et de Figure AI, seront toutes chinoises. On imagine facilement que la Chine saura suffisamment réduire ses couts de production pour rafler la mise d’un marché mondial en croissance exponentielle. Elle l’a fait sur le marché des véhicules électriques, et pourrait répliquer ce schéma dans la robotique humanoïde. Par ailleurs, elle a déjà largement dépassé le Japon et l’Allemagne en matière de densité de robots industriels déployés dans les usines du pays.
Le gouvernement chinois, le Parti communiste et l’écosystème industriel s’accordent à considérer que la révolution de la robotique humanoïde sera la plus puissante de l’histoire. D’un point de vue économique, la profondeur de marché se chiffre en milliers de milliards d’euros. La Chine fait logiquement le pari de devenir le premier constructeur mondial de robots humanoïdes, produits en masse, efficaces, utiles, fiables, attendus et bon marché. Pour les industriels chinois, chaque foyer, chaque individu, possédera un à trois robots humanoïdes, et interagira quotidiennement avec des centaines de robots dans l’espace public, les transports et au travail. Ces robots, toujours plus réalistes, ressembleront de plus en plus physiquement à des humains afin de se fondre dans notre environnement. De la même manière que chaque famille possède aujourd’hui un aspirateur, un réfrigérateur ou un four à micro-ondes, elle possédera demain un ou deux robots humanoïdes, achetés pour quelques milliers d’euros, capables de réaliser des tâches domestiques et ainsi de soulager la charge de travail des humains. Pour relever un tel défi industriel, il faut pouvoir produire vite, massivement, et à cout optimisé. Avec plus de 60 constructeurs chinois répartis sur son territoire, la Chine s’est dotée d’un outil de production de niveau planétaire. Elle a également inauguré la première méga-usine de robotique au monde, d’une taille équivalente à celle d’une grande ville française ! Ces usines géantes rassemblent dans une même zone géographique des centaines d’usines complémentaires : production de matériaux, composants électroniques, capteurs, caméras, semi-conducteurs, puces et composants électroniques, moteurs électriques, mécatronique, softwares embarqués, IA, etc. En concentrant ces activités dans un même espace, les stratèges industriels chinois parviennent à réduire les couts de R&D, de production, les délais et couts de livraison, les temps d’assemblage, tout en mutualisant les ressources et les efforts nécessaires. En une décennie, l’industrie chinoise a su capitaliser sur les avancées technologiques de Boston Dynamics, en particulier dans les robots quadrupèdes et bipèdes, pour accélérer sa propre R&D, puis industrialiser ces innovations en les rendant accessibles au grand public. Cette performance est remarquable par son triple impact : en R&D, en capacité de production et en logistique industrielle.
Les motivations stratégiques de la Chine pour accélérer dans la robotique humanoïde sont multiples. Elle souhaite tout d’abord pouvoir faire face au déclin démographique : la population active chinoise devrait diminuer de 22 % d’ici à 2050. Pour y répondre, Pékin mise sur l’automatisation massive de son industrie, avec pour ambition de remplacer le plus d’ouvriers et techniciens possible par des opérateurs humanoïdes, capables de travailler sans interruption, 24h/24, 365 jours par an, sans salaire ni revendications. Cette stratégie permet également d’éviter les couteuses adaptations des postes de travail. En effet, le robot humanoïde, par sa morphologie similaire à celle de l’homme, n’exige pas de réaménagement de la zone de travail. La Chine ambitionne de disposer de régiments de travailleurs industriels bénévoles, dévoués, dociles, disponibles, et d’effectifs extensibles sans limite, à la hausse comme à la baisse. Les robots, polyvalents, pourront ainsi être affectés à la demande dans les secteurs en tension, dans des emplois pénibles, dangereux, ou à faible niveau d’attractivité : restauration, hôpitaux, maisons de retraite, etc.
Le pouvoir chinois envisage également des usages militaires. Les robots humanoïdes pourraient devenir des soldats bénévoles, dévoués, dociles, disponibles, d’effectifs extensibles, capables d’interagir immédiatement avec les unités de drones terrestres, aériens et navals qui seront déployés en première ligne des futurs conflits.
Ainsi, la Chine perçoit la robotique humanoïde comme un extraordinaire levier de puissance géopolitique lui assurant une position de leader planétaire. Elle pourrait lui permettre d’augmenter immédiatement sa productivité nationale et de renforcer son influence technologique mondiale. La rapidité avec laquelle l’écosystème industriel chinois se déploie dans ce domaine laisse peu de place à la concurrence internationale. Cet élan contraste avec les faiblesses structurelles de l’Europe et de la France, qui peinent à planifier, financer et industrialiser rapidement leurs innovations.
Une start-up française souhaitant se lancer dans le développement puis la production de robots humanoïdes se heurterait en effet à trois verrous majeurs. Le premier réside dans le temps de développement et la complexité de la R&D. Concevoir un véritable robot humanoïde (et non un jouet à roulettes), capable de reproduire la marche humaine, implique de partir d’une feuille blanche. Atteindre le niveau du robot chinois Unitree H1 nécessite une équipe d’ingénieurs et de chercheurs de très haut niveau. Un time to market (temps de développement) long est rédhibitoire face à la vitesse de développement chinoise. Ce délai conduit à un autre obstacle majeur : le financement, extrêmement difficile à trouver. La réponse des fonds d’investissement est presque toujours sans appel : « Impossible, trop risqué, trop tard face à la concurrence chinoise ! Vous allez mettre trois ans pour développer un robot qui aura cinq ans de retard sur les robots chinois. Vous allez le vendre dix fois plus cher que le robot chinois et ne trouverez pas votre marché. » Ces arguments sont rationnels : en cassant les prix de vente des humanoïdes, la Chine a verrouillé le marché grand public et interdit la naissance d’une concurrence européenne crédible. Enfin, le troisième verrou concerne la forte dépendance aux composants chinois. Construire un robot humanoïde 100 % français, sans aucune dépendance aux technologiques chinoises et américaines, relève de l’utopie. Par exemple, il n’existe plus, en France, de fabricants de micro-moteurs électriques à bobines. Ces composants basiques chinois, vendus entre un et deux euros pièce, provoquent une perte de souveraineté par le low cost qui s’applique à de nombreux composants nécessaires à la composition d’un robot. Ce monopole de la robotique chinoise est la parfaite illustration du principe bien connu de « The winner takes it all ».
Les enjeux planétaires de la robotique humanoïde
Contrairement aux drones ou aux machines robotisées dédiées à la production industrielle, la robotique humanoïde s’inscrit dans l’ensemble des activités humaines, sans exception. Premièrement, le robot humanoïde a pour vocation de se substituer à l’humain dans les actions du quotidien, notamment celles qui sont dangereuses, risquées, pénibles, répétitives ou chronophages. Le robot lui fait ainsi gagner du temps et de la puissance dans l’action. On peut imaginer les consignes qu’un utilisateur pourrait donner à Hector, le robot humanoïde Unitree H1, acheté dans une grande surface d’électroménager : « H1, ce matin tu tondras la pelouse et tailleras la haie. Tu iras ensuite chercher et déposer deux colis à la Poste, après avoir acheté un pack de lait et deux paquets de pop-corn au supermarché, s’il te plait. Tu penseras à faire réviser le cours de mathématiques de Bob ce soir, car il a un contrôle demain. La semaine prochaine, tu participeras au déménagement de mamie, qui s’installe dans son nouvel appartement. Tu monteras ses meubles livrés en kit. Tu resteras deux jours chez elle pour déballer ses affaires et la soutenir. Tu accueilleras son humanoïde dédié au grand âge en lui transmettant ses préférences culinaires et les médicaments qu’elle doit prendre. » Un tel scénario est concevable grâce aux progrès fulgurants de l’IA générative multimodale. Ils permettent aux robots humanoïdes d’embarquer des capacités avancées d’interaction avec l’humain : reconnaissance vocale, expression naturelle, analyse vidéo en direct, apprentissage par renforcement. Ces fonctions évoluent quotidiennement.
Les robots humanoïdes pourraient également trouver un rôle crucial dans l’industrie, la production, la logistique, les transports et les services, où ils deviennent des employés travaillant aux côtés des humains. Dans certaines usines, il est envisagé que les ouvriers humains disparaissent complètement, remplacés uniquement par des superviseurs. Le taux de remplacement de l’humain par la machine pouvant atteindre 100 % entraîne la suppression des coûts liés aux salaires, aux retraites, aux cotisations sociales et aux assurances. Il offre une scalabilité complète, permettant aux dirigeants d’ajuster le nombre d’humanoïdes en fonction de la demande. Dans des environnements dangereux ou toxiques pour les êtres humains, les robots peuvent évoluer sans nécessiter les mêmes protections, ce qui réduit l’ensemble des couts d’infrastructures. Toutefois, certains y voient déjà la marque d’un hypercapitalisme 2.0, capable de détruire le travail humain et les acquis sociaux qui en découlent.
Dans le domaine militaire, la robotique humanoïde doit être considérée avant tout comme une substitution de l’humain par la machine, avec pour objectif principal l’économie du sang des combattants humains. L’hyper-robotisation du champ de bataille est désormais en marche. Les conflits à venir seront d’abord des guerres de drones, avant que ne survienne une éventuelle montée aux extrêmes impliquant un échange nucléaire entre belligérants. Le conflit russo-ukrainien révèle le rôle central joué par la robotique aéroterrestre, avec une consommation journalière de plusieurs milliers de petits drones FPV [en vue subjective], et des millions de drones détruits chaque année de part et d’autre. L’engagement de drones toujours plus rapides, puissants, furtifs, agressifs, précis, et autonomes sur le terrain a un effet direct sur la probabilité de survie d’un combattant humain : sur la ligne de front, leurs chances de survie diminuent au-delà des cinq minutes d’engagement. Ce conflit a ainsi mis en lumière une « zone mortelle » d’environ vingt kilomètres de large, tout le long de la ligne de contact. Cette zone, devenue invivable pour le soldat biologique, est désormais le théâtre des combats de première ligne entre systèmes armés robotisés. Les versions militaires des robots humanoïdes chinois sont conçues pour être les remplaçants sacrifiables des combattants humains dans toutes les zones à risque, y compris dans les fonctions logistiques, comme le réapprovisionnement sur les routes menant à la ligne de front. Ces soldats robots sont entrainés pour conduire différents types de véhicules, à l’image des chauffeurs humains. Là encore, il s’agit de substituer un livreur humain par un robot sacrifiable, afin de minimiser les pertes humaines.
La nécessité d’un « plan Marshall » de la robotique humanoïde française
Compte tenu de la profondeur de marché véritablement planétaire de la robotique humanoïde — qu’il s’agisse d’applications civiles, industrielles, sociales, domestiques, à la personne et au quotidien, ou militaires —, il est naturel de chercher à évaluer l’impact global de cette révolution sur la création de richesse. Quelles économies de temps, de budget, de main-d’œuvre et de sang cette diffusion massive des robots humanoïdes permettra-t-elle à l’échelle mondiale ? Quels gains de productivité, quels volumes de capital dégagés, quelle quantité de temps libre rendue aux individus peut-on anticiper ? Et, selon une perspective schumpétérienne, quel est le rapport entre les emplois supprimés par l’automatisation et ceux nouvellement créés ?
Si l’on en revient à la situation française, le constat est très sombre : aucun constructeur crédible de robots humanoïdes n’existe actuellement sur notre territoire, et les verrous concurrentiels chinois semblent aujourd’hui insurmontables. En pariant sur l’émergence d’une volonté politique forte, on pourrait imaginer lancer un « plan Marshall » de rattrapage national en robotique humanoïde, dont l’objectif serait de réduire le retard technologique de la France en moins de trois ans. Pour cela, il faudrait réunir une équipe « commando » composée de deux ou trois chefs d’entreprise sélectionnés pour leur capacité à innover rapidement et efficacement. Ils s’associeraient à une équipe de chercheurs issus de laboratoires reconnus en robotique comme le CNRS, l’INRIA ou l’ONERA. À cette alliance s’ajouterait un groupe d’ingénieurs, de techniciens et d’inventeurs ayant conçu des automates avancés ou des mécanismes inédits. L’étape suivante consisterait à acheter un exemplaire de chacun des robots américains et chinois : les modèles de Boston Dynamics, Tesla et Unitree Robotics (le H1 et même le plus récent G1). Ces machines seraient démontées et analysées dans leur architecture, non pas pour être copiées, mais pour permettre de dégager les éléments communs nécessaires à la construction d’une architecture humanoïde française. S’appuyer sur l’existant commercialisé éviterait les écueils déjà rencontrés (notamment ceux des robots à roulettes ou robots jouets qui ne savent rien faire) et permettrait de rattraper le retard français. La société ainsi fondée réaliserait une levée de fonds initiale de 25 millions d’euros, garantie par l’État, permettant la création d’une usine de production, dont l’activité serait encadrée par des objectifs trimestriels de résultats. Ce plan de choc pourrait permettre à la France de reprendre pied dans cette course technologique, dont l’enjeu est de réduire le retard français en moins de trois ans et 25 millions d’euros si l’équipe constituée fonctionne en autonomie, tout en privilégiant la performance, la rapidité d’exécution et l’agilité créative.
Thierry Berthier