Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

dimanche 7 septembre 2025

Défilé chinois du 3 septembre – quelques éléments d’analyse

 

En première analyse, le défilé chinois marquant les 80 ans de la victoire, le jour de la reddition du Japon – a été particulièrement riche. Sur l’assistance: le président serbe Vucic, le premier ministre slovaque Fico, les présidents iranien, russe, Kim Jong-Il (c’est la première 1ere présence d’un dirigeant nord-coréen de son rang depuis 1959), les présidents indonésien, azéri, tadjik, ouzbek, kazakh, turkmène, vietnamien, le roi du Cambodge. Japon, Australie ont envoyé d’anciens ministres, Singapour un vice-premier ministre, la Corée du Sud le président de son Assemblée. De facto, ces défilés sont aussi des événements diplomatiques et celui-ci était centré sur la composante régionale – et Pacifique – de l’Indopacifique. 

Sur l’armement, la parade de 2015 avait révélé un grand nombre de nouveaux systèmes. Ils étaient plus nombreux cette année. Parfois moins identifiables, avec quelques surprises et allant donner du travail aux analystes durant des mois. Je ne vais pas rentrer ici dans le détail, mais on peut noter:

– Une nouvelle famille de blindés : le ZTZ-100 et un nouvel IFV sur le même châssis. On note aussi que le module artillerie comprend ce qui semble être un nouveau TEL pour le SRBM DF-15B et ne comprend pas d’artillerie à tube. Plusieurs types de robots terrestres ont défilé, de même que l’attention portée aux systèmes de transmissions, de détection et, surtout, de guerre électronique a été importante, appuyant la rhétorique chinoise de l’informationnalisation (numérisation et son exploitation) et de l’intelligentisation (usage systématique de l’IA). 

– Un grand nombre de nouveaux missiles antinavire : YJ-15 supersonique ; YJ-17 (planeur hypersonique), YJ-19 (missile de croisière hypersonique), YJ-20 balistique à lancement aérien. On note également la mine automatisée AQS-003A ;

– Les nouveaux systèmes aérobalistiques conventionnels : le DF-26D, nouvelle variante de l’IRBM possiblement doté d’un planeur hypersonique ; l’YJ-18C ; le CJ-1000 à lancement terrestre et qui semble être une variante modernisée du CJ/DH-100 ; le missile de croisière subsonique CJ-20A à lancement aérien. Relativement plus ancien, le DF-17 hypersonique a également défilé – mais pas le DF-16, par exemple. 

– Pour la défense aérienne, plusieurs nouveaux systèmes notamment SHORAD – et une nouvelle variante du HQ-9 (équivalent chinois du S-300), mais surtout une bascule antimissile, avec le HQ-19 (haut endo-atmosphérique) dont on parlait dans le DSI HS n°101 et surtout le très lourd HQ-29, exo-atmosphérique, à vocation antisatellite. Ce qui transparaît ici est le volume des salves : le FK-3000 permet de lancer 48 missiles à très courte portée. 

– Les drones sous-marins lourds – dont ce qui ressemble à un équivalent au Poseidon russe sans que l’on ne connaisse la charge utile. S’y ajoute un USV lourd. 

– On note pas moins de quatre effecteurs déportés, en plus d’un drone de combat GJ-11 et d’un MALE Wing Loong doté de ce qui semble être un missile de croisière compact. Par contre, les grands absents du défilé sont les deux types de chasseur de 6ème génération révélés l’an dernier – qui ne doivent pourtant pas être plus opérationnels que les effecteurs. Le défilé aérien, d’ailleurs, a été relativement contenu. 

– Un effort particulier sur les capacités nucléaires, présentées en un bloc distinct des capacités aérobalistiques conventionnelles. L’ALBM JL-1 reprend donc la désignation du 1er SLBM chinois et pourrait être une variante de l’YJ-21. Le DF-31BJ est la variante du DF-31 destiné à doter les silos construits ces dernières années. Le DF-61 lourd et mobile et ne présente que très peu de différences extérieures comparativement au DF-41. Cela pose l’hypothèse d’une dotation du DF-41 avec un ou plusieurs planeurs hypersoniques. Première présentation également pour le DF-5C, décomposé en trois, et non plus deux, parties. La première est une tête massive, qui pose l’hypothèse d’une opérationnalisation de la capacité FOBS déjà démontrée par la Chine, ou encore d’une charge de très forte puissance destinée aux PC stratégiques. 

Toutes ces évolutions pointent vers deux messages. D’une part, la crédibilité stratégique, à tempérer par les tumultes que connaît aujourd’hui la structure de commandement des forces, mais aussi par une série de déficits majeurs toujours en cours de résorption, notamment dans la variété et la fréquence des exercices au niveau brigade et au-delà. D’autre part, la recherche de supériorité qualitative. Ces défilés sont réputés présenter des systèmes en service, ce qui n’est probablement pas le cas pour plusieurs systèmes. Reste aussi à voir dans quelles quantités ils seront produits et à quel rythme. 

Mais le message donné aux Etats de l’Indopacifique est d’autant plus clair en entendant les déclarations de Xi Jinping sur un monde à un tournant entre la paix et la guerre: à l’heure du désengagement américain – même s’il reste relatif en Indopacifique – la Chine ne se positionnement plus seulement comme un hégémon régional de plus en plus difficile à contester, mais comme puissance pleinement hémisphérique et à vocation naturellement mondiale. 

La séquence du défilé, de ce point de vue, est inséparable du sommet de Tianjin de l’Organisation de coopération de Shangai, tenu les 31 août et 1er septembre, un Sommet où Xi, en hôte, était au centre de la photo… 

La Chine étale sa puissance et se pose en alternative à l’Amérique

La Chine de Xi Jinping a, comme jamais, fait étalage de sa puissance mercredi 3 septembre lors du premier défilé militaire au cœur de Pékin depuis plus de cinq ans auquel ont assisté ses « amis » de même que ses alliés, anciens ou nouveaux, dont au premier chef le président russe Vladimir Poutine et le dictateur nord-coréen Kim Jong-un.

Jamais dans l’histoire de la Chine communiste depuis son arrivée au pouvoir en 1949 un défilé militaire n’avait connu une telle ampleur place Tiananmen. Le coup d’éclat a été à la fois militaire et diplomatique puisque Xi Jinping a, en même temps, réuni à Tianjin le 31 août et le 1er septembre une brochette impressionnante de 26 chefs d’Etat pour le sommet annuel de la Shanghai Cooperation Organisation. Cette opération de séduction constitue pour la Chine une première éclatante depuis longtemps.

L’un des grands succès du sommet de Tianjin, est pour Pékin d’avoir fait venir le chef du gouvernement indien, Narendra Modi, dont c’était le premier voyage en Chine depuis sept ans.

Sa présence à Tianjin illustre un rapprochement qui, bien qu’encore précaire, est autant spectaculaire qu’inattendu entre les deux géants et puissances nucléaires de l’Asie dont les relations, marquées par des différends frontaliers parfois sanglants, étaient jusque-là glaciales.

La venue de Narendra Modi est, pour partie au moins, la conséquence des tarifs douaniers massifs imposés contre toute attente à l’Inde par Donald Trump pour la punir de ses achats d’hydrocarbures à la Russie, une mesure humiliante qui a eu le don d’ulcérer le responsable indien et de saboter durablement plus de vingt-cinq années d’efforts diplomatiques constants menés par les États-Unis pour attirer dans leur sphère d’influence ce pays jaloux de son indépendance et l’éloigner d’autant de la Chine et de la Russie

Donald Trump pousse l’Inde dans les bras de la Chine

A l’approche du défilé, le président chinois Xi Jinping, tout sourire, s’est donc employé à charmer son hôte indien en affirmant, dimanche 31 août, que les contentieux frontaliers sino-indiens ne devaient plus entraver les relations entre la Chine et l’Inde, ajoutant que ces liens, désormais rétablis, devaient s’inscrire dans une « perspective stratégique et à long terme. »

A l’occasion de cette rencontre quelque peu historique et singulière en marge du sommet de l’OCS, le maître de la Chine communiste a estimé que les deux géants asiatiques pouvaient être désormais de bons voisins afin de jouer ensemble un rôle clé dans le « Sud global, » cette région du monde qui fait pendant à l’Occident et que convoite la Chine.

Nous sommes « des partenaires plutôt que des rivaux, qui peuvent offrir des opportunités de développement les uns aux autres plutôt que des menaces, » a déclaré Xi. « La Chine et l’Inde sont deux des pays les plus civilisés […] Nous sommes les deux pays les plus peuplés du monde et faisons partie du Sud global […] Il est essentiel d’être amis, de bons voisins [pour] que le dragon et l’éléphant s’unissent, » a ajouté le président chinois, son éternel sourire énigmatique aux lèvres.

Narendra Modi, très souriant lui aussi et visiblement décontracté, lui a répondu que les deux pays avaient évolué dans « une direction positive » depuis 2024. « Nous sommes déterminés à faire progresser nos relations sur la base de la confiance mutuelle, du respect et de la sensibilité, » a-t-il ajouté.

Le Premier ministre indien a toutefois pris soin de ne pas s’afficher au côté de Vladimir Poutine et de Kim Jong-un lors du défilé militaire où il était ostensiblement absent mercredi. Mais, absent ou pas, une photo restera dans l’histoire : celle, complaisamment diffusée par la Chine, où apparaissent très détendus et côte à côte comme de bons amis Xi Jinping, Narendra Modi et Vladimir Poutine.

Le symbole de cette photo est fort car, implicitement au moins, en acceptant de poser au côté de ces deux personnages, le Premier ministre indien ne craint pas de donner ainsi une caution morale à l’agresseur en Ukraine depuis le début de son « opération spéciale » le 24 février 2022 aujourd’hui qualifié de criminel de guerre par la Cour pénale Internationale.

Non moins fort de symbole est cette heure passée sans témoin et en tête à tête entre le dirigeant indien et Vladimir Poutine dans la limousine officielle toutes portes fermées de ce dernier et dont la teneur des entretiens est évidemment restée confidentielle. Rien de tel n’avait jamais eu lieu entre les deux hommes à ce jour. Or, en une heure, il peut se dire beaucoup de choses, surtout lorsqu’il n’y pas de témoin.

Kim Jong-un arrivé à Pékin à bord de son train blindé

Mardi, ce fut au tour de Kim Jong-un de rejoindre Pékin dans ce ballet diplomatique réglé au millimètre par les autorités chinoises. Parti la veille de Pyongyang, la capitale du pays le plus fermé du monde, le dictateur nord-coréen a franchi les 1 200 km jusqu’à Pékin à une vitesse moyenne de 60 km/h à bord de son train blindé personnel quasi invulnérable.

Un peu plus tard, la photo de famille a fait le tour du monde le montrant en compagnie de ses deux mentors, Xi Jinping et Vladimir Poutine, un autre symbole encore d’une Chine qui, décomplexée, entend désormais – sans le dire explicitement – être le chef de file d’un ordre mondial nouveau, aux antipodes d’une démocratie et d’un Occident détestés.

Le message du dictateur chinois aux commandes de la Chine depuis 2012 est limpide : face à une Amérique redevenue « impérialiste, » imprévisible et fauteur de guerres depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche le 20 janvier de cette année, la Chine entend devenir une alternative crédible, responsable et pacifique pour un monde plus troublé que jamais.

Comme pour impressionner encore davantage, le quotidien anglophone de Hong Kong South China Morning Post a, quelques jours avant le défilé, détaillé une panoplie conséquente de l’arsenal militaire dont dispose l’Armée populaire de libération chinoise (APL).

Parmi les armements les plus sophistiqués figurent le porte-avions Shandong jaugeant 70 000 tonnes et croisant à 31 nœuds capable de transporter 36 aéronefs dont des chasseurs J-15 et des hélicoptères de combat, le porte-avion le plus avancé chinois Fujian de 85 000 tonnes disposant d’une catapulte électromagnétique pouvant transporter plus de 40 chasseurs ainsi que des hélicoptères dont la mise en service est attendue en 2025.

Ont été opportunément présentés aussi les chasseurs J-20 de 5ème génération de 37 tonnes et atteignant Mach 2 dont plus de 200 seraient en service dans l’armée de l’air chinoise ainsi que le modèle plus avancé furtif J-35, un biréacteur encore à l’état de prototype de 28 tonnes croisant à Mach 1,8 censé rivaliser avec le célébrissime F-35 Raptor américain.

S’ajoute bien entendu l’arsenal nucléaire, dont les énormes missiles balistiques intercontinentaux ICBM DF-31 d’une portée de 8 000 à 11 000 km pouvant transporter une ogive nucléaire de un mégatonne déployés depuis 2017 – et dont la Chine disposerait de quelque 100 unités – ainsi que le tout récent et redoutable ICBM DF-41 d’une portée de 12 000 à 15 000 kilomètres atteignant Mach 25 en mesure de transporter dix ogives nucléaires et de frapper tout endroit sur le sol américain et dont la Chine posséderait 350 exemplaires, selon le Pentagone.

Un certain nombre de ces armements nouveaux ont été montrés pour la première fois en public, dont le missile intercontinental à capacité nucléaire JL-3 lancé par un sous-marin, de même que le DF-61, un missile ICBM d’une technologie plus avancée que le DF-41, ou encore le missile balistique hypersonique YJ-21 antinavire de dernière génération, le tout présenté sous les yeux de Xi Jinping debout au milieu de l’estrade officielle.

Les salutations de Donald Trump à Vladimir Poutine et Kim Jong-un

Selon les estimations des experts occidentaux, la Chine disposerait de quelque 500 missiles nucléaires mais redouble d’efforts depuis une petite décennie pour porter cet arsenal à au moins 1 000 ogives d’ici 2027, loin derrière encore la Russie et les Etats-Unis.

La portée du DF-41 lui permet théoriquement de frapper tout endroit du territoire américain et la trajectoire de ses ogives nucléaires multiples serait indétectable jusqu’au tout dernier moment. Aux missiles intercontinentaux installés dans des silos, par nature vulnérables à des frappes préventives, s’ajoutent bien sûr ceux tirés par des sous-marins nucléaires plus difficiles à repérer et d’autres encore lancés ou largués par des bombardiers à long rayon d’action.

« Beaucoup de ces nouvelles armes présentées par l’APL pourraient jouer un rôle clé dans tout conflit à venir qui inclurait Taïwan, » a souligné le South China Morning Post, le président chinois déclarant dans son discours que l’armée chinoise devait « remplir sa mission sacrée et accélérer l’édification de forces armées de classe mondiale pour protéger la souveraineté nationale et contribuer à la paix dans le monde et au développement. »

« Le monde est aujourd’hui face à la question du dialogue ou de la confrontation, la paix ou la guerre, » a-t-il ajouté, vêtu d’un costume gris, flanqué à sa droite de Vladimir Poutine et Kim Jong-un à sa gauche. « Le peuple chinois se tient du bon côté de l’histoire, » a-t-il proclamé, l’une des antiennes favorites du secrétaire général du Parti communiste chinois (PCC).

Bien que non-invité à Pékin, Donald Trump a posté un message sur son site Truth Social pour prier Xi Jinping de mentionner « le soutien massif et le sang versé par les États-Unis d’Amérique pour la Chine afin de garantir sa liberté face à un envahisseur très peu amical. » Il en a profité pour transmettre « ses salutations les plus chaleureuses à Vladimir Poutine et Kim Jong-un puisque vous conspirez contre les États-Unis d’Amérique, » selon ce message cité par le South China Morning Post.

Rappelons que le même Trump s’est dit fin août désireux de rencontrer à nouveau Kim Jong-un avec qui il y a déjà eu plusieurs rencontres incongrues et sans résultat. Le 47è président américain a d’autre part à maintes reprises pris publiquement le parti de Vladimir Poutine dans le conflit armé livré par la Russie à l’Ukraine, suscitant des critiques acerbes des dirigeants occidentaux dont certains le soupçonnent de rechercher une capitulation du président ukrainien Volodymyr Zelenski.

Cette Chine décomplexée qui se pose comme le nouveau centre du monde

L’évidence aujourd’hui est celle-ci : se poser ainsi comme une alternative aux États-Unis sur la scène mondiale revient pour Pékin à, enfin, reconnaître ce que la Chine de Xi Jinping a toujours obstinément nié : sa volonté de « remplacer » les États-Unis ou, dit autrement, prendre sa place de première puissance de la planète.

Avant même l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir en 2012, la Chine n’avait eu de cesse que de proclamer qu’elle n’avait pas pour ambition de « remplacer les États-Unis » sur le devant de la scène mondiale, une théorie savamment orchestrée de « l’émergence pacifique » de la Chine à laquelle ses partenaires occidentaux ont, avec une certaine naïveté, longtemps cru.

Si aujourd’hui, il peut enfin l’avouer, Xi Jinping a été considérablement aidé par son ennemi de toujours. Son homologue américain Donald Trump qui, par son inconséquence, son aventurisme et ses déclarations tragi-comiques, est pour lui un véritable cadeau tombé du ciel.

Chaque jour apporte son lot de propos hallucinants de Donald Trump qui accentue toujours un peu plus la démolition méthodique qu’il mène de l’image d’une Amérique à la fois moteur et défenseur de l’Etat de droit et de l’aide aux plus faibles dans le monde.

Une politique qui se traduit dans les faits par un naufrage en direct de l’image des États-Unis pays fondateur des valeurs du monde de l’après-guerre dont se sert habilement Xi Jinping pour présenter – avec un certain succès – aux yeux de l’opinion mondiale son pays pour ce qu’il n’est pas : une puissance de paix, de respectabilité et d’équilibre international.

Car, dans les faits, la Chine n’a en effet jamais cessé depuis 2012 de militariser à outrance la Mer de Chine du Sud, un espace maritime hautement stratégique de quelque 400 000 km2 dont Pékin revendique à tort plus de 90% de la souveraineté.

Pékin redouble en même temps de menaces militaires et de mesures coercitives envers ses voisins immédiats que sont notamment le Japon, la Corée du Sud, les Philippines et surtout Taïwan, présenté faussement comme étant une simple « province » de la Chine historique devant nécessairement, par la force si nécessaire, revenir dans le giron de la « mère-patrie » communiste.

Cette opération – pourtant grossière – de mystification, si elle ne trompe guère les gouvernements de ces pays, est en train, à force de mensonges mille fois répétés, de devenir une sorte de vérité historique auprès d’une opinion mondiale largement ignorante de l’histoire et en raison aussi, pour une bonne part, des errements catastrophiques de l’Amérique de Donald Trump depuis maintenant huit mois.

La mystification historique est à l’œuvre en direction de l’opinion publique chinoise puisque la machine de la propagande du Parti communiste chinois (PCC), dans le but d’exalter un nationalisme déjà incandescent, poursuit inlassablement son œuvre de réécriture de l’Histoire en présentant dans des films, des récits officiels et des documentaires télévisés l’armée du Parti comme celle qui a toute seule héroïquement combattu le Japon colonial jusqu’en 1945.

Pendant les décennies de la sanglante guerre sino-japonaise qui a coûté la vie à des millions de Chinois, les forces nationalistes du Guomindang de l’époque sont, elles, présentées comme défaitistes sinon collaborationnistes avec l’ennemi nippon alors que les faits historiques avérés montrent l’exact contraire.

En effet, alors que plus de 80% des généraux des forces nationalistes ont péri au combat contre le Japon, l’armée rouge communiste de Mao Zedong était, pour l’essentiel, restée terrée et cachée dans les montagnes sans combattre, le futur maître de la Chine communiste attendant le moment propice pour prendre le dessus sur son rival et ennemi le généralissime Chiang Kaï-shek dont l’armée nationaliste, exsangue, fut alors une proie facile pour l’APL.

Celui-ci dû alors trouver refuge à Taïwan avec plusieurs centaines de milliers de ses militaires et favoris en 1945 où il imposa alors un régime tyrannique qui fit des dizaines de milliers de morts au sein de la population taïwanaise pendant une période connue aujourd’hui encore sous le nom de « terreur blanche. »

Une Chine beaucoup plus agressive

Cette évolution de la Chine depuis 2012 fait dire à Jean-François Huchet, président de l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (INALCO), que sur le plan politique, « on observe très clairement un changement très fort […] y compris avec la disparition progressive de la société civile. »

« Sur le plan économique, nous observons également un changement de stratégie très clair, » dit-il à Asialyst. « Tout ceci s’accélère très clairement. On voit une Chine qui a beaucoup évolué avec un durcissement politique, avec l’arrêt du développement d’une société civile, un retour très fort des entreprises publiques, la mise sous cloche du secteur privé. »

Sur le plan international, « on voit une Chine qui cherche à se débarrasser de l’influence américaine sur la scène asiatique, » ajoute ce sinologue respecté pour sa mesure. « Il s’agit là d’une Chine beaucoup plus agressive et qui a des volontés hégémoniques dans un certain nombre de parties de l’Asie, très clairement. »

A l’échelle mondiale, explique-t-il encore, « c’est plutôt une Chine qui conteste l’ordre international établi, en particulier celui des États-Unis. On l’a vu encore ce week-end avec la réunion de Tianjin, où la Chine s’est posée en chef de file d’un ordre mondial […] différent de celui des Occidentaux, avec une critique très forte de la démocratie. »

« Et comme nous donnons nous-mêmes très souvent un bâton pour nous faire battre, il est sûr que du point de vue de la Chine, l’arrivée de Donald Trump pour un deuxième mandat se traduit effectivement par un tapis rouge déroulé pour la Chine dans cette stratégie qu’elle applique minutieusement, » conclut-il.

Ainsi, d’un pas de plus en plus assuré, la Chine communiste s’affranchit de tout complexe et fait mentir ces experts auto-proclamés qui s’évertuaient encore il y a peu à prédire la fin prochaine du régime communiste chinois. Ce succès indéniable aidera vraisemblablement Xi Jinping à faire taire ses opposants de la vieille garde au sein du Parti qui osent donner de la voix depuis un peu plus d’un an pour critiquer son exercice solitaire du pouvoir et ses failles.

Mais surtout, il semble peu à peu donner quelque peu raison à ceux qui, comme Kishore Mahbubani, l’ancien conseiller du Premier ministre de Singapour de l’époque Lee Kuan Yew, prédisaient il y a vingt ans déjà que la Chine allait immanquablement supplanter à terme les Etats-Unis comme le nouveau géant de la planète.

Pierre-Antoine Donnet

Joseph Henrotin

areion24.news