Après les annonces du 7 août dernier sur le niveau des droits de douane américains imposés à chaque pays, le temps est venu d’un premier bilan pour l’Asie, avec deux exceptions majeures. La trêve provisoire avec la Chine est reconduite pour trois mois. L’Inde s’est vue appliquer 25% de droits supplémentaires liés à ses achats de pétrole russe. Le reste de l’Asie évalue le prix des concessions faites, détermine ce qui reste à négocier avec Washington et regarde ailleurs pour retrouver stabilité et dynamique.
Le feuilleton des droits de douane américains a pris une tournure globale le 2 avril dernier – « liberation day » pour Donald Trump – avec des conséquences pour l’Asie qui s’annonçaient très lourdes. Si l’on met de côté la surenchère avec la Chine conduisant sur une brève période à des droits réciproques de 145 et 125%, la moyenne arithmétique des droits de douane annoncés pour le reste de l’Asie se situait autour de 30%, avec des pointes à 49% pour le Cambodge et 46% pour le Vietnam.
Après quatre mois de négociations, la moyenne arithmétique des droits redescend autour de 20%. La Chine reste à part. Elle est la seule à avoir augmenté de 10% l’ensemble de ses droits de douane en provenance des États-Unis et, selon les calculs du Peterson Institute for International Economics, la moyenne des droits chinois en provenance des États-Unis est actuellement de 32,6% si l’on tient compte des droits plus élevés pratiqués dans certains secteurs. La « trêve » convenue avec Washington jusqu’au 12 août dernier a été reconduite pour trois mois, soit jusqu’en novembre prochain.
Pour le reste de l’Asie, les accords intervenus sont totalement asymétriques. Les réductions obtenues par rapport aux annonces initiales sont parfois importantes – pour le Vietnam, la Thaïlande, l’Indonésie, le Bangladesh ou le Cambodge – et parfois insignifiantes comme pour les Philippines ou l’Inde. Aucun pays ne pratique de contre-mesures. Donald Trump a pour le moment gagné sur tous les tableaux, sauf avec la Chine.
Les concessions faites sont sans précédent
Pour obtenir un allègement des droits de douane américains, les négociateurs asiatiques ont fait des concessions extrêmement importantes. Celles-ci portent sur trois catégories de sujets : l’élimination ou la réduction de droits de douane et de barrières non tarifaires pour les exportations américaines, des achats supplémentaires de produits américains et de nouveaux investissements aux États-Unis. Les seules concessions américaines portent sur l’exemption de droits de douane pour certains produits pour lesquels n’existe aucune production sur le marché américain.
Les pays développés d’Asie ont fait des concessions en termes d’achats de produits américains et surtout d’investissements nouveaux aux États-Unis (1 300 Md$ au total entre le Japon, la Corée et Taïwan). Les pays en développement ont surtout très largement ouvert leur marché aux exportations américaines et accepté des règles de contenu locale exigeantes pour leurs exportations sur le marché américain.
Le tableau suivant résume les principaux engagements pris de part et d’autre pour sept pays :
Ces accords sont présentés par différents pays asiatiques comme une « étape », avec la possibilité de progrès supplémentaires. Le détail des engagements pris n’est en général pas public. Deux points importants restent à clarifier. Les règles anti-transit convenues avec le Vietnam et la Thaïlande nécessitent une définition claire des règles d’origine qui reste à négocier, avec le risque pour ces deux pays de provoquer des rétorsions chinoises si l’impact pour les échanges bilatéraux avec la Chine est trop important.
Les engagements d’investissements aux États-Unis pris par le Japon, la Corée et Taïwan sont généraux, avec manifestement des divergences de vues sur leur portée. Un exemple concernant Séoul : « la Corée va donner 350 milliards d’investissements qui seront contrôlés par les États-Unis et que je choisirai moi-même, » déclare Donald Trump sur son réseau social Truth. Son secrétaire (ministre) du commerce Howard Lutnick renchérissait en indiquant que « 90% des profits liés à ces investissements bénéficieront au peuple américain. » La réalité des progrès faits en matière d’investissements, et la question du partage des bénéfices vont constituer des sources permanentes de tension, sachant que la revue des accords signés sera faite sur une base régulière (tous les trois mois dans le cas du Japon).
Les conséquences économiques pour l’Asie sont lourdes mais gérables
Le choc sur les exportations asiatiques devrait être global compte tenu du poids du marché américain, et d’autant plus significatif au second semestre 2025 qu’une partie des bons résultats du premier semestre ont été liés à des achats d’anticipation des importateurs américains sur les produits de haute technologie, et les biens de consommation asiatiques. L’économiste en chef de la Banque Nomura, Sonal Varma, anticipe une chute de plus de 10% des exportations asiatiques d’ici la fin de l’année, qui pourrait se prolonger au premier semestre 2026. La National Retail Federation américaine prévoit de son côté une baisse de plus de 10% des volumes de conteneurs arrivant dans les ports américains d’août à novembre 2025.
La chute des exportations asiatiques vers les États-Unis résulte d’un mix d’effets volume et d’effets prix car les exportateurs absorbent une partie des augmentations de droits de douane en réduisant leurs marges. C’est le cas par exemple des constructeurs automobiles japonais. Alors que les exportations de véhicules japonais aux États-Unis ont chuté de 27% en valeur en juillet dernier, elles n’ont baissé que de 2% en volume. Le choix de court terme est donc de baisser les marges, un nouveau cadeau – sans doute provisoire – à Donald Trump qui permet pour le moment de limiter les hausses de prix à la consommation aux États-Unis.
L’effet macro-économique du choc sur les échanges suit la même tendance. Après un très bon deuxième trimestre 2025 dans la plupart des pays – avec un record de croissance de 8% au Vietnam – le second semestre s’annonce nettement plus morose. L’impact global de l’effet Trump sur la croissance asiatique est estimé entre 0,3 et 0,5 points selon les pays. C’est tout à fait gérable pour le Vietnam mais plus pénalisant pour les pays développés d’Asie, à commencer par le Japon.
Une autre incertitude majeure porte sur les taux de change. Depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, le dollar a perdu en moyenne 9 à 12 % de sa valeur par rapport aux principales autres monnaies occidentales (Euro, Livre britannique et Franc suisse). C’est moins vrai pour le moment avec les monnaies asiatiques dont les taux de change vis-à-vis du dollar ont moins fortement progressé :