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mardi 23 septembre 2025

Chine : un rattrapage symétrique prélude à la rationalisation des familles d’appareils de combat ?

 

Les avionneurs chinois ont été très actifs ces deux dernières années : outre la poursuite de la production du J-20, des évolutions ont été observées sur le J-35 et, surtout, deux nouveaux appareils apparaissaient le même jour. Peu est encore connu à leur sujet, mais il est évident que Pékin est engagé dans un rattrapage technologique dynamique, sur pratiquement tous les secteurs de sa force aérienne.

Après sa réforme, l’aéronautique navale a reversé à la PLAAF (People liberation army air force) ses H‑6 de bombardement, ses JH‑7 d’interdiction et ses Su‑30MK2 – ne conservant que les appareils embarqués et une cinquantaine de J‑11 de supériorité aérienne – de même qu’un grand nombre d’appareils de détection aérienne avancée. Au terme de cette évolution, la PLAAF a donc une structure reposant globalement sur quatre familles d’appareils. D’abord, celle des J‑10, dont la production est à présent centrée sur l’exportation : avec les J‑10C, dont les premiers sont entrés en service en 2018, elle aligne plus de 600 J‑10 Firebird. Pour autant, la flotte évolue. Le réacteur AL-31 cède ainsi la place, au moins sur les J‑10C, à un WS‑10B de conception nationale qui semble à présent fiabilisé, mais dont on ne sait pas s’il équipera en rétrofit les appareils des versions précédentes. Le J‑10C reçoit également le missile air-air à longue portée PL‑15.

Il faut y ajouter celle des Flanker, avec 570 appareils de types variés : J‑11, Su‑30/35, J‑16. Depuis l’entrée en service du J‑16D d’attaque électronique, aucune évolution notable n’a été observée dans la PLAAF. En revanche, la marine a fait entrer en service, en 2024, le J‑15D, également biplace, affecté aux mêmes missions. La troisième famille est celle du J‑20 Fagin, dont plus de 230 exemplaires sont en service et qui pourrait atteindre 300 exemplaires à terme. Après que le J‑20A, présentant quelques modifications, eut été dévoilé, sa version biplace, le J‑20S, a été présentée pour la première fois au salon de Zhuhai, en novembre 2024. Elle ne semble pas uniquement destinée à la conversion opérationnelle, et pourrait déboucher sur des versions spécialisées. La quatrième famille est celle de la descendance historique des J‑7 Fishcan, sinisation des MiG‑21 à l’impressionnant nombre de versions et dont les plus récents sont sortis d’usine au début des années 2010. S’y ajoutent les J‑8 Finback, entrés en service au début des années 2000.

Le cas du J-35

Paradoxalement donc, la Chine se retrouve avec des flottes encore jeunes du point de vue structurel, mais avec des écarts capacitaires importants qui sont toutefois en voie de résorption. La politique d’investissement massif dans l’aviation et l’avionique couplée à des efforts de renseignement soutenus – on se souvient de la pénétration sur des serveurs américains ayant permis de récupérer des informations techniques sur le F‑35 – ont abouti à un rattrapage capacitaire en bonne et due forme. La stratégie des moyens aériens n’est pas pour autant planifiée de manière stricte. En témoigne le cas du J‑35, dérivé du Shenyang FC‑31 Gyrfalcon qui a effectué son premier vol en 2012 et qui semblait d’abord destiné à l’exportation. Si le biréacteur aux formes furtives a échoué à trouver son marché, le design a évolué avec un nouveau prototype en 2016 : modification de la structure des dérives et du bord de fuite de l’aile, du positionnement du canopy, de la configuration des entrées d’air et des lignes générales de la cellule, particulièrement au niveau de la partie avant.

Il semble alors attirer l’attention de l’aéronautique navale, et débouche sur le premier vol d’un J‑XY, rapidement devenu J‑35 en octobre 2021. L’appareil est désormais doté d’un train renforcé et adapté au catapultage, d’extrémités d’ailes repliables et d’un capteur semblable à l’EOTS du F‑35 (mais de plus petite dimension) positionné sous le nez. La structure interne est probablement revue afin d’encaisser les chocs dus aux catapultages et appontages. Des maquettes sont également observées sur le porte – avions Liaoning, tandis que trois prototypes mènent le programme d’essais en vol. Fin avril 2025, un J‑35 semble catapulté pour la première fois via une catapulte électromagnétique au sol. Tout indique donc que l’appareil équipera à terme le Fujian. Ses capacités sont intéressantes avec, dans un premier temps, deux réacteurs WS‑21, ensuite remplacés par deux WS‑19 de 10 t de poussée unitaire, spécifiquement développés pour lui. Il est doté d’une grande soute ventrale, dont les dimensions sont proches de celle du J‑20, sinon identiques, et de six points d’emport sous les ailes. Tout indique ici un appareil polyvalent ayant un concept d’emploi proche de celui du F‑35, avec une aptitude à mener des « missions du premier jour » en maximisant la furtivité radar, puis en « beast mode », avec des emports extérieurs, une fois les principales menaces écartées. Ses missiles PL‑15 ont une portée supérieure aux AMRAAM des F‑35 – il faut ici rappeler que la Chine est le deuxième plus grand utilisateur mondial d’appareils de détection aérienne avancée – qu’il pourrait surclasser en combat aérien rapproché. Peu de choses sont encore connues sur son avionique, qui inclura probablement un radar AESA (Active electronically scanned array). La comparaison avec le F‑35 sur la base de leur ressemblance extérieure doit néanmoins être nuancée dès lors que l’on ne connaît pas encore les capacités du J‑35.

En outre, une version utilisable par la force aérienne, le J‑35A, dotée d’un train monocycle et sans crosse d’appontage, a été présentée au cours du salon de Zhuhai en 2024, après avoir effectué son premier vol en septembre 2023. La question de son avenir est posée : les essais en vol et le développement vont certainement se poursuivre, mais aucune commande n’a encore été passée au 5 mai 2025. Il reste ensuite à voir s’il serait destiné au remplacement des J‑7 et des J‑8, ou à celui des premiers exemplaires du J‑10.

Deux chasseurs le même jour

Le 26 décembre 2024 – jour anniversaire de la naissance de Mao –, les premières images de deux nouveaux appareils de combat sont apparues sur les réseaux sociaux chinois. Le premier, qui est produit par Chengdu et dont le développement aurait commencé en 2019, a un design très spécifique. C’est une aile volante présentant des formes très furtives, avec une structure sans dérive, une configuration alaire en diamant d’environ 190 m2 et trois tuyères, avec deux entrées d’air latérales et une dorsale, la seule ayant une configuration DSI (Divertless supersonic inlet) – et donc une configuration triréacteur très inhabituelle pour un appareil de combat. Selon les modèles réduits déjà commercialisés en Chine ou les photos publiées, la configuration du cockpit serait biplace côte à côte. Le train d’atterrissage principal est également massif, l’appareil lui-même étant de grande taille – 22 m de long environ pour 20 m d’envergure – avec une grande soute à armement ventrale et deux latérales, plus petites. Les surfaces de contrôle sont complexes et lui confèrent, selon les vidéos des sorties qu’il a déjà effectuées, diffusées sur les réseaux sociaux chinois, une bonne manœuvrabilité.

L’appareil aurait reçu la désignation de J‑36, mais sa finalité – démonstrateur technologique ou prototype à vocation opérationnelle – n’est pas encore connue précisément. La presse chinoise s’est faite l’écho de ce que l’appareil est moins optimisé pour la manœuvrabilité que pour la génération interne d’énergie. L’US Air Force le considère quant à elle comme un appareil de sixième génération – mais sans en réellement en définir les critères. La fonction opérationnelle du J‑36 reste débattue. De fait, la Chine travaillait aussi bien à une nouvelle plateforme de défense aérienne, porteuse de missiles air-air à longue portée, qu’à un interdicteur à long rayon d’action, en remplacement des JH‑7 – un « bombardier régional » étant évoqué depuis plusieurs années. Un système optronique est positionné sous le nez, à la configuration optimisée pour la réduction de la surface équivalent radar. Les flancs du nez semblent dotés d’antennes conformes et la taille même de l’appareil suggère un grand rayon d’action. Le manque d’informations sur le nouveau design et ses systèmes rendent crédibles les deux hypothèses. Bill Sweetman, notant la grande taille de la soute ventrale, évoque un « croiseur aérien », combinant toutes ces fonctions, de même qu’une aptitude à générer des données de ciblage (1).

Le deuxième appareil ayant volé le 26 décembre 2024, quelques heures après le J‑36, est un produit de Shenyang, pour l’heure connu comme « J‑50 » ou « J‑XDS ». Son design est également particulier : n’ayant pas de dérives, sa configuration alaire est dite « lambda » et rappelle celle du drone de combat X‑47B avec des extrémités d’ailes mobiles jouant le rôle de gouvernes de profondeur. Elle offre ainsi d’excellentes caractéristiques en termes de réduction de la signature radar, mais aussi de réduction de la traînée et d’aérodynamisme. Le train avant est positionné très en arrière du cockpit, au niveau des entrées d’air DSI, sachant que son nez est particulièrement long, ce qui suggère l’emport de gros volumes d’avionique. Comme pour le J‑36, la configuration est indicative d’un appareil supersonique, biréacteur avec des tuyères qui semblent vectorielles en site. L’appareil est piloté – les premières images diffusées pouvaient laisser penser à un effecteur déporté –, mais la configuration du canopy laisse ouverte la question d’un appareil monoplace ou biplace.

Le J‑XDS semble disposer de deux soutes ventrales, mais également, devant les baies d’accueil du train principal et sur les flancs, de deux baies d’armement secondaires. Un système optronique semble positionné sous le nez. Comme pour le J‑36, la fonction précise de l’appareil n’est pas connue, mais pourrait plus spécifiquement renvoyer à un appareil de supériorité aérienne, dont il reste à voir s’il ne connaîtra pas une version navalisée au vu de son train d’atterrissage qui semble massif. Il n’est pas certain, de ce point de vue, qu’il soit un appareil concurrent du J‑36 – les différences entre eux sont bien plus marquées que celles, en leur temps, entre le J‑20 et le FC‑31.

Conception classique de la stratégie aérienne ?

Ces évolutions spectaculaires cachent une partie des perspectives de modernisation des forces aériennes chinoises. Toujours le 26 décembre, des images du premier vol de ce qui serait le KJ‑3000 ont été diffusées. Ce dernier est la variante de détection aérienne avancée de l’appareil de transport quadriréacteur Y‑20B – la dernière variante en date, dotée de réacteurs WS‑20, du quadriréacteur de transport. Comme le KJ‑2000 (Il‑76 doté d’un radar fixe), il est surmonté d’un radôme circulaire et pourrait recevoir d’autres antennes conformes. Logiquement, il aurait une couverture de 360° plutôt que de 120°. Plus tôt dans l’année, des photos du KJ‑700, quadriturboprop, avaient également circulé, l’appareil se distinguant extérieurement du KJ‑500 – également sur plateforme d’Y‑9 – par plusieurs radômes de flanc et sous le nez qui pourraient indiquer des fonctions ISR en plus de celles de détection aérienne avancée. Le KJ‑600, embarqué et au design proche de celui de l’E‑2 Hawkeye, a par ailleurs poursuivi ses essais.

Dans ce secteur de la bataille aérienne, il est donc possible que la Chine remplace certains de ses appareils les plus anciens – mais en sachant quelle dispose déjà de plus de 70 appareils de ce type, ce qui en fait la première flotte basée au sol au monde et offre une capacité de bataille aérienne extrêmement puissante (2). C’est d’autant plus le cas que les efforts se portent également sur le ravitaillement en vol, avec l’arrivée d’une vingtaine de YY‑20A et B plus adaptés aux projections lointaines et dont la production se poursuit. En soi, cela ne suffit pas à faire une capacité ; mais il est douteux que Pékin n’investisse pas dans l’entraînement ces cinq prochaines années…

Notes

(1) Bill Sweetman, « China’s big new combat aircraft: an airborne cruiser against air and surface targets », The Strategist, 3 janvier 2025 (https://​www​.aspistrategist​.org​.au/​c​h​i​n​a​s​-​b​i​g​-​n​e​w​-​c​o​m​b​a​t​-​a​i​r​c​r​a​f​t​-​a​n​-​a​i​r​b​o​r​n​e​-​c​r​u​i​s​e​r​-​a​g​a​i​n​s​t​-​a​i​r​-​a​n​d​-​s​u​r​f​a​c​e​-​t​a​r​g​ets).

(2) Washington n’aligne qu’une vingtaine d’E-3 Sentry, en plus des 78 E-2C/D de la Navy – deux types d’appareils qui sont affectés à divers théâtres dans le monde. Comparativement, le Japon dispose de 18 E-2C et de quatre E-767.

Philippe Langloit

areion24.news