En 2011, alors ambassadeur d’Arabie saoudite aux États-Unis après avoir dirigé les services de renseignement du royaume, le prince Turki al-Faisal, avait déclaré que son pays mènerait une « politique susceptible d’avoir des conséquences incalculables et potentiellement dramatiques » si jamais l’Iran parvenait à se doter d’armes nucléaires.
Peu après, un haut responsable saoudien, proche du prince, précisa les intentions de Riyad. « Nous ne pouvons pas vivre dans une situation où l’Iran possède l’arme nucléaire et nous non. C’est aussi simple que cela. Si l’Iran développe l’arme nucléaire, ce sera inacceptable pour nous et nous devrons suivre son exemple », avait-il expliqué, selon des propos rapportés par le quotidien britannique The Guardian.
Depuis, le programme nucléaire iranien a subi un coup d’arrêt après avoir été visé par l’opération israélienne Rising Lion et le raid mené par des bombardiers stratégiques américains B-2A Spirit contre les installations souterraines servant à enrichir l’uranium situées à Fordo.
Cela étant, malgré ses liens militaires avec les États-Unis, dont l’origine remonte au Pacte du Quincy, scellé le 14 février 1945, l’Arabie saoudite s’est mise en quête d’un autre « protecteur ». Et elle vient de le trouver, en signant un « accord stratégique de défense mutuelle » avec le Pakistan, le 17 septembre.
En effet, d’après l’agence de presse officielle saoudienne SPA, ce texte stipule que « toute agression contre l’un des deux pays sera considérée comme une agression contre les deux ».
Signé quatre mois après un bref conflit ayant opposé Islamabad à New Delhi, « cet accord, qui reflète l’engagement commun des deux nations à renforcer leur sécurité et à promouvoir la paix dans la région et dans le monde, vise à développer la coopération en matière de défense entre les deux pays et à consolider leur dissuasion commune contre toute agression », a précisé le bureau du Premier ministre pakistanais, Shehbaz Sharif, lequel venait de rencontrer le prince héritier Mohammad ben Salmane, qui dirige de facto l’Arabie Saoudite.
Selon un haut responsable saoudien, cité par l’agence Reuters, cet accord « est l’aboutissement de longues années de discussions ». Et d’ajouter : « Ce n’est pas une réponse à des pays ou à des événements particuliers, mais une institutionnalisation d’une coopération ancienne et profonde entre nos deux pays ».
Dans les pages du journal pakistanais The News, Javid Husain, ancien ambassadeur du Pakistan en Iran [1997-2003], a rappelé qu’Islamabad et Riyad entretenaient « traditionnellement des liens fraternels étroits ». Pour lui, « la disposition de l’accord selon laquelle toute attaque contre un pays sera considérée comme une attaque contre l’autre enverra un signal fort et clair à des pays comme l’Inde ou Israël et les dissuadera de toute action agressive contre le Pakistan ou l’Arabie saoudite ».
Cependant, il restait à voir si cet accord allait placer l’Arabie saoudite sous la protection du « parapluie » nucléaire pakistanais. La réponse n’aura pas tardé à être donnée.
« Ce que nous possédons, nos capacités, seront absolument disponibles dans le cadre de ce pacte », a déclaré Khawaja Muhammad Asif, le ministre pakistanais de la Défense, alors qu’il était interrogé sur ce sujet, lors d’un entretien accordé à Geo TV, le 18 septembre. Et d’insister : « en cas d’agression contre l’une ou l’autre des parties, quelle qu’en soit la provenance, elle sera défendue conjointement et une riposte sera apportée ».
Le 20 septembre, sollicité par l’AFP, Ali Shihabi, un analyste proche du pouvoir saoudien, a confirmé le propos du ministre pakistanais.
« Le nucléaire fait partie intégrante de cet accord, et le Pakistan se souvient que le royaume a largement financé son programme nucléaire et l’a soutenu lorsqu’il était sous sanctions », a-t-il dit. « L’Inde comprendra les besoins sécuritaires de l’Arabie saoudite. Le royaume entretient d’excellentes relations avec l’Inde », a-t-il ajouté.
Devenu une puissance dotée en 1998, le Pakistan posséderait 170 ogives nucléaires, selon une étude récente de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm [SIPRI]. Son arsenal repose sur des missiles sol-sol de moyenne portée, comme l’Ababeel [2 200 km] et le Shaheen-III [2 700 km] ainsi que sur une composante aéroportée, avec deux escadrons de JF-17 Thunder et un autre de F-16, capables de mettre en œuvre le missile de croisière Ra’ad [350 km de portée]. En outre, Islamabad développe missile mer-sol, le Babur III [450 km de portée] pour armer ses sous-marins de la classe Hangor [fournis par la Chine, ndlr].
Par ailleurs, le Pakistan entretient une certaine incertitude sur sa doctrine nucléaire. Cependant, on suppose qu’elle vise essentiellement l’Inde et qu’Islamabad se réserve le droit d’utiliser des armes nucléaires en premier, et non à titre de représailles. Et pour cause : les forces indiennes conventionnelles sont largement supérieures aux siennes et que l’étroitesse de son territoire le rend très vulnérable.
Quoi qu’il en soit, cet accord de défense conclu entre Riyad et Islamabad confirme ce qui se disait il y a déjà une dizaine d’années, à savoir que des armes nucléaires avaient été fabriquées au Pakistan pour le compte de l’Arabie saoudite, bien que celle-ci ait signé le Traité de non prolifération [TNP].
« Je pense que les Saoudiens ont conclu un accord avec Islamabad qui, dans les cas extrêmes, leur permettrait d’acquérir des armes nucléaires auprès du Pakistan », avait ainsi confié, auprès de la BBC, Gary Samore, un ancien conseiller du président Barack Obama, en novembre 2013.
Quelques mois plus tôt, des experts de l’IHS Jane’s Intelligence Review avaient découvert l’existence d’une base saoudienne inconnue : située en plein désert, à el-Watah, à environ 200 kilomètres au sud-ouest de Riyad, elle abritait alors des des rampes de lancement de missiles DF-3 [de conception chinoise] pointant vers Israël et l’Iran.