Le 31 janvier 2025 a marqué le dernier jour de la présence militaire de la France au Tchad, allié clé en Afrique depuis l’indépendance en 1960. En rompant ses accords de défense avec Paris, Ndjamena rejoint le Mali, le Niger, le Burkina Faso et le Sénégal dans leur rejet des soldats français sur leur sol. Comment interpréter cet affaiblissement stratégique ?
Puissance coloniale majeure du continent entre la fin du XIXe siècle et 1958, la France entretient une relation particulière avec l’Afrique. Sa partie subsaharienne a longtemps été son pré carré stratégique, économique et culturel, Paris exerçant encore de nos jours une influence auprès de nombreux gouvernements. Mais cette relation est en train de changer de nature, tant les tensions et les critiques contre le paternalisme français sont fortes. Dans une étude parue en novembre 2024 et conduite au Bénin, au Cameroun, en Côte d’Ivoire, au Gabon, au Niger et au Tchad, la majorité des personnes interrogées estime que la France n’est pas un partenaire fiable, notamment en ce qui concerne l’économie (80 %), la sécurité (78 %) et la défense de la démocratie (76 %) (1). Ce rejet de la France s’est ainsi illustré à l’été 2023 par des manifestations au Niger, après le coup d’État du 26 juillet.
Rupture militaire
En novembre 2022, après huit années de mission antiterroriste au Sahel, l’opération « Barkhane » a pris fin. Les soldats français étaient alors déployés à Niamey, la capitale nigérienne, mais aussi au Tchad (Ndjamena, Faya-Largeau), au Mali (Gao, Tessalit) et au Burkina Faso (Ouagadougou). Malgré un certain succès sur le terrain, la menace djihadiste demeure et les autorités de ces pays sont affaiblies. En janvier de la même année, la junte au pouvoir à Bamako depuis seulement quelques mois exige le départ des Français, rupture qu’entament dans la foulée les gradés aux commandes au Burkina Faso, au Niger et au Tchad. Paris s’exécute. Hormis la base stratégique de Djibouti, l’armée française conserve alors en Afrique subsaharienne 350 soldats au Gabon (Libreville) et 600 en Côte d’Ivoire (Abidjan), ainsi que 350 à Dakar tant qu’ils sont autorisés à rester par le Sénégal.
Cette rupture remet en question la posture diplomatique et commerciale de la France sur le continent (2). Car elle y était certes implantée depuis la période coloniale, mais surtout durant la guerre froide. Paris était le représentant du camp occidental face au bloc socialiste, formant des armées et des dirigeants. Si, dans les années 1990, la France s’engage dans des missions menées sous l’égide d’organisations internationales ou régionales, la fin de « Barkhane » et la dénonciation des accords de défense en 2022-2024 actent non seulement la démilitarisation de sa politique africaine, mais aussi une perte d’influence et le déclin progressif d’une relation asymétrique. Paris ne peut plus soutenir des dirigeants autoritaires en fonction de ses seuls intérêts.
Concurrence internationale
Définir une nouvelle diplomatie avec l’Afrique reflète la situation mondiale : face au protectionnisme renaissant des États-Unis, à la force de frappe économique de la Chine et à l’attractivité d’un « autre modèle » incarné par la Russie, la France est affaiblie, tout comme ses partenaires européens. La République populaire s’intéresse au continent africain depuis le début des années 2000, finançant des infrastructures et multipliant les échanges. En 2023, elle détient 18 % des parts de marché à l’export en Afrique subsaharienne, contre 3 % pour la France, qui a perdu son statut de premier partenaire commercial des pays francophones.
On assiste à une réorientation géographique des priorités françaises vers les territoires anglophones, notamment le Nigeria – le président Bola Tinubu (depuis 2023) a été reçu à l’Élysée en novembre 2024 – et l’Afrique du Sud. Le premier est considéré comme le nouveau pivot de la stratégie française au sud du Sahara. Paris y est toujours influent, avec de nombreux outils : le plus important réseau diplomatique occidental, un maillage de centres culturels et d’alliances dans des régions où domine encore la langue française au sein des élites politiques et économiques, une diaspora africaine travaillant dans l’Hexagone… Surtout, la Banque de France maîtrise avec ses consœurs africaines le franc CFA, monnaie officielle dans 14 États. Reste à apaiser les traumatismes du passé. G. Fourmont
1-Les intérêts de la France au sud du Sahara / 2-L’héritage français en Afrique
Notes
(1) Tournons La Page, « De quoi le rejet de la France en Afrique est-elle le nom ? », novembre 2024.
(2) Alain Antil et Thierry Vircoulon, Après l’échec sahélien, repenser le logiciel de la politique française en Afrique, IFRI, avril 2024.
Clément Mellet
Guillaume Fourmont