Chaque année, près de 200 câbles sous-marins sont coupés, le plus souvent de manière accidentelle [environ 80 % des cas] ou à cause de glissements de terrain. Et quand l’un d’eux a fait l’objet d’un sabotage, il est difficile de confondre les auteurs, malgré les soupçons qui pèsent sur eux.
« L’un des espaces de friction les plus médiatisés est la mer Baltique. Dans cette zone, nous observons des comportements suspects, comme des navires laissant traîner leurs ancres sur des distances anormalement longues, parfois sur plus de 100 kilomètres. Ces actions ont parfois entraîné la rupture de câbles sous-marins », a ainsi expliqué l’amiral Nicolas Vaujour, le chef d’état-major de la Marine nationale [CEMM], lors d’une récente audition parlementaire.
Ces derniers mois, plusieurs câbles de télécommunications et d’électricité ont effectivement été coupés par des ancres de bateaux en mer Baltique. Certaines enquêtes n’ont pas pu aller bien loin, quand elles n’ont pas été classées sans suite, faute d’avoir pu réunir suffisamment d’éléments pour confirmer les soupçons sur un navire. Tel a été le cas des cargos chinois Yi Peng 3 et Newnew Polar Bear, Pékin ayant rechigné à prêter son concours aux autorités des pays concernés par les ruptures de câbles [C-Lion1, BCS et le gazoduc Balticconnector] apparemment provoquées par ces deux navires.
Pour autant, en janvier, le Washington Post a rapporté que, pour des responsables de services de renseignement américains et européens, rien ne laissait présager que les ruptures de câbles survenues quelques semaines plus tôt en mer Baltique relevaient d’opérations de guerre dite « hybride » orchestrées par la Russie. Et d’en conclure qu’il s’agissait « d’accidents causés par des équipages inexpérimentés servant à bord de navires mal entretenus »… alors que l’Otan s’apprêtait justement à lancer l’opération Baltic Sentry, afin de protéger les infrastructures sous-marines contre toute tentative de sabotage.
D’ailleurs, le cas du pétrolier Eagle-S, battant pavillon des Îles Cook et propriété de la société émirienne Caravella LLCFZ, infirme l’évaluation dont le journal américain s’était fait l’écho.
Le 25 décembre, soupçonné d’avoir sciemment endommagé l’interconnecteur Estlink 2 , reliant la Finlande à l’Estonie, ainsi que plusieurs câbles de télécommunication en laissant traîner son ancre, après avoir appareillé d’Oust-Louga [Russie]pour se rendre à Port-Saïd [Égypte], l’Eagle S avait été rapidement arraisonné par la garde côtière finlandaise… Ce qui a grandement facilité le travail des enquêteurs.
Déjà suspecté de faire partie de la « flotte fantôme » utilisée par la Russie pour exporter son pétrole, l’Eagle S aurait servi de « navire espion » après avoir été équipé de dispositifs de transmission et de réception par les Russes.
« L’équipement de haute technologie à bord était anormal pour un navire marchand, lequel consommait plus d’énergie que son générateur pouvait en produire, ce qui entraînait des pannes de courant répétées », avait en effet affirmé la revue britannique Lloyd’s List. Et d’ajouter : « Les appareils de transmission et de réception ont été utilisés pour enregistrer toutes les fréquences radio et, une fois arrivés en Russie, ils ont été déchargés pour être analysés ».
À ce stade, l’enquête menée par la justice finlandaise n’a pas confirmé les informations de Lloyd’s List. En revanche, elle a permis de collecter suffisamment de preuves pour engager des poursuites contre trois marins de l’Eagle S, dont le capitaine, pour leur participation « au sabotage » de câbles sous-marins.
« Le procureur général adjoint a engagé des poursuites pour dégradations criminelles aggravées et entrave aggravée aux communications contre le capitaine ainsi que les premier et second officiers du pétrolier Eagle S, immatriculé aux îles Cook », a en effet annoncé le parquet finlandais, ce 11 août.
« Les propriétaires des câbles ont subi au total au moins 60 millions d’euros de dommages directs rien qu’en frais de réparation », a rappelé le Parquet. « La perturbation de câbles de transmission électrique et de télécommunications […] est également suspectée d’avoir causé un risque grave pour l’approvisionnement énergétique et des communications en Finlande, même si les services ont pu être assurés grâce à des connexions alternatives », a-t-il insisté.
Niant les faits qui leur sont reprochés, les trois accusés ont l’interdiction de quitter le territoire finlandais, leur procès devant avoir lieu dans quelques semaines.
Du moins si la compétence de la Finlande pour juger cette affaire est confirmée… Les câbles ayant été coupés en dehors des eaux territoriales du pays, leurs avocats estiment qu’ils n’ont pas à comparaître devant un tribunal finlandais.
« L’acte d’accusation a été déposé auprès du tribunal de district d’Helsinki, qui fixera la date de l’audience et, si nécessaire, tranchera la question de la compétence finlandaise », a ainsi précisé le parquet.