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mardi 26 août 2025

A400M Atlas : nouveau visage de l’aviation de combat et de la projection de l’armée de l’Air et de l’Espace

 

Avec l’arrivée de l’A400M et du Multi rôle tanker transport (MRTT), le transport aérien militaire français a connu ces dernières années un bond capacitaire inédit. L’A400M Atlas, en particulier, a bouleversé la manière dont l’armée de l’Air et de l’Espace (AAE) exploite ses avions de transport et d’assaut. Il ne se contente pas de transporter des charges lourdes, il représente un véritable vecteur de puissance tactique à portée stratégique. Les qualités de cet avion ont notamment été éprouvées lors d’opérations récentes d’évacuation de ressortissants ou d’aide humanitaire, qui ne représentent qu’une facette de son potentiel.

L’A400M est désormais capable de remplir toutes les missions pour lesquelles il a été conçu. Sa pleine capacité opérationnelle, prononcée cette année, marque un tournant majeur. Cet avion de combat lourd, digne successeur des C‑160 Transall et C‑130 Hercules, propulse le transport aérien militaire à une échelle inédite : il projette quatre fois plus de forces opérationnelles, deux fois plus vite, deux fois plus loin. Les aviateurs de l’AAE, conscients du potentiel encore inexploité de cet appareil, travaillent actuellement sur un élargissement des missions de l’A400M par l’ajout de capacités largables, cinétiques et non cinétiques. Face aux défis géopolitiques actuels, l’Atlas promet de révolutionner le transport aérien militaire, ouvrant de nouvelles perspectives opérationnelles dans les domaines du combat et de la projection.

L’A400M, figure de proue du transport aérien militaire français

L’AAE dispose en 2025 d’une flotte de 25 A400M (1). L’objectif est d’atteindre une cinquantaine d’appareils d’ici au début de la prochaine décennie, ce qui fera de l’A400M le pilier de l’aviation de transport française, succédant ainsi au vénérable Transall fort de ses 59 années de service. Si les équipages français ont été les premiers à recevoir et à tester l’A400M, ils sont également les pionniers de son utilisation en conditions opérationnelles réelles. L’appareil et ses équipages se sont notamment illustrés lors des opérations suivantes :

• « Apagan » (Afghanistan, 2021), où l’A400M a joué un rôle déterminant dans l’évacuation de milliers de ressortissants français et afghans ;

• « Sagittaire » (Soudan, 2023), où son agilité et sa capacité de pénétration de nuit ont permis l’évacuation de ressortissants à Khartoum ;

• désengagement des forces françaises au Niger (2023), au cours duquel il a effectué 140 rotations, transportant plus de 2 000 t de fret ;

• crise en Nouvelle-Calédonie (2024), où il a participé à un déploiement de moyens exceptionnels et démontré sa capacité à agir de manière réactive dans la zone indo – pacifique ;

• aide humanitaire à Mayotte (2024), où l’A400M a acheminé du matériel médical et de première nécessité, démontrant sa capacité à intervenir sous préavis très courts et à longue distance.

Ces missions récentes illustrent la capacité de l’A400M à se déployer sur une grande variété de terrains, des grands aéroports internationaux aux pistes sommaires de moins de 1 000 m, qu’elles soient aménagées ou non (sable, terre, glace), de jour comme de nuit. Cependant, malgré leur complexité, ces opérations ne représentent qu’un aperçu limité des vastes possibilités offertes par cet appareil.

L’A400M ne se contente pas d’être un simple avion de transport. Il déploie désormais tout son potentiel tactique, surpassant ses prédécesseurs en termes d’échelle et de capacités. Capable de déployer 20 t de fret, de combattants et de véhicules à 3 000 km en moins de six heures depuis la métropole, l’Atlas révolutionne la rapidité d’intervention. Ravitaillable en vol, il peut larguer des parachutistes en toute discrétion, n’importe où dans le monde, en moins de 24 heures, de la basse hauteur jusqu’à de très hautes altitudes. Son système d’autoprotection intégré et sa capacité à suivre le relief avec ou sans références visuelles lui permettent de voler en pénétration basse altitude, à 150 pieds (50 m) du sol à plus de 500 km/h, échappant ainsi aux radars ennemis. Cette capacité de suivi de terrain automatique et à très basse altitude est une première mondiale pour un avion de transport tactique et témoigne de l’excellence européenne en matière d’innovation. Enfin, l’A400M s’intègre parfaitement au combat connecté via la Liaison‑16, se rapprochant ainsi de ses cousins chasseurs.

Également acteurs de la diplomatie aérienne, les Atlas affichent la cocarde tricolore aux côtés des Rafale et des MRTT. Ce triptyque, au travers de la mission « Pégase », permet à l’AAE de projeter la puissance en tout point du globe. L’A400M s’impose ainsi comme un atout majeur pour l’AAE. Alors que le Transall avait été conçu pour intervenir à l’échelle de l’Europe, l’Atlas est l’avion de la mondialisation. Capable d’intervenir rapidement et efficacement dans des contextes tactiques complexes, il dépasse largement le simple domaine de la mobilité aérienne.

L’A400M, de la polyvalence au multirôle (2)

La polyvalence est une préoccupation permanente de l’AAE : elle apporte agilité et flexibilité et est permise par la modernisation des systèmes d’armes qui augmentent la modularité des vecteurs et optimisent la charge de travail des équipages. Le Rafale et l’A400M incarnent cette philosophie, permettant une adaptation optimale des vecteurs aux besoins opérationnels.

Les avions de transport tactique se sont de très longue date distingués par cette polyvalence : aérotransport, aéroportage sur tous types de terrains, largage de matériel ou de personnel, ravitaillement en vol ou au sol. Les avions de transport et d’assaut sont ainsi multimissions par nature, mais pourtant très majoritairement exploités dans leur version cargo. Cela vient du fait que, ces dernières années et notamment avec le retrait progressif des C‑160 Transall, la flotte de transport française était exsangue, concentrant les appareils disponibles sur de simples missions logistiques. Les conflits du début du siècle ont en effet maintenu une forte pression opérationnelle sur ces avions, avec un important besoin de projection en Afrique, en Asie (Afghanistan) et, plus récemment, au Proche – Orient. Malgré cet engagement et un nombre limité d’avions affectés à l’entraînement, les équipages ont su maintenir des savoir – faire tactiques rares. Ce haut niveau de compétence a permis de former les premiers équipages de combat sur A400M tout en menant des opérations aéroportées d’envergure, comme en 2013 lors du lancement de l’opération « Serval » (mobilisant des C‑160 et des C‑130H).

Conçu à la fin des années 1990, l’A400M était initialement pensé pour répondre aux besoins d’une armée expéditionnaire capable de déploiements à longue distance. De ce point de vue, l’A400M a déjà radicalement transformé le transport aérien militaire européen : en dix ans, il a permis de diminuer considérablement la part d’affrètement aérien civil (3) et permet désormais aux nations européennes de réduire leur dépendance à des moyens non souverains (4).

Cependant, la guerre russo – ukrainienne a déplacé le centre d’intérêt stratégique vers l’est de l’Europe, une zone où le transport terrestre est désormais plus aisé qu’il ne l’était auparavant en Afrique ou en Asie. Ce contexte géopolitique, couplé à une réduction des emprises permanentes sur le continent africain depuis 2022, a conduit à une stabilisation du recours à la voie aérienne militaire malgré une augmentation progressive de la disponibilité des avions. Cependant, la capacité à projeter rapidement des forces de réaction rapide à très longue distance, incluant des véhicules de l’armée de Terre, reste essentielle. C’est d’ailleurs sur cette base que le format A400M a été défini au lancement du programme. Ce format inclut également les autres contrats opérationnels confiés à cette flotte. Outre la projection au profit des forces, les équipages se consacrent en effet à la réalisation de missions bien plus complexes : déploiements en opérations extérieures, opérations aéroportées d’envergure, formation des équipages de combat, exercices majeurs en COMAO (5), entraînement et opérations en interarmées – 11e brigade parachutiste – et en interalliés, forces spéciales.

Car au-delà de sa taille et de sa capacité d’emport logistique, l’A400M offre des atouts majeurs pour les opérations en environnement contesté :

• son endurance, multipliée par sa capacité à être ravitaillé en vol, lui permet d’assurer une présence durable sur zone ou de couvrir des distances considérables (9 000 km en 12 heures sans ravitaillement en vol) ;

• son empreinte logistique quasi nulle lui confère une autonomie totale sur tout type de terrain, avec un équipage réduit ;

• sa puissance électrique, avec quatre moteurs TP400 de 11 000 ch chacun, permettra une évolutivité grâce à sa réserve d’énergie (armes à énergie dirigée, serveurs et relais de communication en vue du futur combat cloud).

Le transport aérien militaire retrouve ainsi une épaisseur quantitative et qualitative. Ses capacités de combat et de projection prennent une nouvelle dimension avec l’A400M. Considérant ses qualités singulières, se concentrant sur ses capacités tactiques uniques et en développant de nouveaux modes d’action, l’Atlas pourra ainsi s’affirmer comme un acteur majeur de la puissance aérienne, capable d’apporter de nouveaux effets cinétiques et non cinétiques, et de générer un effet de masse.

L’A400M, une réponse à l’agilité et au besoin de masse

L’expérience acquise sur le terrain a révélé un potentiel sous – exploité de l’A400M qui pourrait en faire un précieux complément des chasseurs pour certaines missions, face à une menace de plus en plus dense et complexe. De nouvelles capacités permettraient de répondre à un enjeu de « masse », facteur déterminant dans les conflits futurs. De plus, en confiant à l’A400M certaines tâches, les avions de chasse pourraient se concentrer sur les phases haut du spectre des missions les plus exigeantes et stratégiques.

Missions aéroterrestres et appui au sol

L’A400M doit pouvoir être utilisé de manière autonome dans des zones peu contestées pour appuyer des manœuvres au sol. Il pourrait larguer des effecteurs cinétiques tels que des missiles de courte portée ou des bombes guidées placés en soute ou sous voilure. Ce défi n’est pas insurmontable. Le C‑130 américain démontrait déjà ce type de capacité au siècle dernier. La délivrance du feu étant l’aboutissement d’une chaîne de décision complexe – détection, identification, classification, destruction –, le développement d’une capacité de ciblage, de surveillance et de renseignement embarquée est un prérequis essentiel. Cette évolution est en cours d’étude sur les avions français.

Frappe de précision dans la profondeur

Outre ces capacités cinétiques de courte et de moyenne portée en zone permissive, l’A400M peut être envisagé pour contribuer à des missions de frappe de précision dans la profondeur (6) au cours d’opérations aériennes d’envergure, y compris à proximité d’espaces aériens non permissifs. En intégrant des effecteurs à bas coût produits en série, il pourrait ainsi générer une masse de feu capable de saturer les systèmes de défense ennemis et d’assurer une frappe de précision à longue portée efficace. Bien qu’il ne soit pas taillé pour une survivabilité élevée face à des systèmes A2/AD (Anti access/area denial), cet avion de combat lourd pourrait larguer une quantité importante d’effecteurs en stand off (à distance des menaces sol-air adverses) :

• armement de saturation à bas coût, notamment pour appuyer une mission SEAD (Suppression of enemy air defence) ;

• mise en œuvre de systèmes de guerre électronique offensive ou de saturation ;

• missiles de croisière ;

• remote carriers afin d’accroître leur allonge.

Les gros porteurs armés seraient ainsi en mesure de délivrer des frappes de précision partout dans le monde, en masse, sous faible préavis, avec une empreinte logistique quasi nulle, en accompagnement d’un raid ou en autonomie. Ils permettraient de porter le feu par les airs de manière inattendue, en tout temps et en tout lieu.

Le contexte géopolitique actuel nous engage par ailleurs dans cette direction. Marqué par le pivot stratégique américain et le besoin d’une défense européenne autonome, il exige de nouvelles capacités rapidement. Le développement d’un nouvel aéronef étant un processus long (plus de 10 ans), il est aujourd’hui crucial de repenser les modes d’action avec les flottes actuelles et de passer d’une logique de plateformes, dans laquelle est concentrée l’intensité du capital et de la R&D, vers une logique de capteurs et d’armements, dans une optique relativement agnostique du porteur.

L’importance d’optimiser l’utilisation des plateformes, à l’instar de l’armement des drones Reaper, est bien comprise. L’exploration du potentiel offensif de l’A400M, entamée de longue date, se concrétise aujourd’hui avec la pleine capacité opérationnelle de l’appareil et vise un double horizon :

• Quick win : répondre à l’urgence opérationnelle via une démarche incrémentale menée avec le Centre d’expertise aéronautique militaire, centre d’expertise pour l’expérimentation de l’AAE, et le concours de la Direction générale pour l’armement et de l’Agence pour l’innovation de défense. Des essais concrets permettront d’orienter les études futures en adoptant une approche d’apprentissage par l’expérimentation ;

• Paradigm shift : la rupture conceptuelle ne concerne pas uniquement les forces armées, mais également les industriels de la défense, qui jouent un rôle crucial dans la préparation de l’avenir des moyens des armées. Il s’agira pour eux de s’adapter à un nouvel avion, de développer de nouvelles méthodes de largage et de concevoir des armements optimisés pour cette plateforme. L’objectif étant de déployer une puissance de feu importante tout en maîtrisant les coûts, cela impliquera de développer des munitions abordables, faciles à produire et à maintenir : la masse par le low cost.

L’industrie de la défense doit donc innover et s’adapter pour répondre à ces nouveaux besoins. Les partenariats entre industriels et forces armées seront essentiels pour garantir le succès de cette transformation. L’A400M comme plateforme offensive peut être un catalyseur de changement pour le secteur de la défense. Il répond aux besoins des armées à court terme tout en illustrant la nécessité de repenser l’utilisation du matériel existant.

Enfin, le passage d’un A400M multimission à un A400M multirôle présentera de nombreux défis. La formation des équipages sera un enjeu crucial, et délivrer le feu nécessitera l’appropriation de nouveaux savoir – faire. La formation des pilotes à l’ensemble des nouveaux modes d’action sera facilitée par la taille de ces gros porteurs et la possibilité d’embarquer des opérateurs spécialisés. La modularité du cockpit permet déjà d’accueillir sans modification deux membres d’équipage supplémentaires avec accès aux systèmes de l’avion. La diversité de l’équipage constitue d’ailleurs l’une des richesses des avions de transport et d’assaut. Le commandant de bord, bien que pilote, s’est toujours appuyé sur divers experts embarqués : mécaniciens navigants, navigateurs, convoyeurs de l’air, équipes de largage…

L’histoire de l’aviation militaire montre une évolution fascinante des avions de transport, héritiers directs des premiers bombardiers. Après la Deuxième Guerre mondiale, les Marauder et les Halifax, autrefois porteurs de bombes, ont trouvé une seconde vie au sein du Groupement des moyens militaires de transport aérien (GMMTA), témoignant de la polyvalence inhérente aux groupes lourds. Cette évolution des avions de transport trouve aujourd’hui son aboutissement avec l’A400M. Elle illustre l’esprit pionnier des aviateurs, qui se caractérise par cette soif d’innovation constante et une volonté de réaliser l’impossible et d’explorer sans cesse les potentialités offertes par ces « plus lourds que l’air ».

Il est ainsi crucial de poursuivre les efforts de recherche et de développement, d’encourager l’expérimentation, d’accepter l’échec comme une étape nécessaire à l’apprentissage et de promouvoir une collaboration étroite et directe entre les forces armées et l’industrie de la défense. L’avenir de l’aviation militaire dépend de cette capacité à innover et à s’adapter aux enjeux du XXIe siècle. L’AAE, dotée de l’A400M, symbole de cette évolution, est prête à relever le défi.

Notes

(1) Selon la programmation actuelle, la flotte atteindra au moins 37 avions d’ici à la fin de la décennie.

(2) Dans la doctrine otanienne, un rôle est un type d’opération aérienne. Quatre sont définis (défense aérienne, attaque, mobilité aérienne et ISR), mais l’OTAN ne ferme pas la liste. Un avion multirôle est donc capable d’assurer plusieurs de ces rôles.

(3) Source : ministère des Armées.

(4) La dépendance à des avions-cargo An-124 russo-ukrainiens a été relevée dans plusieurs rapports parlementaires.

(5) Combined air operation regroupant de nombreux acteurs : avions de chasse, drones, contrôle aérien embarqué, hélicoptères, défense sol-air, brouillage…

(6) La Royal Air Force britannique envisageait dès 2003 de doter l’A400M de missiles de croisière en complément des chasseurs-bombardiers Tornado vieillissants.

Bastien Cardot

areion24.news