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jeudi 10 juillet 2025

Xi Jinping en difficulté, contraint de partager le pouvoir

 

Pour la première fois depuis son arrivée au pouvoir en 2012, les signes sont là pour attester d’une érosion de l’influence politique du président Xi Jinping, les membres du Comité central du Parti communiste chinois annonçant d’ailleurs que désormais la règle serait le retour à une direction collégiale au sein des instances dirigeantes du Parti.

Cent fois, peut-être mille fois, les observateurs de la Chine se sont interrogés sur le degré de puissance politique dont dispose le maître de la Chine communiste. Certains, peu avisés et imprudents, s’aventurent depuis longtemps à prédire sa chute prochaine. Ces derniers ont régulièrement été démentis par les faits puisque Xi Jinping est toujours là, apparemment solidement aux commandes de l’appareil politique de son pays.

Mais des signaux et des événements vont depuis quelques mois dans le même sens : celui d’un retrait déjà perceptible de celui qui est encore considéré comme le maître absolu de son pays. Parmi eux, son absence répétée lors de rencontres et forums internationaux auxquels il avait l’habitude d’assister et ces purges à répétition, inédites autant que spectaculaires, au sein de l’Armée populaire de libération (APL) de généraux, dont certains tenus pour être des proches de Xi Jinping.

Premier fait avéré : l’absence de plus en plus frappante du dirigeant suprême dans les médias officiels. Ces mêmes observateurs relèvent par exemple qu’aucune référence à Xi Jinping ou à son idéologie éponyme qui a pour nom « la pensée Xi Jinping » n’a été faite lors de la couverture des négociations commerciales pourtant cruciales entre la Chine et les États-Unis.

Absence encore lors de l’annonce d’une nouvelle politique visant à renforcer la protection sociale ou d’une cérémonie au cours de laquelle le premier ministre Li Qiang et d’autres ont prêté allégeance à la constitution de l’État.

Certes, le chef suprême ne risque guère de perdre sa place de « noyau » (核心) de la direction du Parti communiste chinois (PCC) avant le 21e congrès national qui se tiendra fin 2027. Selon la charte du Parti, un secrétaire général ne peut être démis de ses fonctions que par un Plénum du comité central ou par un Congrès du Parti. Or la plupart des membres du Comité central du PCC confirmés lors du 20e Congrès du Parti en 2022 sont des fidèles de Xi. Il est peu vraisemblable qu’ils veuillent abandonner Xi lors du quatrième Plénum qui pourrait avoir lieu à l’automne ou lors de sessions plénières ultérieures.

Xi Jinping aurait atteint son apogée en 2022

Toutefois, de l’avis du respecté sinologue Willy Wo Lap-lam (林和立), le pouvoir de Xi semble avoir atteint son apogée lors du 20e Congrès du Parti, à la fin de l’année 2022. C’est à ce moment-là que « la pensée de Xi Jinping sur le socialisme aux caractéristiques chinoises pour la nouvelle ère » (习近平新时 代中国特色社会主义思想) avait été érigée en dogme d’État et les membres du Parti s’étaient engagés à « sauvegarder le « noyau » de la direction du Parti » (维护党的领导核心).

Depuis cette date, constate-t-il, Xi Jinping a perdu de son pouvoir dans les affaires étrangères et intérieures. Ceci alors même que de nombreux pays se sont mis à s’opposer à la rhétorique et aux actions isolationnistes et quasi-unilatérales adoptées par le président Donald Trump depuis son retour à la Maison Blanche le 20 janvier dernier.

Ce virage idéologique des États-Unis aurait dû bénéficier au président chinois pour qui c’était là une occasion rêvée, pour, une Amérique redevenue impérialiste, montrer au monde que la Chine pouvait dorénavant devenir le chef de file d’un nouvel ordre mondial basé sur le libre-échange et la paix dans le monde.

Ce nouvel ordre mondial souhaité par Xi Jinping est prétendument régi par des principes confucianistes. Ainsi parle-t-il souvent de la planète comme d’une « grande famille » (一个大家庭). Pour lui, la Chine devrait tout naturellement y siéger en tant que patriarche. Il avait d’ailleurs répété ce message lors de sa tournée en avril au Vietnam, en Malaisie et au Cambodge, ainsi que lors du 2e sommet Chine-Asie centrale au Kazakhstan.

Un exercice solitaire du pouvoir aujourd’hui contesté

Deux faits avérés : à l’occasion des négociations commerciales cruciales pour la Chine cette année, Xi Jinping n’a pas réussi à faire preuve du leadership fort dont il était jusque-là coutumier. C’est ainsi que lors des négociations avec l’administration Trump à Genève les 11 et 12 mai, puis à Londres les 10 et 11 juin, ni le nom de Xi Jinping ni « la pensée Xi Jinping » n’ont été mentionnés dans les comptes-rendus du ministère des Affaires étrangères et du ministère du Commerce chinois, ni non plus par le vice-premier ministre He Lifeng (何立峰), pourtant un proche allié de l’homme fort de la Chine.

Le fait est qu’au niveau national, les principaux médias officiels font de plus en plus rarement mention de son nom. Il en va ainsi du Quotidien du peuple, de l’agence officielle Chine Nouvelle (Xinhua) ou de la télévision publique CCTV. Fait frappant : un article en première page de l’édition du 10 juin du Quotidien du peuple annonçait la publication d’un avis du Bureau général du Comité central du PCC sur l’amélioration des moyens de subsistance de la population. Parmi les mesures évoquées figure l’augmentation des aides médicales et sociales. Là encore, aucune mention n’a été faite des conseils de Xi Jinping, ni non plus du fait que les cadres doivent suivre « la pensée de Xi Jinping. »

La référence à Xi Jinping était également absente d’une cérémonie organisée par le Conseil d’État début juin. Lors de cet événement, près de 50 fonctionnaires du gouvernement central, dont des ministres et des chefs de département, avaient promis leur loyauté à la Constitution du pays. Le premier ministre Li Qiang (李强) avait supervisé la cérémonie et appelé à la mise en œuvre des plans du Comité central du PCC. Là encore sans mentionner Xi Jinping. L’événement lui-même – honorer la constitution de l’État – est inhabituel.

Souvenons-nous : depuis son arrivée au pouvoir fin 2012, Xi Jinping s’est efforcé de mettre à l’écart les unités du gouvernement central relevant du Conseil d’État et de confier toutes les décisions relatives aux questions socio-économiques et de politique étrangère aux organismes du Parti qui lui sont directement rattachés. Le président chinois a rarement fait référence à la Constitution en dépit du fait que les autorités chinoises ont toujours insisté sur le fait que le pays est gouverné par la Constitution. Il est cependant allé jusqu’à imposer un amendement à cette constitution en 2018 pour lui permettre de rester président à vie.

L’armée et l’économie : les deux grands problèmes de Xi Jinping

Autre questionnement encore : Xi Jinping est à l’évidence confronté à des problèmes dans deux domaines importants : l’armée et le complexe techno-industriel. Au sein de l’APL, il est aujourd’hui avéré que des luttes intestines font rage entre les généraux qui lui sont fidèles et ceux qui se sont éloignés de lui pour rejoindre ses ennemis putatifs.

Depuis le début de l’année, trois généraux de haut rang considérés comme ses protégés et sur lesquels il comptait pour maintenir son emprise sur l’establishment de la défense ont été limogés. Il s’agit du général He Weidong (何卫东), deuxième vice-président de la CMC, du général Miao Hua (苗华), responsable de l’inspection du personnel et de l’idéologie au sein de l’armée, et du général Lin Xiangyang (林向阳), commandant du théâtre d’opérations de l’Est où figure Taïwan. Tous trois ont disparu de la scène publique depuis fin février sans explication.

D’autre part, dans le domaine des technologies, un programme d’investissement dirigé par l’État et associé à Xi Jinping ne fonctionne pas comme prévu. Les résultats des politiques engagées qui ont porté sur des dizaines de milliards de dollars pour favoriser le développement des hautes technologies tels que l’intelligence artificielle, l’informatique quantique, les véhicules électriques et les technologies vertes ont été décevants.

A la mi-2024, le président chinois avait personnellement donné son feu vert à la création d’un « Big Fund 3 » pour investir 45 milliards de dollars dans le développement de technologies choisies, en particulier le secteur des micro-processeurs. Ce fonds s’inscrivait dans le prolongement de deux fonds précédents, créés respectivement en 2014 et 2019. La propagande chinoise s’était efforcée de vanter un « renouveau de la politique industrielle » chinoise. Mais les résultats ne sont pas au rendez-vous.

En mai dernier, Zhao Weiguo (赵伟国), l’ancien président milliardaire du groupe Tsinghua Unigroup, spécialisé dans les semi-conducteurs, a été condamné à une peine de mort avec sursis pour corruption et détournement de fonds. Il n’est que le dernier capitaine d’industrie chinois qui avait bénéficié de subventions colossales au cours de la dernière décennie à être reconnu coupable de corruption.

Les rivaux de Xi Jinping veulent un retour à la politique de Deng Xiaoping

La dépendance de la Chine aux technologies étrangères, en particulier dans le domaine des semi-conducteurs, demeure l’une des principales épines dans le pied pour le développement industriel de la Chine. Illustration de cette dépendance, début 2025, la Chine avait annoncé l’importation pour plus de 20 milliards de dollars de microprocesseurs et semi-conducteurs de fabrication occidentale afin d’anticiper les restrictions qui ont été imposées plus tard par l’administration Trump.

L’industrie chinoise des véhicules électriques se trouve elle aussi plongée dans la tourmente, les principaux constructeurs se livrant une guerre des prix sans merci que les autorités semblent impuissantes à arrêter. Selon des sources émanant des milieux industriels chinois, plus de 400 entreprises de véhicules électriques ont fermé leurs portes depuis 2018, suscitant un surplus de chômage important pour une économie déjà chancelante.

C’est ainsi que, selon ce sinologue, « les principaux dirigeants du Parti souhaitent aujourd’hui un changement de politique vers la « droite ». » « En d’autres termes, ils font pression pour que [la Chine] emprunte à nouveau la politique de réforme et d’ouverture défendue par Deng Xiaoping, » écrit-il dans un article publié le 21 juin dans un média américain.

Cette offensive frontale contre les positions défendues par les alliés de Xi Jinping est, selon lui, principalement menée par la Ligue de la jeunesse communiste, autrefois dirigée par l’ex-président Hu Jintao (胡锦涛) et le Premier ministre Li Keqiang (李克强) mort officiellement d’une crise cardiaque dans des circonstances étranges.

De tous ces épisodes, « se trouve peut-être l’une des raisons qui explique le déclin de Xi Jinping ces derniers temps, » affirme encore Willy Wo Lap-lam qui, à l’appui de cette démonstration, relève que le 10 juin dernier, au plus fort des négociations commerciales entre les États-Unis et la Chine à Londres, le Quotidien du peuple avait publié en première page un article qui dresse l’éloge de Ren Zhengfei (任正非), le fondateur et PDG du géant chinois de l’électronique Huawei.

Les bienfais du secteur privé et de l’ouverture de la Chine

Dans cet article intitulé « Plus le pays est ouvert, plus nous pouvons progresser » (国家越开放,会促使我们更加进步), l’organe du Parti met en avant l’entrepreneur le plus célèbre du pays sans faire mention de Xi Jinping, ni non plus de « la pensée de Xi Jinping, » un fait lui aussi tout à fait inhabituel. La dernière fois qu’une personne du secteur privé avait fait la « Une » du Quotidien du Peuple, c’était Jack Ma, l’ancien patron du groupe Alibaba, en août 2015.

Enfin, un autre fait inhabituel renforce l’idée que Xi Jinping effectue, bon gré mal gré, un pas en arrière à l’approche du 21e congrès national du PCC. Lors d’un « banquet familial » (家庭晚宴) organisé à l’occasion de la visite officielle du président biélorusse, Aleksander Loukachenko, le 4 juin, le président chinois était entouré de manière inattendue de son épouse Peng Liyuan (彭丽媛), chanteuse renommée au sein de l’APL, et de sa fille, Xi Mingze (习明泽), diplômée de l’université américaine Harvard.

Les médias chinois ont gardé le silence sur cet événement quasi inédit, lui aussi inhabituel, contrairement aux médias biélorusses qui avaient cité le vice-Premier ministre Nikolai Snopkov. Cette couverture biélorusse a curieusement été supprimée depuis. Or, fait notable, aucun dirigeant chinois, y compris Mao Zedong, n’avait jamais réuni sa famille lors de rendez-vous diplomatiques de cet ordre.

La fin de l’exercice solitaire du pouvoir de Xi Jinping

Tout ceci a été de facto confirmé par l’agence Chine Nouvelle qui, dans une dépêche datée du 30 juin, fait état d’une décision prise collectivement par les instances dirigeantes du Parti de revenir au principe d’une « direction collégiale. » « Le Bureau politique du Comité central du Parti communiste chinois a tenu une réunion le 30 juin pour étudier un certain nombre de règles à propos du travail concernant les institutions du Comité central chargées de la prise de décision, des délibérations et de la coordination. Le secrétaire général du Comité central du Parti a présidé cette réunion, » explique l’agence Xinhua.

Dans cette même dépêche qui, sans nul doute, restera dans l’histoire de la Chine comme marquant un tournant dans la politique du pays, il est dit qu’il est désormais impératif d’améliorer la qualité et l’efficacité de la prise de décisions. Dans ce cadre, les membres du Comité central du Parti « tout en exerçant pleinement leurs responsabilités coordonnées, doivent éviter de s’ingérer dans les responsabilités des autres ou outrepasser leurs propres limites. »

Selon plusieurs sources d’Asialyst qui ont demandé l’anonymat, le nouvel homme fort de la Chine pourrait bientôt être le général Zhang Youxia (张又侠), le premier vice-président de la Commission militaire centrale dont le président actuel n’est autre que Xi Jinping. Mais, selon ces mêmes sources, même s’il devait prendre les rênes du pouvoir, il ne sera probablement jamais le seul maître à bord, car il prendrait les décisions stratégiques qui engagent l’avenir de la Chine conjointement avec d’autres anciens responsables du Parti et d’autres dirigeants militaires, contrairement à l’exercice solitaire du pouvoir de Xi Jinping aujourd’hui critiqué.

Tous ne sont pas d’accord sur la thèse d’une fronde au sein du Parti contre leur secrétaire général. Le Vent de la Chine, basé à Pékin, qui publie depuis 1996 une newsletter hebdomadaire d’analyse réputée pour son sérieux, souligne que ce n’est pas la première fois que Xi « disparaît ainsi de la vie publique […] Pas plus tard qu’en août 2024, le leader ne s’était pas montré pendant 18 jours, » souligne-t-elle.

« A y regarder de plus près, l’emploi du temps de Xi durant sa supposée « disparition » du mois de mai n’a rien de véritablement anormal. Il se serait entretenu au téléphone avec plusieurs chefs d’Etat (Emmanuel Macron le 21 mai, [le chancelier allemand] Friedrich Merz le 23 mai), avant d’accueillir le président biélorusse à Pékin le 4 juin, puis de s’envoler pour le Kazakhstan le 16 juin, » ajoute Le Vent de la Chine.

« Quant à la baisse supposée des références à Xi Jinping dans les discours officiels, certains analystes expliquent qu’elle pourrait tout simplement être liée à un ajustement rhétorique de la propagande du Parti depuis le XXème Congrès. Dans un contexte économique morose, cette inflexion peut répondre à une volonté de montrer au public un leader davantage préoccupé par le besoin d’apporter des solutions concrètes aux problèmes actuels, plutôt que de continuer à entretenir un culte de la personnalité répétitif et lassant de son chef suprême, » estime encore cette organisation.

Xi Jinping en passe de perdre son statut de dirigeant suprême

Nombreux sont les analystes qui conservent une certaine prudence sur les tensions récurrentes au sein du régime chinois. S’agissant de ce dernier épisode, il est leur est difficile d’expliquer pourquoi Xi Jinping a décidé de montrer sa fille à l’occasion de ce « banquet familial. » Pour certains d’entre eux, la tradition dans la politique chinoise, qui est de ne jamais apparaître en public avec ses enfants, peut s’expliquer dans le cas présent comme un signe qu’un père autrefois autoritaire se prépare à une retraite au moins partielle.

Quoiqu’il en soit, insiste Willy Wo Lap-lam, journaliste et politologue hongkongais, membre de la Fondation Jamestown, la situation de celui qui rassemble tous les pouvoirs puisqu’il est à la fois président de la République, secrétaire général du Parti et président de la Commission militaire centrale, semble bien avoir perdu de son influence dans les principaux organes de décision de son pays, plongeant de ce fait la Chine dans une période d’incertitude.

Celle-ci est d’autant plus forte qu’il n’existe pas, à ce jour, de successeur connu à Xi Jinping. Les prétendants possibles que semblent soutenir les anciens du Parti de même que les dirigeants militaires et la « deuxième génération rouge » (红二代) sont soit considérés comme n’ayant pas le poids nécessaire, soit ne sont pas intéressés par le poste.

Or cette incertitude, si elle se prolonge, ne va pas manquer d’entraver sinon paralyser le grand programme de rajeunissement du pays, l’objectif politique majeur de Xi Jinping. Ceci sans compter l’impact négatif qu’elle pourrait avoir sur les investissements étrangers en Chine. Néanmoins, si les partisans de l’ouverture de la Chine prennent le dessus, l’espoir est grand d’une Chine qui retrouve des couleurs sur le plan économique et social et surtout parvienne à retrouver la confiance des investisseurs étrangers.

Pierre-Antoine Donnet

asialyst.com