Jusqu’en 2008, le Royaume-Uni abritait des bombes nucléaires tactiques B-61, susceptibles d’être mises en œuvre par les chasseurs-bombardiers F-15E de la 48e Escadre de chasse de l’US Air Force depuis la base aérienne à Lakenheath.
Prise par le président George W. Bush, la décision de les retirer du sol britannique allait dans le sens de son successeur, Barack Obama qui se faisait alors l’avocat de l’initiative « Global Zero », dont l’objectif était de parvenir à un « monde sans arme nucléaire ». En outre, ce dernier souhaitait « réinitialiser » les relations entre Washington et Moscou [le « reset »]. Lors du sommet de l’Otan organisé à Lisbonne en 2010, la Russie fut ainsi invitée à participer au bouclier antimissile de l’Alliance.
« Il n’est pas dans l’intérêt de Moscou de menacer militairement ou économiquement l’Occident », avait fait valoir M. Obama dans les pages du journal polonais Gazeta Wyborcza. « La Guerre froide, c’est fini. Le Pacte de Varsovie, c’est fini. L’Union soviétique, c’est fini », avait résumé le président Sarkozy.
Même si un tel rapprochement pouvait se comprendre à la lumière de la situation en Afghanistan [l’Otan cherchait alors des voies d’accès vers ce pays, ndlr], le propos de M. Obama fut démenti de la plus cinglante des manières avec l’annexion de la Crimée par la Russie, en 2014. Annexion qui changea la donne en Europe… et qui aboutira à l’invasion de l’Ukraine huit ans plus tard.
En 2016, la modernisation des dépôts nucléaires implantés en Europe et en Turquie fut lancée dans le cadre d’un investissement de 384 millions de dollars. Évidemment, ceux de la base de Lakenheath n’étaient pas concernés… Du moins jusqu’en 2022.
En effet, en avril de cette année-là, sur la foi de documents budgétaires, la Federation of American Scientists [FAS] constata que les dépôts de Lakenheath faisaient désormais partie de ce programme de mise à niveau. Et cela alors que la base britannique venait d’accueillir les premiers F-35A de l’US Air Force.
Cet ajout « signale un changement dans le statut nucléaire de la base de Lakenheath », avait ainsi souligné la FAS. Pourtant, quelques semaines plus tôt, Jens Stoltenberg, alors secrétaire général de l’Alliance, avait assuré que les Alliés n’avaient « pas l’intention de stocker des armes nucléaires dans d’autres pays qui en disposent déjà dans le cadre du partage nucléaire » [à savoir : Allemagne, Pays-Bas, Belgique, Italie et Turquie].
Un an plus tard, après avoir épluché les documents budgétaires, la FAS nota l’existence d’un projet visant à accroître les capacités d’hébergement de la base de Lakenheath dans la perspective d’un « afflux d’aviateurs pour une pour une potentielle mission de sûreté » [« Surety Mission »]. Or, avait-elle expliqué, cette expression est utilisée par le Pentagone et le département américain de l’Énergie pour « désigner la capacité à maintenir les armes nucléaires en toute sécurité et sous contrôle ».
Reste que, l’administration américaine se gardant de faire le moindre commentaire, plusieurs hypothèses pouvaient être avancées, la première étant que la base de Lakenheath, avec ses 33 « systèmes de stockage et de sécurité » de type WS3, allait reprendre sa mission nucléaire. Un autre était que Washington anticipait un changement de posture, en fonction des décisions que Moscou était susceptible de prendre, comme celle relative au déploiement d’armes nucléaires en Biélorussie [qui s’est concrétisée depuis]. Un autre était que le Pentagone cherchait à disposer d’une plus grande flexibilité opérationnelle.
Quoi qu’il en soit, de récents développements viennent d’apporter la réponse à ces interrogations.
Ainsi, le 15 juillet, un avion de transport C-17A Globemaster III, appartenant à la seule unité de l’US Air Force habilitée à acheminer des armes nucléaires [la 62nd Airlift Wing] s’est posé sur la base aérienne de Kirtland [Nouveau-Mexique], où il a été vu dans la zone occupée par l’Air Force Nuclear Weapons Center [AFNWC]. Puis, deux jours plus tard, après avoir effectué un ravitaillement en vol « inhabituel » au large de la côte Est des États-Unis, il a mis le cap vers vers la base de Lakenheath, où une restriction de survol avait été imposée par un NOTAM [Notice for Airmen] pour les 17 et 18 juillet.
« Le déroulement de ce vol – y compris l’indicatif d’appel [REACH 4574, ndlr] et l’utilisation d’avions ravitailleurs – correspond à ceux précédemment suspectés d’être des missions PNAF [Prime Nuclear Airlift Force]. Ces vols ont été observés vers des bases en Europe où la présence de B61 est déjà connue », a ainsi relevé le site The Aviationist.
Depuis, un autre indice est apparu, avec un médaillon du 493rd Fighter Generation Squadron [FGS], que Tony Osborne, le rédacteur en chef pour la défense européenne chez Aviation Week, a pu photographier lors du dernier Royal International Air Tattoo.
Sur son côté pile, on y voit la « Faucheuse », associée à une B-61 et à la devise « Prépare-toi à rencontrer ton créateur ». Son côté face représente une explosion nucléaire. On ne saurait être plus explicite quand on sait que le 493rd FGS est basé, avec ses F-35A, à Lakenheath.