Le 1er octobre 2024, l’Iran lance, pour la deuxième fois de l’année, une salve de missiles balistiques et de croisière en direction d’Israël – qui réussit à en intercepter un certain nombre, non sans que plusieurs bases aériennes soient touchées. Le 26 octobre, c’est au tour d’Israël de répliquer massivement. Cette impressionnante séquence aérobalistique, entre offensive et défensive, est aussi indicative d’une valeur stratégique des systèmes tant antiaériens que SEAD (Suppression of enemy air defenses).
Le premier acte de la séquence est directement lié aux actions israéliennes dans sa proche région, dans le contexte de la lutte contre l’influence iranienne. L’ambassade de Téhéran à Damas a ainsi été ciblée le 1er avril par deux missiles Rampage, une frappe qui a tué des officiers du corps des Gardiens de la révolution. L’Iran a alors procédé à une première frappe balistique dans la nuit du 13 au 14 avril, l’opération « Promesse véritable », qui s’est avérée bien plus complexe et plus massive (1) : 110 à 115 missiles balistiques, 36 missiles de croisière et 185 OWA-UAV (One way attack – Unmanned aerial vehicles), soit plus de 330 au total, ont été tirés, avec un taux officiel d’interception de 99 %. En l’occurrence, un certain nombre de missiles de croisière et d’OWA-UAV ont été détruits au – dessus de l’Irak et de la Jordanie par des appareils américains (environ 70), britanniques (environ 10), jordaniens et français (nombre non précisé). La force aérienne israélienne a abattu le reste des drones et des missiles de croisière, y compris depuis l’espace aérien jordanien.
Effets stratégique de la défense israélienne
Le soutien extérieur a également importé. Quatre destroyers américains ont tiré des SM‑3 – ce fut leur premier usage opérationnel – et une batterie Patriot américaine déployée sur le sol israélien a également été mise en œuvre. Washington avait également déployé une batterie THAAD, mais on ne sait pas si elle a effectué des tirs. De plus, de nombreux missiles iraniens ont connu des défaillances. Finalement, les dommages ont été légers, cinq missiles ayant touché les bases aériennes de Nevatim et de Damon. Un C‑130 a été endommagé, de même que quelques bâtiments et un taxiway, rapidement réparé. À l’exception d’une enfant lourdement blessée par des shrapnels, Israël n’a déploré qu’une trentaine de blessés légers. La Heyl Ha’Havir a elle – même procédé à un nombre inconnu d’interceptions balistiques, marquées par le premier usage de l’Arrow‑3 et la première interception exoatmosphérique en condition opérationnelle de l’histoire. « Promesse véritable » apparaît donc comme un échec, la recherche d’une escalade à visée dissuasive des actions israéliennes au Liban, en Syrie et dans la bande de Gaza ne produisant aucun effet – validant au passage les logiques de dissuasion par interdiction.
La riposte israélienne, limitée, est sans doute liée à l’efficacité de la défense ABM. Le 19 avril, Israël a tiré deux ou trois missiles sur une batterie S‑300PMU2 iranienne à proximité du site nucléaire de Natanz. Des engins aérobalistiques supersoniques Rocks/Sparrow auraient été utilisés (2). Si, du point de vue de la stratégie opérationnelle, ils ont permis de détruire le radar de la batterie, c’est sans doute du point de vue de la stratégie déclaratoire que la frappe est intéressante, signalant l’aptitude à éliminer les défenses aériennes de Téhéran – singulièrement la dernière ligne de protection d’infrastructures nucléaires. Israël se trouvait alors dans une situation où il pouvait à la fois frapper et se défendre, imposant ainsi une logique de dissuasion « complète », par représailles et par interdiction, avec une frappe sur un site militaire, d’une intensité suffisamment faible pour ne pas appeler à son tour de riposte.
« Promesse véritable II » et ses conséquences
La dynamique des actions observées au Proche – Orient à l’été et en septembre a toutefois remis en cause la position stratégique iranienne, d’autant plus que l’Iran promettait une réponse puissante à l’élimination du chef politique du Hamas, Ismaël Haniyeh, le 31 juillet. Il a fallu attendre deux mois pour qu’elle se produise. Dans la soirée du 1er octobre, l’Iran a tiré entre 180 et 200 engins dans le cadre de l’opération « Promesse véritable II ». Les États-Unis et les États arabes semblent avoir été avertis au dernier moment ; alors que Washington avait indiqué dans la journée qu’une attaque était imminente.
Plusieurs bases aériennes israéliennes – Tel Nof, Hatzerim, Nevatim – ont été ciblées, de même que le quartier général du Mossad et des positions dans des zones urbaines, les images montrant clairement une série d’impacts – dont le nombre n’est pas connu, mais dépasse la trentaine au vu des vidéos postées sur les réseaux sociaux. Les plateformes gazières israéliennes en Méditerranée ont également été ciblées. Plusieurs missiles iraniens se sont écrasés peu après leur décollage et la population israélienne, rapidement prévenue via le système d’alerte national (3), a trouvé refuge dans le système d’abris, de sorte que seulement un mort et quatre blessés ont été à déplorer en Israël et en Cisjordanie. Peu avant l’attaque, toute la flotte de ravitailleurs en vol et une bonne partie des chasseurs israéliens avaient décollé, ce qui laisse envisager des dommages minimes.
Le système de défense antibalistique israélien s’est une fois de plus avéré efficace. La Jordanie a également effectué plusieurs tirs de missiles Patriot et plusieurs SM‑3 ont été tirés depuis trois destroyers américains. L’effet recherché était de toute évidence la saturation, mais le système israélien semble avoir correctement fonctionné dans les tris effectués, avec des tirs défensifs menés uniquement sur les engins susceptibles de frapper des positions civiles. Le nombre d’interceptions réussies n’a pas été divulgué. Il reste cependant à voir dans quelle mesure les stocks israéliens ont été entamés : depuis le 7 octobre 2023, ils ont été largement mis à contribution pour les systèmes de plus courte portée. Depuis lors, plusieurs commandes de recomplètement des stocks ont été annoncées. L’inverse est également vrai : la consommation de missiles iraniens, de même que l’équipement des Houthis et du Hezbollah, a sans doute eu des conséquences sur l’arsenal de Téhéran, estimé par les Américains, avant 2024, à 3 000 missiles.
La riposte israélienne est intervenue le 26 octobre, avec l’opération aérienne « Jours de repentance », contre une vingtaine de positions en Iran, mais aussi en Irak et en Syrie. Une centaine d’appareils ont été mobilisés, en trois vagues ; tous sont revenus ensuite à leurs bases, Israël semblant avoir prévenu l’Iran de la nature de la riposte. Ce sont cependant des sites militaires ou assimilés qui ont été frappés : l’essentiel des batteries antiaériennes à longue portée et des radars d’alerte avancée, une installation de recherche nucléaire, une usine de fabrication de drones et des installations de production de carburant solide utilisé pour la construction de missiles balistiques. Les cibles ont été traitées à distance de sécurité, sans pénétrer dans l’espace aérien iranien, y compris par des missiles antibalistiques Rampage. Les missiles ont été tirés en Irak, après un transit par la Syrie. Des F‑35I semblent quant à eux avoir été engagés directement en Iran.
Ce raid était intéressant à deux égards, d’ailleurs complémentaires. D’une part, d’un point de vue opérationnel, le choix des cibles dénote l’intention d’empêcher l’Iran ainsi que ses proxys de reconstituer leurs capacités aérobalistiques. D’autre part, et surtout, d’un point de vue déclaratoire, la destruction d’une bonne partie des capacités de défense aérienne à longue portée – y compris celles protégeant la raffinerie d’Abadan et le port de Bandar Khomeiny – est remarquable. Outre qu’elle démontre la vulnérabilité de l’Iran et son incapacité à se défendre même en disposant de ces batteries, ces frappes préparent une possible poursuite des opérations contre d’autres installations – ce qui accroît donc la liberté d’action israélienne, tout en renforçant la manœuvre de dissuasion.
Les actions sur les défenses aériennes ont ainsi une structure analogue à celle d’une campagne SEAD préparatoire à des actions de frappe qui permettraient d’engager dans l’espace aérien iranien d’autres appareils que les F‑35I. L’action du 26 octobre revient à établir un rapport de force coercitif, en menaçant d’une nouvelle action, toujours par voie aérienne, mais cette fois sur des infrastructures militaires, voire économiques, dans un contexte où l’évolution de la force aérienne iranienne ne permet pas de compenser la perte des batteries. Si la reconstitution de cette capacité sera sans doute une priorité pour Téhéran, il faut aussi constater que les actions israéliennes montrent que la valeur de la SEAD n’est pas uniquement opérative – ce que l’histoire a amplement démontré –, mais peut être stratégique à proprement parler.
Notes
(1) Adrien Fontanellaz, « Proche-Orient et Moyen-Orient : missiles dans la nuit », Défense & Sécurité Internationale, hors-série no 97, août-septembre 2024.
(2) Paul Iddon, « Israel Made Missiles to Simulate Iran’s Arsenal, The Fired at Them », Forbes, 1er novembre 2024.
(3) Sur ce dernier : Joseph Henrotin, « Défense antimissile : les grandes espérances ? », Défense & Sécurité Internationale, hors-série no 99, décembre 2024-janvier 2025.
Joseph Henrotin