Le nouveau président sud-coréen affiche une diplomatie pragmatique, conciliant un renforcement des liens avec les États-Unis et une politique plus équilibrée dans les relations avec la Chine et la Corée du Nord. Le prochain test de cette politique sera l’éventuel accord commercial avec Donald Trump d’ici juillet.
Lors de l’élection présidentielle anticipée du 3 juin en Corée du Sud, qui s’est déroulée dans un contexte de loi martiale sans précédent et de destitution de l’ancien président Yoon Suk-youl, Lee Jae-myung du Parti Démocrate (PD), a remporté 49,4 % des voix, devançant de 8,3 points Kim Moon-soo du Parti du Pouvoir du Peuple (PPP) (41,1 %). En raison de la particularité de cette élection présidentielle anticipée, il a entamé son mandat présidentiel de cinq ans dès le lendemain du scrutin, le 4 juin. Lee et le PD, avec leur nouvelle orientation diplomatique progressiste, prévoient de mener une politique étrangère différente de celle du conservateur Yoon Suk-yeol du PPP, et ils font actuellement leurs premiers pas dans cette direction.
Une diplomatie pragmatique axée sur les intérêts nationaux
Lors de sa cérémonie d’investiture, Lee Jae-myung a exposé les grandes orientations de sa politique étrangère. Face aux bouleversements économiques et aux évolutions du contexte sécuritaire mondial, il a souligné la nécessité de transformer ces défis en opportunités afin de maximiser les bénéfices pour la Corée du Sud. Le président a également réaffirmé l’importance de l’alliance avec les États-Unis, qu’il entend renforcer dans le cadre d’une coopération trilatérale accrue avec le Japon.
Il a précisé que les relations avec les pays voisins seraient menées dans une optique pragmatique. Concernant la Corée du Nord, Lee Jae-myung a adopté une position équilibrée, combinant fermeté et ouverture. Il a déclaré que son administration renforcerait les capacités de dissuasion militaire en collaboration avec les États-Unis, tout en maintenant la volonté de dialogue. L’objectif affiché est de prévenir les provocations nord-coréennes, notamment nucléaires, tout en œuvrant à l’instauration d’un climat de paix sur la péninsule à travers la communication et la coopération intercoréennes.
Dans le même temps, Lee entend améliorer les relations avec la Chine et la Russie en rétablissant le dialogue et la coopération avec la Corée du Nord. Cette orientation marque une rupture avec la ligne adoptée par l’ancien président Yoon, qui avait privilégié une « diplomatie des valeurs », s’alignant davantage sur les pays occidentaux, notamment à travers une coopération sécuritaire étroite avec les États-Unis, l’OTAN, et les États partageant des principes démocratiques, qui s’inscrivait dans une logique de bloc face à la Corée du Nord, la Chine et à la Russie, dans un contexte géopolitique marqué par la rivalité entre grandes puissances. En contraste, la nouvelle diplomatie de Lee Jae-myung adopte une approche plus souple, visant à établir des relations coopératives avec les alliés traditionnels et les partenaires autrefois adversaires.
La vision diplomatique de Lee s’est exprimée avec clarté tout au long de la campagne présidentielle. Affirmant son attachement à l’alliance américano-coréenne, il a souligné l’importance de rééquilibrer les relations avec Pékin, qualifiant la Chine de « partenaire commercial important » et d’« acteur influent sur la sécurité de la péninsule coréenne », tout en déplorant la dégradation des liens bilatéraux sous l’administration précédente. Lors d’un débat télévisé tenu le 27 du mois dernier, Lee a également appelé à une approche plus mesurée vis-à-vis de Pékin et Moscou : « Nous ne devons pas négliger nos relations avec la Chine et la Russie. Il n’est pas nécessaire de les antagoniser inutilement comme nous le faisons actuellement », a-t-il déclaré.
La doctrine diplomatique de Lee Jae-myung porte l’empreinte de Wi Sung-lak, figure influente du Parti démocrate et ancien ambassadeur en Russie, nommé premier conseiller à la sécurité nationale de son gouvernement. Architecte clé des orientations diplomatiques et sécuritaires du président durant la campagne, Wi incarne une approche nuancée des équilibres géopolitiques. Refusant l’idée d’un choix binaire entre les États-Unis et la Chine, il défend une ligne fondée sur les intérêts propres sud-coréens. « Il ne s’agit pas de choisir entre les États-Unis et la Chine, mais de définir la direction que la Corée du Sud doit suivre entre les deux », insiste-t-il. Pour lui, les États-Unis, alliés traditionnels partageant les mêmes valeurs démocratiques que la Corée du Sud, et la Chine, partenaire stratégique incontournable sur les plans économique et géopolitique, doivent être considérés comme deux piliers complémentaires d’une diplomatie sud-coréenne pragmatique.
Une position vulnérable face à la rivalité États-Unis/Chine
Dans un contexte géopolitique où la Corée du Sud est entourée par la Chine, la Russie, le Japon, la Corée du Nord et les États-Unis de l’autre côté du Pacifique, elle se trouve dans une position particulièrement vulnérable. Les présidents conservateurs sud-coréens, qui cherchaient à contenir les relations avec la Chine et à renforcer celles avec les États-Unis, ainsi que les présidents Kim Dae-jung et Roh Moo-hyun, les progressistes du PD, ont adopté une approche dite « la sécurité avec les États-Unis, l’économie avec la Chine », afin de définir une orientation diplomatique dans ce contexte de vulnérabilité géopolitique.
Le gouvernement progressiste de Moon Jae-in avait lui aussi tenté de maintenir un équilibre diplomatique entre Washington et Pékin. Toutefois, cette approche s’est heurtée à des réalités géopolitiques de plus en plus contraignantes. Après le premier mandat de Trump et surtout à la suite du déploiement du système antimissile américain THAAD en 2016, la Chine a riposté par des mesures économiques, réduisant fortement la marge de manœuvre des décideurs sud-coréens, quelles que soient leurs affiliations politiques. Dans ce contexte de rivalité stratégique croissante entre les deux grandes puissances, son successeur, Yoon Suk-yeol, issu du camp conservateur, a opté pour un alignement plus net sur les États-Unis, rompant avec la posture d’équilibre défendue auparavant.
Avec l’arrivée du deuxième mandat de Trump, la rivalité entre les États-Unis et la Chine s’intensifie, et il devient de plus en plus difficile de concilier le renforcement de l’alliance américano-coréenne et le développement des relations sino-coréennes. Récemment, l’administration Trump a fait du « containment » avec la Chine sa priorité en matière de stratégie de sécurité et a laissé entendre qu’elle pourrait réajuster la posture des forces américaines en Corée du Sud afin de renforcer ce rôle. Elle a également lancé un message d’avertissement, demandant à Séoul de ne pas poursuivre une politique de « sécurité avec les États-Unis et d’équilibre avec la Chine ».
La position de l’administration Trump à l’égard de Lee Jae-myung, qui avait manifesté par le passé des tendances anti-américaines et pro-chinoises, s’est clairement manifestée après l’élection de ce dernier. En mars 2017, alors qu’il était candidat à l’investiture du PD pour l’élection présidentielle, Lee Jae-myung a déclaré son intention de retirer le système de défense antimissile THAAD et a écrit dans son livre que « tant que la Corée du Sud n’est pas un pays dépendant des États-Unis, il est normal de comparer les coûts de stationnement des troupes avec ceux d’autres pays et d’en débattre de manière raisonnable ». De plus, lors d’une rencontre avec l’ambassadeur chinois en Corée du Sud, Xing Haiming, en juin 2023, Lee a suscité la controverse en ne réfutant pas les critiques de l’ambassadeur chinois, à l’égard de la politique étrangère de Yoon.
Le 3 juin 2025, les États-Unis ont salué l’investiture du président Lee Jae-myung en soulignant que « l’alliance entre la Corée du Sud et les États-Unis reste solide comme un roc ». Ils ont également publié une déclaration inhabituelle concernant l’élection présidentielle, exprimant leur « inquiétude face à l’ingérence et à l’influence de la Chine sur la démocratie mondiale ». Certains experts interprètent cette déclaration comme une demande adressée à l’administration Lee Jae-myung de prendre ses distances avec la Chine. En d’autres termes, compte tenu de la position progressiste du PD et des positions passées de Lee Jae-myung, il semble que les États-Unis surveillent de près la possibilité que le nouveau gouvernement sud-coréen se rapproche de la Chine.
Le lendemain, en réponse aux remarques américaines, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Lin Jian, a défendu la position de Pékin lors d’un point presse. Il a souligné que les relations sino-sud-coréennes reposaient sur des intérêts communs, indépendants de l’influence de toute tierce partie. Lin a également réaffirmé l’engagement de la Chine sur le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des autres pays, appelant Washington à cesser, selon ses mots, de projeter ses propres comportements sur la Chine et de perturber les relations entre Pékin et Séoul.
Forte incertitude sur les relations commerciales avec les États-Unis
La politique étrangère sud-coréenne ne peut être réduite à une simple dichotomie entre conflit et coopération, tant sa position est complexe. Par conséquent, dans un contexte géopolitique de plus en plus tendu, Séoul doit veiller à ne pas compromettre le cadre à long terme de la paix sur la péninsule coréenne et rester attentif aux changements géopolitiques qui l’entourent. L’accent mis sur « le maintien d’une alliance forte avec les États-Unis tout en améliorant les relations avec la Chine et la Russie » diffère légèrement de la politique diplomatique pro-chinoise menée précédemment par le PD. Cela semble refléter la réalité selon laquelle, depuis l’entrée en fonction de Trump et le changement radical du paradigme de l’ordre mondial, notamment avec la « guerre des droits de douane », il est inévitable de prêter davantage attention aux États-Unis.
À cet égard, les premières mesures diplomatiques de Lee Jae-myung reflètent actuellement le conflit tarifaire direct avec les États-Unis. L’administration Trump impose des droits de douane de 50 % sur l’acier et les produits finis contenant de l’acier, ce qui a un impact considérable sur l’industrie exportatrice coréenne. Les appareils électroménagers sont susceptibles d’être soumis à des droits de douane, ce qui menace la survie d’une partie de l’industrie manufacturière coréenne. Les entreprises sud-coréennes de premier plan – Samsung et LG – exploitent des usines aux États-Unis, mais la part de leur production à l’étranger, notamment au Mexique et au Vietnam, est élevée. L’assemblage de produits et de composants à forte valeur ajoutée est concentré en Asie, et un droit de douane de 50 % aurait un effet dévastateur, allant au-delà d’une simple augmentation des coûts et entraînant l’effondrement de la structure des exportations. De plus, les mesures douanières de 25 % sur les automobiles, mises en place par les États-Unis en mars, ont commencé à avoir un impact significatif sur l’industrie automobile sud-coréenne, avec une baisse de 20 % des exportations vers les États-Unis.
Le 6 juin, lors d’un échange téléphonique avec Donald Trump, Lee Jae-myung a insisté sur la nécessité d’accélérer les négociations tarifaires entre la Corée du Sud et les États-Unis en exprimant la volonté de parvenir rapidement à un accord satisfaisant pour les deux pays. Cependant, aucune stratégie diplomatique claire ne semble avoir été mise en place à ce jour. Le ministère sud-coréen de l’Industrie et du Commerce se contente également d’adopter une position ambiguë, se contentant de « surveiller attentivement la situation », sans proposer de mesures efficaces au niveau gouvernemental. À propos de cela, Lee Jae-myung espérait s’entretenir avec Trump lors du sommet du G7 le 17 juin, mais cela n’a pas été possible en raison du retour prématuré de Trump.
Plus globalement, la nouvelle orientation diplomatique de la Corée du Sud se caractérise par une certaine ambiguïté. Le pragmatisme qu’elle affiche désormais peut prêter à confusion. Si ses intérêts diplomatiques entrent en conflit avec les priorités stratégiques d’autres grandes puissances, cette position ambiguë peut être contreproductive.
L’efficacité de cette stratégie va être testée rapidement, qu’il s’agisse en premier lieu des échanges commerciaux avec les États-Unis ou des relations avec Pékin, Pyongyang et Moscou.
Jiyu Choi