Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

dimanche 11 mai 2025

Vidéos, réseaux sociaux, IA… Comment sont recrutés les espions en 2025 ?

 

Prendre le contrôle de son destin » et « vivre une vie meilleure »… Et non, ces promesses alléchantes n’émanent pas de l’influenceur sport Tibo InShape, mais bien de la CIA. Début mai, l’agence de renseignement des Etats-Unis a publié deux vidéos sur les réseaux sociaux, à destination des fonctionnaires et employés chinois. Entre corruption et peur d’une purge, ces vidéos en mandarin jouent avec les angoisses des membres de l’appareil du Parti communiste, dans l’espoir de les recruter.

En mai 2023, la CIA avait déjà publié des vidéos en russe afin de recruter des informateurs, en pleine invasion de l’Ukraine. « C’est une méthode que nos amis les Américains semblent apprécier, mais il est difficile de savoir si ça a porté ses fruits », sourit Alain Rodier, directeur de recherche du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). L’ancien officier supérieur au sein des services de renseignements extérieurs l’assure toutefois, les méthodes ont changé : « De mon temps, on ne recrutait pas d’informateur sur Internet. »

Les « vulnérabilités » d’une cible

Pour recruter un informateur, il faut le repérer puis apprendre à le connaître. « Les services de renseignement doivent se rendre là où les gens sont accessibles afin de dénicher des sources et les réseaux sociaux sont aujourd’hui un excellent moyen de le faire », analyse Neil Rowe, professeur d’informatique à l’École supérieure navale américaine. « Identifier des cibles a toujours été facile, mais il faut ensuite repérer ses vulnérabilités et recueillir un maximum d’informations afin de l’approcher de la meilleure façon », explique Alain Rodier. Or, à l’heure du tout connecté, les réseaux sociaux offrent de véritables fenêtres sur nos âmes. En quelques clics, on peut apprendre que votre collègue voue une détestation au fromage (vade retro satanas) ou que votre boulangère se passionne pour les true crime.

« Internet est une excellente méthode de collecte de renseignements, surtout couplée à de l’intelligence artificielle », glisse Neil Rowe qui ajoute que l’outil permet notamment de déceler plus rapidement et efficacement les « vulnérabilités » d’une cible. Autre avantage, le recruteur « ne se montre pas » et « influence moins ses cibles », selon Neil Rowe. Car les différences culturelles anodines au premier regard, comme un sourire lors d’un échange sérieux, perçu comme une véritable offense en Chine, peuvent suffire à faire capoter le recrutement d’un agent.

Des « pièges à miel » et du cash

Pour autant, tout n’a pas changé dans le recrutement des sources. « Le vieux principe, c’est M.I.C.E : Monnaie, idéologie, compromission et ego. C’est sur ces critères que l’on a toujours recrutés », explique Alain Rodier. « L’ego, c’est l’intellectuel, le chercheur ou le journaliste qui estime qu’il n’est pas reconnu à sa juste valeur et l’agresseur le flatte, lui dit qu’il est excellent et mérite mieux. C’est vieux comme le monde », sourit-il. Comme chacun le sait, on n’attire pas les mouches avec du vinaigre. L’idéologie permet, elle, de recruter des sources pour qui les valeurs mises en avant par le pays espion résonnent particulièrement.

Cette méthode a été beaucoup exploitée lors de la guerre froide où les recruteurs américains vantaient la défense des valeurs démocratiques quand les recruteurs soviétiques insistaient sur le marxisme-léninisme. La compromission permet, elle, de faire du chantage sur la cible. Elle s’illustre notamment avec les fameux « pièges à miel » du KGB qui envoyaient des femmes - voire, plus rarement, des hommes - séduire des cibles, ensuite photographiées à leur insu, en plein rapport sexuel. Quant à l’argent, Alain Rodier est catégorique : « On finit toujours par payer. »

De l’humain et du secret

Avec le temps et les progrès technologiques, l’espionnage s’est profondément transformé. Dans le domaine technique, les Etats-Unis sont ainsi capables de « compter les boutons d’uniforme sur chaque soldat chinois », lance Alain Rodier. Mais quand l’humain est en jeu, « au fond, les ressorts sont les mêmes depuis la haute antiquité », sourit-il. La famille, l’argent, la recherche de reconnaissance… Ce qui animait nos ancêtres nous anime toujours autant. Reste à savoir si la technique de la vidéo balancée en ligne séduit des sources chinoises dans un pays extrêmement verrouillé.

L’année dernière, la CIA avait déjà publié une vidéo en mandarin expliquant aux Chinois comment ils pouvaient utiliser le dark web en toute sécurité pour la contacter. Elle a été visionnée 900.000 fois. D’après le New York Times, un responsable américain a estimé que ces nouvelles vidéos prouvaient que la première avait fonctionné. En réalité, il est difficile de mesurer l’impact de ces méthodes de recrutement. Et ceux qui peuvent vraiment en parler sont, aujourd’hui en tout cas, tenus au secret.

Diane Regny

20minutes.fr