Au début des années 1950, les États-Unis lancèrent le projet Nike afin de développer des missiles de défense aérienne censés intercepter les bombardiers stratégiques soviétiques avant qu’ils ne pussent larguer une bombe nucléaire.
Puis, le lancement du R7, le premier missile balistique intercontinental [ICBM] au monde, par l’URSS, en mai 1957, changea radicalement la donne. S’ils y répondirent en testant à leur tour un ICBM d’essai, l’Atlas A, les États-Unis créèrent l’Advanced Research Projects Agency [ARPA], dont la mission était de mettre au point de nouvelles technologies pour contrer cette nouvelle menace.
À cette fin, cette dernière mena le projet « Defender », basé sur les missiles Nike-Zeus, chargés d’intercepter et de détruire, avec une charge nucléaire, les missiles intercontinentaux soviétiques en approche, dès leur rentrée dans l’atmosphère.
Seulement, faute de pouvoir résoudre le problème de l’identification et du suivi des missiles en approche et devant des considérations politiques et budgétaires, le recours aux missiles intercepteurs Nike-Zeus fut abandonné. Tout comme le sera ensuite le concept BAMBI [BAllistic Missile Boost Intercept], qui reposait en partie sur des satellites placés en orbite au-dessus du territoire soviétique afin de neutraliser des ICBM dès leur phase de lancement.
À la fin des années 1960, ayant revu ses ambitions à la baisse et alors que le Traité sur l’Espace, interdisant la mise sur orbite d’armes de destruction massive, venait d’être signé, le Pentagone finança le programme Sentinel, qui prévoyait de mettre en œuvre les missiles intercepteurs Spartan [longue portée] et Sprint [courte portée] depuis dix-sept bases reliées par une chaîne comprenant cinq radars d’alerte avancée répartis entre l’Alaska et la frontière entre les États-Unis et le Canada.
Mais là encore, en raison des critiques qu’il suscita, notamment politiques, Sentinel fut abandonné au bout de seulement dix-huit mois. Ou, plutôt, il fut rebaptisé « Safeguard », avec un périmètre réduit à la protection des bases de lancement de missiles balistiques de l’US Air Force afin de garantir la capacité de cette dernière à lancer des frappes en représailles d’une attaque nucléaire.
Dans le même temps, pour conforter la dissuasion américaine, le Pentagone mit sur orbite des satellites d’alerte avancée DSP [Defense Support Program], censés détecter les tirs de missiles balistiques. La période de « détente », entamée au début des années 1970 et marquée par plusieurs accords de désarmement entre les États-Unis et l’Union soviétique, dont le traité ABM [Anti-Ballistic Missile], mit les programmes de défense antimissile au second plan. Mais pas pour longtemps.
En effet, en 1983, en raison du regain des tensions entre les deux blocs, le président américain, Ronald Reagan, annonça le lancement de l’Initiative de défense stratégique [IDS] qui, surnommée « Guerre des étoiles », visait à protéger les États-Unis d’une attaque massive de missiles nucléaires soviétiques en déployant des intercepteurs basés au sol [programme Homing Overlay Experiment, HOE] et dans l’espace [projet Brilliant Pebbles]. Il était aussi question de mettre au point des armes à énergie dirigée.
Si elle permit quelques avancées technologiques, l’IDS fut abandonnée après l’implosion de l’Union soviétique et l’administration Clinton décida de donner la priorité à la défense antimissile de théâtre. Du moins jusqu’en 1999. Cette année-là, le Congrès vota, quasiment à l’unanimité, le « National Missile Defense Act », l’objectif étant de construire un bouclier antimissile pour sanctuariser le territoire américain contre d’éventuelles attaques d’États « voyous » [Corée du Nord, Iran]. Ce projet fut confirmé par le président George W. Bush, qui retira la signature des États-Unis du traité ABM et créa la Missile Defense Agency.
Prévoyant l’installation de radars et de missiles intercepteurs en Pologne et en République tchèque, ce projet de bouclier antimissile fut vivement critiqué par la Russie, qui y voyait une atteinte à la crédibilité de sa dissuasion. Aussi fut-il amendé sous l’ère du président Obama, même s’il devait toujours reposer en partie sur l’Otan, avec l’installation de deux bases AEGIS Ashore [l’une en Roumanie, l’autre en Pologne.
Actuellement, la défense antimissile américaine repose sur le système de commandement et de contrôle C2BMC [Command, Control, Battle Management and Communications], des moyens d’alerte précoce, avec les satellites SBIR [pour Space-Based Infrared System] et les radars [AN/TPY-2, Sea-Based X-Band Radar ou SBX], ainsi que sur deux bases qui, dotées de missiles intercepteurs Ground-Based Interceptor [GBI], sont implantées en Alaska et en Californie.
En outre, ce « bouclier » s’appuie également sur les « destroyers » dotés du système de combat AEGIS et de missiles intercepteurs RIM-161 Standard Missile 3 ainsi que sur le THAAD [Terminal High Altitude Area Defense], conçu pour détruire les missiles balistiques de portée intermédiaire dans leur dernière phase d’approche, et les batteries Patriot.
Cependant, le développement d’armes hypersoniques et de systèmes de bombardement orbital fractionné, tant en Russie qu’en Chine, a conduit le Pentagone à publier, en 2019, une nouvelle stratégie en matière de défense antimissile. Et celle-ci met notamment l’accent sur le déploiement de nouvelles capacités de surveillance et d’interception dans l’espace.
Aussi, le projet « Golden Dome » [ou « Dôme d’or] que le président Trump vient de dévoiler officiellement ne part pas d’une feuille blanche.
« Nous allons véritablement achever le travail que le président Reagan a commencé il y a 40 ans, en mettant fin pour toujours à la menace des missiles sur le territoire américain » et « j’ai le plaisir d’annoncer que nous avons officiellement sélectionné une architecture pour ce système dernier cri », a-t-il dit, le 20 mai, avant d’estimer à 175 milliards de dollars le coût de ce programme… que le Canada pourrait rejoindre, comme l’a depuis confirmé son Premier ministre, Mark Carney.
« Les Canadiens ont donné au Premier ministre un mandat fort pour négocier une nouvelle relation globale en matière de sécurité et d’économie avec les États-Unis », a expliqué Andrey Champoux, la porte-parole du chef du gouvernement canadien. « À cette fin, le Premier ministre et ses ministres mènent des discussions approfondies et constructives avec leurs homologues américains. Ces discussions portent naturellement sur le renforcement du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord [NORAD] et sur des initiatives connexes telles que le Golden Dome », a-t-elle ajouté.
Quoi qu’il en soit, selon M. Trump, la « conception du Golden Dome s’intégrera à nos capacités de défense existantes » et il devrait être pleinement opérationnel avant la fin de son mandat. Dès lors, a-t-il poursuivi, il sera « capable d’intercepter des missiles même s’ils sont lancés de l’autre côté de la Terre et même s’ils sont lancés depuis l’espace ». Et d’insister : « C’est très important pour la réussite et même la survie de notre pays ».
Si les précédents programmes de défense antimissile avaient donné lieu à des bisbilles entre l’US Army et l’US Air Force, il n’en sera rien pour le « Dôme d’or » puisque ce dernier sera confié à l’US Space Force [USSF]. Il reposera en effet sur « un vaste réseau de satellites chargés de détecter et, si besoin, d’intercepter, toute menace approchant du territoire américain, notamment des missiles de croisières, balistiques, hypersoniques, à charge nucléaire ou conventionnelle, et des drones », a expliqué Pete Hegseth, le chef du Pentagone.
Selon l’agence Reuters, ce « Dôme d’or » pourrait inclure entre 400 et 1 000 satellites de surveillance ainsi que 200 autres engins qui, évoluant sur une orbite basse, seront dotés de missiles ou d’armes à énergie dirigée pour neutraliser les menaces.
Ce programme sera dirigé par le général Michael Guetlein, le numéro deux de l’US Space Force.
« Nos adversaires modernisent rapidement leurs forces nucléaires, construisent des missiles balistiques capables d’emporter plusieurs ogives, des missiles hypersoniques pouvant attaquer les États-Unis en une heure et de voler à 9 600 km/h, des missiles de croisière capables de contourner nos radars et nos défenses, des sous-marins capables de s’approcher furtivement de nos côtes et, pire encore, des armes spatiales », avait détaillé le général Guetlein, lors d’une audition parlementaire, en mars. « Il est temps de changer la donne et de redoubler d’efforts pour protéger notre territoire », avait-il fait valoir.