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jeudi 22 mai 2025

Évoluer pour ne pas disparaître : comment le Tigre s’adapte pour voler jusqu’en 2050

 

Il n’y aura pas d’atterrissage prématuré pour le Tigre. Bien au contraire, l’hélicoptère d’attaque et de reconnaissance restera un équipement majeur de l’armée de Terre pour les 20 à 30 prochaines années. Et si le retour des conflits de haute intensité implique de nouvelles réflexions, non seulement celles-ci ne remettent pas en cause la rénovation poursuivie conjointement par la France et l’Espagne, mais elles contribuent aussi grandement aux travaux préparatoires devant aboutir à un successeur.

Évoluer pour ne pas disparaître. Non seulement le retour des engagements majeurs n’interdit pas la résurgence d’autres formes de conflits d’intensité moindre, mais les technologies, les usages et les doctrines évoluent eux aussi. Derrière quelques abandons dus à des raisons plus financières que capacitaires, la majorité des armées de par le monde ont choisi de conserver, voire parfois d’ajouter dans leur jeu cet atout que représente l’hélicoptère de combat. Pour la France, l’effort principal relève de la rénovation à mi-vie du Tigre, de quoi anticiper certaines réponses tout en préparant le terrain pour la suite.

Voler au-delà de 2050

Piloté par l’OCCAR (Organisation conjointe de coopération en matière d’armement), ce programme de rénovation à mi-vie, alors qualifié de « Tigre Mk.3 » ou de « standard 3 », est notifié en mars 2022 à Airbus Helicopters. Il poursuit un objectif clair : maintenir le Tigre en service au-delà de 2050. Un temps envisagée avec l’Allemagne avant son retrait définitif, cette modernisation profonde se matérialise depuis deux ans au seul profit de la France et de l’Espagne. La première prévoit la modernisation de 42 appareils et des livraisons à partir de 2029, avec une option prévoyant celle de 25 exemplaires supplémentaires pour couvrir l’ensemble du parc français. La seconde attend 18 exemplaires à compter de 2030.

Plusieurs briques sont communes aux deux armées clientes. La connectivité, tout d’abord, sera rajeunie grâce à la gamme de radios logicielles CONTACT/SYNAPS de Thales et des liaisons de données spécifiques garantissant une première capacité de coordination avec les drones (Manned/Unmanned Teaming, ou MUM‑T). Les deux flottes recevront ensuite un nouveau bloc GNSS, le casque TopOwl DD avec viseur intégré et la suite avionique FlytX de Thales, ainsi qu’un nouvel IFF (identification ami ou ennemi) d’Indra. Le canon de 30 mm est conservé, mais son débattement augmente, fruit des retours d’expérience du Mali, de l’Afghanistan et de la Libye.

Pour voir avant d’être vus, les équipages pourront miser sur le nouveau viseur de toit Euroflir 510, ou STRIX NG. Conçu par Safran en cohérence avec les nouveaux armements, il embarque 12 senseurs sans hausse de volume. Hormis la centrale de navigation inertielle, ces senseurs se composent de systèmes d’observation électro-optiques fonctionnant dans l’ensemble des bandes spectrales (visible, proche infrarouge, SWIR, thermiques MWIR et LWIR), auxquels s’ajoutent quatre types de lasers ainsi qu’une fonction « see spot » intégrée. Le tout est entièrement stabilisé et associé à des flux vidéo numériques et à des outils de traitement d’image embarqués. La commande de 85 exemplaires, dont 67 pour la France, a été officialisée en mars 2022 par l’OCCAR. Les premiers sont attendus pour 2027.

Quelques divergences reflètent cependant des exigences nationales et la volonté d’intégrer les filières de chaque pays. Ainsi, l’Espagne se dotera d’une Liaison‑16 et de communications satellitaires spécifiques. Le Tigre espagnol recevra un système de gestion du champ de bataille (BMS) et des contre-­mesures fournies par Indra, quand son pendant français reposera sur un BMS d’Atos et des contre-­mesures apportées par Thales. Une partie de l’armement diffère également. La France a choisi de conserver le missile air-air Mistral, porté au standard Mistral 3, ainsi que la roquette guidée par laser de 68 mm amenée par le standard 2 du Tigre, tout en projetant de remplacer le missile antichar Hellfire 2 américain actuel par une solution souveraine. Basé sur l’Akeron LP de MBDA, ce missile souverain est parfois aussi désigné MHT (missile haut de trame) ou MAST‑F (missile air-sol tactique futur). Plus léger qu’un Hellfire ou un Spike, il doit théoriquement permettre à un Tigre d’embarquer jusqu’à 12 missiles antichars, contre huit aujourd’hui. L’Espagne, de son côté, privilégie le maintien du missile antichar Spike d’origine israélienne et basculera sur des roquettes de 70 mm.

Deux hélicoptères seront mis à disposition par l’armée de Terre pour devenir les prototypes qui participeront au développement du standard, le parc français se stabilisant donc à 67 appareils conformément à la Loi de programmation militaire pour 2024-2030. Le premier, le Tigre HAP « BHH », a pris la direction du site d’Airbus Helicopters à Marignane en juin dernier. Un premier envol est en théorie attendu pour l’an prochain. Voilà pour la théorie parce que, dans la pratique, le retrait de l’Allemagne du programme a forcé les deux partenaires restants à revoir quelque peu leur copie.

Un retrait allemand générateur d’incertitudes

« Aujourd’hui, le contrat notifié en mars 2022 se poursuit selon les deux axes définis, c’est-à‑dire de traiter les obsolescences tout en modernisant la plateforme pour la rendre mieux adaptée au champ de bataille », confirme un officier supérieur de la Section technique de l’armée de Terre (STAT). Bien qu’il soit préservé et réaffirmé, l’effort bilatéral doit néanmoins compter avec les conséquences du retrait allemand.

L’écueil est essentiellement financier. Les économies d’échelle qu’aurait générées la rénovation des Tigre UHT de la Bundeswehr ont disparu et ont forcé l’axe franco-­espagnol à revoir le degré d’ambition. Les coûts augmentent à l’heure où la France, malgré une LPM financièrement favorable, se retrouve confrontée à de nouveaux impératifs capacitaires. Aussi l’avenir se détermine-t‑il désormais du côté français « sur l’hypothèse d’une décision concertée avec l’Espagne de réorientation du programme de rénovation à mi-vie du Tigre privilégiant la pérennisation du parc tout en réduisant les ambitions d’améliorations capacitaires ». Exit le standard 3 donc, et même le standard 2+ évoqué après les premiers déboires du Tigre Mk.3. Désormais, les militaires lui préfèrent l’appellation moins chronologique et plus générique de rénovation à mi‑vie.

Pour l’heure, les objectifs de modernisation nationaux n’ont pas évolué et les développements nécessaires se poursuivent. Du côté français, au moins deux inconnues subsistent malgré tout. La fonction missile, d’une part, pourrait faire l’objet d’un remodelage ultérieur. Tant le Mistral 3 que le MHT, intégralement porté par la France, seront potentiellement soumis à de nouveaux arbitrages. Si le développement et l’intégration du MHT continuent, le programme MAST‑F sera lui aussi « réorienté en cohérence avec l’hypothèse » d’une décision concertée avec l’Espagne. Et bien qu’inscrit dans le volet « munitions » de la LPM, le sujet du MHT s’y limite à la réalisation d’une étude quant à l’avenir de son développement. Qu’il s’agisse de ce dernier ou d’un effecteur acquis sur étagère, le Tigre conservera en tout cas « quelque chose qui soit capable de faire de l’antichar avec une bonne charge », explique la STAT. Aucune hypothèse n’est donc écartée, à commencer par une conservation du Hellfire 2.

D’autre part, la cible française demeure incertaine. Si la LPM 2024-2030 maintient un parc à 67 Tigre, seule une première tranche de 14 exemplaires a été confirmée à la notification du contrat. Le compteur reste pour l’instant figé, aucune date n’ayant été fixée pour engager la seconde tranche et parvenir au volume défini il y a deux ans. Reste en outre la question des 25 dernières machines à moderniser pour unifier la flotte. D’après le ministère des Armées, « le calendrier de commandes et de livraisons du Tigre standard 3 sera mis à jour à l’issue des échanges avec l’Espagne et avec l’industrie sur la réorientation du programme décidée par la LPM 2024-2030 ».

Le futur dans le viseur

L’évolution du contexte sécuritaire, les difficultés vécues par les aviations russe et ukrainienne dans les phases initiales du conflit et l’imperméabilité relative des parapluies antiaériens d’un adversaire désormais conventionnel ont alimenté les réflexions conduites en état-­major en vue de l’écriture de la LPM 2024-2030. « La LPM aura été l’occasion pour nous de se reposer la question de la pertinence de l’hélicoptère sur le champ de bataille, avec une vraie analyse à notre niveau », indique-t‑on du côté des spécialistes de la STAT. En ressort la confirmation de la valeur de l’hélicoptère d’attaque dans les opérations d’aujourd’hui et de demain, qu’elles s’inscrivent ou non dans le cadre d’un engagement majeur. « La question de l’hélicoptère reste pertinente. En revanche, c’est un outil onéreux qui gagnera en pertinence en étant plus évolutif sans nécessairement passer par de gros chantiers récurrents », complète la STAT.

Non seulement le drone ne remplacera pas l’hélicoptère, estime l’armée de Terre, mais les deux plateformes ont vocation à se compléter. L’hélicoptère est un appareil qui peut porter une charge importante et aller loin, ce qu’un drone ne peut réaliser actuellement. Le drone renforce quant à lui le potentiel des engins habités par son allonge supérieure aux effecteurs embarqués, par sa capacité à éclairer et à identifier des cibles en amont, à protéger en servant de leurre ou encore à servir de relais de communication. Ce lien entre le Tigre et le drone, la rénovation à mi-vie en pose les bases grâce à la solution µTMA produite par Thales. Les deux boîtiers présents sur le Tigre permettront d’interagir avec le missile air-sol et d’assurer une liaison vidéo avec les drones pour faciliter le combat collaboratif.

Faire du drone un ailier fiable demandera un peu de patience, le saut étant considéré comme « très important ». Idem pour le lancement de munitions téléopérées à partir de l’appareil, autre manœuvre à l’étude, mais qui apporte son lot de contraintes. Elle n’est cependant en rien impossible, « car l’architecture du Tigre permet d’amener de nouvelles charges utiles sous les ailerons ».

Le Tigre rénové n’a pas encore volé que, déjà, une partie de l’attention se déporte vers son successeur. Baptisé « Système d’attaque de l’aérocombat futur » (SAAF), ce dernier serait l’un des objets relevant du programme majeur TITAN visant au renouvellement du segment de décision de l’armée de Terre. Il a depuis peu trouvé un ancrage dans la programmation des armées au travers de la sous-­action « hélicoptère de combat du futur ». Rattachée depuis cette année au programme Tigre, celle-ci « prévoit en particulier d’analyser le besoin futur de capacités d’attaque pour l’aérocombat à cet horizon et d’en définir les concepts d’architectures capacitaires », explique le ministère des Armées. Une enveloppe de 30 millions d’euros est prévue en loi de finances initiale pour 2024 pour soutenir les études d’architecture conduites par les industriels.

Derrière les briques essentielles d’armement, de mobilité, de connectivité ou de protection, c’est finalement sur l’évolutivité de l’appareil que les armées misent pour s’assurer de disposer d’un outil cohérent face à un adversaire tout aussi évolutif. Il s’agit notamment d’évaluer « en quoi les nouvelles avioniques et [les nouveaux] systèmes de mission permettront d’avoir une plateforme plus évolutive et plus modulaire ». C’est toute l’essence du concept de « plug-and-flight » amené par les architectures ouvertes, celles qui faciliteront et accéléreront l’intégration de nouveaux capteurs et effecteurs en cours de vie. C’est peu ou prou ce que démontrera bientôt un Tigre décidément peu enclin à la retraite anticipée.

Nathan Gain

areion24.news