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jeudi 1 mai 2025

Après la méga-coupure d’électricité, nous découvrons la fragilité des énergies renouvelables

 

Alors que l’Espagne et le Portugal ont été paralysés lundi par une panne électrique géante, l’ancien délégué du Réseau national de sécurité André Duvillard met en garde: la Suisse aussi est vulnérable face à un tel scénario. Et les mesures, bien que prises, restent insuffisantes.

La péninsule ibérique a vécu lundi ce que les autorités suisses redoutent depuis des années: une coupure massive d’électricité paralysant les infrastructures et les communications. Métros à l’arrêt, embouteillages, panique dans les rues… Un "scénario catastrophe" que l’ancien délégué du Réseau national de sécurité André Duvillard avait décrit dès 2014 dans le cadre d’un exercice national simulant un blackout.

"C’est un risque qui est connu, qui a été identifié il y a déjà passablement d’années", rappelle-t-il mardi dans La Matinale. L’événement qui s’est produit en Espagne et au Portugal illustre selon lui la fragilité croissante des systèmes de distribution d’électricité, notamment face à l’essor des énergies renouvelables.

"Les énergies renouvelables sont à saluer, mais elles sont plus fragiles en termes de régularité du volume. Les distributeurs doivent toujours veiller à ce qu'il n'y ait pas de rupture entre l'offre et la demande. Avec le photovoltaïque ou l’éolien, vous avez des pics contre le haut, des pics contre le bas. Cela rend évidemment le travail plus difficile", explique-t-il.

Quand le vent fait défaut

Mais problème lundi, quasiment pas de vent: les turbines étaient à l’arrêt, et l’Espagne a dû compter sur ses panneaux solaires et ses vieilles centrales à gaz.

Or, le solaire présente un inconvénient de taille: il ne génère pas «d’inertie», cette capacité du réseau à stabiliser la fréquence en cas de choc. Résultat: un réseau plus fragile, réagissant plus vite aux perturbations.

Lundi matin, près de 60% de l’électricité espagnole provenait du solaire. La météo calme a aussi affecté d'autres pays d'Europe de l'Ouest, comme la France, l'Allemagne ou le Royaume-Uni, provoquant une forte hausse des échanges d’électricité et fragilisant encore un peu plus les réseaux interconnectés.

Une vulnérabilité bien réelle en Suisse

Mais alors, la Suisse pourrait-elle être entraînée dans une telle panne? Absolument, répond André Duvillard. "On est interconnecté au niveau de ces réseaux électriques puisqu'il y a des échanges permanents. Et vous pouvez être touchés non pas parce que vous êtes à l'origine de la panne généralisée, mais simplement par un effet domino", analyse-t-il.

Le Neuchâtelois rappelle qu’en 2003 déjà, une panne dans le nord de l’Italie avait failli provoquer un effondrement du réseau électrique suisse. Une dépendance qui rend indispensable une vigilance permanente, selon l'expert.

Depuis l’exercice de 2014, des mesures concrètes ont toutefois été mises en œuvre: "On s'est assuré d'avoir l'autonomie en énergie pour un certain nombre de services essentiels", notamment les hôpitaux, explique André Duvillard. Mais pour les personnes dépendant d’assistance médicale à domicile, le défi reste immense: "Imaginez simplement tous ceux qui sont médicalisés à domicile. Qu'est-ce qu'il advient de ces personnes?" s'interroge l'ex-délégué du Réseau national de sécurité.

Faiblesse en moyens de communication

En cas de panne électrique généralisée, le véritable problème en Suisse, selon André Duvillard, resterait la difficulté de communiquer. Il souligne que les moyens d’informer la population seraient rapidement entravés: "Le réseau de téléphonie mobile tombe après environ 1h. Donc voilà, après 1h, vous n'avez plus de communication possible, vous n'avez plus d'internet", détaille-t-il.

Il cite l’exemple récent du Haut-Valais où, lors d’intempéries, des pannes ont conduit à l’activation des points de rassemblement d’urgence, permettant aux citoyens d’appeler les secours et de recevoir des informations.

Le canal radio pourrait être une solution, mais encore faut-il disposer de l’équipement adéquat: "Qui a aujourd’hui encore une radio avec des piles chez soi? On l'écoute évidemment via internet", constate André Duvillard.

Anticiper, équiper, informer

Pour l'ancien haut fonctionnaire, il y a donc un travail important à faire au niveau de la population. "On ne peut pas demander à chacun d'avoir sa génératrice, mais un certain nombre de mesures de base peuvent être prises", juge-t-il.

Il évoque des gestes simples de survie. "Il devrait y avoir un petit travail: simplement de se dire 'Est-ce que j'ai un tout petit peu de réserve d'eau à la maison, trois boîtes de conserves et un réchaud à gaz qui me permettraient de survivre dans une telle situation?'"

Et pourtant, malgré les alertes répétées, la sensibilisation du public reste limitée. "Quand j’en parle autour de moi, on me regarde souvent avec un sourire en coin", confie André Duvillard. Beaucoup pensent que ces scénarios n’arriveront jamais. Mais à voir les scènes de panique en Espagne, avec des foules cherchant désespérément un signal téléphonique ou de l’argent liquide, le doute n’est plus permis: le risque est réel, et ses conséquences peuvent être potentiellement dramatiques.

La leçon ibérique est donc claire, conclut-il: "Je pense que ce qui s'est passé hier au niveau de l'Espagne et du Portugal devrait servir de piqûre de rappel".

Pietro Bugnon

Tristan Hertig

rts.ch