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dimanche 13 avril 2025

Rachat BlackRock – Hutchison : il vaut mieux ne pas vendre la peau du panda…

 

Alors que la signature de l’accord portant sur la cession de 43 ports gérés par l’entreprise hongkongaise CK Hutchison – dont ses ports panaméens – au groupe financier nord-américain BlackRock était annoncée pour le 2 avril, on n’en parle plus… pour l’instant.

Du côté des Etats-Unis, on a tendance à considérer que c’est chose faite, que c’est une question de jours. Ainsi, James Bosworth, dans World Policy Review, affirme que « la tentative chinoise de bloquer le transfert de la gestion portuaire ne devrait pas réussir, et la vente va très probablement s’effectuer d’ici quelque temps ». Et même si elle ne se faisait pas, si Pékin parvenait à dissuader Hutchison de liquider ses actifs portuaires, celle-ci aurait bien d’autres moyens de s’opposer aux Etats-Unis, tant sur le plan du commerce international et de l’infrastructure portuaire que sur celui de gêner les mouvements de la US Navy en période de tensions.

Ainsi, lors d’une audition devant le sous-comité de l’hémisphère occidental du Comité des Affaires internationales du Sénat, Evan Ellis, un expert des relations entre la Chine et l’Amérique Latine, professeur d’Études Stratégiques dans une Académie militaire, indique qu’ « il n’est pas étonnant que la République Populaire de Chine (RPC) ait essayé de bloquer la remise par Hutchison des opérations portuaires dans l’accord annoncé de 23 milliards US$ avec BlackRock », mais qu’elle avait bien d’autres options, en cas de conflit dans l’Indo-Pacifique, et plus spécialement en cas de conflit avec Taïwan, pour perturber l’envoi de matériel lourd et le déploiement de forces militaires nord-américaines.

A titre d’exemple, la presse américaine estime que 30 000 ressortissants chinois sont entrés illégalement aux Etats-Unis durant la seule année 2024, et Ellis n’a aucun doute sur le fait que l’Armée Populaire de Libération (APL) en aura profité pour mêler bien des agents clandestins à ce flux. Encore une fois, la gestion des infrastructures portuaires, au Panama comme au Mexique ou aux Etats-Unis mêmes, constitue une aide précieuse pour accompagner, en tant que de besoin, la migration illégale…

Pour Pékin la question est de savoir qui décide

Pour leur part, les autorités hongkongaises, bien évidemment sur instructions de Pékin, ont exprimé leur insatisfaction à Hutchison, les Li père et fils, en leur reprochant d’être allés trop vite, trop loin, et sans les consulter. Selon Jim Pollard, citant le South China Morning Post, Victor Li aurait proposé de couper la poire en deux, réduisant le nombre des ports (43) et des quais (199) qui seraient cédés à BlackRock. Toutefois, ce n’est pas seulement une question de taille du marché, c’est avant tout une question de qui décide : pour Pékin, une entreprise « privée » de la taille et de l’importance stratégique de Hutchison ne peut décider de ce qu’elle vend, à qui et à quel moment, une cession de cette nature relève avant tout d’une discussion de capitale à capitale, et de Chef d’État à Chef d’État. Si Hutchison doit céder la gestion de ses ports, qu’il s’agisse de ses deux ports au Panama, d’une vingtaine ou d’une quarantaine, cela ne peut que faire partie d’une négociation, par exemple en échange d’une réduction, ou tout au moins d’une non-augmentation, de tarifs douaniers…

Les cas de ByteDance, objet d’un long bras de fer portant sur la cession de la branche américaine de TikTok, ou de Jack Ma, ou enfin de Didi Chuxing, qui décida unilatéralement de s’introduire à la bourse de New York en juin 2021, avant d’être contraint de s’en retirer six mois plus tard, sont encore frais dans les mémoires. En délocalisant hors de Chine l’essentiel de ses actifs, Li Ka-shing est aussi devenu plus vulnérable : Trump, tout autant ou plus que Xi Jinping, pourrait maintenant lui tordre le bras…

Panama poussait au transfert avant l’arrivée de Trump

Dans son éditorial du 30 mars, Le Vent de la Chine, un média français basé à Pékin, rappelle que Li Ka-shing, devenu citoyen canadien comme la plupart des milliardaires et millionnaires hongkongais ayant acheté des propriétés à Vancouver, en Colombie Britannique, depuis la rétrocession de Hong Kong à la RPC en 1997, avait déjà fait l’objet de critiques pour céder ses actifs en territoire chinois, il y a une dizaine d’années.

Enfin, dans son article, Bosworth relève un point significatif : « Le gouvernement du Panama avait effectué des audits des ports et poussait discrètement au transfert bien avant l’élection de Trump ». Autant dire que Trump, dans son discours d’investiture le 20 janvier, s’est approprié une opération qui était en cours afin de paraître celui qui décide et fait les choses, mais il avait sous-estimé la résistance de Pékin, qui cèdera peut-être, mais en échange de concessions substantielles…

Les fuites fort opportunes dans la presse dudit rapport d’audit, à l’occasion des visites à Panama du Sous-Secrétaire d’Etat américain Christopher Landau le 4 avril, et du Secrétaire à la Défense Pete Hegseth le 8 avril, laissent voir que le renouvellement du contrat de gestion en faveur de CK Hutchison, en 2021, pour 25 années supplémentaires auraient pu être contraire à la Constitution, ce qui revient à la Cour Suprême de déterminer, auquel cas la révocation du contrat pourrait avoir lieu. Pour sa part, Anel Flores, le Président de la Cour des Comptes panaméenne déclare, selon Reuters et Associated Press, qu’un nouveau rapport sur le point de lui être soumis évoque une surestimation de valeur, de l’ordre de 1,3 Milliards US$, dues notamment à des incitations fiscales et des garanties de bénéfices données par le gouvernement, sommes qui auraient probablement pu donner lieu à de généreux dessous-de-table…

Larry Fink, le CEO de BlackRock, commentait de son côté à New York ce lundi que l’étape nécessaire pour déterminer si sa prise de contrôle violerait ou pas les normes relatives à la libre concurrence pourrait encore durer neuf mois, mais qu’il restait optimiste sur l’issue du rachat. C’est un peu ironique si l’on considère que c’est précisément l’argument de la « concentration excessive » qui a incité l’Administration chinoise de Régulation des Marchés (SAMR) à ouvrir une enquête le 29 mars à l’encontre de CK Hutchison… Au risque de paraphraser Pascal : Vérité à Pékin, erreur à New York, ou vice-versa !

La ligne de front entre la Chine et les Etats-Unis s’est brutalement déplacée sur les tarifs douaniers et les évolutions en yoyo des bourses mondiales : que CK Hutchison perde quelques points sur celle de Hong Kong parce que les institutions panaméennes, vigoureusement réveillées par l’Administration Trump, trouvent quelques bizarreries dans des contrats signés il y a 4 ans n’a plus guère d’importance.

Hubiquitus

asialyst.com