L’objectif de Donald Trump est de « Rendre sa grandeur à l’Amérique » (MAGA) mais ses décisions suscitent l’incompréhension à travers le monde. La dernière consistant à imposer à la Terre entière des droits de douane vertigineux pourrait avoir pour conséquence de « Rendre sa grandeur à la Chine », estiment nombre d’analystes et d’observateurs.
« On pourrait penser que l’heure est à l’anxiété dans le pays que l’Amérique considère comme son principal adversaire. En fait, nos reportages à Pékin révèlent une situation bien différente. Le programme MAGA fait pression sur les dirigeants chinois pour qu’ils corrigent leurs pires erreurs économiques. Il crée également des opportunités pour redessiner la carte géopolitique de l’Asie en faveur de la Chine », souligne The Economist.
Si l’économie chinoise, déjà mal en point, pâtira des droits de douane imposés contre elle par le 47è président des Etats-Unis, « la Chine entre dans la nouvelle ère du MAGA plus forte que lors du premier mandat de M. Trump », explique l’hebdomadaire britannique le 4 avril dans un éditorial titré « Comment l’Amérique pourrait en arriver à rendre sa grandeur à la Chine, une grande et merveilleuse opportunité ».
Plusieurs arguments militent en faveur d’une Chine qui ressortira plus forte encore de la nouvelle guerre commerciale engagée par la nouvelle administration américaine. Le pays a surmonté bien des crises graves depuis l’arrivée au pouvoir du Parti communiste chinois en 1949 et son président Xi Jinping s’est préparé au monde chaotique d’aujourd’hui dès son arrivée à la tête du régime communiste chinois en 2012.
Parmi les erreurs que lui et les gérontes léninistes qui l’entourent semblent déjà corriger figurent les mesures punitives contre le secteur privé et les grands entrepreneurs. Bien que certains fonctionnaires zélés n’aient pas encore compris le message, les signes sont là pour attester du fait que Xi Jinping lui-même a compris qu’il est urgent de corriger le tir.
Dans un discours remarqué le 23 mars, son adjoint, le Premier ministre Li Qiang, a fait l’éloge des « dragons » de Hangzhou, la capitale chinoise de l’innovation. D’autres déclarations officielles ont jalonné ces dernières semaines la réhabilitation de acteurs du secteur privé.
La Chine prête à « se battre jusqu’au bout » ne cèdera pas au « chantage »
D’ores et déjà, sans réelle surprise, loin de céder aux dernières menaces de Donald Trump d’ajouter de nouvelles taxes de 50% à celles déjà imposées, la Chine s’est déclarée mardi 8 avril prête à « se battre jusqu’au bout ». Le ministère du Commerce chinois a précisé que Pékin n’acceptera jamais « le chantage » formulé par Donald Trump qui est de porter jusqu’à 104% les taxes sur les importations de produits chinois. Pékin a réagi en annonçant une surtaxe de 84% pour les importations de produits américains.
Illustration d’une détermination nouvelle de la Chine face aux Etats-Unis, les réactions en Chine ont été celles d’un durcissement qui contraste avec le passé. « Le peuple chinois ne provoque pas de troubles et n’a pas peur des troubles. La pression, les menaces et le chantage ne sont pas la bonne façon de traiter avec la Chine », a ainsi souligné mardi Li Jian, l’un des porte-paroles du ministère chinois des Affaires étrangères.
Le Quotidien du Peuple, l’organe du Parti communiste chinois, écrivait le même jour que la Chine avait accumulé une « vaste expérience » dans le bras-de-fer avec les États-Unis. « L’imposition abusive de droits de douane par les États-Unis aura un impact sur nous, mais le ciel ne nous tombera pas sur la tête », souligne le journal dans un commentaire. « L’économie chinoise est gigantesque. Nous avons la force et la résilience nécessaires pour faire face à la brutalité des droits de douane américains », ajoute le quotidien en Une.
Le président Xi Jinping « semble penser que l’économie chinoise est suffisamment forte pour résister à tout ce que Trump lui lancera par la suite », estiment les économistes Leah Fahy et Mark Williams de Capital Economics, basé à Londres, cités mardi 8 avril par le quotidien japonais Nikkei Asia. Ce durcissement de la position de la Chine est le fruit d’années de préparations à un nouveau conflit commercial avec l’Amérique, avec des efforts soutenus pour diversifier ses partenaires commerciaux afin de réduire sa dépendance à l’égard des Etats-Unis.
« La Chine a depuis longtemps pris ses distances avec les États-Unis » dans ce domaine, explique au Nikkei Asia Wang Dan, directrice pour la Chine du cabinet de conseil Eurasia Group, basé à Singapour. Les exportations chinoises vers les États-Unis ne représentent plus aujourd’hui qu’environ 3 % du PIB chinois, contre 4 % lors du premier mandat de M. Trump. Plusieurs experts chinois cités mardi par le Financial Times ont pour leur part estimé que si la deuxième économie mondiale souffrira de la guerre commerciale ouverte par Donald Trump, la Chine ne cèdera pas face à l’Amérique.
« Il n’est pas possible que Pékin se soumette à l’intimidation de Trump », affirme Gao Jian, un expert en politique étrangère basé à Shanghai et membre du Centre pour la sécurité et la stratégie internationales de l’université Qinghua de Pékin. Même son de cloche auprès de Shi Yinhong, conseiller gouvernemental et professeur à l’université Renmin de Pékin pour qui, même si les échanges commerciaux entre les États-Unis et la Chine risquent d’être « en grande partie détruits », l’approche intransigeante de Pékin ne changera pas. « La Chine est le seul pays au monde à avoir adopté une position exceptionnellement dure et intransigeante en réponse à la guerre tarifaire de Trump », commente Shi Yinhong pour qui la Chine sortira gagnante de ce conflit.
L’isolationnisme américain profite à la Chine
Alors que l’Amérique s’emmure dans un nouvel isolationnisme plus draconien encore que celui qu’il avait érigé lors de son premier mandat, l’un de ses risques majeurs est de plonger l’Amérique dans la récession tout en donnant à la Chine une chance inespérée de redéfinir ses relations commerciales dans le monde en proposant d’investir dans l’industrie manufacturière des pays partenaires plutôt que de les inonder d’exportations.
Mais peut-être plus importantes encore sont les opportunités géopolitiques cédées à la Chine aux conséquences redoutables pour les Etats-Unis et ses alliés pour les années sinon même les décennies à venir. « La Chine fait le pari que le discours du MAGA sur un accord « Kissinger inversé », où l’Amérique éloignerait la Russie de la Chine, est stupide. Le protectionnisme trumpien, le dédain à l’égard des alliés et l’indifférence à l’égard des droits humains sont une répudiation des valeurs américaines : le phare du monde libre semble désormais capricieux et dangereux », souligne encore The Economist.
En avril 2023, lors de l’une de ses nombreuses visites officielles à Moscou, alors qu’il prenait congé de son hôte et « meilleur ami » Vladimir Poutine, Xi Jinping lui avait déclaré : « Des changements vont se produire, sans précédent depuis cent ans, et nous allons mener ces changements ensemble ». Comme il en a l’habitude, le président chinois s’était bien gardé d’en dire plus. Mais le message subliminal était là : la Chine et la Russie feront désormais cause commune contre l’Occident et ses valeurs de démocratie et de libertés individuelles qu’ils feront tout pour détruire et les remplacer par les leurs fondées sur la coercition, les menaces et loi du plus fort.
Cette déclaration était à l’époque restée presque inaperçue. Or, presque prémonitoire, elle résonne étrangement aujourd’hui, à l’heure où l’Amérique fait naufrage sous l’action conjuguée de son président Donald Trump, de son vice-président idéologue en chef J.D Vance et de son protégé milliardaire le plus riche de la planète, Elon Musk.
Elle est là pour illustrer la futilité des efforts prêtés à Donald Trump visant à enfoncer un coin dans l’alliance de fait entre la Chine et la Russie depuis l’agression russe contre l’Ukraine le 22 février 2022. Cette alliance est là pour durer et la posture de Donald Trump de soumission aux exigences de Vladimir Poutine pour trouver une paix illusoire en Ukraine ne fera que la renforcer.
Les autres errements en matière géopolitique de Donald Trump sont nombreux et tout aussi funestes. L’un des plus graves est son mépris affiché pour l’OTAN et l’Ukraine qui ont porté un coup terrible à la confiance dans son engagement envers les alliés asiatiques et sa volonté de défendre Taïwan. Tout ceci « est un cadeau pour M. Xi » souligne The Economist.
Pékin n’a pas perdu de temps pour tirer avantage du désarroi des alliés de l’Amérique. Wang Huiyao, un ancien responsable du Parti communiste chinois aujourd’hui conseiller au think tank proche du pouvoir chinois basé à Pékin Center for China and Globalisation, a exhorté il y a quelques jours les pays asiatiques à « travailler ensemble pour traverser ces temps difficiles et lutter contre le protectionnisme. En fin de compte, les Etats-Unis pourraient bien perdre toute leur influence et se retrouver isolés », a-t-il ajouté, cité par la BBC.
Comment ruiner un pays et en faire un cadeau à la Chine
Le 7 avril, Stephen M. Walt, éditorialiste du bimestriel américain Foreign Policy et professeur de relations internationales à l’université de Harvard, a publié avec pour titre « Comment ruiner un pays » un réquisitoire impitoyable contre Donald Trump qu’il accuse de détruire la totalité de la politique étrangère des Etats-Unis au profit de la Chine.
« En moins de trois mois, l’administration Trump a insulté à plusieurs reprises nos alliés européens, menacé de saisir un territoire appartenant à l’un d’entre eux (le Danemark) et déclenché des querelles inutiles avec la Colombie, le Mexique, le Canada et plusieurs autres pays. Trump et le vice-président J.D. Vance ont publiquement malmené le président ukrainien Volodymyr Zelensky dans le Bureau Ovale et, tels des mafieux, continuent d’essayer de contraindre l’Ukraine à céder des droits miniers en échange de la poursuite de l’aide américaine », écrit-il.
« En grande pompe, l’administration a démantelé l’Agence américaine pour le développement international [USAID], s’est retirée de l’Organisation mondiale de la santé [OMS] et a clairement fait comprendre que le gouvernement de la plus grande économie du monde n’était plus intéressé par l’aide aux sociétés moins fortunées. Pouvez-vous imaginer une meilleure façon de faire paraître la Chine sous un jour favorable en comparaison ? », ajoute-t-il.
« Trump et ses sbires ne comprennent rien de tout cela. Ils pensent que les institutions et les normes internationales ne sont que des contraintes gênantes pour la puissance américaine, et ils croient que le fait d’être imprévisible déséquilibre les autres États et maximise l’influence des États-Unis », souligne-t-il.
« Dans le monde moderne, les prouesses économiques, les capacités militaires et le bien-être de la population dépendent avant tout de la connaissance. L’avance scientifique et technologique de l’Amérique est la principale raison pour laquelle elle a été l’économie la plus forte du monde pendant des décennies et pour laquelle sa puissance militaire a été si redoutable », continue cet expert de géopolitique.
« Que fait Trump au lieu de cela ? En plus de nommer des analphabètes scientifiques à des postes clés du gouvernement […] il a déclaré la chasse ouverte aux institutions qui ont alimenté la création de connaissances et le progrès scientifique aux États-Unis depuis la Seconde Guerre mondiale […] M. Trump est en train de mettre au pilon un ingrédient clé de la puissance, du prestige et de l’influence des États-Unis », poursuit Stephen M. Walt.
« En bref, le régime de Trump viole la plupart de ce que nous savons sur la façon dont les décisions devraient être prises et une grande partie de ce que nous savons sur la politique mondiale […] Au lieu de rendre à l’Amérique sa grandeur, ces erreurs la rendront plus pauvre, moins puissante, moins respectée et moins influente dans le monde. Et c’est ainsi, mesdames et messieurs, que l’on bousille la politique étrangère d’un pays », conclut-il.
Pour Pékin, l’épouvantail, c’est l’Amérique
« Ce sont les Etats-Unis et non pas la Chine qui se révèlent être l’épouvantail », explique le 6 avril l’éditorialiste Alex Lo dans les colonnes d’un article du South China Morning Post dans une critique mordante de l’Amérique dont il est coutumier. « Si l’Amérique voulait convaincre l’Asie du Sud-Est de faire front commun contre la Chine, les droits de douane « universels » de Donald Trump viennent de lui tirer une balle dans le pied », explique-t-il dans les colonnes de ce quotidien anglophone de Hong Kong aujourd’hui inféodé à Pékin.
« Si l’idée était de militariser le Pacifique Sud – en faisant pression sur ces minuscules États insulaires – avec l’aide de l’Australie dans le cadre de l’alliance militaire Aukus, l’Amérique s’est tirée une balle dans l’autre pied » ironise Alex Lo dans une allusion à l’accord tripartite conclu entre les Etats-Unis, le Royaume Uni et l’Australie pour la livraison à ce pays de sous-marins nucléaires ainsi qu’aux critiques occidentales de la militarisation par la Chine de la Mer de Chine méridionale.
« J’imagine Xi Jinping citant Napoléon, qui a dit à ses généraux de ne pas s’emballer pendant une grande campagne. « Messieurs, dit-il, attendons un peu ; lorsque votre ennemi exécute un faux mouvement, ne l’interrompez jamais », ajoute encore l’éditorialiste qui, usant de son ton sarcastique habituel, suggère ainsi à la direction communiste chinoise d’attendre encore un peu pour que le naufrage américain soit complet avant d’agir.
Le premier résultat tangible des incertitudes causées par les mesures protectionnistes américaines est la tenue des discussions tripartites entre la Chine, le Japon et la Corée du Sud dont l’un des objectifs et de conclure un traité de libre-échange entre eux, une idée exprimée il y a plus de dix ans mais gelée par la confrontation Chine/Etats-Unis.
Quoiqu’il puisse arriver dans les prochains mois, les dégâts déjà commis sont pour une partie d’entre eux irréparables. En effet, une dynamique de politique étrangère, si elle peut être mise à terre rapidement comme c’est le cas en ce moment, est difficile à rétablir car elle suppose pour être efficace de retrouver la confiance perdue avec les partenaires extérieurs.
Les dégâts géopolitiques pour les Etats-Unis seront durables
D’autres décisions tout aussi funestes sont probablement à venir. Pointe aussi à l’horizon la crainte d’une possible guerre civile dans ce pays où jamais depuis longtemps les antagonismes et la polarisation politique n’ont été aussi forts et où la violence a souvent été la règle. Le naufrage serait alors total.
Après une période de silence qui illustrait sa stupéfaction devant l’ampleur du désastre engendré par la Maison Blanche, le régime chinois commence à s’organiser. La Chine traversera bien sûr des difficultés économiques supplémentaires que provoqueront les tarifs douaniers américains à son encontre.
Mais nul doute non plus que la Chine sortira, à terme, la grande gagnante du bras de fer engagé depuis longtemps entre Pékin et Washington. Car si la direction communiste chinoise reste encore prudente et réfléchie dans ses propres décisions en matière de géopolitique face à l’aventurisme à Washington, elle saura tirer parti de toutes les failles béantes laissées par les décisions de Donald Trump.
Ce qui s’apparente à un suicide géopolitique intégral de l’Amérique de Trump engagé depuis le 20 janvier 2025 lui donne une chance unique pour tirer parti de l’incurie de son grand rival américain qui lui ouvre toute grande la porte pour étendre son influence. La priorité pour Pékin sera l’Asie mais elle ne s’arrêtera sans doute pas là.
La priorité pour Pékin demeure de s’emparer de Taïwan
Quelles que soient les promesses exprimées récemment par le secrétaire à la Défense américain Pete Hegseth lors de sa tournée aux Philippines et au Japon sur la persistance de l’engagement américain en Asie de l’Est et quelles que puissent être les promesses à venir de l’administration américaine en Asie, la confiance est déjà passablement rompue avec un allié plus imprévisible que jamais. L’urgence est donc de préparer l’avenir avec en tête l’inconséquence de l’Amérique de Trump et pour priorité l’obligation qui en découle de trouver coûte que coûte un terrain d’entente avec le turbulent voisin chinois.
Les concessions qui seront demandées par Pékin seront nombreuses. L’une d’entre elle sera prépondérante : ne rien faire pour Taïwan à l’avenir si la direction chinoise devait concrétiser son projet de s’emparer de l’île, y compris par la force si nécessaire. Dès lors, l’incertitude et la plus immédiate dans la région est probablement celle de l’avenir de Taïwan. En échange d’une neutralité totale sur ce sujet, Pékin promettra à ses voisins en Asie de l’Est et du Sud-Est une paix durable. Une promesse de plus que ces pays n’auront d’autre choix que de croire ou feindre de croire.
Justifier l’invasion de l’Ukraine comme le fait Donald Trump aujourd’hui revient à justifier demain l’invasion de Taïwan par la Chine, qui renforce actuellement ses menaces contre l’île, bastion de la démocratie. La leçon de l’Histoire est qu’à céder aux dictateurs comme le fait Donald Trump, on ne gagne jamais.
Pierre-Antoine Donnet