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mercredi 5 mars 2025

Niger, le Qatar prend en main la libération de l’ex-président Bazoum

 

Faisant suite à l’échec de la médiation régionale confiée au Togo par la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), le Qatar s’est engagé en faveur de la libération de l’ex-président nigérien Mohamed Bazoum, renversé le 26 juillet 2023 par un coup d’Etat militaire et détenu depuis lors au palais présidentiel à Niamey, aux côtés de son épouse Hadiza Bazoum. Avec son expertise reconnue dans les médiations internationales, mais aussi sa puissance économique et financière, le Qatar entre en scène auprès des militaires au pouvoir à Niamey alors que le dossier judiciaire de l’ex-président n’a connu aucune avancée depuis la levée de son immunité en juin 2024. Entre optimisme mesuré et scepticisme enseigné par les échecs des précédentes intercessions régionales, l’initiative qatarie est considérée comme la médiation de la dernière chance.

Avant de rentrer à Doha poser ses valises et entamer le mois de ramadan, le ministre qatari des Affaires étrangères Mohammed Bin Abdulaziz s’est rendu 24 au 27 février 2025 au Niger, au Mali et au Sénégal. A Niamey, la capitale nigérienne, l’audience avec le général Abdourahamane Tiani, chef de l’Etat, en présence du général Salifou Modi, ministre de la défense et numéro 2 du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), a principalement porté sur le sort de l’ex-président nigérien Mohamed Bazoum. Depuis son renversement le 26 juillet 2023, celui-ci est retenu dans une aile du palais présidentiel en compagnie de son épouse.

Marathon diplomatique

En amont de l’arrivée de son chef de la diplomatie à Niamey où il a aussitôt rencontré, après le général Tiani, le premier ministre Ali Mahaman Lamine Zeine, le Qatar s’intéresse depuis plus d’un an à la libération de l’ex-président Bazoum. Les vrais actes fondateurs de la médiation qatarie ont d’abord été posés à Doha. Profitant du séjour au Qatar du Premier ministre nigérien dans leur capitale, les dirigeants qataris au plus haut sommet de l’Emirat avaient sondé M. Zeine sur la possibilité d’obtenir la libération du président renversé. Selon une source proche de cette négociation, le PM nigérien avait alors promis d’en référer au président Tiani. Des mois et des mois passent et puis aucun retour de Niamey.

Les Qataris reviennent à nouveau à la charge lors d’un séjour à Doha du ministre de l’Intérieur le général Mohamed Toumba, considéré comme un des membres les plus influents du pouvoir militaire. Lui non plus ne prend aucun engagement ferme devant ses hôtes, mais promis d’en référer à l’homme, le seul qui a la décision : le général Tiani. Le même scénario se répète : les jours passent, les mois leur succèdent et les Qataris n’ont aucune nouvelle venant de Niamey.

Axe Nouakchott-Doha

Pour avoir connu d’autres négociations plus ardues, les Qataris savent mieux que quiconque qu’il ne faut jamais baisser les bras dès les premières difficultés. Ils décident ainsi de poursuivre d’autant plus volontiers leurs efforts pour faire libérer Bazoum qu’ils sont encouragés par d’autres acteurs, notamment, les Mauritaniens eux aussi mobilisés par la même cause. Selon plusieurs sources concordantes, des milieux proches du pouvoir à Nouakchott ont encouragé le président mauritanien Mohamed Ould Ghazouani à soutenir la médiation du Qatar alors qu’il était encore président en exercice de l’Union africaine. L’ex-ministre français des Finances Dominique Strauss-Kahn, qui a ses entrées au Maroc et en Mauritanie, est également un des grands soutiens des efforts internationaux pour la libération de Bazoum. Et pour cause : l’ancien chef de l’Etat nigérien avait reçu à deux reprises à Niamey l’ex-patron du Fonds monétaire international (FMI), quelques mois avant le coup d’Etat du 26 juillet 2023.

Les autorités françaises, qui ont fait de la libération de Mohamed Bazoum une priorité de leur agenda ne voit pas d’un mauvais œil la mobilisation du riche émirat pétrolier pour la cause commune.

Déjà présent au Niger dans les secteurs de l’Hydraulique et de l’éducation, le Qatar pourrait augmenter le volume de ses interventions économiques et humanitaires au Niger. Alors que le Niger connaît, depuis le coup d’Etat, des problèmes des liquidités financières dues, notamment, à la suspension des aides budgétaires bilatérales et multilatérales, le rapprochement avec un Emirat pétrolier riche qui a souvent recours à son chéquier pour soutenir ses amis n’est pas dénué d’arrière-pensées. Dans le contexte actuel de grande insécurité créée par la menace terroriste, le Qatar peut également soutenir l’effort de guerre du Niger, soit en lui fournissant du matériel militaire soit en l’aidant financièrement à en acquérir.  Sur toutes ces perspectives de coopération, le ministre qatari des Affaires étrangère s’est montré très ouvert lors de ces conversations tant avec le général Tiani, le Premier ministre Zeine que ses autres hôtes nigériens. Toutefois, sans l’avoir dit ouvertement, Doha attend en contre partie que le pouvoir militaire accède à sa demande de libérer l’ex-président Bazoum. La demande qatarie est assortie d’une offre de nature à rassurer le CNSP. En effet, l’émirat propose d’accueillir le président Mohamed Bazoum après sa libération.

Impasse judiciaire

Paradoxalement, la demande qatarie pourrait bien faire les affaires des militaires au pouvoir à Niamey. S’ils ont certes obtenu comme une lettre à la poste la levée de l’immunité de l’ex-président, en revanche la suite du traitement judiciaire des poursuites engagées contre lui se sont avérées compliquées, voire impossibles. En théorie, depuis le 14 juin 2024 le président Bazoum est devenu « un détenu ordinaire » qui doit être transféré dans un établissement pénitentiaire dépendant du ministre de la justice. Le pouvoir n’a toujours pas résolu la difficile équation de trouver une prison d’accueil à l’ex-président. Or, l’endroit où il est actuellement détenu est une aile de la présidence de la république qui échappe au contrôle de toute autorité judiciaire, y compris le tribunal militaire qui a demandé la levée de l’immunité de l’ex-président aux fins de poursuite pour « complot et attentat ayant pour but de porter atteinte à la sûreté de l’Etat ou à l’autorité de l’Etat et le crime de trahison ».

Outre son médecin personnel, quelques proches ont eu accès ces dernières semaines à l’ex-président, philosophe formé dans les années 1980 à Dakar, qu’ils ont trouvé « très combattif et déterminé », partageant son temps entre ses nombreuses lectures et les prières. Avec à ses côtés son épouse Hadiza désormais affublée du titre de « mère-courage » par de nombreux Nigériens. A plusieurs reprises, les militaires au pouvoir ont proposé de la laisser partir, mais sa réponse est restée inchangée : « jamais sans lui ».

Après avoir échoué à convaincre la Cour d’Etat nigérienne, la plus haute juridiction du pays, de refuser la levée de l’immunité de leur client, les conseils de l’ex-président Me Mohamed Ould Ebety, avocat et ancien bâtonnier mauritanien ; Me Florence Loan, avocate ivoirienne, bâtonnière dauphine et Me Moussa Coulibaly, avocat et ancien bâtonnier mauritanien ont saisi les instances internationales dont le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire.

Dans une décision rendue en février 2025, les Nations unies ont jugé la détention de l’ex-président « arbitraire » et ont demandé sa libération immédiate. Un vœu auquel les militaires n’ont toujours pas accédé. Le général Tiani va-t-il accorder au Qatar ce qu’il a refusé à l’ONU?

S’il est très tôt pour donner une réponse définitive, on peut en revanche voir comme un signal positif la nomination d’un nouvel ambassadeur du Niger à Doha.

Ancien attaché de défense du Niger à Abidjan, le colonel-major Amadou Madougou, actuel attaché de défense du Niger à Berlin, s’installera dans les prochaines semaines aux commandes de l’ambassade du Niger au Qatar. C’est donc lui qui sera l’interface des autorités qataries pour remonter leur demande toujours pendante de libérer l’ex-président Bazoum et de lui permettre de venir s’installer à Doha. La fin du mois de ramadan est jugé comme un horizon possible. 

Seidik Abba

mondafrique.com