C'était le matin du 6 août 1985. Il y a bientôt quarante ans, l'animateur de «La chasse aux trésors» Philippe de Dieuleveult disparaissait avec les six autres membres de l'expédition Africa Raft (André Hérault, Richard Jeannelle, Angelo Angelini, Nelson Bastos, Guy Colette et Lucien Blockmans), dans les puissants rapides d'Inga, sur le fleuve Zaïre, aujourd'hui appelé Congo. Officiellement noyés dans les eaux tumultueuses, les aventuriers - qui naviguaient à bord de deux catarafts - n'ont jamais été retrouvés. À l'exception d'un seul corps, celui de Guy Colette. Voilà pour la version officielle, encore en vigueur aujourd'hui.
Mais très vite, des détails ne collent pas avec la noyade accidentelle. On retrouve les deux bateaux sur les rives du Zaïre, à proximité immédiate d'Inga. Du premier ne subsiste que l'armature métallique. Mais le second - celui sur lequel se trouvait Dieuleveult - est parfaitement intact, sa haute antenne radio bien en place. Des affaires personnelles sont trouvées rangées, au sec sur une plage, et cachées sous des roches.
Arrêtés, torturés et liquidés
Divers témoins travaillant au barrage d'Inga affirment avoir vu des hommes blancs débarquer du second cataraft. D'autres affirment avoir vu des camions militaires débarquer ce matin-là. Des soldats ont pris position au bord du fleuve et mis en joue quelque chose, à l'heure où passaient les aventuriers... Deux membres d'Africa Raft qui ont quitté l'expédition juste avant le barrage d'Inga, François Laurenceau et Jean-Louis Amblard, se sont entendus dire par des militaires: «Si vous avez entendu des coups de feu, nous n'y sommes pour rien». Étrange déclaration.
Jean de Dieuleveult, frère de Philippe, est convaincu que Philippe et ses amis ont été victime d'une bavure militaire. Sur la base de menaces existantes à l'époque - des terroristes au service de la Libye voulaient faire sauter le barrage d'Inga - et d'un mystérieux message envoyé aux autorités zaïroises par la France, Africa Raft se serait fait canarder. Durant trente ans, de 1985 jusqu’à 2015, année de son décès, Jean de Dieuleveult n’aura eu de cesse de mener l’enquête à propos de la mort de Philippe. Et d'amasser nombre de preuves et de témoignages allant dans le sens d'une bavure maquillée en accident: des membres d'Africa Raft, dont l'animateur, se seraient fait tirer dessus, puis fait prisonniers. Et enfin, auraient été liquidés, après un interrogatoire musclé.
Aujourd'hui, c'est Alexis de Dieuleveult, fils de Jean et neveu de Philippe, qui a repris l'enquête. Après un premier livre paru en 2020 qui regorgeait de témoignages et de documents allant, sans le moindre doute, dans le sens de l'élimination physique de l'équipe d'Africa Raft, il publie un second ouvrage explosif, fruit d'un travail de fourmi: «Vérité sur une omerta - L'assassinat de Philippe de Dieuleveult». Dans ce livre de près de 300 pages, il fait part de ses dernières découvertes. Parmi elles, ce que cachait en réalité l'expédition.
Reportage de tous les dangers
Selon ce nouveau livre, il apparaît désormais sûr que Philippe de Dieuleveut avait l'intention, au cours de l'expédition, de s'enfoncer dans les terres. Et d'aller effectuer un grand reportage où il donnerait la parole aux principaux opposants de Mobutu, le président Zaïrois qui régnait alors sans partage sur le pays. «Durant Africa Raft, mon oncle avait fait un aller-retour sur Paris pour y récupérer des armes et des moyens radio légers, auprès de Christian Prouteau, patron du GIGN. Il disposait déjà d'une radio sur les bateaux... Cela confirme qu'il voulait faire clandestinement un reportage en marge de l'expédition», nous explique Alexis de Dieuleveult. Le présentateur de «La chasse aux trésors» avait été prévenu par Mobutu, qui se disait son ami: «Reste sur le bateau car si tu vas dans les terres, je ne pourrais plus rien.» «Philippe était un aventurier, il avait déjà réalisé, quelques années auparavant, des reportages clandestins dans des zones de guerre», ajoute Alexis.
Mais il y a une seconde motivation que cachait Africa Raft. Et elle ne concerne pas Philippe de Dieuleveult... mais André Hérault. Selon le résultat de l'enquête extrêmement fouillée d'Alexis, cet homme qui était l'organisateur de l'expédition voulait en réalité récupérer un magot planqué sur les bords du fleuve Zaïre.
L'étrange Monsieur Hérault
Méhariste dans le sahara alégrien, André Hérault sera plus tard pilote d'hélicoptère notamment pour la société congolaise Gécamines. Dans les années 1960, au Congo, il doit effectuer une mission d'exfiltration en hélicoptère à la solde des Katangais. À bord de l'appareil se trouve un très lourd chargement embarqué par son passager. Mais l'engin se crashe et Hérault est le seul survivant. Il découvre alors que c'est une véritable fortune en or qu'il convoyait. Notre gaillard enterre son trop lourd magot sur les bords du fleuve, prenant soin de parfaitement repérer les lieux. Puis il quitte le futur Zaïre, pensant venir récupérer son trésor plus tard...
Une vingtaine d'année après, il raconte cette histoire à un couple d'amis, Alain Pottier et sa femme Karin. C'est cette dernière qui prend contact en 2023 avec Alexis de Dieuleveult. Et qui lui raconte toute l'histoire. «Evidemment, c'était inattendu. Je n'avais pas l'intention de me laisser abuser par une histoire fantasque. J'ai donc ensuite longuement enquêté, recoupé les informations afin de m'assurer que ce récit était vrai. André Hérault avait d'ailleurs dit à certains membres de l'expédition qu'à la sortie du Zaïre "il y aura un grand cadeau pour tout le monde". L'entier des aventuriers était-il au courant de cette vraie chasse au trésor? Je ne peux pas l'affirmer.»
Restent d'autres mystères: quels ordres réels ont reçu les soldats zaïrois chargés de stopper Africa Raft à Inga? Juste de les arrêter? De les liquider? S'agissait-il d'empêcher André Hérault le mercenaire de récupérer son or? D'empêcher Philippe de Dieuleveult d'effectuer un reportage très dérangeant pour la présidence zaïroise? Qui a envoyé, en France, le fameux message qui a mis Dieuleveult et ses amis en danger de mort? Y a-t-il eu un rôle dans cette affaire du conseiller pour les Affaires africaines à l'Élysée, Jean-Christophe Mitterrand? Pourquoi le ministre des Affaires étrangères de l'époque, Roland Dumas, après avoir soutenu la thèse de la noyade, a-t-il finalement admis, à la fin de sa vie, qu'une bavure militaire avait pu avoir lieu?
Cinq corps sur une photo
Le livre d'Alexis de Dieuleveult se lit comme un roman, tant il est palpitant et riche en renseignements, en documents. Fruit d'une enquête très pointue, l'ouvrage nous permet de vivre également un grand moment d'émotion: cet instant où, début août 2023, l'auteur se rend pour la première fois au barrage d'Inga. «Je suis descendu au bord du fleuve, j'ai trempé mes pieds dans l'eau et mouillé mon visage. À ce moment précis, j'ai eu le sentiment d'être en connexion avec mon père et Philippe. C'était un moment très intense où j'étais soudainement étonnamment en paix», nous confie-t-il.
«Vérité sur une omerta - L'assassinat de Philippe de Dieuleveult» révèle également le rôle trouble du romancier et militaire français Patrice Franceschi, ami de l'animateur de «La chasse aux trésors». C'est lui qui, dépêché secrètement au Zaïre fin août 1985, va reconnaître le supposé corps de Dieuleveult. En réalité un cadavre sans tête, sans main, sans pieds et sans sexe, retrouvé dans le fleuve. Franceschi authentifiera pourtant de sa propre autorité le cadavre du disparu, sans en avertir quiconque, pas même la famille, en présence de Michel Dupin, vice-consul de France à Kinshasa.
L'intervention de Patrice Franceschi ne sera jamais relatée et l'acte de décès jamais publié. Plus tard, Jean de Dieuleveult ordonnera une expertise du corps, en France: ça n'était pas celui de Philippe... Patrice Franceschi interviendra quelques années plus tard, en 2006, dans le documentaire de Tugdual de Dieuleveult, fils de Philippe, appelé «Enquête sur un mystère»: on peut le voir défendre hardiment la thèse de la noyade.
Enfin, un des autres moments forts du livre d'Alexis de Dieuleveult est sa rencontre avec un autre témoin-clé, «Monsieur Paul», barbouze de la République, qui, lors d'une transaction en Angola, s'est vu remettre en 2009 une sacoche d'André Hérault qui contenait une bible et une carte géographique collée à la couverture. «Un plan finement dessiné», dit Paul. Mais aussi trois photographies en noir et blanc. «Des photos prises en extérieur devant des bâtiments de type militaire. Elles montrent la même scène, sous des angles différents. Sur la plus grande, je peux te certifier que l'on voit au premier plan cinq corps alignés: ceux d'Africa Raft. Je suis formel, ce sont eux, assure Monsieur Paul. A l'arrière plan, on voit des hommes de troupes zaïroises et deux blancs en costume cravate, avec des lunettes noires. Sur la seconde photo, un autre groupe de militaires zaïrois gradés se tient près des corps. Parmi eux, Okito Bene Bene.»
Okito Bene Bene, un ex-officier des services secrets zaïrois décédé aujourd’hui, avait écrit un livre en 1994 où il racontait avoir assisté à l'assassinat de Philippe de Dieuleveult, mais il avait été discrédité par différents intervenants. Et une autopsie du corps de Guy Colette avait désavoué son récit. «Pour autant, à la vue de cette histoire de jeu de dupes, il est permis de désormais se demander si ce corps était bien celui de Guy Colette. Il avait été authentifié par les autorités françaises, à l'époque», conclut Alexis de Dieuleveult.
Depuis 2023 et jusqu'à ce jour, malgré l'accumulation de preuves, de témoignages et de nouveaux éléments, le parquet de Paris refuse obstinément de rouvrir ce dossier...