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jeudi 20 mars 2025

Mexique : vers une victoire des femmes ?

 

L’élection de Claudia Sheinbaum, experte sur le climat, comme présidente du Mexique le 2 juin 2024 a été saluée dans le monde entier comme une avancée majeure. Elle peut d’autant plus surprendre que le pays fait face à une violence structurelle qui touche particulièrement les femmes. Après le mandat d’Andrés Manuel López Obrador, quelles sont les attentes des Mexicaines ?

Claudia Sheinbaum se place dans la lignée de son prédécesseur, car elle est issue du même parti, le Mouvement de régénération nationale (MORENA). Elle hérite d’un bilan économique en demi-teinte. Manuel López Obrador peut s’enorgueillir de plusieurs réussites. La croissance est supérieure aux prévisions internationales, avec 3,2 % en 2023. Le peso s’est apprécié face au dollar pour représenter la troisième monnaie émergente la plus échangée au monde. Point important, le taux de pauvreté a baissé de six points entre 2016 et 2022, pour atteindre 36 % de la population, même si le nombre de Mexicains dans l’extrême pauvreté a augmenté, passant de 8,7 millions à 9,1 millions de personnes.

Dépendance américaine

Ce bilan est à nuancer, car l’économie mexicaine vit dans l’ombre de la relation avec les États-Unis. Les remesas, l’envoi d’argent par la diaspora, occupent une place importante. En 2021, 12,1 millions de Mexicains résidaient à l’étranger, à une écrasante majorité (97 %) chez le voisin du nord. Leurs transferts financiers sont en hausse continuelle avec 63,3 milliards de dollars en 2023, soit une augmentation de 57 % sur la période 2019-2023. Les femmes représentent 56 % des expatriés, en occupant notamment des emplois domestiques, et contribuent donc particulièrement à cette économie. Ces remises, deuxième source de revenus pour le pays, sont un trompe-l’œil, car elles ne sont pas le résultat d’une réussite mexicaine, mais le produit de la croissance américaine. Cette dynamique se poursuit : le nombre de visas de travail émis vers les États-Unis est en augmentation ; ainsi, le H-2A, qui permet une activité agricole, a bondi de 19 % entre 2019 et 2022. Le pays doit aussi composer avec les migrations irrégulières, car le nombre de personnes entrées clandestinement au Mexique est en explosion, passant de 82 379 en 2020 à 782 176 en 2023. Ces personnes (un quart sont des femmes) se dirigent presque toutes vers les États-Unis.

Claudia Sheinbaum a annoncé trois priorités pour son mandat : l’éducation, les énergies renouvelables et les femmes. Elle doit pour cela dépasser des défis structurels qui caractérisent le pays, en premier lieu la violence. Celle-ci est endémique au Mexique et touche particulièrement les filles dès l’âge de 15 ans, les agressions à leur égard ayant augmenté entre 2016 et 2021. Cette année-là, une Mexicaine sur deux (49,7 %) déclare avoir subi une violence sexuelle durant sa vie. Les associations dénoncent une culture machiste ancrée ; des violences physiques, économiques ou psychologiques peuvent se produire au sein la cellule familiale.

Féminicides

Le nombre d’homicides touchant les femmes en 2022 a été le plus élevé depuis les trente dernières années, avec 3 754 assassinats officiellement enregistrés, dont 947 considérés comme « féminicides ». Cette violence est particulièrement localisée dans certains États. Parmi les 20 villes les plus dangereuses au monde en 2023, 12 sont localisées au Mexique, ce qui montre l’ampleur du phénomène. Colima détient le triste record du taux de meurtres le plus élevé de la planète, avec 140,3 pour 100 000 habitants, devant Port-au-Prince à Haïti. L’une des explications est à chercher dans le rôle des cartels qui contrôlent la route du fentanyl, entre les ports mexicains et les États-Unis, sur laquelle se situe Colima, sur la côte ouest du pays. Si l’éducation constitue un levier contre ce fléau, les dépenses par élève sont basses, et le Mexique obtient des scores faibles au classement PISA 2022, tant en lecture qu’en mathématiques.

Enfin, le président sortant a fait du « train maya » le projet vitrine de son mandat. Cette boucle ferroviaire de quelque 1 550 kilomètres, dans la péninsule du Yucatán, a pour but de faciliter les déplacements dans les cinq États de la région et de redistribuer les flux touristiques. Elle est reliée à l’aéroport de Cancún et ses 30 millions de passagers annuels. Mais Claudia Sheinbaum, scientifique et climatologue, doit composer avec ce train accusé d’avoir provoqué la déforestation de 6 659 hectares et contaminé des nappes phréatiques… Les défis sont nombreux pour une femme à la tête d’un pays de 129,4 millions d’habitants (2024), où les Mexicaines ne comptent pas à parts égales. 

Mexique : une violence structurelle contre les femmes


Fabien Vergez

areion24.news