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mercredi 12 mars 2025

Macron veut armer la France, mais avec quel argent ? Les caisses sont vides !

 

Davantage de canons, de tanks, d’avions de chasse, de missiles et de drones, mais pas d’argent dans les caisses de l’Etat pour régler les factures à venir. La France peut s’enorgueillir d’avoir été la première, dès l’élection d’Emmanuel Macron en 2017, à alerter sur la nécessité d’une défense européenne plus puissante et plus autonome. Mais encore faut-il pouvoir se la payer…Un résolution sur l'Ukraine débattue à l'Assemblée nationale ce mercredi 12 mars sera l'occasion assurée d'un débat houleux sur cette question du réarmement français.

Le chiffre est annoncé. Il l’a été mardi 11 mars par le ministre de la Défense Sébastien Lecornu en ouverture du Forum de Paris durant lequel une réunion des chefs d’état-major de la plupart des pays de l’Union européenne et de leurs alliés (la Suisse n’était pas représentée) a été organisée. Le futur budget des armées françaises devrait idéalement passer, d’ici à 2030, à cent milliards d’euros par an, contre 50,5 milliards en 2025, hors paiement des retraites.

Cent milliards d’euros

Cent milliards, soit dix fois moins que l’actuel budget de la défense des Etats-Unis (environ 970 milliards de dollars en 2024), mais un bond qui, au niveau européen, ferait passer Paris dans la cour des grands. Avec 100 milliards investis par an, la France consacrerait près de 4% de son produit intérieur bruit à sa défense, soit le double d’aujourd’hui.

Une aubaine pour ses industriels du secteur, comme l’avionneur Dassault (producteur du Rafale) ou l’artilleur Nexter (producteur du canon Caesar, très utilisé en Ukraine). D’autant que l’ensemble des pays européens sont d’accord pour augmenter leurs dépenses militaires, sous la pression de Donald Trump qui exige désormais des alliés des Etats-Unis au sein de l’OTAN (l’Alliance atlantique) qu’ils y consacrent au moins 5% de leur PIB.

Où trouver cet argent?

Mais où trouver cet argent? Et, surtout, comment faire pour que cet effort budgétaire ne creuse pas encore plus la dette publique déjà record, au-delà des 3300 milliards d’euros. Laquelle oblige la République à payer chaque année 60 milliards d’euros d’intérêts à ses créanciers, soit plus que l’actuel budget de ses armées.

L’inventaire des possibilités financières est donc indispensable à quelques jours d’un prochain sommet européen, les 20 et 21 mars, durant lequel les modalités de possibles emprunts communautaires (ou emprunts gagés sur le budget de l’UE) seront précisées, afin d’atteindre les deux chiffres brandis par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen: 150 milliards d’euros à trouver rapidement, et 800 milliards d’euros à moyen terme.

L’option de la dette

L’option 1 est celle de la dette européenne. Elle plaît bien sûr à tous ceux qui ne veulent pas imposer d’efforts financiers aux Français. Sauf que l’endettement européen ne veut rien dire. A la fin, chaque pays de l’UE doit rembourser sa part… en contribuant au budget communautaire, (à moins de créer plus de ressources propres, dont de taxer davantage). A titre d’exemple: la commission a emprunté 390 milliards d’euros sur les marchés pour son plan Next Generation EU durant la pandémie. Premiers remboursements à partir de 2028.

L’option 2 est celle de la ponction dans l’épargne des Français, sous une forme ou sous une autre. Le pays est endetté, mais sa population a des réserves. Le chiffre le plus souvent cité est de 6000 milliards d’euros «dormants» sous diverses formes sur les comptes en banque. Faut-il réorienter une partie de l’épargne consacrée au logement? Ou solliciter la Caisse des dépôts et consignations qui gère 1360 milliards d’euros?

Impôt ou emprunt national

L’option 3 est celle de l’impôt, qu’Emmanuel Macron a déjà écarté dans un pays champion du monde des prélèvements obligatoires (45,6% PIB).

D’où une autre solution possible: l’emprunt national. Un grand emprunt comme la France en a connu après la guerre de 1870 contre l’Allemagne, après la Première Guerre mondiale, après la libération de 1944, puis en 1952 (emprunt Pinay), en 1972 (emprunt Giscard), en 1977 (emprunt Barre), en 1983 (emprunt Mauroy) et en 1993 (emprunt Balladur). L’avantage de cette formule est qu’elle mobiliserait la population française dans un élan patriotique. Elle éviterait le recours aux marchés financiers internationaux. Mais la dette, en revanche, continuerait de se creuser.

Couper dans les dépenses

Pour le reste? Impossible, dans tous les cas, de revoir les équations budgétaires en faveur de la défense sans couper d’autres dépenses publiques. Avec, dans le viseur, les dépenses sociales qui représentent en France environ 30% du PIB soit 880 milliards d’euros. Les discussions actuelles sur une renégociation de la réforme des retraites entrée en vigueur en. 2023 vont se retrouver à coup sûr impactées. La question d’une nouvelle réforme de l’assurance chômage destinée à limiter les prestations (les plus généreuses d’Europe) se retrouve sur la table.

Certains estiment même le moment venu pour revenir en arrière sur les 35 heures de travail hebdomadaires en place depuis 1998. Le secteur de la culture redoute aussi le pire. Et les deux partis de droite et gauche radicale (le Rassemblement national et La France insoumise) font ouvertement campagne contre une augmentation des dépenses d’armement destinées, entre autres, à soutenir l’effort de guerre en Ukraine.

Plus de canons? Oui. Mais sans argent, pas de commandes publiques. Et sans commandes publiques accrues, de la part de la France et de ses partenaires, pas de synergies européennes possibles et donc, par d’industrie européenne de l’armement capable de concurrencer les Etats-Unis.

Au Forum de Paris sur la défense; des généraux sont obsédés par Poutine, (et c'est dangereux)

Demandez aux Européens: ont-ils davantage peur de Donald Trump ou de Vladimir Poutine? En France, la réponse est claire. 59% des Français, selon un récent sondage, considèrent le président américain comme un «dictateur».

63% redoutent, selon une autre enquête, l’utilisation de l’arme nucléaire par la Russie dans le conflit en Ukraine. Et 60% des personnes interrogées estiment que le président russe représente une menace. Le locataire de la Maison Blanche et celui du Kremlin sont donc ex-aequo, au niveau de la peur qu’ils suscitent. Mais dans les armées européennes en revanche, tout est bien différent.

L’OTAN, toujours là

La meilleure preuve en est fournie, ces jours-ci, par le Forum de Paris sur la défense ouvert mardi 11 mars, pile au moment où les négociations sur une possible paix en Ukraine ont repris en Arabie saoudite. L’occasion, pour Emmanuel Macron de convier les chefs d’Etat-Major des 27 pays de l’Union européenne, plus des pays partenaires comme la Norvège et même le Japon.

Dans les allées de ce sommet, organisé à Paris sur le site de l’Ecole militaire, exit la «menace» Trump. Aussi malmenée soit-elle par l’actuelle administration américaine, l’OTAN est toujours considérée comme fiable. «Notre Alliance est toujours-là. Il est bien trop tôt et surtout inutile et contre-productif de chercher à la remplacer», estime Daniel Kooij, chargé de contrôle des armements au Ministère néerlandais des Affaires étrangères. Il est vrai que le Secrétaire général de l’OTAN n’est autre que l’ancien Premier ministre des Pays-Bas Mark Rutte…

Et Poutine en revanche? Et la menace russe? Là, c’est le carton plein. Pas un panel, pas une table ronde pour nuancer le risque auquel les dirigeants européens estiment être exposés, en provenance de Russie. Menace aérienne, avec les missiles et les drones. Menace sous-marine. Menace maritime avec le risque d’une prise de contrôle par la Russie du futur passage de l’Arctique, et la main mise de la marine russe sur la Baltique.

«On a perdu la Russie»

La guerre en Ukraine a effacé de l’histoire les années de coopération entre le bloc occidental et Moscou, jusqu’au fameux sommet de l’OTAN en 2008 (et la promesse faite à la Géorgie et à l’Ukraine d’une future intégration), et à la guerre dans les régions séparatistes géorgiennes d’Abkhazie et d’Ossétie du sud. «On a perdu la Russie, alors qu’il est indispensable de l’intégrer dans toute réflexion sur la sécurité en Europe», juge un diplomate français, à la fois satisfait de la montée en puissance de l’idée d’une défense européenne, et inquiet de la position d’Emmanuel Macron, qui diabolise de plus en plus Poutine.

«En termes d’intérêts stratégiques, si l’on intègre l’aspect économique, commercial et technologique, mais aussi les ingérences politiques via les réseaux sociaux, la France est autant menacée par les Etats-Unis de Trump que par le Kremlin, poursuit notre interlocuteur. D’ailleurs, nos concitoyens ne s’y trompent pas. Ils sont bien plus déstabilisés, au quotidien, par une rupture transatlantique que par la guerre en Ukraine.»

Une menace russe utile pour certains

«L’Europe a besoin de la menace russe pour parvenir à une position commune sur une défense plus autonome. Il y a beaucoup d’exagération dans le danger que Poutine représente», complète, en marge d’une table ronde, Tidiane Ouattara, président du Conseil spatial africain. Constat également nuancé durant une conférence consacrée à l’Indo-Pacifique. Pourquoi les pays de l’Asie du Sud-Est ne sont pas systématiquement solidaires de l’Europe face à la Russie, y compris l’Inde avec laquelle la France entretient les meilleures relations?

Darshana Baruah, de l’Australia India Institute à Sydney: «L’idée selon laquelle Vladimir Poutine est une menace pour la sécurité mondiale est très européenne. Pour beaucoup de pays émergents, elle est au contraire un partenaire fiable pour leur approvisionnement en matières premières, en pétrole, en gaz, mais aussi en armement. Les Européens continuent de croire, à tort, que leur perception est partagée sous toutes les latitudes après trois ans de guerre en Ukraine. Or ce n’est pas le cas.»

Poutine, danger numéro un

La Russie peut-elle être encore considérée comme un partenaire fiable lorsqu’il s’agit de négocier la paix? Non, répondent à Paris les Européens, qui justifient par cette perception négative l’exigence de «garanties de sécurité» pour l’Ukraine. Et pas seulement en raison de son arme atomique ou de ses missiles tirés sur Kiev et les villes ukrainiennes.

«Poutine est bel et bien le danger numéro un. Cela ne plaît pas aux diplomates, mais c’est la réalité estime un haut responsable français. J’ai pu le constater lors d’une visite récente en Roumanie où le candidat à la présidentielle Calin Georgescu vient d’être exclu de la prochaine élection, alors qu’il était bien placé pour remporter le scrutin annulé par le premier tour par la Cour constitutionnelle, le 6 décembre 2024. Sur TikTok, suivi par près de dix millions d’utilisateurs roumains, Calin Georgescu a été propulsé au sommet par les algorithmes dont nous sommes certains qu’ils étaient manipulés par des officines russes.»

Poutine ennemi de la démocratie ?

Poutine, ennemi de la démocratie? Poutine, résolu à dépecer et à asservir l’Ukraine? Poutine, prédateur prêt à engloutir la Moldavie et la Géorgie? Le scénario est tellement répété et reproduit sans nuances qu’une partie de l’opinion s’estime manipulée. En France, les médias influents du groupe Bolloré (CNews, Europe 1, le Journal du Dimanche…) accusent désormais ouvertement Emmanuel Macron de ruiner les espoirs de paix avec sa rhétorique guerrière. Problème majeur dans leur raisonnement: le pouvoir de Moscou ne donne, pour l’heure, aucune raison de croire que la Russie peut, demain, accepter les frontières internationalement reconnues de ses voisins. Et cesser ses opérations de déstabilisation.

Richard Werly

blick.ch