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vendredi 7 février 2025

Corée, Taiwan, mer de Chine du Sud, Tibet, Birmanie: les cinq « points chauds » de 2025

 

En ces premières semaines agitées de l’année 2025, l’observateur de l’effervescente région Indopacifique relève déjà les signaux avant-coureurs d’un Millésime asiatique 2025 plus rythmé par les secousses à répétition et la tension que bercé par l’harmonie et la sérénité. Le quintette des points chauds comprend Taipei, Séoul, Manille, Lhassa ou Rangoun, sans oublier « l’effet Trump 2.0 » et son cortège de conséquences qui vont ruisseler sur la région.

Dès janvier les sujets d’inquiétude abondent, de la dictature héréditaire nord-coréenne à la junte birmane, en passant par les îles Spratleys et les hauts-fonds disputés en mer de Chine du Sud, le plateau tibétain et l’espace maritime séparant le Fujian chinois de Taïwan. La trame volatile des prochains mois va probablement laisser indifférentes les capitales d’Europe occidentale, accaparées par le conflit en Ukraine et les événements en cours au Moyen-Orient.

Des dictateurs décomplexés

Les régimes autoritaires de la région se savent pour l’heure largement immunes à toute pression extérieure. En particulier l’énigmatique Kim Jong-un – déjà dans sa 14e année à la tête de la dictature nord-coréenne – et le sinistre senior-général birman Min Aung Hlaing, qui célèbre pour sa part le 1er février le 4e anniversaire du retour au pouvoir des militaires.

L’ancien chef des armées birmanes a le toupet d’évoquer ces derniers jours des perspectives électorales en 2025, alors que la totalité du territoire national, de l’Etat Shan à l’Arakan, est en proie à une guerre civile interminable. Du côté de Pyongyang, « Little Rocket Man » comme l’appelle Donald Trump procède tranquillement à des tirs de divers types de missiles (les 6 et 25 janvier), en affichant un mépris souverain pour le chaos judiciaire, politique et institutionnel dans lequel la Corée du Sud est enlisée. Il serait par ailleurs sur le point de dépêcher de nouvelles troupes aux côtés des forces russes engagées sur les fronts ukrainiens.

Ce qui n’empêche pas le nouveau locataire de la Maison Blanche de vouloir reprendre contact avec son « ami » Kim de Pyongyang pour relancer une nouvelle « bromance », malgré l’échec retentissant de sa première tentative en 2019, où l’ébouriffante agitation médiatique entretenue de Singapour à Hanoï en passant par Panmunjom n’avait abouti à strictement aucun résultat.

Dans le détroit de Taiwan, alors que les célébrations du Nouvel An lunaire vont bon train, les incursions d’avions de chasse chinois à proximité immédiate de « l’île rebelle » atteignent déjà au 29 janvier le total de 326 auxquelles s’ajoutent 181 incursions maritimes chinoises. L’ampleur de ces incursions est désormais routinière et illustre la tactique de guerre hybride déployée et progressivement affinée par Xi Jinping depuis cinq ans.

Les Iles Spratleys entre accalmie et bruits de botte

Une « bonne surprise » est tout de même intervenue en mer de Chine du Sud entre Manille et Pékin. Le 16 janvier, à Xiamen (province du Fujian), lors de la 10e réunion du mécanisme de consultation bilatérale sur la mer de Chine du Sud, les représentants des deux pays se sont accordés pour pérenniser un accord jusque-là provisoire permettant aux Philippines de réapprovisionner – sans entrave physique des forces chinoises – un avant-poste militaire sur le banc Second Thomas (Second Thomas Shoal en anglais). Ce banc se situe dans l’archipel des Spratleys, à 300 km à l’ouest de l’île philippine de Palawan.

L’accord a été salué comme une « victoire » par la presse et les autorités à Manille. Il est pourtant peu probable que les onze mois à venir soient libres de toute tension et d’accrochages entre les marines philippine (24 000 hommes ; 90 bâtiments) et chinoise (1ère au monde avec ses 370 bâtiments de surface et sous-marins, sans compter sa pléthorique armada de garde-côtes et autres milices maritimes). Les 17-18 janvier, un groupe aéronaval américain incluant notamment le porte-avions USS Carl Vinson effectuait en mer de Chine du Sud ses premiers exercices maritimes conjoints de l’année avec la marine philippine. Au même moment les forces armées chinoises effectuaient elles aussi des manœuvres de préparation au combat maritime et aérien, officiellement « en réponse aux manœuvres provocatrices des Philippines. »

Barrages pharaoniques sur le toit du monde

Le Tibet a été frappé le 7 janvier par un violent séisme de magnitude 7,1 au sud-ouest de Lhassa, provoquant des centaines de morts et blessés. Quelques jours plus tôt la population tibétaine et les forces chinoises de maintien de l’ordre s’affrontaient à propos d’un projet de barrage hydroélectrique géant. Il s’agit du barrage de Gangtuo (Kamtok en tibétain), situé dans la province du Sichuan mais dans une zone de l’ancien Tibet historique où la population est majoritairement tibétaine. Le projet se traduirait par des déplacements massifs de population et par la submersion de monastères d’une grande valeur culturelle.

Le 25 décembre, la presse d’État chinoise annonçait le lancement d’un autre projet, celui-là pharaonique, situé dans la partie aval du Yarlung Tsangpo, le plus grand fleuve tibétain qui poursuit son cours en Inde sous le nom de Brahmapoutre. Ce nouveau barrage serait trois fois plus grand que celui des trois gorges, lui-même le plus grand du monde. Pékin estime qu’il devrait « apporter un sentiment de gain, de bonheur et de sécurité aux habitants de tous les groupes ethniques du Tibet. »

Restons encore quelques instants au chevet du toit du monde. Du 6 juillet 2025 au 5 juillet 2026 en cette année de Compassion, le peuple tibétain célébrera le 90e anniversaire du Dalaï-Lama. Un événement majeur pour les Tibétains et le bouddhisme tibétain, qui sera traité avec infiniment moins de bienveillance par les autorités chinoises. Le discours officiel qualifie toujours Sa Sainteté de « dangereux séparatiste » ou de « loup en robe de moine ». L’appareil sécuritaire du Parti communiste chinois ne manquera pas de muscler plus encore son dispositif de surveillance tout en se préparant à interférer – sans plus de droit que de remords – dans le processus de désignation du prochain Dalaï-Lama que Pékin entend bien sélectionner lui-même.

Olivier Guillard

asialyst.com