Ces derniers mois, plusieurs infrastructures critiques de la mer Baltique [gazoduc Balticconnector, câbles de télécommunication, interconnecteur Estlink 2] ont été endommagées par les ancres de navires au comportement suspect, comme le porte-conteneurs chinois Newnew Polar Bear, le cargo Yi Peng 3 [également chinois] et le pétrolier Eagle S, soupçonné de faire partie de la « flotte fantôme » russe.
Les pays concernés n’ayant pu arraisonner les deux navires chinois, les enquêtes sur les dommages qu’ils ont infligés aux infrastructures sous-marines sont au point mort. En revanche, ayant réagi avec célérité, les autorités finlandaises ont pu mettre la main sur le Eagle S qui, selon la publication Lloyd’s List, est soupçonné d’avoir mis en œuvre des équipements dédiés à l’espionnage qu’il aurait débarqués à Saint-Pétersbourg.
Quoi qu’il en soit, dans ces trois cas, la piste d’actes délibérés entrant dans le cadre d’opérations dites « hybrides » menées pour le compte de la Russie est privilégiée par les enquêteurs. D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle l’Otan a lancé l’opération « Baltic Sentry » afin de dissuader tout sabotage des infrastructures sous-marines critiques en mer Baltique.
Seulement, d’après le Washington Post, des responsables de services de renseignement américains et européens remettent en cause la thèse d’une campagne de sabotages orchestrée par la Russie.
Ainsi, selon les enquêtes impliquant les États-Unis et une demi-douzaine de services de sécurité européens, il n’y a aucun éléments pour avancer que les navires soupçonnés ont intentionnellement fait traîner leurs ancres à proximité des câbles sous-marins ou qu’ils l’aient fait sur l’ordre de Moscou.
« Au contraire, les responsables américains et européens ont déclaré que les preuves recueillies à ce jour – y compris les communications interceptées et d’autres renseignements classifiés – indiquent qu’il s’agit d’accidents causés par des équipages inexpérimentés servant à bord de navires mal entretenus », avance le Washington Post.
Mieux : il y aurait même des « contre-éléments » qui invalideraient l’hypothèse de sabotages, à en croire un responsable européen cité par le quotidien. Lesquels ? Les interlocuteurs de ce dernier n’ont pas souhaité en dire davantage, invoquant la « sensibilité des enquête en cours ».
Seulement, le propre d’une opération hybride est qu’il est difficile d’en attribuer la responsabilité… C’est d’ailleurs le point qu’a souligné Pekka Toveri, ancien responsable du renseignement militaire finlandais et désormais député européen [groupe PPE].
« Le plus important dans toute opération hybride, c’est la possibilité de nier les faits. Les services russes ont peut-être réussi à ne laisser aucune preuve qui puisse être retenue devant un tribunal. Mais conclure qu’il s’agit d’accidents est de la bêtise pure », s’est-il agacé dans les pages du Washington Post.
En outre, M. Toveri a avancé deux éléments pour contredire le « consensus » auquel sont arrivés les responsables des services de renseignement cités par le quotidien. D’abord, les navires concernés ont eu des « mouvements anormaux », que ce soit avant ou après avoir coupé les câbles sous-marins. Ensuite, il est peu probable de laisser traîner une ancre sur plusieurs dizaines de nautiques sans s’en rendre compte [à moins qu’elle n’ait fait aucun bruit à travers l’écubier et que cela n’ait eu aucune incidence sur la vitesse du navire…].
Responsable du Bureau national d’enquête finlandais, chargé de l’enquête concernant l’Eagle S, Sami Liimatainen a rejeté la thèse accidentelle. « Je ne veux même pas commenter cela. Je prends les informations des journaux étrangers pour ce qu’elles sont. La police nationale finlandaise enquête sur un crime », a-t-il confié au radiodiffuseur YLE.
Par ailleurs, les affirmations des responsables du renseignement sollicités par le Washington Post prennent le contre-pied des déclarations faites par les autorités suédoises.
« La situation sécuritaire et le fait que des phénomènes étranges se produisent régulièrement en mer Baltique nous portent également à croire que des intentions hostiles ne peuvent être exclues », avait dit Ulf Kristersson, le Premier ministre suédois, à l’occasion de l’ouverture du Forum annuel de défense « Folk och » de Sälen, la semaine passée.
Les forces armées suédoises ont laissé entendre que les incidents survenus sur les câbles sous-marins entraient dans le cadre d’une « guerre hybride ».
« Un exemple en est la menace de sabotage, qui cible particulièrement les infrastructures, les communications et l’approvisionnement en électricité. Ces attaques sont planifiées et soutenues par les agences de sécurité de l’État, mais sont souvent menées par l’intermédiaire de mandataires afin de pouvoir être démenties une fois réalisées », ont-elles expliqué, le 14 janvier.