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mercredi 4 décembre 2024

« La marine royale néerlandaise traverse une transformation majeure »

 

Le contexte stratégique actuel en mer est bien plus compliqué qu’en 2014 : actions de guerre sur les fonds marins, activités russes de surface et sous – marines, émergence d’une nouvelle classe d’armes (K‑USV)… Quelle est votre perception de l’évolution de la sécurité maritime en Manche et dans l’Atlantique ? Constatez – vous un comportement non professionnel de la part de la marine russe ?

Après l’effondrement de l’Union soviétique et la fin de la guerre froide, nous avons traversé une période géopolitique calme qui s’est terminée par la guerre russo – géorgienne de 2008, suivie par l’annexion illégale de la Crimée en 2014. Depuis lors, le contexte stratégique en mer est en effet devenu plus compliqué. Au fond, il s’agit toujours d’une dissuasion basée sur l’article 5 de l’OTAN. La Marine royale néerlandaise vise à participer à la « Ligue des champions », non pas en termes de quantité, mais sûrement en termes de qualité. Les programmes de remplacement récemment annoncés, tels que les deux types de frégates (antiaérienne et anti – sous – marine), les sous – marins et les capacités de lutte contre les mines, ainsi que le renforcement d’autres capacités, comme l’ajout de missiles d’attaque terrestres lancés depuis la mer, doivent être considérés à la lumière de cet objectif.

Aucun navire de la marine russe ne transite par la mer du Nord sans être détecté et surveillé. Le gouvernement néerlandais a élargi l’année dernière le mandat de la marine royale pour mener ces opérations. Contrairement à un certain nombre d’incidents de manœuvres non professionnelles de la part de l’armée de l’air de la Fédération de Russie envers plusieurs de nos frégates il y a quelques années, nous observons un comportement professionnel et le respect du traité sur les incidents en mer entre les gouvernements fédéraux néerlandais et russe lorsque des rencontres se produisent entre nos marines en mer.

Nous avons accru notre vigilance à l’égard des opérations sur les fonds marins et avons ainsi observé une augmentation des activités de pays non membres de l’OTAN. Nous développons une réponse intergouvernementale et multidomaine avec les garde – côtes néerlandais, d’autres ministères et des partenaires civils. Nous avons également accru la coopération multinationale pour améliorer notre connaissance et notre compréhension de la situation ainsi que nos possibilités d’intervention si nécessaire. Par exemple, notre participation aux côtés de la Force expéditionnaire conjointe dirigée par le Royaume – Uni nous aide à faire face à cette nouvelle menace, tout comme notre participation au Centre maritime de l’OTAN pour la sécurité des infrastructures sous – marines critiques (NMCSCUI).

Tous ces efforts combinés visant à accroître notre sensibilisation et à améliorer la coopération conduiront à une approche plus globale de la sécurité maritime dans la Manche, la mer du Nord et certaines parties de l’océan Atlantique. Par conséquent, je ne vois pas de nouveau déclin de la sécurité maritime, mais je m’attends à une augmentation, surtout par rapport aux deux premières décennies de ce siècle.

La Koninklijke Marine pourrait-elle jouer un rôle dans l’Arctique ou dans les détroits danois ?

La force d’une marine réside dans l’utilisation de la haute mer pour exercer sa puissance là où cela est nécessaire. Le rôle des forces armées néerlandaises est de défendre les intérêts (de sécurité) vitaux de notre royaume et cela ne nous limite pas à la mer du Nord. Nous envisageons d’opérer là où nos intérêts sont le mieux servis. Cela pourrait être dans l’Arctique ou dans les détroits danois.

Actuellement, l’une des principales menaces réside dans les activités militaires russes de la flotte du Nord ou de la flotte de la Baltique. Il est donc logique de mener des opérations avec les partenaires de l’OTAN et de l’Union européenne pour contrer cette menace et, avec le retrait de la banquise arctique, cela signifie plus au nord qu’auparavant. Toutefois, les conditions arctiques nécessitent de porter une attention particulière tant à l’équipement qu’au personnel. Le Corps des Marines de la marine royale néerlandaise est particulièrement entraîné dans des conditions arctiques et organise une formation annuelle dans le nord de la Norvège en collaboration avec les alliés de l’OTAN. En tant qu’État ne faisant pas partie de l’Arctique, il est possible d’opérer dans des conditions arctiques, mais celles-ci seront moins prévisibles dans un avenir proche.

La Koninklijke Marine possède le plus haut degré d’interopérabilité navale avec la Marine belge, ce qui est fascinant au regard de la capacité des deux marines à conserver leurs propres priorités. Le degré d’intégration est-il optimal ? Que pourrait-on faire de plus ?

La marine royale néerlandaise est fière d’être aux côtés de la marine belge depuis déjà plus de 75 ans, depuis la signature du premier traité en 1948. L’intégration s’est développée au fil des années, aboutissant non seulement à la création de l’amiral Benelux en 1975 et à l’intégration des deux états-majors navals opérationnels en un seul quartier général en 1996. Outre l’interopérabilité opérationnelle de haut niveau, tous les enseignements sont combinés : les écoles néerlandaises forment des collègues belges et vice – versa, comme à la Belgian Netherlands Operational School de Den Helder. Il en va de même pour la maintenance des navires : la marine royale néerlandaise supervise et exécute la maintenance des frégates, la marine belge fait de même pour tous les navires de guerre des mines.

La formation et les exercices sont également entièrement intégrés, à l’exception de la planification et des opérations de nos forces spéciales, des troupes de marine et des sous – marins. Les équipages de navires qui terminent leur période de maintenance sont formés en Belgique (navires MCM) ou à Den Helder (frégates) par un personnel de formation binational.

Plus récemment, les deux marines ont coopéré pour l’achat de nouvelles frégates ASW, pour lesquelles la marine royale néerlandaise prend la tête, et pour le remplacement de nos navires de guerre des mines, pour lequel la Belgique a pris la tête. Cette évolution a été approuvée par les deux gouvernements et marque une nouvelle étape dans notre interdépendance et notre intégration croissantes. L’intention est d’étendre ces initiatives à d’autres projets également.

Une intégration plus poussée est à l’étude, mais elle est affectée par la prise de décision politique, impliquant par exemple des questions de souveraineté. Le niveau d’intégration entre les deux marines est déjà tel que la division des deux marines n’est plus une option.

Outre l’utilisation de la robotique dans les futures capacités de guerre des mines, envisagez vous d’autres fonctions pour elle ?

La robotique jouera certainement un rôle dans les guerres futures et dans les fonctions de soutien. Les guerres en Ukraine et à Gaza démontrent clairement son importance, notamment dans les domaines aérien et maritime. La Marine royale néerlandaise surveille activement le développement de la robotique et de ses contre – mesures. Dans les navires de guerre des mines, les systèmes non habités et donc la robotique feront partie intégrante du mode opératoire. La robotique et les systèmes sans pilote joueront également un rôle important sur les nouveaux sous – marins et frégates de guerre anti – sous-marine (ASW). Il est donc juste de dire qu’ils seront introduits dans un avenir proche.

La réduction des effectifs est l’un des facteurs déterminants dans la conception des principaux systèmes d’armes. Les Robotic process automation (RPA) peuvent jouer et joueront très probablement un rôle central comme assistants virtuels. La robotique présente un énorme potentiel, en particulier dans les domaines ISR et de guerre anti – sous – marine, mais également dans le domaine terrestre, où les troupes de marine l’utilisent à des fins offensives, en plus des besoins ISR et de transport. Des tâches ennuyeuses et à haut risque peuvent être accomplies par ces assistants robotiques dans une logique de division du travail dans un environnement changeant, y contribuant grandement à une meilleure conscience situationnelle, à une meilleure compréhension et à une vigilance accrue.

Les systèmes non habités (principalement en soutien aux systèmes habités) joueront un rôle croissant dans la collecte de données et l’établissement d’une situation opérationnelle. Les systèmes robotiques ou automatisés joueront un rôle de plus en plus important dans les processus de prise de décision, mais l’homme restera « dans la boucle », notamment dans le processus d’application de la force (mortelle).

Dans le développement de la robotique, nous avons tendance à surestimer le rôle de l’innovation en cas de rupture des règles à court terme et à le sous – estimer à long terme. L’IA fera partie de tous les processus actuels, notamment le renseignement et le C2. Celui qui développera et appliquera l’IA dans la boucle ODAA (Observation, orientation, décision, action) de la manière la plus rapide et la plus efficace remportera les batailles du futur. Faire de la robotique un élément essentiel de nos opérations multidomaines n’est pas un choix pour l’avenir, mais une nécessité pour le présent.

Quelle serait votre « Koninklijke Marine de rêve, mais réalisable, des années 2030 » ? Cela implique-t‑il des batteries de missiles antinavires côtiers, la diversification des armements à bord des navires de surface et des sous – marins, le renouvellement des capacités de patrouille maritime aéroportée ou les capacités de pose de mines ?

En ce qui concerne les grands projets d’investissement, nous sommes en passe de devenir la marine que nous souhaitons être dans les années 2030. Comme nous l’avons dit, les vastes programmes de remplacement et d’amélioration des capacités ont été élaborés pour préparer les décennies à venir. Le Korps Mariniers néerlandais est en transition vers une force de raid littoral et des programmes de remplacement modernes sont en cours.

Cela ne veut pas dire que je n’ai aucun souhait pour le futur proche. En raison des coupes budgétaires, la force quantitative de la marine est juste en dessous de la moyenne. Pour un emploi efficace de la force afin de répondre à nos exigences en matière de sécurité nationale, deux frégates anti – sous-marines supplémentaires sont indispensables. En raison de l’action mondiale de notre marine et de la nécessité de défendre les intérêts de sécurité de notre royaume, la ligne est trop tendue.

Parallèlement, je prévois une augmentation des demandes en C4ISR, nécessitant des moyens supplémentaires pour garantir que la marine royale néerlandaise et ses alliés soient capables de gagner le combat. Il s’agit d’une question qui concerne l’ensemble de l’OTAN et nous, en tant qu’alliés, travaillons dur pour améliorer notre position. Cela signifie également augmenter la fiabilité des connexions SATCOM et introduire dans la flotte d’abord des navires avec un équipage réduit, puis sans équipage. Afin d’améliorer la puissance de feu des capital ships, des « arsenaux flottants », capables de changer rapidement de rôle, changeront la donne à l’avenir, que ce soit dans un rôle antiaérien, anti – sous – marin ou de protection de nos infrastructures critiques en mer.

Dans ma vision de notre marine, je ne vois cependant pas de place pour les batteries côtières : nous entendons engager un adversaire plus loin en mer, tout en gardant un œil sur nos infrastructures critiques, à proximité de chez nous, dans nos eaux territoriales et notre zone économique exclusive. Les plus grandes améliorations à attendre concernent l’augmentation de la vitesse d’innovation, l’utilisation à grande échelle de systèmes sans équipage et un cycle de décision beaucoup plus rapide basé sur l’utilisation du Big Data, des algorithmes et de l’intelligence artificielle. Une intégration plus poussée entre la mer, l’air, la terre, le cyber et l’espace nous permet de véritablement exécuter des opérations multidomaines.

Beaucoup de travail nous attend, mais je suis déjà ravi de voir ce qui se passe autour de moi. La marine royale néerlandaise traverse une transformation majeure, s’adaptant à une nouvelle réalité, et je suis convaincu que nous réussirons, avec nos instituts de compétences et nos partenaires nationaux et internationaux.

René Tas

areion24.news