En 2019, après la défaite de l’État islamique [EI ou Daesh] à Baghouz et au fil des succès militaires obtenus par les forces gouvernementales syriennes avec l’appui de la Russie et de l’Iran, la province d’Idleb fut qualifiée de « plus grand dépotoir de combattants terroristes étrangers au monde », dans un rapport de Nations unies [qui citait un « État membre », nldr].
En effet, cette région syrienne était alors contrôlée en grande partie par l’organisation jihadiste Hayat Tahrir al-Cham [l’ex-Front al-Nosra, en rupture de ban avec al-Qaïda] ainsi que par des groupes rebelles affiliés à la Turquie et réunis au sein de « l’armée nationale syrienne ». C’est d’ailleurs dans cette province que le chef « historique » de Daesh, Abou Bakr al-Baghdadi, ainsi que son successeur, Abou Ibrahim al-Hachimi al-Qourachi, furent tués par les forces spéciales américaines.
À l’époque, au titre du processus d’Astana, Ankara avait obtenu un gel des opérations militaires syriennes et russes [à l’exception de celles menées contre les groupes terroristes] dans la province d’Idleb. La partie turque avait alors expliqué qu’il s’agissait d’éviter un afflux de réfugiés vers son territoire. Et l’armée turque installa douze postes d’obserbation près de la ligne de front.
Seulement, au début de l’année 2020, le gouvernement syrien, toujours avec l’appui de la Russie, entreprit de reconquérir Idleb en menant l’offensive dite de « Maarat al-Nouman et Saraqeb ». Ce qui donna lieu à des affrontements non seulement avec les groupes rebelles mais aussi avec les forces turques. En réponse, la Turquie lança l’opération « Bouclier du printemps », en expliquant que ses objectifs étaient de « mettre fin aux massacres du régime syrien et d’empêcher une vague migratoire ». Et de préciser qu’elle n’avait « ni l’intention, ni l’envie d’entrer dans une confrontation avec la Russie ».
Finalement, à l’issue d’une rencontre, à Moscou, entre le président russe, Vladimir Poutine, et son homologue turc, Recep Tayyip Erdoğan, un accord de cessez-le-feu fut annoncé, ce qui eut pour conséquence de « geler » le conflit… jusqu’au 27 novembre dernier.
Ce jour-là, Hayat Tahrir al-Cham et le Front national de libération [membre de l’armée nationale syrienne] ont lancé une offensive appelée « Dissuasion de l’agression » contre les forces gouvernementales syriennes et leurs alliés iraniens dans l’ouest du gouvernorat d’Alep. Offensive que la Turquie n’a visiblement pas voulu empêcher…
Utilisant des drones « kamikazes » de conception rudimentaires, les jihadistes et leurs alliés ont rapidement progressé. Au bout de quarante-huit heures, une cinquantaine de localités, dont la ville stratégique de Saraqeb, sont ainsi tombées entre leurs mains. En outre, ils ont coupé l’autoroute M5 reliant Damas à Alep et pris le contrôle de l’intersection de la route entre Alep et Lattaquié. Et cela, sans renconter une résistance significative, même si de « violents combats ont été signalés. Probablement que l’effet de surprise a joué.
De leur côté, les forces russes présentes en Syrie ont multiplié les frappes aériennes tandis que l’état-major syrien a ordonné l’envoi de renforts à Alep, avec notamment le déploiement d’unités de la 25e division des forces spéciales, de la 4e division blindée et de la milice palestinienne Liwa al-Quds. A priori, ces décisions ont été prises trop tardivement.
En effet, le 29 novembre au soir, à l’issue de trois jours de combats ayant fait plus de 300 morts, dont le général Kioumars Pourhashemi, membre du Corps des gardiens de la révolution iranien, les jihadistes et leurs alliés ont pris le contrôle de la majeure partie d’Alep, ville où s’était déroulée une bataille qui, en 2016, fut un tournant de la guerre civile syrienne, avec l’implication des forces aériennes russes. D’ailleurs, pour la première fois depuis huit ans, ces dernières y ont de nouveau mené des frappes.
Visiblement, le Hayat Tahrir al-Cham et ses alliés ont attendu ont profité des circonstances pour lancer leur offensive, celle-ci ayant débuté au moment où entrait en vigueur un cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah libanais. En outre, l’Iran semble affaibli en raison de sa confrontation avec l’État hébreu et le soutien que la Russie est susceptible d’apporter à Damas ne devrait pas être aussi important que par le passé à cause de la guerre en Ukraine.
Dans son dernier rapport concernant l’EI et al-Qaïda, le groupe d’experts des Nations unies explique que Hayat Tahrir al-Cham entendait « renforcer son aile militaire en établissant un centre d’opérations commun appelé ‘Communauté de Chahba’ en collaboration avec des factions armées ». Et d’ajouter : « Dans les zones qu’il contrôle, le groupe prend des initiatives civiles et introduit des cartes d’identité avec photographie et empreintes digitales, et cherche à convaincre les chefs des conseils de village d’accepter volontairement son autorité ».
Cependant, selon ce document, cette « gouvernance drastique » exercée par l’organisation ainsi que les « arrestations arbitraires » auxquelles elle procède seraient de nature à « compromettre son autorité parmi les civils » et donc à « renforcer d’autres groupes armés, notamment Tanzim Hurras ad-Din, qui n’a pas rompu avec al-Qaïda.