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mardi 8 octobre 2024

Proche-Orient et Moyen-Orient : missiles dans la nuit

 

L’Iran lançait dans la nuit du 13 au 14 avril 2024 une frappe massive contre Israël. Retour sur la genèse, le déroulé et les suites d’une séquence aussi inédite que riche en enseignements pour les armées européennes, qui doivent elles aussi faire face à des problèmes de saturation aérienne, qui restent engagées hors du continent et qui ont aussi participé aux opérations antimissiles d’avril 2024.

Le Corps des Gardiens de la révolution islamique est né en 1979. Celui-ci est souvent désigné sous le terme de Sepâh (« corps »), alors que ses membres sont connus comme les pasdarans (« gardiens »). Il a joué un rôle de plus en plus important tout au long de la guerre contre l’Irak, et se voyait confier le contrôle de l’« organisation pour la mobilisation des opprimés », soit une milice paramilitaire, le Basiji (« mobilisation »), dès 1980. Cette armée parallèle répond directement au Guide suprême de la Révolution. Dès 1985, le Sepâh se voit doté de forces navales et aériennes, puis lève en 1990 la force Al-Qods (« Jérusalem »), chargée des opérations extérieures. La force aérienne du Sepâh a été rebaptisée force aérospatiale en 2009. Celle-ci donna à son tour naissance à plusieurs commandements distincts, soit celui de la défense aérienne, le commandement aérien, qui opère une petite flotte d’aéronefs de combat et de transport, celui des drones, un commandement des opérations cyber-électroniques et enfin, le commandement des missiles Al‑Ghadir.

L’unité Hadid

Dès 1984, le Corps se mit en quête de missiles balistiques. Le régime de Hafez el-Assad accepta de former 13 techniciens à l’usage de missiles R‑17 Scud, mais refusa d’en fournir, et ce fut finalement le colonel Mouammar Kadhafi qui approuva peu après la livraison de huit missiles du même type et de deux Transporteurs érecteurs – lanceurs (TEL), bientôt suivis par 18 et quatre autres respectivement, donnant ce faisant naissance à l’unité Hadid, qui tira son premier Scud le 12 mars 1985 avec l’aide de spécialistes libyens.

Cependant, une brouille avec le fantasque colonel Kadhafi eut tôt fait d’engendrer le retrait de l’équipe de techniciens libyens et une tentative de sabotage des R‑17 restants par ces derniers. Les Gardiens, sous la conduite de Hassan Tehrani – Moghadam, le premier commandant de l’unité Hadid, durent poursuivre leur apprentissage seuls avant de parvenir à tirer leur premier Scud le 11 janvier 1987, leur chef gagnant dans l’aventure le sobriquet de « père des missiles iraniens ». La même année, le Corps recevait de Pyongyang une petite centaine de Hwasong‑5 (Mars‑5), la version nord – coréenne du R‑17E, ainsi que plusieurs TEL basés sur des châssis MAZ‑543 et Nissan. À la fin de la guerre, en août 1988, les Gardiens avaient tiré 117 Scud contre l’Irak (1).

Naissance d’une industrie

Dès la fin du conflit, l’Iran se lança dans le développement d’une industrie endogène. En 1988 déjà, un accord prévoyant des transferts de technologie et d’outillage était conclu avec Beijing, qui livrait l’année suivant un lot de 200 M‑7 à courte portée. La coopération avec Pyongyang s’intensifia également, des transferts de technologie plus limités étant aussi mis en place avec la Russie. Ces échanges permirent d’atteindre des résultats rapides, portant sur des engins à courte (jusqu’à 1 000 km) et à moyenne portée (jusqu’à 2 000 km). En effet, Téhéran indiquait en 2015 limiter ses ambitions en la matière à cette dernière valeur, quand bien même le développement de lanceurs spatiaux mené en parallèle permet de mettre au point des engins de plus longue portée sans transgresser cet engagement.

Pour ce qui relève de la courte portée, les progrès furent fulgurants avec la mise en production dès les années 1990 des Shahab‑1 et Shahab‑2 (« météores »), dérivés des Hwasong‑5 et Hwasong‑6, d’une portée de 300 et 500 km respectivement. En 2002 était testé un premier type propulsé par un carburant solide sous la forme du Fateh‑110 (« conquérant »), d’une portée de 300 km. Il fallut en revanche plus d’une décennie avant que le premier missile à moyenne portée, soit le Shahab‑3, identique au Hwasong‑7 nord – coréen, n’entre en service. D’une longueur de 15,86 m et d’un diamètre de 1,25 m, il est propulsé avec du carburant liquide, et est capable de parcourir 1 150 km dans sa variante A, emportant une charge offensive de 1 t, et 2 000 km dans sa variante B, avec une charge de 700 kg.

Depuis, l’Iran n’a cessé de produire de nouveaux modèles de missiles par itérations successives, cherchant ce faisant à leur donner une précision terminale et une ergonomie de déploiement et de lancement accrues et à augmenter leur capacité de pénétration face à des défenses antibalistiques à la sophistication croissante.

On vit ainsi apparaître des têtes manœuvrantes durant la phase terminale du vol ainsi que des coiffes recouvrant plusieurs ogives et des leurres. À cet égard, le Khaybar Shekan (« le briseur de Khaybar »), révélé en février 2022, semble représenter l’état de l’art atteint par les missiliers iraniens. Sa portée n’est que de 1 450 km, mais il est propulsé par du carburant solide. Son poids et sa taille sont diminués d’un tiers comparé à la génération précédente alors que la 

séquence de lancement serait significativement réduite, et il emporterait une ogive manœuvrante durant la phase terminale du vol. En juin 2023 était également annoncée la mise au point d’une arme hypersonique, le Fattah (« celui qui ouvre les portes à la victoire »). Le Corps s’est doté de missiles de croisière avec le lancement de la production en série du Soumar en 2015, celui-ci étant basé sur le design du Kh‑55 soviétique, dont six avaient été acquis clandestinement en Ukraine en 2001 (2).

Le long bras du Sepâh

En mars 2022, le chef de l’US Central Command américain estimait la taille de l’arsenal balistique iranien à plus de 3 000 engins. Qui plus est, les Iraniens ont investi des moyens colossaux dans le durcissement de leurs installations critiques, parmi lesquelles figurent les infrastructures du commandement Al – Ghadir. Une série de complexes souterrains dispersés dans le pays où sont stockés missiles et TEL a ainsi été érigée au cours des deux dernières décennies. En outre, certains de ces sites abritent des chambres de lancement, permettant aux TEL de tirer sans avoir à s’exposer.

Le Sepâh aura fait usage de ses missiles à de nombreuses reprises depuis 1988. Cinq frappes ont été menées de novembre 1994 à avril 2001 contre des camps des moudjahidines du peuple iranien situés en Irak. La dernière d’entre elles induisit le tir simultané d’au moins 44 Shahab‑1 et Shahab‑2. La frappe suivante n’intervint qu’en juin 2017, contre des positions attribuées à Daech en Syrie. Le 8 septembre 2018, une autre attaque ciblait des membres du Parti démocratique du Kurdistan réfugiés dans le Kurdistan irakien, suivie le 1er octobre par une autre frappe, nommée opération « Zarbat al-Moharram » (« frappe de Moharram »), de nouveau contre des positions de Daech en Syrie. Dix-neuf missiles Qiam‑1, Zulfiqar et Fateh‑110 furent tirés durant les trois attaques, la dernière étant combinée avec une frappe menée par plusieurs drones armés Shahed‑191. De fait, le commandement Al – Ghadir et celui des drones ne firent qu’accroître la combinaison de leurs moyens au fil du temps, et ce tout particulièrement avec l’apparition des premiers OWA-UAV (One Way Attack – Unmanned Aerial Vehicle) Shahed‑131 et Shahed‑136 dans l’arsenal du Corps.

Le 3 janvier 2020, à la suite d’une série d’attaques menées par des milices irakiennes proches des pasdarans, un drone américain tuait le général Qassem Soleimani, chef de la force Al-Qods. Cinq jours plus tard, le Sepâh lançait l’opération « Shahid Soleimani » (« martyr Soleimani ») et tirait 16 missiles Fateh‑313 et Qiam (« soulèvement »), dont 11 touchaient la base aérienne d’Al – Asad d’où opéraient une partie des drones américains. Téhéran ayant annoncé son attaque au préalable, seuls une trentaine de militaires américains souffrirent de contusions sévères. L’administration Trump fit alors le choix de ne pas poursuivre l’escalade, minimisant l’incident qui, paradoxalement, fit beaucoup plus de victimes en Iran puisqu’une batterie antiaérienne du Corps abattit par erreur un Boeing 737‑800 d’Ukraine International Airlines qui venait de décoller de l’aéroport international de Téhéran, tuant ce faisant ses 176 passagers et membres d’équipage.

La reprise de la guerre à Gaza le 7 octobre 2023 vit une intensification des frappes aériennes menées par Israël contre des cibles liées à la force Al-Qods en Syrie, celle-ci y soutenant notamment le Hezbollah libanais. Entre le 2 décembre 2023 et le 2 février 2024, 10 officiers supérieurs appartenant à cette dernière furent ainsi tués dans des frappes israéliennes. Le 15 janvier 2024 en fin de soirée, l’Iran faisait une première démonstration de force : le commandement Al – Ghadir tirait 11 Fateh-110 contre une habitation sise non loin du consulat américain dans la région d’Erbil, tuant un homme d’affaires et plusieurs de ses proches, Téhéran désignant la cible comme appartenant au Mossad alors que, deux heures plus tard, quatre Khaybar Shekan tombaient sur un camp attribué à Daech dans la région d’Idlib, un échange de frappes intervenant également avec le Pakistan.

Le 1er avril 2024, deux missiles aérobalistiques Rampage lancés par des avions israéliens touchaient le consulat de la République islamique d’Iran à Damas, faisant une dizaine de morts, parmi lesquels figuraient trois officiers supérieurs. Téhéran indiqua aussitôt que l’Iran se réservait le droit d’apporter une « réponse décisive  » (3).

L’approche de la tempête

La menace suscita l’envoi par Washington de moyens supplémentaires dans la région, sous la forme de chasseurs, d’une batterie THAAD et de destroyers équipés de systèmes antibalistiques, tandis que la Heyl Ha’Avir (force aérospatiale) israélienne renforçait son niveau d’alerte alors que l’Iran transmettait à ses alliés un préavis sur l’attaque à venir.

Le 12 avril, le Hezbollah lançait deux drones – suicides puis, en soirée, près de 40 roquettes contre le nord d’Israël, le mouvement annonçant avoir ciblé des positions d’artillerie. La plupart étaient interceptées tandis que la Heyl Ha’Avir menait comme de coutume des contre – frappes en territoire libanais. Dans la journée du 13 avril 2024, des commandos de la branche navale des pasdarans abordaient le porte – conteneurs MSC Aries, battant pavillon portugais, mais dont l’armateur serait un homme d’affaires israélien, alors qu’il transitait dans le détroit d’Ormuz. Puis, dans la soirée, le Hezbollah tirait 25 roquettes contre une base de Tsahal dans le Golan, prélude à une attaque iranienne inédite par son ampleur.

Promesse véritable

L’opération, baptisée « Promesse véritable », se déroula en plusieurs phases. Peu après 23 h, le commandement des drones tira au moins 170 Shahed‑136 vers Israël au travers de l’Irak, de la Syrie, de l’Arabie saoudite et de la Jordanie, tandis que les Houthis lançaient à leur tour plusieurs OWA-UAV depuis le Yémen, ceux-ci étant suivis une heure plus tard par de 30 à 36 missiles de croisière Paveh. Enfin, aux alentours de 1 h 30 du matin le 14 avril, le commandement Al – Ghadir tirait une volée massive de 115 à 130 missiles balistiques Ghadr, Emad, Khaybar Shekan et Seijil‑2, les trois derniers ayant une CEP annoncée de 10 m, et les Houthis lançaient également plusieurs missiles balistiques.

« Bouclier d’acier »

Les premiers drones furent détruits alors qu’ils survolaient l’Irak, la plupart étant interceptés dans les espaces aériens syrien et jordanien. Les F‑15E des 94th et 494th squadron de l’US Air Force en abattirent environ 70 et des Typhoon britanniques, engagés depuis la base d’Akrotiri à Chypre, en détruisirent au moins une dizaine d’autres, tandis que la Royal Jordanian Air Force entrait également en action avec ses F‑16 et en abattait un nombre indéterminé, des Rafale français basés en Jordanie en faisant de même. Dans le même temps, les forces américaines détruisaient au sol un lanceur de missiles balistiques et sept autres de drones houthis avant qu’ils ne puissent tirer leurs munitions, des destroyers américains abattant également trois missiles balistiques houthis au – dessus de la mer Rouge.

La Heyl Ha’Avir intervint en force, baptisant ce faisant l’opération « Bouclier d’acier ». Plusieurs douzaines de chasseurs F‑15, F‑16 et F‑35, guidés par les avions de détection avancée Eitam, Shavit et Oron du 122 squadron, abattirent le reste des drones et 25 missiles de croisière dans l’espace aérien des pays voisins.

Missiles contre missiles

Si la chasse israélienne bénéficia de l’intervention de ses alliés, qui abattirent plus de la moitié des drones, ce fut beaucoup moins le cas pour ce qui relève des missiles balistiques. Une batterie de Patriot américaine détruisit un missile dans la région d’Erbil en Irak, tandis que les destroyers USS Carney (DDG‑64) et USS Arleigh Burke (DDG‑51) opérant dans l’est de la Méditerranée et USS Mason (DDG‑87) et USS Gravely (DDG‑107) en mer Rouge en abattaient au moins cinq autres à l’aide de leurs systèmes SM‑3. Le mystère demeure en revanche entier quant à un engagement de la batterie THAAD dépêchée sur le théâtre.

L’interception de l’écrasante majorité des missiles balistiques iraniens, dont les rangs se seraient clairsemés du fait de dysfonctionnements techniques en vol, dépendit donc principalement de l’action de la défense antiaérienne israélienne. Multicouches, celle-ci figure parmi les plus denses au monde, étant composée de deux à trois batteries d’Arrow‑2 et d’Arrow‑3 (longue portée, voire exoatmosphérique dans le cas de l’Arrow‑3), d’au moins huit batteries de Patriot, de vraisemblablement deux systèmes Fronde de David (moyenne portée), et enfin de 10 batteries du système Dôme de fer (courte portée). Ce dispositif dévoila toute son efficacité durant la nuit, abattant la grande majorité des missiles balistiques iraniens. La plupart de ceux-ci semblaient viser les bases aériennes de Nevatim et de Ramon, toutes deux sises dans le désert du Néguev, non loin de la centrale nucléaire de Dimona.

Le nombre exact de missiles iraniens qui passèrent au travers du bouclier israélien et touchèrent les deux bases demeure sujet à caution, d’une part parce qu’ils ont ciblé des sites très isolés avec le contrôle de l’information qui en découle et, d’autre part, du fait de l’usage d’ogives multiples ; mais il se situe vraisemblablement entre cinq et neuf. Ils ne causèrent cependant que des dégâts limités malgré la grande précision des impacts, deux hangars et le runway étant touchés dans le cas de Nevatim. De son côté, le Sepâh confirmait par l’intermédiaire de l’agence de presse IRNA que la frappe avait été lancée en représailles de l’attaque contre le consulat, tandis que le président du Parlement iranien, Mohammad Bagher Ghalibaf, prévenait qu’une nouvelle « erreur » des Israéliens susciterait une réponse plus forte encore, révélant ainsi la vocation dissuasive et limitée de l’opération (4).

Contre-frappe

Durant les premières heures du 19 avril 2024, la Heyl Ha’Avir menait une contre – frappe, dont les contours restent encore flous. Plusieurs de ses F‑15 auraient ainsi pénétré l’espace aérien syrien ou jordanien puis auraient tiré au moins trois missiles aérobalistiques Rocks, ceux-ci ayant largué leurs accélérateurs peu avant d’atteindre leur apex au-dessus du sol irakien, avant de poursuivre leur trajectoire vers l’Iran. Les missiles auraient alors détruit ou endommagé le radar de conduite de tir d’une batterie de S‑300PMU‑2 embossée à proximité de la 8th Tactical Fighter Base (TFB 8), sise près d’Ispahan, et proche également de l’usine d’enrichissement d’uranium de Natanz. Discrète, la frappe démontra aussi une certaine symétrie avec l’opération « Promesse véritable », puisque là aussi était ciblée une zone critique où l’adversaire avait concentré ses meilleures défenses. Les S‑300PMU‑2, d’origine russe, ont été livrés à l’Iran en 2016 et sont en effet considérés comme les meilleurs systèmes antiaériens en service dans le pays, et ce même si les capacités de systèmes locaux comme le Bavar‑373 demeurent inconnues. De plus, la TFB 8 abrite les derniers F‑14 iraniens opérationnels, ceux-ci demeurant malgré leur âge vénérable les intercepteurs les plus performants en service (5).

Quelques enseignements

L’échange de frappes débouche paradoxalement sur une double démonstration de force. Iranienne d’abord, parce que le nombre d’armes lancées en une seule attaque correspond à plus du double de celui de la frappe combinée la plus importante menée par les Russes contre l’Ukraine entre le 1er janvier et le 31 mai 2024, soit celle de la nuit du 21 au 22 mars (151 munitions, soit 63 Geran‑2/Shahed‑136, 46 missiles balistiques ou aérobalistiques et 42 missiles de croisière). Israélienne ensuite, parce que démonstration aura été faite que son système de défense multicouche développé à grands frais depuis trois décennies a résisté à l’épreuve d’une attaque de saturation et que la Heyl Ha’Avir conservait sa capacité de frapper à volonté même les zones les mieux défendues de l’Iran.

Néanmoins, nombre de questions restent en l’état ouvertes puisque tant Téhéran que Tel-Aviv semblent surtout s’être employés à mener des actions à vocation démonstrative. Ainsi, l’ampleur des stocks iraniens de missiles balistiques et israéliens de missiles antimissiles, qui définissent leur capacité respective à mener ce type d’affrontements dans la durée, demeure méconnue, tout comme le sont la taille maximale des volées que le commandement Al – Ghadir peut tirer simultanément et, concomitamment, le nombre de cibles que la défense israélienne peut engager dans un laps de temps réduit avant de devoir recharger ses lanceurs.

De manière plus globale, l’épisode semble conforter de nouveau, après la neutralisation par une batterie de Patriot ukrainienne de 16 missiles de croisière et aérobalistiques la ciblant directement dans la nuit du 15 au 16 mai 2023 – un seul de ses composants a été touché dans l’engagement –, l’arrivée à maturité des systèmes de défense antibalistiques. De fait, les Russes ont quasi renoncé à viser des cibles situées dans la bulle couverte par les Patriot, soit principalement Kyiv, avec des missiles (aéro)balistiques. Ce satisfecit pourrait cependant bien être partiel au point d’en être trompeur. En effet, si la salve de missiles iranienne était inédite par son ampleur, Israël est vraisemblablement le pays disposant de la protection antibalistique la plus dense au monde, du fait du nombre d’effecteurs en service et de la superficie réduite à couvrir. Bien peu d’autres États auraient par conséquent pu s’en sortir à si bon compte.

Se pose donc pour d’autres nations la question de la capacité financière à disposer de tels boucliers, le prix d’une unique batterie de Patriot étant estimé à un milliard de dollars, et à produire ou à acquérir les stocks de munitions permettant de faire face à des frappes de grande ampleur dans la durée – la production de missiles PAC‑3 actuelle se situant par exemple autour de 600 unités par année. L’épée est en revanche bien moins coûteuse. Les missiles balistiques, engins de terreur devenus armes de précision, peuvent être acquis en grande quantité, aisément produits de manière endogène, comme l’ont démontré les Iraniens, et potentiellement offrir un substitut partiel à une force aérienne (6), notamment pour ce qui relève du counter – air en visant les bases aériennes, les radars et les défenses antiaériennes, ou même de frappes contre des objectifs tactiques ponctuels, comme le démontrent régulièrement les Russes et les Ukrainiens, ou encore les Houthis pour ce qui relève de cibles maritimes.

Notes

(1) Ramin Parham, « Gardiens de l’ordre, l’ordre des Gardiens », Outre-Terre, no 28, 2011/2 ; Behnam Ben Taleblu, « Arsenal. Assessing the Islamic Republic of Iran’s Ballistic Missile Program », FDD Press, février 2023 ; Stijn Mitzer & Joost Oliemans, The Armed Forces of North Korea : On the Path of Songun, Helion and Company, 2020.

(2) Defense Intelligence Agency, Iran Military Power (DIA, 2019) ; « Iran’s Missile Milestones », 23 février 2024 et « Iran’s Missile Program : Past and Present », 29 juin 2020 (www​.iranwatch​.org) ; Shahryar Pasandideh, « Under the Radar, Iran’s Cruise Missile Capabilities Advance », warontherocks​.com, 25 septembre 2019 ; Seth J. Frantzman, « Iran’s “Khaybar Shekan” : The missile used by Tehran to attack in Syria », Jerusalem Post, 31 janvier 2024.

(3) Babak Taghvaee, « Pakistan retaliates », Air Forces Monthly, avril 2024 et « Iran’s failed bombardment », Combat Aircraft Journal, vol. 25, no 6, juin 2024.

(4) Fil X (ex-Twitter) d’Emanuel Fabian (@manniefabian), 12 au 15 avril 2024 ; Jean-Jacques Mercier, « Épées de fer : quelles leçons pour la défense aérienne israélienne ? », Défense & Sécurité Internationale, hors-série no 93, décembre 2023-janvier 2024 ; Heather Mongilio, « U.S. Warships in Eastern Mediterranean Down Iranian Ballistic Missiles », USNI news, 14 avril 2024.

(5) Babak Taghvaee, « Message to the Ayatollahs », Air Forces Monthly, juin 2024.

(6) C’est le cas de l’Iran, qui peine à renouveler les parcs d’une force aérienne obsolescente. Voir Joseph Henrotin, « L’Iran, puissance de l’échange aérobalistique », Défense & Sécurité Internationale, no 170, mars-avril 2024.

Adrien Fontanellaz

areion24.news