Des services secrets, nous ne savons que les échecs et rarement les succès. Si l'échec provoque l'anathème, l'ingratitude est fille de la victoire. Quand à la gloire, il faut l'oublier, elle est pour les autres...

mardi 1 octobre 2024

Netanyahou ivre de guerres ?

 

Petit rappel à ceux qui m’insultent dès lors que je ne suis pas de leur avis, des extrémistes de tous bords au porte-parole de Tsahal :

« Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire » (Jean Jaurès).

Il se trouve que j’ai commencé ma carrière opérationnelle d’officier au Cambodge, comme chef de patrouille en jungle et négociateur chez les Khmers rouges, une expérience de survie dans un monde hostile, probablement pour cela que mon Blog s’appelle « Ne Pas Subir » et que les menaces sont inappropriées lorsque j’ai décidé de commenter un conflit.

Je suis totalement opposé à la guerre que vient de lancer Netanyahou – qui certes n’est pas seul, mais qui est le chef du gouvernement israélien et donc en responsabilité de cette décision – contre le Hezbollah assimilé au Liban, et ce pour plusieurs raisons.

J’entends des amis israéliens m’expliquer qu’ils soutiennent cette attaque contre le Hezbollah, parce que ce dernier les menace depuis trop longtemps et bombarde le nord d’Israël depuis le 8 octobre, lendemain de l’attaque terroriste du Hamas que le mouvement libanais soutient ostensiblement. Pourtant, ces Israéliens sont clairement opposés à Netanyahou, mais pas à cette guerre qu’ils considèrent comme légitime pour assurer la sécurité d’Israël.

J’entends des amis libanais m’expliquer combien ils sont opposés au Hezbollah qui s’est progressivement substitué à leur État au point de laisser penser que le Liban n’existe plus politiquement. Et pourtant, ils détestent plus encore la violence d’Israël et ses attaques militaires, en particulier lorsque l’Etat hébreu est dirigé par l’extrême droite qui ne respecte aucune forme de droit.

Je n’entends quasiment plus mes amis palestiniens qui ont désormais tous perdu un proche quand ce n’est pas leur propre vie dans le carnage qu’a commis l’armée israélienne contre Gaza, avec plus de 90% de victimes collatérales, une dévastation digne d’une attaque nucléaire. Ils sont réduits au silence comme Gaza a été réduit en cendres, après un an de bombardements « ciblés » qui ont en réalité tout massacré.

Un Hezbollah fragilisé qui ne pouvait plus attaquer Israël faute du soutien de l’Iran

Que le Hezbollah – un mouvement politique, religieux et militaire – soit un ennemi d’Israël, personne n’en doute, de même que la réciproque. Que ce mouvement, dont seule la branche armée est qualifiée d’organisation terroriste par l’Union européenne, soit à l’origine de nombreux attentats comme ceux perpétrés contre des soldats français et américains en 1983 est un fait.

Mais la vengeance constitue la pire des motivations, car elle compromet l’avenir sans rien reconstruire. C’est toute l’histoire de la construction européenne après un siècle d’affrontements entre la France et l’Allemagne qui se qualifiaient pourtant « d’éternels ennemis ».

En septembre 2024, le Hezbollah est un mouvement fragilisé dans sa composante militaire du fait justement de la fragilité de l’Iran dont il dépend au quotidien. Compte tenu de l’implication américaine au Proche-Orient et de son déploiement de forces dans la région depuis la guerre contre Gaza, le régime des Mollahs se suiciderait s’il attaquait Israël aujourd’hui. Dans ces circonstances, l’Iran est obligé de « jouer » la carte de la modération quand son plan initial était d’embraser la région, en lien avec les attaques de Poutine contre l’Ukraine comme dans plusieurs pays d’Afrique visant à démanteler l’ordre mondial érigé principalement par les pays occidentaux.

Depuis un an, le Hezbollah bombarde quotidiennement le nord d’Israël, tout en prenant soin de faire le moins de victimes possibles pour ne pas déclencher un conflit terrestre de grande ampleur qu’il ne pourrait pas soutenir. Certes, son armée – estimée à 50,000 hommes bien équipés et entraînés par l’Iran – est sans comparaison avec la milice mafieuse du Hamas, mais elle n’est pas de taille à affronter Tsahal, l’armée israélienne, dans un affrontement classique. Mais l’armée du Hezbollah est suffisamment implantée au Liban et organisée pour infliger de lourdes pertes à une force étrangère qui envahirait son territoire, comme Israël en a fait l’amère expérience en 2006, obligé de se retirer du fait de pertes insoutenables dans la durée.

Un Hezbollah fragilisé donc qui affichait depuis plusieurs semaines son intention de cesser ses bombardements dès lors qu’Israël stopperait sa guerre contre Gaza. Evidemment, les promesses du Hezbollah n’engagent que ceux qui les croient, mais l’Etat hébreu n’avait rien à perdre d’essayer : si le Hezbollah avait continué à harceler le nord d’Israël malgré un cessez-le-feu à Gaza, Tsahal aurait été « inattaquable » de lancer alors une offensive contre cet ennemi sans limite.

Une attaque contre le Hezbollah qui sacrifie un espoir de paix et les derniers otages israéliens

Netanyahou lance sa guerre contre le Liban le 17 septembre 2024 alors qu’une trêve sur Gaza pouvait stopper ce conflit qui menace toute la région. Après l’avoir laissé dévaster la bande de Gaza, les États-Unis s’attendaient légitimement (mais bien tardivement) à ce que Netanyahou accepte enfin un accord de cessez-le-feu qui aurait permis notamment de libérer les derniers otages israéliens en vie détenus par le Hamas (moins d’une trentaine aujourd’hui).

Mais le Premier ministre israélien a choisi une option radicalement opposée, celle de la guerre. Il a commencé par faire mutiler 3,000 responsables du Hezbollah, ceux équipés d’un biper ou d’un talkie-walkie que ses services secrets ont réussi à faire exploser les 17 et 18 septembre. Puis Netanyahou a lancé le 23 septembre une campagne massive de bombardements qui n’est pas sans rappeler le début de l’opération contre Gaza, avec ces « frappes ciblées » qui ont finalement tout ravagé.

Israël a déjà frappé plus de 10,000 fois le Hezbollah sans jamais arriver à le neutraliser

Depuis un an, en riposte aux tirs du Hezbollah, l’armée israélienne a déjà frappé plus de 10,000 fois (une trentaine de frappes quotidiennes multipliées par 350 jours) sans jamais pouvoir empêcher son ennemi d’agir.

Avec le déclenchement de l’opération « flèche du nord » par Netanyahou, les bombardements israéliens ont été multipliés par 10 (environ 300 par jour, comme pour Gaza mais dont la superficie est 30 fois plus réduite que le Liban), il leur faudrait donc plus d’un mois à ce rythme pour simplement égaler le niveau des frappes déjà conduites contre le Hezbollah pendant une année… pourquoi leurs résultats seraient-ils meilleurs ?


Dans la réalité – qu’Israël connaît bien – on ne détruit pas un mouvement terroriste avec seulement une attaque militaire. Lorsque j’étais étudiant, j’entendais l’armée américaine expliquer qu’en bombardant massivement le Viet Minh et notamment ses tunnels, elle allait le détruire…

La campagne de bombardements contre le Hezbollah affaiblira temporairement le mouvement, mais en créant des dégâts collatéraux considérables (Netanyahou nous a habitués au pire avec Gaza), elle garantira surtout un avenir de haine : une génération complète de Libanais voudra aussi se venger de leur voisin « ivre de guerres ».

Et la suite, une invasion terrestre ?

Le plan préparé (de longue date) par l’armée israélienne contre le Hezbollah consiste à lancer un raid terrestre après une campagne massive de bombardements (théoriquement de plusieurs semaines). Des dizaines de milliers d’hommes seraient alors nécessaires pour pénétrer au Liban et aller s’assurer physiquement de la destruction des infrastructures du Hezbollah visées.

Un déploiement de forces considérable face à un ennemi autrement mieux structuré et armé que le Hamas et sans possibilité de le détruire réellement, pas plus que les destructions massives sur Gaza n’ont permis de faire disparaître ce dernier. Netanyahou le reconnaît pourtant de fait en déclarant devant l’assemblée générale de l’ONU qu’il se battra « jusqu’à la victoire totale » contre le Hamas alors qu’il affirme depuis des mois être sur le point « de remplir tous ses objectifs »… et qu’il ne reste désormais plus grand-chose à détruire sur la bande de Gaza.

En réalité, faire exploser les infrastructures (locaux, tunnels, « postes de commandement ») n’a jamais empêché un mouvement armé de continuer. Détruire des stocks d’armes alors que le Hezbollah restera approvisionné par l’Iran n’apportera aucune sécurité durable à Israël. Quant à l’illusion d’une zone tampon, compte tenu de la portée des armes actuelles (entre 20 et 300 km), il faudrait neutraliser l’intégralité du territoire libanais (qui ne fait que 10,000 km2) pour s’en assurer.

Par contre, cette attaque contre le Hezbollah devient dans les faits une guerre contre le Liban, une guerre qu’Israël pourra « gagner » sans trop de difficulté à très court terme, d’autant que l’Etat hébreu bénéficie du parapluie américain, mais en compromettant son avenir quand une occasion de sortir de cette vallée de larmes et de sang qu’est la guerre se présentait enfin.

Les États-Unis dans l'hypocrisie

A quelques semaines de l’élection présidentielle, le président américain Joe Biden et sa vice-présidente Kamala Harris se retrouvent en grande difficulté : alors qu’ils espéraient un retour, même fragile, de la paix au Proche-Orient et conforter ainsi leur politique internationale, Netanyahou leur fait un bras d’honneur en enclenchant une nouvelle guerre… et en offrant à Donald Trump un argument de défiance et d’inefficacité du gouvernement démocrate.

Les États-Unis sont d’autant plus dans l’ennui qu’ils fournissent la quasi-intégralité des munitions utilisées dans les guerres de Netanyahou, armes avec lesquelles il a ravagé la bande de Gaza et qui lui permettent de s’attaquer désormais au Hezbollah en même temps qu’au Liban. Dans le même temps, le président Biden « déplore » la politique de Netanyahou et les guerres qu’il nourrit de ses propres armes. Pire encore, chaque fois que l’administration américaine a tenté d’imposer un cessez-le-feu (depuis décembre 2023), elle s’est vue ridiculisée par la duplicité de Netanyahou, simulant de négocier mais brisant consciencieusement tout espoir de paix.

Des contradictions d’autant plus marquantes que cette même présidence américaine impose dans l’autre guerre qu’elle soutient, celle de l’Ukraine agressée par la Russie, des contraintes sévères au président Zelensky comme l’interdiction de frapper en profondeur le territoire russe et la limitation des livraisons d’armes (les États-Unis disposent par exemple de centaines de F16 en réserve). Des contraintes sans commune mesure avec la totale liberté dont jouit Netanyahou pour bafouer toutes les règles de la guerre et mettre en cause la capacité des Américains à jouer un rôle de « gendarme du Monde »…

Netanyahou n’a aucune hésitation à duper le monde entier, en proclamant « négocier » avec les Etats-Unis un cessez-le-feu tout en conduisant une guerre impitoyable qui terrorise ses voisins et qui menace l’avenir même d’Israël. Netanyahou s’est engouffré dans la guerre et personne ne semble plus en mesure de pouvoir l’arrêter.

Guillaume Ancel 

le 28 septembre 2024

nepassubir.fr