Dans tous les cas, le spectacle aura été au rendez-vous! Un spectacle dont l’acteur principal est aujourd’hui Michel Barnier, 73 ans, nouveau Premier ministre conservateur français dont les manières sont à l’opposé du président qui l’a nommé, Emmanuel Macron, 45 ans.
Un spectacle bien éloigné des habitudes politiques de la France, pays d’habitude si présidentiel, où tout dépend du palais de l’Élysée. Depuis la nomination de Michel Barnier le 6 septembre, dans l’espoir de mettre un terme à la crise politique issue des élections législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet, le pays oscille entre tragédie et comédie. On vous refait le film avant les annonces officielles promises d’ici à dimanche.
La tragédie: une crise durable
La France est en crise politique. L’annonce du nouveau gouvernement attendue avant dimanche 22 septembre, ne réglera pas le problème principal pour Michel Barnier, nouveau Premier ministre: aucune majorité absolue de députés (289 sur 577) ne peut être réunie à l’Assemblée nationale après sa déclaration de politique générale attendue début octobre. Autre équation problématique: celle de la couleur politique de l’exécutif. Le choix d’un cabinet marqué à droite et au centre-droit nie la réalité électorale: à savoir le poids du Rassemblement national, premier groupe de députés, et celui de l’Union de la gauche, première force de l’assemblée (divisée en plusieurs groupes).
L’objectif de ce cabinet qui devrait être composé d’une trentaine de ministres est donc avant tout de ne pas être renversé par une motion de censure. Pour y parvenir, les oppositions doivent réunir également ce chiffre de 289 députés qui donne le tournis à tous les observateurs de la vie politique française. Pour le moment, cela semble peu probable car le Rassemblement national et ses 146 députés – avec ses alliés – n’est pas prêt à voter avec la gauche.
La comédie: le combat des chefs
Vous connaissez probablement l’album d’Astérix qui raconte «Le combat des chefs» qui déchire la Gaule à l’époque de Jules César. Et bien, nous en sommes un peu là. L’ultime réunion entre dirigeants de la droite et du centre, ce jeudi 19 septembre à l’Hôtel Matignon, a donné un aperçu de l’ambiance. Chacun est un peu venu réclamer son dû en termes de postes et de compétences ministérielles. Au final: les macronistes, défaits dans les urnes, sont ceux qui s’en sortent le mieux!
Le plus capricieux est le chef de la droite traditionnelle Laurent Wauquiez, ex-président de la région Rhône-Alpes Auvergne, frontalière de la Suisse. Il a repris le contrôle de son camp politique. Il a d’abord annoncé qu’il ne participerait pas au gouvernement. Puis, il a envisagé de s’installer à la tête du ministère des Finances. Avant de renoncer in extremis.
La tragédie: la gauche assommée
La gauche unie a hérité d’un nom historique. La coalition composée de La France Insoumise (LFI, gauche radicale), des socialistes, des écologistes et des communistes se nomme, depuis les élections législatives, le Nouveau Front Populaire. En référence au fameux Front populaire dirigé par Léon Blum en 1936! Mieux: cette coalition a remporté de justesse les récentes législatives anticipées avec 193 députés, devant tous les autres blocs politiques.
Deux mois après le second tour du 7 juillet, le bilan de cette remontada est toutefois nul. Les socialistes ont refusé d’envisager un gouvernement dirigé par le social-démocrate Bernard Cazeneuve, ce qui les aurait conduit à lâcher LFI. La candidate de l’union de la gauche Lucie Castets pour le poste de premier ministre a été ignorée par Emmanuel Macron. Fin de l’histoire. Jean-Luc Mélenchon règne en maître sur ce camp politique. En attendant, espère-t-il, une élection présidentielle anticipée avant l’échéance prévue de 2027.
La comédie: Macron, le «canard boiteux»
Ce n’est pas une comédie de boulevard. Ce théâtre-là devient plutôt celui de l’absurde. Emmanuel Macron, élu brillamment en 2017 plus jeune président de l’histoire de la Ve République est aujourd’hui encore plus isolé dans son palais de l’Élysée, où son entourage refuse de parler de cohabitation avec son nouveau Premier ministre. Seule consolation: le président français a obtenu deux ministres issus de son camp pour son domaine réservé des Affaires étrangères et de la défense.
Le terme utilisé pour décrire sa relation avec Michel Barnier est «coopération exigeante». Ça veut dire quoi? D’abord, que Barnier n’a pas beaucoup de marge de manœuvre, au point dit-on d’avoir mis sa démission dans la balance. Ensuite, que le Chef de l’État va tout faire pour continuer de tirer les ultimes ficelles. Mais son mandat s’achève dans trois ans et il ne peut pas se représenter. Il est bel et bien au «canard boiteux» comme on dit aux États-Unis.
La tragédie: Les caisses sont vides
Michel Barnier et son gouvernement peuvent raconter ce qu’ils veulent. Un seul sujet va dominer et dicter l’action gouvernementale ces prochains mois en France: l’état alarmant des finances publiques. Les caisses sont vides. Le déficit public dérape. La dette atteint un record, à 113% du produit intérieur brut. Tandis que le grand argentier sortant Bruno Le Maire s’apprête à enseigner en Suisse.
La Commission européenne a mis le budget français sous surveillance et attend des réponses. Les agences de notation financière rendront de nouveau un avis redouté en octobre. Résultat: le conservateur Barnier reparle déjà de hausses d’impôts, tout en ayant bien conscience qu’il faudra donner un coup de pouce au pouvoir d’achat. Le ministre des Finances évoqué, Antoine Armand, député macroniste de Haute-Savoie, est inconnu au premier plan. Est-ce parce qu’il faut prendre des décisions difficiles que le patron de la droite, Laurent Wauquiez, a calé devant l’obstacle?
Comédie politique, tragédie financière: un grand classique français?
Richard Werly